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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BANU v. ROMANIA - 60732/09 - HEJUD [2012] ECHR 2052 (11 December 2012)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2012/2052.html
Cite as: [2012] ECHR 2052

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE BANU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 60732/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    11 décembre 2012

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme


    En l’affaire Banu c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,

              Alvina Gyulumyan,

              Ján Šikuta,

              Luis López Guerra,

              Nona Tsotsoria,

              Kristina Pardalos,

              Johannes Silvis, juges,

    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 novembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60732/09) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gheorghe Banu (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 novembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me A. Răducanu, avocat à Targovişte. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant alléguait en particulier qu’il a dû subir des conditions de détention inhumaines lors de son incarcération dans la prison de Jilava.

  4. .  Le 15 septembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

  5. .  A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan (article 28 du Règlement de la Cour), juge élu au titre de la Roumanie, le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du Règlement).
  6. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .  Le requérant est né en 1951 et réside à Targovişte.

  8. .  Accusé d’avoir commis une escroquerie au détriment d’une société commerciale, il fut arrêté le 20 mai 1999 et placé en détention provisoire jusqu’au 25 mai 1999. A sa libération, il s’établit au Royaume-Uni et ne participa plus au procès.

  9. .  Par un arrêt définitif du 30 janvier 2002, la Cour suprême de justice condamna le requérant à sept ans et six mois de prison pour escroquerie.

  10. .  Le requérant demeura au Royaume-Uni où il fut condamné deux fois en 2002 et 2005 et purgea deux peines de prison pour diverses infractions.

  11. .  A sa sortie de prison, le 23 septembre 2008, il fut expulsé en Roumanie afin d’y purger la peine pour escroquerie. Il fut incarcéré à la prison de Rahova d’où, le 2 décembre 2008, il fut transféré à la prison de Jilava.

  12. .  Le 18 mai 2010, il bénéficia d’une mesure de remise en liberté conditionnelle.
  13. Les conditions de détention à la prison de Jilava


  14. .  Le requérant et le Gouvernement s’accordent sur le fait que les cellules du requérant (nos 417, 418 et 510) avaient une superficie comprise entre 34 et 38 m² et que chacune contenait dix-neuf lits. Elles avaient plusieurs fenêtres, deux toilettes et diverses pièces de mobilier. L’espace des douches et celui du stockage des aliments étaient à l’extérieur des cellules.

  15. .  Quant aux nombre de détenus dans les cellules, où le requérant purgea sa peine et les conditions d’hygiène, les versions divergent.
  16. 1.  Version du requérant


  17. .  Le requérant affirme que les cellules étaient surpeuplées et que parfois ils étaient plusieurs détenus à se partager un lit. Il dénonce la capacité insuffisante du local des douches où les détenus se lavaient deux fois par semaine pendant quinze minutes dans des conditions d’hygiène déplorables.

  18. .  Selon le requérant, la cellule était infestée par des insectes et des rats. Il affirme également que l’eau n’était pas potable et que la nourriture était de très mauvaise qualité.

  19. .  Enfin, le requérant soutient qu’en raison des mauvaises conditions de détention sa santé s’est détériorée et qu’il a contracté de nombreuses maladies chroniques.
  20. 2.  Version du Gouvernement


  21. .  Le Gouvernement affirme que le nombre de détenus n’a pas dépassé celui de la capacité d’accueil des cellules. Selon le Gouvernement, les cellules étaient convenablement aérées et meublées et les toilettes et les douches étaient équipées correctement et étaient propres.

  22. .  Le Gouvernement précise que les espaces communs étaient régulièrement nettoyés et désinfectés par des sociétés spécialisées et que la direction de la prison mettait à la disposition des détenus le matériel nécessaire au nettoyage de leurs cellules.

  23. .  Quant à l’assistance médicale, le Gouvernement souligne que le requérant souffrait au moment de son incarcération d’hypertension et de diabète et qu’il ressort de sa fiche médicale qu’il a été soumis à des contrôles médicaux réguliers et a reçu un traitement spécifique, y compris en régime d’hospitalisation.
  24. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS


  25. .  Les dispositions du droit interne relatif aux modalités d’exécution des peines privatives de liberté et aux voies de recours, ainsi que les observations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) rendues à la suite des visites effectuées dans des prisons de Roumanie sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).
  26. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  27. .  Le requérant allègue que les conditions de détention dans la prison de Jilava ont enfreint son droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Il se plaint en particulier de la surpopulation carcérale et de l’absence d’hygiène qui auraient provoqué l’apparition de plusieurs maladies. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  28. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité


  29. .  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant aurait pu saisir le juge délégué à la prison de Jilava ou les juridictions civiles d’une action portant sur les conditions de détention ou la prétendue absence de soins médicaux. Il estime que ces recours étaient efficaces et qu’ils pouvaient remédier à la situation dénoncée par le requérant.

  30. .  Le requérant n’a pas formulé d’observations sur ce point.

  31. .  S’agissant de la partie du grief portant sur les conditions matérielles de détention, la Cour rappelle avoir déjà rejeté plusieurs exceptions similaires, ayant jugé qu’il n’y avait pas de recours effectif à épuiser par le requérant (voir, par exemple, Petrea c. Roumanie, no 4792/03, § 37, 29 avril 2008 ; Brânduşe c. Roumanie, no 6586/03, §§ 37-40, 7 avril 2009 et Eugen Gabriel Radu c. Roumanie, no 3036/04, § 24, 13 octobre 2009). Les arguments du Gouvernement ne sauraient mener en l’espèce à une conclusion différente.

  32.   Par ailleurs, la Cour constate que cette partie du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

  33. .  Quant aux allégations du requérant concernant l’aggravation de son état de santé et le défaut d’assistance médicale appropriée, la Cour observe que le diabète et l’hypertension étaient antérieurs à son incarcération et qu’il ressort de sa fiche médicale fournie par le Gouvernement qu’il a bénéficié d’un suivi médical régulier à cet égard. S’agissant des autres maladies chroniques dont il serait tombé malade en prison, la Cour constate que le requérant n’a présenté aucun commencement de preuve à l’appui de ses allégations et qu’il ne s’en est plaint à aucun moment aux autorités de la prison.

  34. .  Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  35. B.  Sur le fond


  36. .  Le requérant allègue que la surpopulation carcérale et l’absence d’hygiène à la prison de Jilava ont représenté un traitement humiliant.

  37. .  Le Gouvernement affirme que les conditions de détention étaient adéquates et renvoie aux renseignements fournis par les autorités pénitentiaires.

  38. .  La Cour relève que les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains inconvénients. Toutefois, elle rappelle que l’incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Dans ce contexte, l’article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 93-94, CEDH 2000-XI, Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 131, 22 octobre 2009).

  39. .  S’agissant des conditions de détention, la Cour rappelle que lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005).

  40. .  S’agissant en particulier de ce dernier facteur, la Cour relève que lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, étaient concernés les cas de figure où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007, Kadiķis c. Lettonie (no 2), no 62393/00, § 55, 4 mai 2006, et Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 102, 28 mars 2006).

  41. .  Faisant application des principes susmentionnés au cas d’espèce, la Cour se penchera sur le facteur qui est en l’occurrence central, à savoir l’espace personnel accordé au requérant à la prison de Jilava.

  42. .  Selon les données communiquées par le Gouvernement, le requérant a disposé dans les cellules nos 417, 418 et 510 d’un espace personnel compris entre 1,78 et 2 m² et ce sans prendre en compte le mobilier, dont la présence réduisait encore cette superficie.

  43. .  La Cour en conclut que le requérant a vécu pendant environ un an et cinq mois, dans la prison de Jilava, disposant d’un espace individuel extrêmement réduit, inférieur à la norme recommandée par le CPT.

  44. .  La Cour a déjà conclu à plusieurs reprises à l’égard de la Roumanie, à la violation de l’article 3 à cause des conditions de détention inappropriées dans la prison de Jilava (voir, Eugen Gabriel Radu, précité; Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, 12 avril 2011 et Iacov Stanciu, précité).

  45. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour estime qu’en l’espèce l’Etat, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin d’assurer au requérant des conditions de détention qui soient compatibles avec le respect de la dignité humaine et afin d’assurer que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

  46. .  De l’avis de la Cour, les conditions de détention subies par le requérant ont dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

  47. .  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
  48. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  49. .  Sans invoquer d’article de la Convention, le requérant se plaint des agressions commises par les surveillants de la prison et de l’iniquité de la procédure qui a abouti à sa condamnation pour escroquerie.

  50. .  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.
  51. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    42.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  52. .  Le requérant réclame au titre du préjudice matériel et moral 250 euros (EUR) pour chaque jour de détention « illégale ».

  53. .  Le Gouvernement s’oppose à cette demande. Il estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le préjudice prétendument subi et l’objet de la requête. A cet égard, il fait remarquer que la demande du requérant concerne la prétendue illégalité de la détention, aspect qui n’a pas fait l’objet de l’examen de la Cour.

  54. .  La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait d’avoir été soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention durant la période de détention à la prison de Jilava, préjudice que le constat de violation seul ne saurait effacer. Certes, le requérant a employé le mot « illégale » pour décrire la détention qui lui a causé un préjudice matériel et moral. Néanmoins, la Cour estime qu’il serait artificiel d’écarter sa demande au titre de l’article 41 de ce fait. Par conséquent, elle décide qu’il y a lieu de lui octroyer 3 750 EUR de ce chef.
  55. B.  Frais et dépens


  56. .  Le requérant n’a formulé aucune demande à ce titre.
  57. C.  Intérêts moratoires


  58. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  59. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable dans sa partie relative aux conditions de détention du requérant à la prison de Jilava et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en raison de la surpopulation carcérale dans cette prison ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 750 EUR (trois mille sept cent cinquante euros) pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

      Marialena Tsirli                                                                   Josep Casadevall
    Greffière adjointe                                                                       Président


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