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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> COOPERATIVA 'SANNIO VERDE' S.R.L. v. ITALY - 43465/02 - HEJUD [2012] ECHR 1947 (15 November 2012)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2012/1947.html
Cite as: [2012] ECHR 1947

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE COOPERATIVA ‘SANNIO VERDE’ S.R.L. c. ITALIE

     

    (Requête no 43465/02)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    15 novembre 2012

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Cooperativa ‘Sannio Verde’ S.R.L. c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :

              Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
              Guido Raimondi,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 octobre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43465/02) dirigée contre la République italienne et dont une société de cet Etat, Cooperativa ‘Sannio Verde’ S.R.L. (« la requérante »), a saisi la Cour le 4 octobre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  La requérante est représentée par Me S. Ferrara, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son ancien agent, M. I.M. Braguglia, et son ancien coagent, M.N. Lettieri.

  3. .  Le 2 septembre 2004, la requête a été communiquée au Gouvernement. En application du Protocole no 14, la requête a été attribuée à un Comité.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  La requérante est une société italienne et a son siège social à Bénévent.
  6. A.  La procédure principale


  7. .  Le 30 novembre 1988, B.V. et autres assignèrent la société requérante et la mairie de Bénévent devant le tribunal civil de Bénévent dans le cadre d’une affaire d’expropriation (RG nº 2282/88).

  8. .  La mise en état de l’affaire commença le 16 janvier 1989. Des dix-huit audiences qui eurent lieu, huit furent renvoyées d’office et cinq à la demande des parties.

  9. .  Le 16 juin 2000, l’affaire fut rayée du rôle suite à un règlement amiable.
  10. B.  La procédure « Pinto »


  11. .  Le 15 octobre 2001, la société requérante saisit la cour d’appel de Rome au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » afin de se plaindre de la durée excessive de la procédure décrite ci-dessus. La société requérante demanda à la cour de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner le gouvernement italien au dédommagement des préjudices matériels et moraux subis à hauteur de 24 000 000 lires italiennes [12 394,97 euros (EUR)].
  12. 9.  Par une décision du 27 mai 2002, déposée au greffe le 22 juillet 2002 et devenue définitive le 21 octobre 2003, la cour d’appel dit que la procédure litigieuse avait dépassé une « durée raisonnable » mais rejeta la demande d’indemnisation de la société requérante au motif que le dommage prétendument subi n’avait pas été démontré.


  13. .  Contre cette décision, la société requérante ne se pourvut pas en cassation.
  14. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  15. .  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], n64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V).
  16. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    12.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la société requérante se plaint de la durée de la procédure principale et, en substance, du manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto » ainsi que de la durée de cette dernière.

    13.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    14.  L’article 6 de la Convention, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée (...) »

    A.  Sur la durée de la procédure principale et le manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto »

    1.  Sur la recevabilité

    a)  Non-épuisement des voies de recours internes


  17. .  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, en ce que la société requérante ne s’est pas pourvue en cassation.

  18. .  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, après l’arrêt n18239/04 rendu par la Cour de cassation et déposé au greffe le 10 septembre 2004, les personnes morales ayant souffert un dommage non patrimonial pour violation du droit à un jugement dans un délai raisonnable disposent à nouveau d’un pourvoi en cassation effectif aux fins de l’article 35 § 1. Néanmoins, considérant le temps nécessaire pour avoir connaissance du revirement, trouver un avocat ayant le droit de plaider devant la Cour de cassation et préparer le pourvoi, la Cour a jugé équitable de fixer au 10 mars 2005 la date à partir de laquelle il doit être exigé des sociétés requérantes qu’elles usent de ce recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (Provide S.r.l. c. Italie, no 62155/00, § 18, CEDH 2007-VIII (extraits)).

  19. .  La Cour relève que la décision de la cour d’appel « Pinto » en l’espèce est devenue définitive le 21 octobre 2003 (voir paragraphe 9 ci-dessus). Partant, elle rejette cette exception.
  20. b)  Conclusion


  21. .  La Cour constate que ce grief ne se heurte à aucun autre des motifs d’irrecevabilité inscrits à l’article 35 § 3 de la Convention. Aussi, le déclare-t-elle recevable.
  22. 2.  Sur le fond


  23. .  La Cour constate que la procédure principale, qui a débuté le 30 novembre 1998 pour s’achever le 16 juin 2000, a duré presque onze ans et sept mois pour un seul degré de juridiction.

  24. .  La Cour a traité à maintes reprises des requêtes soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a également lieu de constater une violation de l’article 6 § 1.
  25. B.  Sur la durée de la procédure « Pinto »

    21.  La Cour note que la procédure « Pinto », débutée le 15 octobre 2001, s’est achevée le 22 juillet 2002 et a donc duré environ neuf mois pour un degré de juridiction. La Cour remarque aussi que, la partie requérante n’ayant obtenu aucune indemnisation, la procédure « Pinto » n’a pas eu de phase d’exécution.


  26. .  Compte tenu de sa jurisprudence établie en la matière (voir, en particulier, Gagliano Giorgi c. Italie, no 23563/07, § 78, 6 mars 2012 et Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 97, 29 mars 2006), la Cour considère qu’une telle durée, bien que dépassant le délai prévu par la loi « Pinto », ne saurait passer pour déraisonnable.
  27. 23.  Partant, il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable parce que manifestement mal fondé.

    II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  28. .  Invoquant l’article 13 de la Convention, la partie requérante se plaint de l’ineffectivité du remède « Pinto ».

  29. .  La Cour rappelle, d’une part, que, selon la jurisprudence Delle Cave et Corrado c. Italie (no 14626/03, §§ 43-46, 5 juin 2007) et Simaldone c. Italie (no 22644/03, §§ 71-72, CEDH 2009-... (Extraits)), l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » ne remet pas en cause, pour l’instant, l’effectivité de cette voie de recours.

  30. .  Pour l’autre part, la Cour rappelle que l’article 13 ne saurait s’interpréter comme exigeant un recours interne pour toute doléance, si injustifiée soit-elle, qu’un individu peut présenter sur le terrain de la Convention : il doit s’agir d’un grief défendable au regard de celle-ci (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, série A no 131, § 52, 24 avril 1988). Dans la présente affaire, la Cour vient de conclure que le grief de la société requérante tiré de la durée de la procédure « Pinto » est manifestement mal-fondé (voir paragraphe 23 ci-dessus). Ces mêmes considérations l’amènent à conclure, sous l’angle de l’article 13, que l’on n’était pas en présence d’un grief défendable (voir, parmi beaucoup d’autres, Al-Shari et autres c. Italie (déc.), no 57/03, 5 juillet 2005, Walter c. Italie (déc.), no 18059/06, 11 juillet 2006, et Schiavone c. Italie (déc.), n65039/01, 13 novembre 2007).

  31.   Partant, il y a lieu en l’espèce de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

  32. .  Invoquant les articles 19 et 53 de la Convention au regard du remède « Pinto », la société requérante se plaint enfin du fait que la Cour de cassation considère que les arrêts de la Cour européenne ne sont pas contraignants pour les juges italiens, en particulier pour ce qui concerne la portée du droit au « délai raisonnable ».

  33. .  La Cour estime à ce propos que la requérante se plaint, en fait, de l’inefficacité du remède « Pinto » et que, par conséquent, ces griefs sont absorbés par celui tiré de l’article 13 de la Convention (voir, Ocone c. Italie (déc.), nº 48889/99, 19.02.2004).
  34. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  35. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  36. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  37. .  La partie requérante réclame la somme globale de 100 000 euros (EUR) au titre du dommage moral.

  38. .   Le Gouvernement allègue que la société requérante n’a subi aucun préjudice du fait de la longueur de la procédure interne et que cette demande est manifestement prétentieuse et excessive.

  39. .  La Cour considère qu’elle aurait pu accorder à la requérante pour la violation de l’article 6 § 1, en l’absence de voies de recours internes et compte tenu des retards à elle imputables, la somme de 12 600 EUR. Le fait que la cour d’appel « Pinto » ne lui ait rien octroyé aboutit à un résultat manifestement déraisonnable. Par conséquent, eu égard aux caractéristiques de la voie de recours « Pinto », la Cour, compte tenu de la solution adoptée dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142 et 146) et statuant en équité, alloue à la société requérante 5 700 EUR.
  40. B.  Frais et dépens


  41. .  Notes d’honoraires à l’appui, la partie requérante demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions nationales et devant la Cour, à hauteur de 22 152,71 000 EUR.

  42. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  43. .  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, § 22, 24 janvier 2008). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

  44. .  En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’octroyer la somme globale de 1 500 EUR au titre des frais et dépens.
  45. C.  Intérêts moratoires


  46. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  47. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure principale et de l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à la société requérante, dans les trois mois,

    -  5 700 EUR (cinq mille sept cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    -  1 500 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit 15 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                    Isabelle Berro-Lefèvre
    Greffière adjointe                                                                 Présidente


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