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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LIN v. GREECE - 58158/10 - HEJUD (French text) [2012] ECHR 1884 (06 November 2012)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2012/1884.html
Cite as: [2012] ECHR 1884

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE LIN c. GRÈCE

     

    (Requête no 58158/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    6 novembre 2012

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme

     


    En l’affaire Lin c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Nina Vajić, présidente,
              Peer Lorenzen,
              Elisabeth Steiner,
              Mirjana Lazarova Trajkovska,
              Julia Laffranque,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Erik Møse, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 octobre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58158/10) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant chinois, M. Luping Lin (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 octobre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant est représenté par Me Th. Tsiatsios, avocat à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

  3. .  Le requérant se plaint d’une violation des articles 3, 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention.

  4. .  Le 25 mars 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1983 et, à l’époque des faits, il était détenu au centre de répression de l’immigration clandestine d’Helliniko, à Athènes.
  7. A.  L’arrestation du requérant et sa détention en vue de son expulsion


  8. .  Le 11 avril 2006, il déposa une demande auprès de la Région de Thessalie pour obtenir une autorisation de séjour et de travail. Afin de prouver qu’il résidait en Grèce depuis longtemps, il soumit son passeport chinois qui avait, à ses dires, été délivré le 9 novembre 2004 à Athènes. Toutefois, selon les attestations de l’ambassade chinoise à Athènes et du ministère des Affaires étrangères, ce passeport n’a pas été délivré par cette ambassade.

  9. .  Le 20 mars 2007, les autorités inscrivirent le requérant sur le registre des personnes indésirables.

  10. .  Le 4 juillet 2007, la commission de l’immigration du département de Trikala, qui avait reçu les attestations susmentionnées du ministère et de l’ambassade, proposa le rejet de la demande du requérant, au motif que le passeport qu’il avait produit constituait un faux et que l’intéressé ne s’était pas présenté devant cette commission alors qu’il avait été invité à le faire par une lettre du président de celle-ci, datée du 22 juin 2007.

  11. .  Le 25 juillet 2007, le secrétaire général de la Région de Thessalie rejeta la demande du requérant, au motif que celui-ci n’avait pas démontré qu’il résidait en Grèce avant le 31 décembre 2004, comme l’exigeait la loi.

  12. .  Le requérant fut arrêté le 19 juin 2010 et placé en détention au poste de police d’Eliou-Pronnon de Céphalonie pour entrée et séjour illégaux dans le territoire. La décision du directeur de la police de Céphalonie, datée du même jour et ordonnant sa détention provisoire, mentionnait que la demande d’autorisation de séjour que l’intéressé avait déposée auprès de la Région de Thessalie avait été rejetée et que le requérant présentait un risque de fuite.

  13. .  Le 22 juin 2010, le directeur décida l’expulsion du requérant au motif qu’il avait pénétré clandestinement sur le territoire le 10 février 2005. Il décida aussi son maintien en détention jusqu’à l’exécution de la décision d’expulsion et pour une période ne pouvant pas excéder six mois. La décision du directeur précisait cependant que, si l’expulsion était différée, soit parce que le requérant refusait de collaborer soit parce que l’établissement de ses documents de voyage était retardé, la détention pouvait être prolongée pour une période de six mois supplémentaires.

  14. .  Cette décision ne fut pas notifiée au requérant.

  15. .  Le 30 juin 2010, celui-ci fut transféré au centre de répression de l’immigration clandestine d’Helliniko.

  16. .  Le 25 juillet 2010, il fut emmené à l’aéroport en vue de son expulsion, mais le responsable du vol refusa son embarquement car le requérant s’y opposait. Le 27 juillet 2010, il déposa une demande d’asile.

  17. .  Le 11 août 2010, il formula des objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif du Pirée, objections que celui-ci rejeta par une décision no 507/2010 du 12 août 2010, au motif que le requérant présentait un risque de fuite. La décision relevait que le requérant ne disposait pas de titre légal de séjour, qu’il n’avait pas de domicile stable et qu’il avait tenté de tromper l’administration en demandant, d’une part, l’attribution d’un numéro d’immatriculation fiscale au centre des impôts d’Amfissa et, d’autre part, l’obtention d’un titre de séjour par la Région de Thessalie.

  18. .  Le 3 septembre 2010, le requérant fut admis à l’hôpital pour une fièvre et il en sortit après s’être fait prescrire un traitement médicamenteux. Le 26 septembre 2010, il fut admis à nouveau pour des tests urologiques qui se révélèrent négatifs.

  19. .  Le 30 septembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, déposa auprès de la sous-direction de la police des étrangers d’Athènes une requête dans laquelle il dénonçait les conditions de sa détention et demandait la levée de celle-ci. En premier lieu, il se plaignait du nombre de détenus qui partageaient sa cellule et des dimensions de celle-ci, de l’insuffisance de toilettes et de douches, du manque de ventilation et de luminosité de la cellule ainsi que de l’atmosphère irrespirable due à la fumée de tabac. En deuxième lieu, il soulignait qu’il n’existait aucune possibilité de faire une promenade ou de l’exercice physique, qu’il n’y avait aucun divertissement pour les détenus, ce qui lui avait procuré un sentiment d’isolement et avait eu des conséquences néfastes sur son état psychique. En troisième lieu, il dénonçait le manque d’infrastructures pour la restauration des détenus et l’insuffisance de la somme de 5,87 euros allouée par jour aux détenus pour se nourrir, un montant qui ne permettait selon lui que l’achat de deux sandwiches.

  20. .  Les autorités ne donnèrent pas suite à cette démarche.

  21. .  Le 21 octobre 2010, le requérant fut admis à nouveau à l’hôpital jusqu’au 25 octobre 2010. Un traitement lui fut prescrit et les autorités approuvèrent le jour même la dépense relative à l’achat de médicaments.

  22. .  Le 25 octobre 2010, le requérant saisit le tribunal administratif du Pirée d’une demande d’annulation de la décision du 12 août 2010 (article 76 de la loi no 3386/2005). Il soutenait qu’il avait une résidence permanente et connue des autorités, qu’il ressortait de sa situation familiale, professionnelle et sociale qu’il ne risquait pas de fuir ou de commettre des infractions et qu’il ne constituait pas un danger pour l’ordre et la sécurité publics. Il prétendait que sa détention à Helliniko avait eu lieu et se poursuivait en violation de la loi, car la décision ordonnant son expulsion aurait été émise et notifiée cinq jours après le début de la détention. Il soulignait qu’il n’avait pas été cité pour être entendu en relation avec la décision d’expulsion dans le délai fixé par la loi, de sorte que cette décision ne devait plus, selon lui, être considérée comme valide. Il disait avoir eu la certitude de résider régulièrement sur le territoire car il aurait ignoré, faute de notification, le rejet de sa demande visant à l’obtention d’un titre de séjour.

  23. .  Le 26 octobre 2010, le tribunal administratif du Pirée accueillit la demande, ordonna l’élargissement du requérant en raison de son état de santé (fortes douleurs gastriques) que les conditions de détention risquaient d’aggraver et lui octroya un délai de trente jours pour quitter le territoire. Il conclut sans motiver cette constatation que le requérant ne présentait plus de risque de fuite.

  24. .  Le requérant fut remis en liberté le 27 octobre 2010 pour des raisons de santé.

  25. .  Le 20 janvier 2011, le tribunal administratif de Larissa rejeta une demande (introduite par le requérant le 6 septembre 2010) de sursis à l’exécution de la décision du 22 juin 2010, par laquelle le directeur de la police de Céphalonie ordonnait son expulsion, et de la décision du 25 juillet 2007, par laquelle le secrétaire général de la Région de Thessalie avait rejeté la demande du requérant tendant à l’obtention d’un titre de séjour.

  26. .  Le tribunal administratif constata d’abord que la demande, pour autant qu’elle était dirigée contre la décision du 22 juin 2010, n’était pas irrecevable pour non-exercice par le requérant du recours prévu à l’article 77 de la loi no 3386/2005, dès lors qu’il ne ressortait pas du dossier que l’intéressé eût été informé de l’obligation d’introduire un tel recours dans un délai de cinq jours.

  27. .  Ensuite le tribunal administratif releva que les autorités avaient refusé de délivrer au requérant un titre de séjour au motif qu’il avait produit de faux documents. Il considéra qu’il n’y avait pas lieu d’autoriser la suspension de la mesure d’expulsion car cela reviendrait à délivrer un titre de séjour et à se substituer ainsi à l’administration. Enfin, il indiqua qu’il n’était pas démontré que le requérant eût créé en Grèce des relations professionnelles et sociales telles que son expulsion lui causerait un préjudice irréparable.
  28. B.  Les conditions de détention du requérant

    1.  La version du requérant


  29. .  Le requérant se plaint de ses conditions de détention au centre de répression de l’immigration clandestine d’Helliniko, où il fut détenu pendant la plus longue période. Il prétend qu’il avait été entassé avec 15 à 20 autres détenus dans une cellule d’une superficie maximale de 13 m². La promiscuité créait beaucoup des problèmes entre les détenus tant en ce qui concernait la sécurité que l’hygiène. Le requérant allègue qu’il recevait souvent des menaces de mauvais traitements de la part des autres détenus et que l’un d’eux avait tenté de l’harceler sexuellement. Les matelas et les couvertures étaient usés et sales et posés à même le sol.

  30. .  La cellule n’avait pas des fenêtres de sorte qu’elle n’était ni aérée ni éclairée de manière adéquate. La fumée des cigarettes de détenus et les hautes températures d’été aggravaient l’atmosphère de la cellule. Il y avait une seule toilette pour 15 personnes et pas assez des produits pour l’hygiène personnelle.

  31. .  Le centre ne disposait pas d’espace extérieur pour la promenade et l’activité physique. Le manque de sortie lui avait causé des problèmes psychologiques pour lesquels il était traité.

  32. .  La somme de 5,87 euros par jour que les détenus recevaient pour leur alimentation ne suffisait que pour l’achat des deux sandwiches d’une qualité douteuse, ce qui constituait l’unique nourriture pendant toute la durée de la détention.
  33. 2.  La version du Gouvernement


  34. .  Le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant n’ont pas excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la privation de liberté. Il affirme que le requérant a séjourné dans une cellule de 27 m² qui contenait 5 lits doubles, que le centre était doté d’une cour d’une superficie de 525 m². Il ajoute que, lors de leur admission au centre, les détenus étaient examinés préventivement par les médecins de l’organisation non gouvernementale « Intervention médicale » aux fins de détection d’éventuelles maladies infectieuses. Il indique que l’administration fournissait aux détenus les sommes nécessaires à l’alimentation qui comprenait petit déjeuner, déjeuner et dîner et que, pendant toute la durée de son séjour au centre, le requérant recevait une alimentation et des soins médicaux et pharmaceutiques suffisants. Il précise enfin que l’intéressé a été transféré à trois reprises dans des hôpitaux publics où il aurait reçu les soins adéquats.
  35. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  36. .  Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, le séjour et l’insertion des ressortissants de pays tiers dans le territoire grec disposent :
  37. Article 2

    « 1.  Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas

    (...)

    c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande visant à la reconnaissance de leur statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...) »

    Article 11 § 4

    « Le ressortissant d’un Etat tiers qui a déposé une demande d’obtention ou de renouvellement d’un titre de séjour et qui a reçu l’attestation mentionnée au paragraphe précédent réside légalement sur le territoire pour la durée de validité de celle-ci. En cas de décision de rejet, l’attestation cesse de produire ses effets. »

    Article 76

    « 1.  L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

    (...)

    c)  sa présence sur le territoire grec présente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

    2.  L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

    3.  Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou de présenter une menace pour l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...) Lorsqu’une décision d’expulsion est adoptée, la détention est maintenue jusqu’à l’exécution de l’expulsion mais elle ne peut en aucun cas dépasser trois mois. L’étranger détenu peut (...) former des objections devant le président (...) du tribunal administratif à l’encontre de la décision ayant ordonné la détention (...)

    4.  [tel que modifié par l’article 55 de la loi no 3900/2010] Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de présenter une menace pour l’ordre public ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à la détention de l’intéressé, il lui est fixé un délai pour quitter le territoire, délai qui ne peut dépasser trente jours, sauf s’il existe des raisons qui empêchent l’expulsion.

    5.  La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être annulée à la requête des parties si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

    Article 77

    « L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion auprès du ministre de l’Ordre public dans un délai de cinq jours à compter de sa notification (...) La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »


  38. .  La décision ordonnant le renvoi d’un étranger constitue un acte administratif qui peut être attaqué par un recours en annulation devant les tribunaux administratifs. En même temps que le recours en annulation, l’intéressé peut déposer un recours en sursis à exécution du renvoi. Afin d’éviter l’exécution du renvoi jusqu’à ce que le tribunal statue sur la demande de sursis, il est possible d’introduire une demande tendant à l’obtention d’un ordre provisoire, qui est examinée selon une procédure extrêmement rapide qui a lieu en présence d’un juge du tribunal de première instance et de l’intéressé ou de son avocat.

  39. .  Selon la jurisprudence constante, une décision suspendant la mesure d’expulsion d’un étranger qui fait l’objet d’une expulsion administrative ne suspend pas celle de la détention, car les recours en annulation ou en suspension visent seulement l’expulsion et non la détention (jugements du tribunal administratif d’Athènes nos 2016/2002, 2250/2003, 390/2006, 535/2006 et 4053/2007 et du tribunal administratif du Pirée no 626/2007).

  40. .  Le timbre fiscal est de 9 euros (EUR) pour l’introduction d’un recours en annulation et de 25 EUR pour celle d’un recours en sursis à exécution. Pour l’exercice de ces recours, l’article 276 du code de procédure administrative combiné avec les articles 194-204 du code de procédure civile prévoit le bénéfice de l’assistance judiciaire, ce qui inclut la désignation d’un avocat d’office.

  41. .  En outre, l’étranger peut intenter devant le ministre de l’Ordre public un recours contre la décision de renvoi. Ce recours est considéré par les juridictions administratives comme préjudiciaire (Conseil d’Etat, arrêts nos 380, 382/2002 et 1113/2003). Son exercice préalable est une condition pour la saisine des juridictions administratives d’un recours en annulation contre l’acte administratif ordonnant le renvoi de l’étranger.

  42. .  L’intéressé peut aussi soulever devant le président du tribunal administratif des objections concernant sa détention provisoire. Leur exercice, par voie écrite, voire orale (article 243 § 1 du code de procédure administrative), n’est soumis à aucun délai pendant la durée de la détention. Pareilles objections sont examinées selon une procédure d’urgence et la décision est immédiatement rendue et remise à l’intéressé.

  43. .  En vertu de l’article 48 § 2 la loi no 3772/2009 relative, entre autres, à l’immigration clandestine, le paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié comme suit :
  44. « (...)

    3.  Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou de présenter une menace pour l’ordre public ou qu’il fait obstacle à la préparation de son éloignement, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...) Lorsqu’une décision d’expulsion est adoptée, la détention est maintenue jusqu’à l’exécution de l’expulsion mais en aucun cas elle ne peut dépasser six mois. Lorsque l’expulsion est repoussée du fait que l’intéressé refuse de coopérer ou que la réception par son pays de provenance ou d’origine des documents nécessaires pour l’exécution de la mesure est retardée, la mise en détention peut être prorogée pour une période qui ne doit pas dépasser douze mois (...) »

    III.  LES TEXTES INTERNATIONAUX

    A.  Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) à la suite de sa visite en 2005


  45. .  Dans son rapport du 20 décembre 2006 rédigé à la suite de sa visite effectuée en 2005 au centre de répression de l’immigration clandestine d’Helliniko, le CPT constatait que celui-ci était composé de deux secteurs distincts : l’ancien, d’une capacité de 75 détenus, et le nouveau, d’une capacité de 123 détenus. Il précisait que, à la date de la visite, ces deux secteurs accueillaient respectivement 60 et 117 détenus. Il indiquait que les conditions matérielles étaient les mêmes que celles constatées lors de visites précédentes, hormis l’aménagement d’un nouvel emplacement destiné à des matelas.

  46. .  Il notait que le nouveau secteur disposait de sept cellules : six d’entre elles mesuraient 32 m² et comptait 18 lits, et la septième 21 m² avec 12 lits, soit un taux d’occupation très élevé. Il précisait que, en général, les cellules avaient une ventilation et un éclairage suffisants, mais que plusieurs matelas devaient être remplacés et que l’état des lits n’était pas satisfaisant. Il indiquait que les toilettes se trouvaient à l’extérieur des cellules et que plusieurs détenus se plaignaient de problèmes d’accès. Il ajoutait enfin que le défaut majeur consistait en l’absence de toute activité récréative et de service médical, compte tenu du fait que la plupart des détenus passaient trois mois, voire plus, dans le centre.
  47. B.  La lettre de Human Rights Watch du 28 avril 2010 au ministre de la Protection du citoyen


  48. .  Dans une lettre adressée au ministre de la Protection du citoyen concernant des questions d’asile en Grèce, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, quoique non autorisée à entrer dans le centre de répression de l’immigration clandestine d’Helliniko, se référait expressément aux conditions de détention régnant dans ce centre, sans préciser cependant d’où elle tenait ces informations.

  49. .  L’organisation se déclarait consternée par les conditions prévalant dans les deux secteurs du centre de détention d’Helliniko, surtout dans le plus ancien des deux qui, le jour de la visite, accueillait 55 détenus sur un total de 133 détenus dans l’ensemble du centre. La majorité des détenus dans le plus ancien des deux secteurs étaient privés de lumière naturelle et restaient confinés dans des cellules peu éclairées. Les détenus affirmaient qu’ils n’avaient été autorisés à sortir dans une cour adjacente que pour quinze minutes au cours des deux mois précédents et qu’ils n’avaient pas eu accès à l’extérieur pendant tout l’hiver.

  50. .  L’organisation se disait également préoccupée par la mauvaise qualité de la nourriture fournie dans le centre. Certains détenus se plaignaient que les aliments fussent pourris.

  51. .  Toujours selon l’organisation, les cellules du nouveau secteur étaient surpeuplées et sales et, dans une cellule au moins, l’organisation ajoutait que les détenus avaient été obligés de partager leur lit. L’espace extérieur était dépourvu de toute zone ombragée et jonché de déchets d’origine inconnue.

  52. .  L’organisation mentionnait en outre que les deux secteurs manquaient de personnel médical, et que les détenus se plaignaient de ne pas disposer de produits hygiéniques tels que brosse à dents, savon, shampooing et lessive et de ne bénéficier que rarement d’eau chaude. Elle indiquait qu’aucun des deux secteurs ne fournissait aux détenus des draps propres et que ceux-ci étaient obligés de dormir à même les couvertures qui semblaient avoir été déjà utilisées. Enfin, certains détenus auraient affirmé à Human Rights Watch qu’ils souffraient de maladies de peau.

  53. .  Au vu de ces conditions inacceptables, l’organisation priait le ministre de faire procéder immédiatement à la fermeture de ces centres, de libérer les immigrés qui ne pouvaient pas être expulsés dans un délai raisonnable et de transférer les autres personnes vers des centres de détention plus appropriés.
  54. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  55. .  Le requérant se plaint de ses conditions de détention au centre de répression de l’immigration clandestine d’Helliniko, à Athènes. Il dénonce une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  56. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité


  57. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  58. B.  Sur le fond


  59. .  Le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant n’ont pas excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la privation de liberté. Il affirme que le requérant a séjourné dans une cellule de 27 m² qui contenait 5 lits doubles, que le centre était doté d’une cour d’une superficie de 525 m² et que, lors de leur admission au centre, les détenus étaient examinés préventivement par les médecins de l’organisation non gouvernementale « Intervention médicale » aux fins de détection d’éventuelles maladies infectieuses. Il indique que l’administration fournissait aux détenus les sommes nécessaires à l’alimentation qui comprenait petit déjeuner, déjeuner et dîner et que, pendant toute la durée de son séjour au centre, le requérant recevait une alimentation et des soins médicaux et pharmaceutiques suffisants. Il précise enfin que l’intéressé a été transféré à trois reprises dans des hôpitaux publics où il aurait reçu les soins adéquats.

  60. .  Le requérant se réfère aux arrêts de la Cour dans les affaires S.D. c. Grèce (no 53541/07, 11 juin 2009), Tabesh c. Grèce (no 8256/07, 26 novembre 2009), A.A. c. Grèce (no 12186/08, 22 juillet 2010) et M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, 21 janvier 2011) ainsi qu’à certains rapports nationaux et internationaux sur les conditions de détention en Grèce en général, tels que le rapport du médiateur de la République, le rapport d’Amnesty International ou celui du Rapporteur spécial des Nations-Unies sur la torture, pour démontrer que les conditions de détentions des étrangers, notamment dans les centres de rétention et les commissariats de police, sont déplorables. En ce qui concerne le centre de répression de l’immigration clandestine d’Helliniko, il se réfère à certains articles de journaux parus en août 2009 et en novembre 2010, ainsi qu’à un communiqué de presse de l’organisation non gouvernementale Greek Helsinki Monitor dénonçant les conditions de détention dans ce centre et le refus des autorités de l’autoriser à visiter les lieux.

  61. .  La Cour réaffirme d’emblée que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques et qu’il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV).

  62. .  Elle rappelle ensuite que, si les Etats sont autorisés à placer en détention des immigrés potentiels en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1996-III), ce droit doit s’exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, 8 décembre 2005). La Cour doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu’elle est amenée à contrôler les modalités d’exécution de la mesure de détention à l’aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, CEDH 2008-...). Dans chaque cas, les allégations de mauvais traitements doivent être prouvées « au-delà de tout doute raisonnable » (voir, parmi beaucoup d’autres, Čistiakov c. Lettonie, no 67275/01, § 43, 8 février 2007).

  63. .  En l’espèce, la Cour note tout d’abord que les parties présentent des versions qui ne coïncident pas quant aux conditions de détention prévalant dans le lieu de détention en cause. En particulier, le requérant, qui met essentiellement en cause la surpopulation dans le centre d’Helleniko, expose qu’il partageait une cellule d’une superficie maximale de 13 m² avec 15 à 20 autres détenus et qu’il n’y avait qu’une seule toilette pour 15 personnes. Pour sa part, le Gouvernement explique que le requérant a séjourné dans une cellule de 27 m² contenant 5 lits doubles et que le centre dispose d’une cour d’une superficie de 525 m². Il est ainsi difficile à la Cour d’établir avec certitude la réalité à laquelle le requérant a dû faire face.

  64. .  En ce qui concerne l’espace attribué à chaque détenu, la Cour a, à maintes reprises, souligné que si une superficie de 4 m² constitue un standard souhaité, le fait pour chaque détenu de disposer d’une superficie au sol inférieure à 3 m² provoque une surpopulation telle qui justifie à elle seule une violation de l’article 3 de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, no 42525/07 et 60800/08, § 145, 10 janvier 2012). Dans cette affaire la Cour a conclu à la violation de cet article en raison notamment du fait que les requérants disposaient moins de trois mètres carrés d’espace personnel et étaient obligés de rester tout le temps dans leur cellule sauf pendant une période quotidienne d’une heure où ils pouvaient effectuer un peu d’exercice à l’extérieur (ibid. § 166).

  65. .  A cet égard, la Cour note qu’en l’espèce, le requérant prétend que sa cellule, qu’il partageait avec quinze à vingt autres détenus, avait une superficie maximale de 13 m². De son côté, le Gouvernement affirme que le requérant était placé dans une cellule de 27 m² qui contenait 5 lits doubles, soit moins de 3 m² par détenu. Or, quelle que soit la bonne version, l’espace attribué au requérant était inférieure à celui qui, selon l’arrêt Ananyev et autres précité permet de conclure, sur cette seule base, à la violation de l’article 3 de la Convention.

  66. .  En outre, la Cour relève que si le Gouvernement affirme que l’administration fournissait aux détenus les sommes nécessaires à leur alimentation, il ne précise pas quel était, selon lui, le montant alloué pour chaque détenu. A l’inverse, le requérant prétend que la somme de 5,87 euros par jour que les détenus recevaient pour leur alimentation ne suffisait que pour l’achat des deux sandwiches d’une qualité douteuse, ce qui constituait l’unique nourriture pendant toute la durée de la détention. Or, la Cour rappelle que cette somme de 5,87 euros dont la réalité a été établie dans plusieurs arrêts de la Cour, a joué dans certains d’entre eux un rôle déterminant dans le constat de violation de l’article 3 (voir, parmi d’autres, Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009 ; Tabesh, précité, Efremidze c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011). A défaut d’informations plus explicites de la part du Gouvernement pour étayer ses allégations sur l’alimentation des détenus, la Cour se fie aux affirmations du requérant.

  67. .  Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a été soumis à un traitement dégradant incompatible avec l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.
  68. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION


  69. .  Le requérant se plaint de l’illégalité de sa mise en détention en vue de son expulsion. Il se plaint à cet égard d’une violation de l’article 5 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi :
  70. « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »


  71. .  Le Gouvernement souligne que, le 25 juillet 2010, soit un mois après l’arrestation du requérant, la procédure d’expulsion avait été complétée, mais que celui-ci a réussi à échapper à l’expulsion en résistant à l’embarquement dans l’avion. Il indique que le requérant a saisi le tribunal administratif du Pirée, se plaignant de sa détention et alléguant notamment que celle-ci ainsi que la décision d’expulsion n’étaient pas légales car il aurait disposé d’une attestation démontrant qu’il avait fait une demande de titre de séjour. L’intéressé n’aurait invoqué aucun autre motif quant à l’illégalité de sa détention ni quant à des griefs portant sur les conditions de celle-ci. Le tribunal administratif aurait jugé, par une motivation détaillée, que le requérant n’avait pas de domicile stable et qu’il avait eu recours à des subterfuges pour obtenir un titre de séjour.

  72. .  Le requérant rétorque qu’il était détenu en vertu d’une décision administrative fondée sur l’infraction de résidence illégale en Grèce, alors qu’il aurait été, au moment de son arrestation, en possession d’une attestation prouvant qu’il avait déposé tous les justificatifs nécessaires pour obtenir un titre de séjour, ce qui, à ses dires, rendait légale, selon l’article 11 § 4 de la loi no 3386/2005, sa présence sur le territoire grec. En outre, il soutient qu’il a été détenu illégalement à compter du 27 juillet 2010, date du dépôt de sa demande d’asile, et que le délai de trente jours qui lui a été imparti par la décision du 26 octobre 2010 pour quitter le territoire était illégal au motif que l’examen de sa demande d’asile était encore pendant.

  73. .  La Cour rappelle que, en examinant le but et l’objet de l’article 5 dans son contexte et les éléments de droit international, elle tient compte de l’importance de cet article dans le système de la Convention : il consacre un droit fondamental de l’homme, à savoir la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’Etat à sa liberté (voir, notamment, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33).

  74. .  Si la règle générale exposée à l’article 5 § 1 est que toute personne a droit à la liberté, l’alinéa f) de cette disposition prévoit une exception en permettant aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration. Ainsi que la Cour l’a déjà observé, sous réserve de leurs obligations en vertu de la Convention, les Etats jouissent du « droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996-V ; Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 64, CEDH 2008-...).

  75. .  Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour relative aux alinéas de l’article 5 § 1 que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi bien d’autres, Winterwerp, § 37, Amuur, § 50, précités, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000-III). Il est un principe fondamental selon lequel nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l’article 5 § 1, et la notion d’« arbitraire » que contient l’article 5 § 1 va au-delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte qu’une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention.

  76. .  Ainsi, la Cour doit s’assurer qu’un droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes généraux énoncés par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne que, lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen - en s’entourant au besoin de conseils éclairés - de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III).

  77. .  La Cour rappelle enfin qu’il ressort de la jurisprudence relative à l’article 5 § 1 f) que, pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre de pareille mesure de détention doit se faire de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire ; en outre, les lieux et conditions de détention doivent être appropriés (Bizzotto c. Grèce, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V) ; enfin, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Saadi, précité, § 74).

  78. .  En l’espèce, la Cour considère que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005 et qu’elle visait à garantir la possibilité d’effectuer son expulsion. Elle observe qu’aucun élément du dossier ne permet de douter de la bonne foi des autorités internes dans la procédure d’expulsion en cause. Il est vrai que le requérant conteste la pertinence des motifs invoqués par les autorités compétentes, à savoir le risque de fuite. La Cour rappelle que, dans le cadre de l’article 5 § 1 f), tant qu’un individu est détenu dans le cadre d’une procédure d’expulsion, des motifs particuliers ne sont pas exigés pour justifier la nécessité de la détention, par exemple, empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112).

  79. .  S’agissant de la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal, précité, § 113 ; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007-...).

  80. .  En l’espèce, la Cour note que le requérant a été arrêté le 19 juin 2010 et que, le 25 juillet 2010, il a été emmené à l’aéroport en vue de son expulsion. Toutefois, l’expulsion n’a pas eu lieu, car, le requérant ayant résisté à l’embarquement, le responsable du vol a refusé de l’accueillir à bord. Le 3 septembre 2010, le requérant a été admis à l’hôpital pour une fièvre et le 26 septembre 2010, il a été admis à nouveau pour des tests urologiques. Il y a effectué encore un séjour, plus long cette fois, du 21 octobre au 25 octobre 2010. La Cour note que le requérant a été libéré, pour raisons de santé, le 27 octobre 2010, soit trois mois après la tentative avortée de le faire embarquer.

  81. .  La Cour observe en outre que le requérant a déposé sa demande d’asile le 27 juillet 2010, soit postérieurement à la décision du 22 juin 2010 du directeur de la police ordonnant son expulsion. Elle relève, en outre, qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant se soit prévalu de sa qualité de demandeur d’asile dans ses objections formulées auprès du président du tribunal administratif ou que ce dernier ait pris connaissance par un autre moyen de l’existence de cette demande. Le requérant ne le précise pas non plus dans ses observations. Dans ces conditions, une mise en liberté du requérant à cause de sa demande d’asile ne saurait entrer en ligne de compte aux dates auxquelles les autorités nationales se sont prononcées, à savoir les 22 juin et 12 août 2010.

  82. .  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire en l’espèce et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

  83. .  Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
  84. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION


  85. .  Le requérant reproche aux autorités internes de ne pas avoir examiné ses griefs selon lesquels sa détention était illégale notamment en raison des conditions de sa détention et de son maintien en détention. Il se plaint d’une violation de l’article 5 § 4 de la Convention, qui se lit ainsi :
  86. « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

    A.  Sur la recevabilité


  87. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  88. B.  Sur le fond


  89. .  Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était prévue par la loi et que la légalité en a été examinée à deux reprises par le tribunal administratif, devant lequel le requérant aurait été représenté par un avocat. Il indique que le tribunal administratif a ordonné l’élargissement de l’intéressé pour des motifs de santé, alors même qu’il existait, selon le Gouvernement, des raisons valables de le détenir en vue de l’exécution de la décision d’expulsion que celui-ci avait, une fois déjà, réussi à empêcher.

  90. .  Le Gouvernement soutient en outre que le recours prévu par l’article 76 de la loi no 3386/2005, tel que modifié par la loi no 3900/2010, est effectif, au sens de l’article 5 § 4, et qu’il permet aux intéressés de se plaindre de la légalité et des conditions de leur détention.

  91. .  Le requérant, quant à lui, souligne que le recours en annulation devant le président du tribunal administratif ne peut porter que sur la décision d’expulsion et non sur la décision concernant la détention.

  92. .  La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. Elle rappelle également que l’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer, sur l’ensemble des aspects de la cause - y compris des considérations de pure opportunité -, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Cette disposition n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001-II).
  93. 77.  La Cour rappelle en outre qu’elle s’est déjà prononcée sur la question de l’efficacité du contrôle juridictionnel, selon le droit grec applicable à l’époque des faits, de la détention des personnes en vue de leur expulsion administrative (S.D. c. Grèce, Tabesh et A.A. c. Grèce, précités, Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011, et R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011 et Efremidze c. Grèce précité). Elle a déjà constaté les insuffisances du droit interne quant à l’efficacité du contrôle juridictionnel de la mise en détention aux fins d’expulsion et a conclu qu’elles ne pouvaient pas se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention (A.A. c. Grèce, § 71 et, pour un récapitulatif des conclusions de la Cour à cet égard, Rahimi, §§ 116-119, et Efremidze, §§ 64-66, précités). En particulier, en ce qui concerne le troisième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005, la Cour a déjà constaté que les objections qu’un étranger détenu pouvait former à l’encontre de la décision ordonnant sa détention n’accordaient pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité du renvoi qui constitue, en droit grec, le fondement juridique de la détention. L’article 76 § 4 de cette loi, tel qu’il était rédigé au moment des faits, permettait aux tribunaux d’examiner la décision de détention seulement sur le terrain du risque de fuite ou de la menace pour l’ordre public (Efremidze précité, § 64). La Cour n’estime pas nécessaire de réitérer dans le détail ces considérations générales.


  94. .  Plus particulièrement, en ce qui concerne la présente affaire, la Cour note que le tribunal administratif, dans sa décision du 26 octobre 2010, ne s’est pas prononcé sur la légalité de la détention du requérant, mais qu’il s’est limité à remettre l’intéressé en liberté afin d’éviter une aggravation de son état de santé et à constater qu’il ne présentait plus de risque de fuite. Ce dernier motif confirme le caractère limité de l’examen par le tribunal administratif et la libération pour cause de maladie ne suffit pas à remettre en cause les constats antérieurs de la Cour que le contrôle juridictionnel prévu par le droit grec n’est pas compatible avec les exigences de l’article 5 § 4.

  95. .  Par conséquent, la Cour considère que les insuffisances précitées du droit interne quant à l’efficacité du contrôle juridictionnel de la mise en détention en vue d’une expulsion ne pouvaient pas se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de cette disposition en l’espèce.
  96. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    80.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  97. .  Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

  98. .  Le Gouvernement prétend que la somme demandée est excessive et que l’éventuel constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. Si la Cour estime devoir accorder une indemnité, le montant de celle-ci ne devrait pas dépasser le montant des sommes accordées dans les arrêts Tabesh (précité), soit 8 500 EUR, ou Kaja c. Grèce (no 32927/03, 27 juillet 2006), soit 5 000 EUR.

  99. .  Dans les circonstances spécifiques de la cause, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR pour dommage moral.
  100. B.  Frais et dépens


  101. .  Le requérant n’a présenté aucune demande pour frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
  102. C.  Intérêts moratoires


  103. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  104. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré des articles 3 et 5 § 4 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Søren Nielsen                                                                         Nina Vajić
            Greffier                                                                              Présidente

     


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