BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> I.M. v. FRANCE - 9152/09 (French Text) [2012] ECHR 3001 (02 May 2012) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2012/3001.html Cite as: [2012] ECHR 3001 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
ANCIENNE CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE I.M. c. FRANCE
(Requête no 9152/09)
ARRÊT
STRASBOURG
2 février 2012
DÉFINITIF
02/05/2012
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire I.M. c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Dean Spielmann,
président,
Elisabet Fura,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ganna Yudkivska, juges,
et de Stephen Phillips, greffier
adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 17 mai 2011 et 4 janvier 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9152/09) dirigée contre la République française et dont un ressortissant soudanais, M. I.M. (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 février 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me G. Summerfield, avocat à Perpignan. Le Gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait que la mise à exécution de la décision des autorités françaises de l’éloigner vers le Soudan l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Invoquant les articles 13 et 3 combinés, il soutenait ne pas avoir disposé d’un recours effectif en France en raison de l’examen de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire.
4. La requête a été attribuée à la cinquième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le président de la section a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement, indiquant au Gouvernement qu’il était souhaitable dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure de ne pas renvoyer le requérant vers le Soudan avant que n’intervienne la décision de la Cour.
5. Le 12 mai 2009, le président de la section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement et qu’elle serait traitée en priorité (article 41 du règlement).
6. Par une décision du 14 décembre 2010, la chambre a déclaré la requête recevable et a décidé de mettre fin à l’application de l’article 29 § 1 de la Convention. Le même jour, la chambre a décidé de tenir une audience sur le bien-fondé de l’affaire.
7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Des observations écrites ont également été reçues du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (« l’UNHCR ») que le Président de la Cour a autorisé à intervenir. Les parties ont répondu à ces commentaires (article 44 § 5 du règlement). L’UNHCR a en outre été autorisé à participer à la procédure orale.
8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 17 mai 2011 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour
le Gouvernement
Mme A.-F. Tissier, sous-directrice des droits
de l’homme, direction des affaires juridiques du ministère des Affaires
étrangères, co-agent,
Mme D. Dime-Labille, rédactrice à la direction
des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
M. L. Touvet, directeur des libertés publiques et
des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des
Collectivités territoriales,
M. S. Humbert, conseiller juridique auprès du
Secrétaire général chargé de l’immigration et de l’intégration,
Mme S. Lafolie, chargée de recherche
juridique au Conseil d’Etat,
conseillers,
– pour le requérant
Me G. Summerfield, avocat au barreau de
Perpignan, conseil
– pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, tiers intervenant
M.
S. Boutruche-Zarevac, Conseiller juridique, Unité
pour la politique générale et l’appui juridique, Bureau pour l’Europe, conseil
Mlle J. Seidel, assistante juridique
principale, Représentation du HCR auprès des institutions européennes de
Strasbourg,
M. J.-E. Kautzmann, assistant juridique, Représentation du HCR
auprès des institutions européennes de Strasbourg, conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations Me Summerfield, Mme Tissier et M. Boutruche-Zarevac. Elle a également entendu Mme Tissier en sa réponse à une question posée par un juge.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Quant aux faits s’étant déroulés au Soudan
9. Le requérant est né en 1976 et réside à Perpignan.
10. Le requérant et sa famille sont originaires de la région du Darfour. Le requérant appartient à l’ethnie des Meidob, une ethnie non arabe. Il fut élevé dans une province voisine, le Kordofan-Nord, où ses parents s’étaient installés.
11. En 1998, le requérant partit chez son oncle à Khartoum afin de poursuivre des études supérieures dans la ville d’Omdourman située à quelques kilomètres. A cette époque, il se rendait régulièrement au Sud‑Darfour pour rendre visite à sa famille, retournée vivre dans la région. Par ailleurs, il devint membre d’une organisation dont le but était de défendre les intérêts des étudiants darfouri de Khartoum. En raison des fonctions de représentation qu’il exerçait dans cette organisation, le requérant fut rapidement connu des étudiants et du corps professoral comme étant lié à la cause darfouri.
12. En 2003, suite à des actions de mobilisation menées par l’organisation du requérant, les forces de police intervinrent sur le campus et procédèrent à l’arrestation de plusieurs des membres de celle-ci, dont le requérant. Les étudiants interpellés furent détenus au secret durant plusieurs jours au cours desquels ils furent violemment frappés, notamment à coups de matraque. Le requérant précise en avoir gardé des marques sur les jambes. Ils furent libérés, à condition de s’engager à se tenir à l’écart de toute activité politique ou publique et leurs noms furent inscrits sur une « liste noire » d’opposants au pouvoir en place.
13. Le requérant mit alors fin à ses activités associatives et termina son cursus à l’issue duquel il obtint son diplôme. Il dut ensuite interrompre ses études en raison des ennuis qu’il avait eus avec les autorités et de difficultés financières. Il travailla alors quelque temps jusqu’à ce qu’il soit en mesure de payer de nouveaux frais d’inscription universitaire. Après l’obtention de son diplôme, il reprit ses activités commerciales afin de pouvoir payer une nouvelle inscription et compléter son cursus.
14. Durant cette période, de 2003 à 2007, le requérant continua de se rendre régulièrement dans le Sud-Darfour auprès de sa famille.
15. Le 10 mai 2008, des combattants du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM), un des groupes rebelles du Darfour, attaquèrent la ville d’Omdourman et provoquèrent de violents affrontements. Il s’ensuivit une vague d’arrestations visant les personnes originaires du Darfour installées dans la région, et en particulier les plus diplômées d’entre elles. Le requérant fut arrêté alors qu’il se trouvait chez des amis d’origine darfouri et fut emmené avec ces derniers, les yeux bandés, dans un endroit non identifié où il fut maintenu en détention.
16. La première nuit, le requérant resta en cellule sans être inquiété. La deuxième nuit en revanche, un homme vêtu en civil vint le chercher et l’emmena dans une pièce où il fut interrogé sur ses liens avec le JEM et violemment battu jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Les interrogatoires et mauvais traitements durèrent une semaine. A cette époque, le requérant n’était pas membre du JEM – bien que partageant les mêmes revendications – et nia donc tout lien avec ce mouvement. Au bout de huit jours de détention, le requérant fut contraint de signer un document dans lequel il s’engageait à donner toutes les informations en sa possession concernant le JEM et à venir se présenter aux autorités deux à trois fois par semaine.
17. Durant les deux mois qui suivirent, le requérant rencontra chaque semaine les autorités soudanaises. Ces rencontres se déroulaient à chaque fois selon le même mode. Des hommes vêtus en civils venaient le chercher, dans une voiture banalisée. Le requérant était ensuite emmené, les yeux bandés, dans le même bâtiment que celui où il avait été détenu en mai 2008. Sur place, il était interrogé et frappé lorsque les informations qu’il donnait étaient jugées insuffisantes.
18. En juillet 2008, le requérant sollicita l’aide d’un de ses amis travaillant pour la police soudanaise. En échange d’une somme en dollars, cet ami lui obtint un passeport et un visa avec lesquels le requérant quitta le Soudan pour la Turquie puis la Grèce.
B. Quant aux faits s’étant déroulés après le départ du requérant du Soudan
19. Durant son séjour en Grèce, le requérant prit contact avec des combattants du JEM à qui il versa chaque mois une petite somme d’argent pour soutenir leur cause. Il se procura ensuite un passeport mauritanien muni d’un faux visa français avec lequel il se rendit en Espagne en décembre 2008 afin de passer la frontière et de demander l’asile en France.
C. Quant aux faits s’étant déroulés en France
20. A son arrivée à la gare de Cerbère, après le passage de la frontière franco‑espagnole, le requérant fit l’objet, le 23 décembre 2008, d’un contrôle d’identité. Ayant constaté qu’il était muni de faux papiers, la police des frontières le plaça en garde à vue pendant vingt-quatre heures pour entrée ou séjour irrégulier sur le territoire national et pour faux et usage de faux. Le Gouvernement indique que le requérant aurait reçu une information complète sur ses droits mentionnés par les articles 63-1 et 63-4 du code de procédure pénale. Le requérant soutient avoir exprimé, dès ce moment, son souhait de déposer une demande d’asile, sans qu’il en soit tenu compte.
21. Parmi les procès-verbaux dressés lors de la garde à vue, celui du 23 décembre à 17 h 45 comporte l’échange suivant entre l’officier de police judiciaire et le requérant :
« Avez-vous choisi la nationalité du passeport et l’identité qu’il supporte ?
Non, le fournisseur m’a donné le passeport tel quel, moi je lui ai juste demandé un visa Schengen pour entrer en France et demander l’asile politique. »
22. Le 24 décembre à 7 h 45, un autre procès-verbal est dressé dans lequel sont abordées les raisons du départ du requérant du Soudan :
« Question : Pour quelles raisons avez-vous quitté votre pays d’origine ?
Réponse : La première raison est politique, la seconde c’est que je veux continuer mes études en Europe.
Question : Pouvez-vous m’expliquer plus précisément la raison politique ?
Réponse : Je fais partie d’une tribu du Darfour. Le dix mai 2008, ma tribu a été attaquée par le groupe de tendance islamiste « justice et égalité » et les autorités locales ont accusé tous les étudiants d’être partisans de ce groupe. Un rapport rédigé par les autorités soudanaises me mettait directement en cause. Par peur, j’ai quitté mon pays.
Question : Où se trouve le rapport dont vous parlez ?
Réponse : Ce sont les autorités soudanaises qui ont ce rapport.
Question : Quelles sont ces autorités ?
Réponse : C’est le Gouvernement. Plus précisément le service des renseignements du Gouvernement.
Question : Comment se nomme ce service ?
Réponse : C’est le service de la sûreté et du renseignement.
(...)
Question : Quelles relations entretenez-vous avec votre pays ?
Réponse : Jusqu’au dix mai 2008 cela se passait normalement. Mais après ces événements tout a changé. J’ai subi des contraintes et menaces du Gouvernement.
(...)
Question : Que comptez-vous faire aujourd’hui ?
Réponse : Je ne sais pas, peut-être demander l’asile. »
23. Le 24 décembre 2008, le requérant fut déféré au parquet et placé en détention provisoire. Convoqué le 26 décembre 2008 devant le tribunal de grande instance de Perpignan, le requérant explique avoir réitéré, sans succès, son intention de solliciter l’asile. A l’issue de l’audience, il fut condamné à une peine d’un mois d’emprisonnement pour infraction à la législation sur les étrangers.
24. En détention, le requérant se fit assister par un codétenu pour rédiger une demande d’asile qu’il indique avoir déposée dans « une boîte prévue à cet effet ». Aucune suite ne fut donnée à cette demande. Il explique en effet que, du fait de sa détention, il n’a pas pu se rendre en personne à la préfecture, pour déposer une demande d’asile, comme le requiert le droit français (voir paragraphe 42 ci-dessous).
25. Le 7 janvier 2009, la préfecture des Pyrénées-Orientales prit à l’encontre du requérant un arrêté de reconduite à la frontière. Le requérant contesta cette décision devant le tribunal administratif de Montpellier. Il indique à cet égard avoir été contraint, au vu du délai de quarante‑huit heures requis pour former un tel recours, de rédiger son recours sans assistance et en langue arabe. Il ajoute n’avoir ensuite disposé que de quelques minutes avant l’audience pour s’entretenir avec l’avocat de permanence en charge de son dossier. Ce dernier invoqua notamment une violation de l’article 3 de la Convention en cas de renvoi du requérant vers le Soudan. Le préfet des Pyrénées-Orientales souleva en particulier l’irrecevabilité de la requête, qui ne comportait l’exposé d’aucun moyen, ainsi que le caractère inopérant du moyen relatif à la méconnaissance de l’article 3 de la Convention.
26. Par un jugement rendu le 12 janvier 2009, le magistrat délégué au tribunal administratif de Montpellier rejeta la requête. Ayant considéré que les observations présentées à l’audience par le représentant du requérant étaient « identiques à celles présentées dans le courrier en langue arabe adressé au tribunal », le magistrat examina aussi bien la légalité de la décision de reconduite à la frontière que celle de la décision fixant le Soudan comme pays de renvoi. Concernant cette dernière, il releva notamment que si le requérant « invoque les risques de traitements inhumains et dégradants qu’il encourrait en cas de renvoi vers le Soudan (...) ainsi que les mauvais traitements que lui auraient infligés les autorités soudanaises », il n’apportait aucun élément probant à l’appui de ses allégations. Le magistrat rapprocha également les déclarations du requérant de celles faites au cours de la procédure judiciaire. Notant ensuite qu’aucune demande d’asile n’avait été présentée, ni en Grèce ni en France, le magistrat estima que le requérant ne pouvait être regardé comme ayant établi les risques personnels de traitements contraires à l’article 3 qu’il soutenait encourir en cas de renvoi au Soudan.
27. A l’issue de sa peine de prison, le requérant fut placé, le vendredi 16 janvier 2009, en rétention administrative en vue de son éloignement. Il fut informé le même jour de la possibilité qui lui était offerte de formuler une demande d’asile, ce qu’il fit le 19 janvier 2009 avec l’aide de la CIMADE, une association dont la mission est d’accueillir et d’assister les étrangers notamment en rétention. Sa demande d’asile ayant été enregistrée le 22 janvier 2009 selon la procédure prioritaire, le requérant fut entendu par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 30 janvier 2009 dans la matinée. Il indique ne pas avoir été en mesure, dans ce bref délai, de préparer efficacement son dossier et de réunir les pièces nécessaires à l’appui de sa demande (certificat médical et attestation de résidence au Darfour). Il ajoute par ailleurs que l’entretien a duré une demi‑heure et qu’il n’a pas reçu copie du rapport de cet entretien à l’issue de celui-ci, mais bien plus tard, lors du déroulement de la procédure devant la CNDA. Le compte rendu d’entretien, désormais fourni à la Cour par le requérant, mentionne notamment, à son sujet :
« appartenance ethnique ou tribale : Meidob,
C’est quoi comme tribu ? C’est une tribu arabe.
(...)
En 2003 on était un groupe d’étudiants, originaires du Darfour et nous avons demandé aux responsables de l’université de nous donner un logement pour les originaires du Darfour et aussi d’octroyer des titres de voyage en avion pour les étudiants du Darfour. On a introduit officiellement cette demande (...). Ils ne nous ont pas répondu et on a fait une grève de deux jours et nous ne sommes pas allés assister aux cours mais cela n’a pas abouti et il y a eu des manifestations et arrêt total des cours et les autorités ont arrêté les étudiants originaires du Darfour et j’en faisais partie.
Mais vous n’étiez pas né au Darfour pourtant ? Mais je suis originaire du Darfour. J’ai été frappé et maltraité et ils m’ont fait signer un engagement de ne pas exercer d’activités politiques et ils nous ont mis sur une liste noire.
(...)
Craintes en cas de retour ? Ils vont me tuer
Qui sont-ils ? Les autorités soudanaises
Et pourquoi vous ? Je suis du Darfour
Vous avez un document comme quoi vous êtes du Darfour ? Non »
28. L’analyse de l’officier de l’OFPRA qui suit le compte rendu d’entretien, mais ne figure pas dans la décision, souligne que si le requérant affirme être né et avoir vécu dans une province frontalière au Darfour, il n’a apporté aucun indice pour tenir vraisemblables ses origines du Darfour. L’officier relève également une incohérence puisque le requérant aurait expliqué appartenir à l’ethnie meidob, selon lui arabe, alors que, vérification faite il s’agit d’une ethnie africaine.
29. Le requérant explique avoir mentionné parler l’arabe, et provenir d’une ethnie non arabe originaire du Darfour. Il s’agirait selon lui de difficultés d’interprétation ayant engendré un malentendu.
30. Le 30 janvier 2009, à 16 h 43, l’OFPRA adressa au centre de rétention une décision de rejet de la demande d’asile du requérant rédigée en ces termes :
« (...) Cependant, les déclarations de l’intéressé, entendu à l’Office le 30 janvier 2009, ont été très imprécises, voire erronées sur son origine ethnique Meidob (qu’il déclare à tort être une tribu arabe) ainsi que sur la provenance de sa famille du Darfour. Elles n’ont pas permis de tenir l’origine revendiquée comme établie.
De plus, elles ont été dénuées d’éléments précis et même crédibles sur les revendications de son mouvement étudiant en 2003.
Par ailleurs, elles ont été peu personnalisées et peu explicites quant aux circonstances de son arrestation et aux conditions de sa détention. En outre, il est resté succinct et confus sur les motifs de sa libération. Enfin, la sortie légale de son pays d’origine en juillet 2008 est peu compatible avec les poursuites que les autorités soudanaises auraient entreprises à son encontre.
Dès lors, aucun élément sérieux ne permet de considérer les faits allégués comme établis, ni de tenir ses craintes de persécution pour fondées. »
31. Le requérant reçut notification de cette décision le 31 janvier 2009 à 8 h 15. Le compte rendu de l’entretien du requérant avec l’officier de protection de l’OFPRA n’était pas joint à cette notification, seule la décision elle-même et son bordereau de transmission ont été remis au requérant. Ce dernier contesta cette décision devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
32. Le 11 février 2009, le requérant fut présenté aux autorités consulaires soudanaises qui lui délivrèrent un laissez-passer.
33. Le 16 février 2009, le requérant saisit la Cour, sur le fondement de l’article 39 de son règlement, en vue de faire suspendre la mesure de renvoi prise à son encontre. Le même jour, le président de la chambre à laquelle l’affaire avait été attribuée décida de faire droit à la demande du requérant de ne pas procéder à son éloignement vers le Soudan pour la durée de la procédure devant la Cour
34. Le 17 février 2009, le requérant fut libéré du centre de rétention administrative et ensuite assigné à résidence.
35. Le 30 juin 2009, le requérant saisit le tribunal administratif de Montpellier d’une requête tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet du préfet opposée à la demande d’autorisation provisoire de séjour (APS) présentée en son nom par la CIMADE, à ce qu’il soit enjoint au préfet de lui délivrer une APS et à ce qu’il soit mis fin à la décision d’assignation à résidence.
Par un jugement rendu le 9 février 2010, le tribunal rejeta les demandes du requérant.
36. En octobre 2009, le requérant obtint, par l’intermédiaire d’un ami resté sur place, une attestation de résidence de sa commune d’origine, au Darfour. La traduction, produite par le requérant, indique qu’elle a été délivrée le 6 septembre 2009 et qu’elle est rédigée dans les termes suivants : « [I.M.] est résident de façon permanente du quartier de A. ». L’attestation est co-signée par le Président du Comité populaire dudit quartier et par un officiel de la commune. Figurent également sur le document l’emblème de la commune et le sceau de la présidence de celle-ci. Le requérant explique y être toujours enregistré comme résident du fait de la coutume soudanaise qui prévoit que, même en cas de « migration », un individu reste attaché au domicile de son père. La résidence principale du requérant demeure donc dans cette commune.
37. Le 9 juin 2010, un médecin psychiatre, expert près la cour d’appel de Montpellier, examina le requérant et établit, le 17 juin 2010, un certificat médical dont les passages pertinents se lisent comme suit :
« On note aujourd’hui des lésions qu’il impute à la torture, des cicatrices sur le membre inférieur droit, crête tibiale, cicatrice avec perte de substance de 5 cm sur la jambe gauche, face extérieure, trauma de l’épaule avec gêne et douleur à la mobilisation fonctionnelle de l’épaule gauche. Il décrit des troubles psychologiques, un état d’insécurité, des troubles du sommeil, des flashbacks et réminiscences traumatiques.
Ces données médicales sont imputables à des violences subies. Il est difficile d’imaginer que M. [I.M.] puisse imaginer avec autant de précision clinique une telle pathologie. »
38. Le 19 février 2011, le requérant informa la Cour que, par une décision rendue le 14 octobre 2010 et notifiée le 19 octobre, la CNDA lui avait reconnu la qualité de réfugié.
Dans cette décision, la CNDA, au visa du paragraphe A, 2o de l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relatait pour l’essentiel des faits semblables à ceux exposés ci-dessus. La CNDA conclut que le requérant, « qui a été interpellé à son arrivée en France et qui, dans le cadre de la procédure de reconduite à la frontière (...) a été présenté aux autorités consulaires soudanaises, qui ont ainsi eu connaissance de l’existence de ses démarches relatives à sa demande d’asile (...) craint donc avec raison, au sens des stipulations précitées de la Convention de Genève susvisée, d’être persécuté en cas de retour dans son pays ; que, dès lors, [le requérant] est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié ».
La CNDA annula la décision rendue le 30 janvier 2009 par l’OFPRA et reconnut la qualité de réfugié au requérant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. Droit d’asile et procédure d’asile
39. Les principes généraux régissant le droit d’asile en France sont résumés dans l’arrêt Gebremedhin (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, §§ 22 à 24, CEDH 2007‑II). Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit que la protection internationale soit accordée par référence aux termes de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et à la protection subsidiaire, laquelle recouvre les traitements prohibés par la Convention (articles L. 711-1 et L. 712-1 du CESEDA). En particulier, l’article 33 de la Convention de Genève précitée prévoit :
Article 33 - Défense d’expulsion et de refoulement
« 1. Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. (...) »
1. La procédure d’asile, l’OFPRA et la CNDA
40. L’OFPRA est l’autorité compétente pour reconnaître la qualité de réfugié et accorder la protection subsidiaire (articles L. 713-1 et L. 721-2 du CESEDA). L’OFPRA est un établissement public doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière et administrative, placé sous la tutelle administrative et budgétaire du ministère chargé de l’asile (article L. 721-1 du CESEDA). L’Office est géré par un conseil d’administration à la composition élargie, aux séances duquel participent un représentant du UNHCR et d’autres personnalités qualifiées (article L. 722-1 du CESEDA). L’Office est organisé par divisions géographiques et dispose d’un service de documentation faisant appel à des sources variées (UNHCR, rapports des comités des droits de l’homme des Nations Unies, de diverses ONGs, etc.). Des missions dans les pays d’origine sont régulièrement organisées.
41. L’examen des demandes d’asile est assuré par des officiers de protection et comprend, le plus souvent, l’audition du demandeur. Les cas dans lesquels l’OFPRA peut se dispenser d’une audition sont limités par la loi (article L. 723-3 du CESEDA). L’audition devant l’OFPRA fait l’objet d’un rapport écrit qui, outre les raisons justifiant l’asile, comporte des informations sur le demandeur. Une copie de ce rapport est transmis à l’intéressé avec la décision lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié est refusée (article R. 723-1-1 du CESEDA).
Aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée tant que l’Office n’a pas statué négativement sur la demande d’asile (article L. 742-6 du CESEDA). Si l’OFPRA reconnaît le bénéfice de la protection internationale, l’arrêté de reconduite à la frontière éventuellement pris est abrogé et l’étranger concerné obtient, selon son statut, un titre de séjour l’autorisant à demeurer en France.
Les décisions de rejet prises par l’OFPRA en application notamment des articles L. 711-1 et L. 712-1 du CESEDA sont susceptibles de recours dans un délai d’un mois devant la CNDA (article L. 731-2 du CESEDA), une juridiction administrative placée sous l’autorité d’un président, membre du Conseil d’Etat, désigné par le vice-président du Conseil d’Etat (article L. 731-1 du CESEDA). Les intéressés peuvent présenter leurs explications à la CNDA et s’y faire assister d’un conseil et d’un interprète (article L. 733-1 du CESEDA).
2. L’admission au séjour
42. L’étranger qui se trouve sur le territoire français, qui n’est pas déjà admis à y séjourner à un autre titre, et qui souhaite déposer une demande d’asile, doit au préalable solliciter une admission provisoire au séjour au titre de l’asile (article L. 741-1 du CESEDA). Cette demande se fait auprès de la préfecture : l’étranger doit s’y rendre en personne afin de déposer un dossier. Il doit notamment pouvoir justifier d’une domiciliation. Lors du dépôt de dossier, la préfecture procède à une prise d’empreintes digitales afin de déterminer si la France est l’Etat européen responsable de la demande d’asile en application du règlement du Conseil de l’Union européenne du 18 février 2003, dit règlement Dublin II.
43. Quant aux personnes détenues, l’incarcération ne fait pas perdre la protection de la Convention de Genève de 1951 et autorise donc à demander l’asile. En principe, les dispositions de la loi sur le droit d’asile s’appliquent. En pratique, souvent par manque de personnel, ces dispositions peuvent être ignorées dans les prisons. Les formulaires de l’OFPRA ne peuvent pas être envoyés directement par les détenus car le dossier OFPRA n’est complet que si les empreintes digitales du demandeur sont relevées par la préfecture. Il est alors fréquent que les préfectures estiment que l’intéressé doit attendre sa sortie de prison pour déposer sa demande d’asile, éventuellement en centre de rétention (et donc en procédure prioritaire) (voir l’Etude sur les Etrangers détenus, 18 novembre 2004, Commission nationale consultative des droits de l’homme). Pour les détenus, l’octroi de permissions de sortir pour se présenter devant les services préfectoraux est prévu. Toutefois, l’octroi de ces permissions dépend lui-même du comportement du détenu et surtout de sa capacité à disposer de possibilités licites d’hébergement ou à financer les moyens de transport qu’il sera amené à utiliser (article D 147 du code de procédure pénale).
44. Si l’étranger fait l’objet d’une admission provisoire au séjour, il reçoit une APS « en vue de démarches auprès de l’OFPRA » ainsi qu’un dossier de demande d’asile. Le délai de saisine de l’OFPRA est de vingt et un jours. La demande d’asile est alors traitée selon la procédure normale et un éventuel recours devant la CNDA est suspensif.
45. L’étranger peut se voir refuser par l’autorité préfectorale l’admission au séjour dans quatre cas limitativement énumérés par l’article L. 741-4 du CESEDA, rédigé dans les termes suivants :
Article L. 741-4
« Sous réserve du respect des stipulations de l’article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l’admission en France d’un étranger qui demande à bénéficier de l’asile ne peut être refusée que si :
1. L’examen de la demande d’asile relève de la compétence d’un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ou d’engagements identiques à ceux prévus par ledit règlement avec d’autres Etats ;
2. L’étranger qui demande à bénéficier de l’asile a la nationalité d’un pays pour lequel ont été mises en œuvre les stipulations du 5 du C de l’article 1er de la convention de Genève susmentionnée ou d’un pays considéré comme un pays d’origine sûr. Un pays est considéré comme tel s’il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La prise en compte du caractère sûr du pays d’origine ne peut faire obstacle à l’examen individuel de chaque demande ;
3. La présence en France de l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat ;
4. La demande d’asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d’asile ou n’est présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement prononcée ou imminente. Constitue, en particulier, un recours abusif aux procédures d’asile la présentation frauduleuse de plusieurs demandes d’admission au séjour au titre de l’asile sous des identités différentes. Constitue également un recours abusif aux procédures d’asile la demande d’asile présentée dans une collectivité d’outre-mer s’il apparaît qu’une même demande est en cours d’instruction dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
Les dispositions du présent article ne font pas obstacle au droit souverain de l’Etat d’accorder l’asile à toute personne qui se trouverait néanmoins dans l’un des cas mentionnés aux 1o à 4o. »
46. Selon la pratique, une demande est considérée comme reposant sur une fraude délibérée ou constituant un recours abusif lorsque, par exemple, le demandeur dépose plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes, lorsqu’il formule une telle demande lors de la notification d’une mesure d’éloignement ou lors d’une interpellation alors qu’il se trouve en France depuis un certain temps.
47. Lorsque la préfecture refuse l’admission au séjour pour l’un des motifs mentionnés aux 2o à 4o de l’article L. 741-4 du CESEDA, l’étranger qui souhaite bénéficier de l’asile peut saisir l’OFPRA de sa demande, mais celle-ci est alors examinée en priorité (articles L. 723-1 et L. 742-5 du CESEDA).
48. L’étranger se trouvant en séjour irrégulier en France peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire français (arrêté de reconduite à la frontière). En attendant la mise en œuvre de la mesure d’éloignement, il peut être assigné à résidence ou placé en rétention administrative dans un des centres prévus à cet effet.
3. La procédure d’asile dite prioritaire, appliquée aux demandeurs en rétention
49. La procédure d’asile prioritaire a pour objectif d’assurer un examen au fond de la demande d’asile et d’obtenir une décision rapide dans certains cas prévus par la loi (article L. 741-4 du CESEDA ci-dessus). Elle se caractérise par deux aspects : un examen de la demande dans des délais plus rapides et l’absence, par dérogation aux règles du droit commun, d’un recours suspensif devant la CNDA contre la décision de l’OFPRA.
50. L’étranger placé en centre de rétention administrative (CRA) est informé, à son arrivée et dans une langue qu’il comprend, de son droit à demander l’asile et des conditions d’exercice de ce droit (articles L. 551-2 et L. 551-3 du CESEDA). Il dispose d’un délai de cinq jours à partir de cette notification pour présenter sa demande d’asile. Le non-respect de ce délai entraîne l’irrecevabilité de la demande d’asile pendant la période de rétention.
Ce délai de cinq jours a été validé par le Conseil constitutionnel dans la mesure où l’étranger est par ailleurs « pleinement informé du délai durant lequel une demande d’asile peut être formulée » (décision no 2003-484 DC du 20 novembre 2003).
51. Aux termes de l’article R. 553-15 du CESEDA, la demande d’asile formulée en centre ou en local de rétention est présentée selon les mêmes modalités que celles prévues pour une demande classique : la demande est rédigée en français sur un imprimé établi par l’office. L’imprimé doit être signé et accompagné de deux photographies d’identité récentes et, le cas échéant, du document de voyage et de la copie du document de séjour en cours de validité (article R. 723-1 du CESEDA).
52. Le demandeur ne bénéficie pas de l’assistance gratuite d’un interprète pour préparer sa demande. L’administration met un interprète à la disposition des étrangers retenus dans le seul cadre des procédures de non‑admission ou d’éloignement dont ils font l’objet. Dans les autres cas, la rétribution du prestataire est à la charge de l’étranger (article R. 553-11 du CESEDA). Le Conseil d’Etat a validé, à deux reprises, ce défaut d’accès à un interprétariat gratuit dès lors qu’« aucune disposition législative, ni aucun principe s’imposant au pouvoir réglementaire ne font obligation à l’Etat d’assumer les frais résultant de l’assistance des interprètes mis à la disposition des demandeurs d’asile dans le cadre de la présentation des demandes d’asile » (CE, 12 octobre 2005, Gisti et CE, 12 juin 2006, Gisti).
53. Pour permettre l’exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative, le ministre chargé de l’asile conclut une convention avec une ou plusieurs personnes morales ayant pour mission d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. A cette fin, la personne morale assure, dans chaque centre dans lequel elle est chargée d’intervenir, des prestations d’information, par l’organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. Les étrangers retenus en bénéficient sans formalité dans les conditions prévues par le règlement intérieur (article R. 553-14 du CESEDA). Depuis 2010, cinq associations sont présentes dans les centres de rétention administratifs français : la CIMADE (Comité Inter Mouvements Auprès des Evacués), l’Ordre de Malte, l’Association Service Social Familial Migrants (ASSFAM), France Terre d’Asile et Forum des Réfugiés. Certaines associations font état notamment de difficultés matérielles. Ainsi, la CIMADE mentionne :
« (...) Outre le fait qu’il n’est plus prévu par les textes que l’étranger puisse bénéficier gratuitement des services d’un interprète, malgré l’obligation de remplir le formulaire de demande d’asile en langue française, l’interdiction de détenir des stylos dans la grande majorité des centres rend le droit d’asile encore plus difficile d’accès. Les raisons invoquées à cette interdiction sont la sécurité des personnes et plus sûrement, la peur de la dégradation des locaux.
Lorsqu’elle le peut, la Cimade essaie de pallier à ces restrictions en aidant les personnes à rédiger les demandes d’asile avec l’aide d’un réseau d’interprètes bénévoles joignables par téléphone. Cela n’est pas suffisant et pas toujours possible en raison du temps nécessaire à la rédaction d’un dossier d’asile.
En septembre 2009, les visites du contrôleur des lieux de privation de liberté dans plusieurs centres de rétention ont fait ressortir ce problème et ce dernier a demandé au ministère de l’Immigration que les retenus puissent bénéficier de stylos dans tous les centres. Cependant, au cours de l’année 2009, cette confiscation est toujours d’actualité dans de nombreux lieux.
La circulaire du ministère de l’Immigration du 14 juin 2010 règle cette difficulté et autorise la possession de stylos à l’intérieur des centres (...) » (« Centres et locaux de rétention administrative », rapport 2009).
54. Comme dans le cadre de la procédure normale, si le dossier est incomplet et/ou envoyé hors délai, l’OFPRA refuse de procéder à son enregistrement, cette décision pouvant alors être contestée devant les juridictions administratives de droit commun.
55. L’instruction de la demande par l’OFPRA dans le cadre de la procédure prioritaire est identique à celle menée dans le cadre de la procédure classique : l’OFPRA se prononce au terme d’une instruction unique au cours de laquelle le demandeur d’asile est mis en mesure de présenter les éléments à l’appui de sa demande et, en principe, après avoir entendu celui-ci (articles L. 723-2 et L. 723-3 du CESEDA). Lorsque l’audition du demandeur d’asile nécessite l’assistance d’un interprète, sa rétribution est prise en charge par l’Etat.
56. Lorsqu’il est saisi en application de la procédure prioritaire, l’OFPRA statue dans un délai de quinze jours sur la demande d’asile. Ce délai est ramené à quatre-vingt-seize heures lorsque le demandeur d’asile est placé en rétention administrative (article R. 723-3 du CESEDA). Toutefois, la décision peut être différée si des investigations particulières sont nécessaires. Appelé à se prononcer sur le délai de quatre-vingt-seize heures, le Conseil d’Etat a estimé que « l’intérêt particulier qui s’attache au règlement rapide de la situation des demandeurs d’asile placés en centre de rétention administrative justifie que l’[OFPRA] se prononce sur leur demande dans le délai le plus bref compatible avec le respect de l’exercice, par les intéressés, de leurs droits ; que le délai de quatre-vingt-seize heures n’est pas insuffisant au regard de cette exigence » (CE, 12 juin 2006, précité).
57. L’étranger présent sur le territoire français dont la demande d’asile est examinée selon la procédure prioritaire bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu’à la notification de la décision de l’OFPRA, lorsqu’il s’agit d’une décision de rejet. Aucune mesure d’éloignement ne peut être mise à exécution avant cette décision (article L. 742-6 du CESEDA).
58. Les décisions de rejet prises par l’OFPRA en application notamment des articles L. 711-1 et L. 712-1 du CESEDA sont susceptibles de recours dans un délai d’un mois devant la CNDA. Ce recours n’est pas suspensif dans le cadre de la procédure prioritaire. Par conséquent, en cas de rejet de la demande par l’OFPRA, la mesure d’éloignement peut être mise à exécution dès l’intervention de la décision négative de l’OFPRA.
59. En outre, lorsque l’étranger est, après l’introduction de son recours, renvoyé vers son pays d’origine, la CNDA interrompt l’instruction dudit recours. La CNDA considère en effet que le retour involontaire dans son pays d’origine d’un demandeur, qui n’avait pas entendu renoncer à sa demande de protection, a eu pour conséquence d’interrompre provisoirement l’instruction de l’affaire. Le recours doit alors être regardé comme temporairement sans objet, et il appartiendra à son auteur, en cas de retour en France, de s’adresser à la CNDA afin qu’il y soit statué (Commission des recours des réfugiés, sections réunies, 1er juin 2007, no 573524, M. Ferdi Aydin et CNDA, 20 avril 2009, no 598533). La CNDA prononce donc des non-lieux à statuer en cas d’exécution de la mesure d’éloignement.
60. Le 9 février 2011, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant notamment sur la compatibilité d’un tel dispositif avec le droit au recours effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 13 de la Convention.
61. Par une décision rendue le 8 avril 2011, le Conseil constitutionnel a estimé que si, en posant une QPC, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition, la jurisprudence dégagée par la CNDA n’ayant pas été soumise au Conseil d’Etat, il appartient à ce dernier, placé au sommet de l’ordre juridictionnel administratif, de s’assurer que le non-lieu en l’état prononcé par la CNDA garantit le recours effectif. Le Conseil constitutionnel a également rappelé sa décision no 93-325 du 13 août 1993, selon laquelle, sur ce point, « au regard des exigences de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public, le législateur pouvait, dès lors qu’il garantissait la possibilité d’un recours, prévoir que l’intéressé n’aurait pas droit à être maintenu pendant l’examen de ce recours sur le territoire français ».
62. Les décisions de la CNDA sont susceptibles – dans un délai de deux mois – de faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Ce pourvoi n’a pas de caractère suspensif (CE, 6 mars 1991, M.D.).
63. Selon les données de l’OFPRA (rapport annuel 2010), les demandes en procédure prioritaire constituent 24 % de la demande globale. En effet, le nombre de demandes en procédure prioritaire a augmenté de 15,5 % en 2010 (contrairement à l’année précédente qui avait connu une baisse). Cette évolution concerne exclusivement les premières demandes, qui constituent 62,5 % des procédures prioritaires. Le délai médian de traitement des premières demandes en procédure prioritaire est de vingt jours en 2010, et de quatre jours pour les demandeurs placés en rétention administrative.
B. Le recours devant le tribunal administratif (TA)
64. L’étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusée, et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre, doit quitter le territoire français, sous peine de faire l’objet d’une mesure d’éloignement (article L. 742-7 du CESEDA).
65. L’étranger qui fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière (APRF) peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification, demander l’annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif. Dès notification de l’arrêté de reconduite à la frontière (APRF), l’étranger est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d’avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix (article L. 512-1-1 du CESEDA).
66. Si l’étranger est placé en rétention administrative, il reçoit notification de ses droits. S’il introduit un recours devant le tribunal administratif pour contester un APRF, l’étranger qui ne parle pas suffisamment la langue française peut demander au président du tribunal de nommer un interprète. Lors de l’introduction de la requête, le greffe informe au besoin l’intéressé de la possibilité de présenter une telle demande (article R. 776-23 du code de justice administrative, anciennement R. 776‑11). L’étranger peut également bénéficier d’une assistance juridique fournie par une association présente en centre de rétention (voir paragraphe 53).
67. L’APRF peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif (TA) dans le délai de quarante-huit heures suivant sa notification (article L. 512-2 du CESEDA). Ce recours suspend l’exécution de la mesure d’éloignement, sans pour autant faire obstacle au placement de l’étranger en rétention administrative. L’étranger ne peut être éloigné avant l’expiration du délai de recours et, si le juge est saisi, avant qu’il ne statue (article L. 512-3 du CESEDA). La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de la mesure d’éloignement elle-même. Si elle est contestée en même temps que l’APRF, le recours est également suspensif (article L. 513-3 du CESEDA).
68. Il s’agit d’un recours pour excès de pouvoir, à savoir un recours en annulation, sans conclusions indemnitaires. La réponse au litige par le juge administratif porte donc sur la seule légalité de l’acte attaqué. Le juge peut annuler l’arrêté pour des motifs de légalité externe (incompétence, vice de procédure, motivation) ou interne (par exemple, erreur de droit ou qualification juridique des faits). Il exerce un contrôle de proportionnalité entre la ou les libertés fondamentales invoquées par l’étranger et les motifs d’ordre public. Ainsi, lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation de la décision fixant le pays de renvoi, le juge exerce un contrôle au regard de l’article 3 de la Convention. Le juge administratif peut donc annuler la décision fixant le pays de destination lorsqu’il est établi qu’en cas de renvoi le demandeur y serait exposé à des menaces, que celles-ci proviennent de l’Etat ou d’acteurs non étatiques. Il exerce également un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte portée à la vie privée ou familiale de l’étranger, garantie par l’article 8 de la Convention, et les buts poursuivis par la mesure.
69. Le juge administratif est tenu par les moyens soulevés par le demandeur. La seule exception concerne les moyens d’ordre public, qui peuvent être soulevés d’office par le juge (par exemple les règles de compétence, de recevabilité, la violation du droit communautaire, la méconnaissance du champ d’application de la loi). La violation d’un droit protégé par la Convention n’est pas un moyen d’ordre public.
70. Le TA statue en juge unique, ce qui représente une exception à la règle de la collégialité qui existe en matière administrative.
71. La procédure prévoit une audience. Lors de cette audience, et contrairement à la règle habituelle du contentieux administratif, il est possible de soulever de nouveaux moyens, même s’ils n’ont pas été évoqués par écrit. L’audience est publique. Elle se déroule sans rapporteur public, en présence de l’intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. L’étranger est assisté de son conseil s’il en a un. Il peut demander qu’il lui en soit désigné un d’office. Il peut demander le concours d’un interprète et la communication de son dossier (article L. 512-2 du CESEDA).
72. Le juge administratif saisi dispose d’un délai de soixante‑douze heures pour statuer.
73. Le jugement rendu par le tribunal administratif est susceptible d’appel dans un délai d’un mois devant le président de la cour administrative d’appel territorialement compétent ou la personne déléguée par lui. Cet appel n’est pas suspensif (article R. 776-19 du code de justice administrative).
74. Selon les données du Conseil d’Etat (rapport public 2011), en 2010, le contentieux des étrangers représentait 25,8 % du total du contentieux des TA. Le rythme de croissance de ce contentieux est supérieur au rythme de croissance du contentieux total des TA : + 4,3 % pour un accroissement total de 1,85 % en 2010. Il constitue une part toujours croissante de l’activité des magistrats administratifs, notamment dans les grandes agglomérations.
III. Textes et documents internationaux
A. Aperçu des travaux effectués dans le cadre du Conseil de l’Europe
1. Le Comité des Ministres
75. Le 1er juillet 2009, le Comité des Ministres adopta des Lignes directrices sur la protection des droits de l’homme dans le contexte des procédures d’asile accélérées dans lesquelles il formula les recommandations suivantes à l’attention des Etats membres :
« VIII. Qualité du processus décisionnel
(...)
3. Lorsque l’assistance d’un interprète est nécessaire, les Etats devraient s’assurer que l’interprétation fournie a le niveau requis pour garantir la qualité du processus décisionnel.
IX. Délais pour le dépôt et l’examen de la demande d’asile
1. Les demandeurs d’asile doivent bénéficier d’un délai raisonnable pour déposer leur demande.
2. Le délai accordé à l’étude d’une demande doit être suffisant pour permettre un examen complet et équitable, tout en respectant les garanties procédurales minimales accordées au demandeur (...).
Rapport explicatif : 71. En ce qui concerne les délais, les Etats ne doivent pas avoir recours à l’application automatique et mécanique de délais courts pour le dépôt d’une demande. Ils doivent tenir compte des conclusions de la Cour qui a considéré que l’application automatique et mécanique d’un délai court de cinq jours pour déposer une demande d’asile n’était pas compatible avec les valeurs fondamentales consacrées à l’article 3 de la Convention. Depuis, la Cour a réitéré ce principe de manière plus générale dans sa décision de recevabilité dans l’affaire K.R.S. c. Royaume-Uni : « Bien qu’il soit admis en principe que les Etats parties fixent les conditions procédurales pour le dépôt et l’examen des demandes d’asile et contrôlent tout processus d’appel liés à des décisions négatives en première instance, l’application automatique et mécanique de telles conditions procédurales sera examinée de manière à concorder avec la protection des valeurs fondamentales consacrée à l’article 3 de la Convention européenne. ».
72. La durée des procédures d’asile accélérées varie considérablement dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. On trouve les plus courtes aux Pays-Bas (48 heures de travail, c’est-à-dire, dans la pratique, 5 à 6 jours), en Bulgarie (3 jours), en Espagne (4 jours à la frontière, à l’intérieur du pays 60 jours ouvrables), en Roumanie (les décisions doivent être prises dans les 3 jours), au Royaume-Uni (objectif de moins de 14 jours), en « ex-République yougoslave de Macédoine » (15 jours), et en Pologne (30 jours).
73. Il convient de respecter un équilibre entre la nécessité de traiter les demandes d’asile de façon rapide et efficace, et la nécessité de ne pas transiger sur les obligations internationales d’accès à une procédure équitable d’attribution de l’asile aux personnes qui ont besoin d’une protection internationale. (...)
X. Droit à des recours effectifs et suspensifs
1. Les requérants dont les demandes sont rejetées doivent avoir droit à ce que leur décision soit réexaminée dans le cadre d’un recours effectif.
2. Lorsque les demandeurs d’asile allèguent de façon défendable que l’exécution de la décision d’éloignement les expose à un risque réel de persécution ou de peine de mort, de torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, le recours contre cette mesure d’éloignement doit avoir un effet suspensif. »
2. L’Assemblée parlementaire
76. Dans sa Résolution 1695 (2009) intitulée Améliorer la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée s’inquiète de la situation suivante :
« 6. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, jusqu’à 50 %, voire plus dans certains cas, des décisions de première instance relatives à l’asile sont annulées en appel, ce qui fait douter de la fiabilité et de la qualité de ces décisions. L’introduction d’un recours retarde non seulement la prise de décision finale, mais augmente le coût de la procédure et le sentiment d’incertitude pour le demandeur d’asile et les membres de sa famille. Par ailleurs, tous les Etats ne prévoient pas de recours de plein droit suspensif (tel qu’une procédure d’appel ou de contrôle juridictionnel qui suspende réellement une mesure d’exécution dont les conséquences sont potentiellement irréversibles), comme exigé par la Convention européenne des droits de l’homme (...).
8. Il est important d’améliorer la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile, et de s’attacher à réduire les écarts majeurs entre les taux d’acceptation, que ce soit d’un pays à l’autre ou au sein d’un pays spécifique. A cette fin, l’Assemblée parlementaire invite instamment les Etats membres du Conseil de l’Europe :
8.1. à garantir l’accès à la procédure d’asile :
(...)
8.1.3. en supprimant les entraves pratiques à la procédure d’asile telles que les délais excessivement courts ou appliqués automatiquement pour déposer une demande, les restrictions linguistiques pour remplir les formulaires et les problèmes d’accès à des interprètes compétents ;
(...)
8.1.5. en fournissant gratuitement une assistance juridique et une représentation, conformément aux règles nationales pertinentes en matière d’aide juridique, non seulement au stade du recours, mais aussi dès le début de la procédure d’asile ;
8.3. à améliorer les garanties procédurales, y compris au niveau du recours :
(...)
8.3.2. en supprimant l’ensemble des pratiques procédurales qui violent la Convention européenne des droits de l’homme et/ou donnent lieu à des appréciations erronées qui augmentent le risque de refoulement. Il s’agit notamment des délais excessivement courts ou automatiques, des recours non suspensifs et des normes peu élevées du contrôle en appel (...). »
3. Le Commissaire aux droits de l’homme
77. Le 3 août 2010, le Commissaire aux droits de l’homme adressa une lettre au ministre français de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire dans laquelle il exprima les préoccupations suivantes :
« Procédures d’asile prioritaires
(...) Si la volonté de traiter les demandes d’asile dans un délai raisonnable est louable, cette accélération ne doit pas se faire au détriment des droits des demandeurs. Le délai de 15 jours pour traiter une « demande d’asile prioritaire » réduit les possibilités d’une étude approfondie du dossier par l’OFPRA, voire d’un second entretien. De plus, les statistiques de l’OFPRA montrent qu’un nombre conséquent de ces demandes proviennent de pays potentiellement à risque. Ces pays incluent le Sri Lanka, la Géorgie ou le Kosovo. Ainsi en 2009, 28 % des premières demandes d’asile d’Afghans ont été placées en procédure prioritaire.
(...)
En l’état actuel du droit français, l’appel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) contre une décision de l’OFPRA rendue dans le cadre d’une procédure prioritaire n’est pas suspensif. Or, la CNDA joue un rôle prédominant dans l’attribution d’une protection aux demandeurs d’asile. En 2008, près de 65 % des protections accordées l’ont été à la suite d’une décision de cette juridiction. La faiblesse du taux de protection accordée par l’OFPRA, ajoutée à la brièveté de la procédure, imposent qu’un réel contrôle soit exercé sur les décisions prises.
J’invite les autorités françaises à permettre le plein exercice du droit d’asile en ouvrant une voie de recours effective et suspensive à tous les stades de la procédure prioritaire si les demandeurs d’asile allèguent de façon défendable que l’exécution de la décision d’éloignement les expose à un risque réel de persécution ou de peine de mort, de torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (...) »
78. Dans une réponse en date du 16 septembre 2010, le ministre présenta les observations suivantes :
« La France considère que les Etats doivent disposer des instruments nécessaires pour éviter le détournement des procédures d’asile à des fins d’immigration clandestine. Traiter de manière indifférenciée les demandes abusives ou frauduleuses et les demandes présentées par des personnes ayant un réel besoin de protection irait à l’encontre des intérêts légitimes de ces derniers, compte tenu de la surcharge qui pèserait alors sur les systèmes d’asile (...). Je souligne que quelle que soit la procédure d’asile, de droit commun ou prioritaire, la demande est examinée individuellement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et est entourée des mêmes garanties. Par ailleurs, les demandeurs d’asile placés en procédure prioritaire, et dont la demande fait l’objet d’un rejet par l’OFPRA, bénéficient d’un recours en annulation, pleinement suspensif, devant le juge administratif, lequel doit examiner la conformité de la décision d’éloignement à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment à son article 3. »
4. Le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT)
79. Suite à sa visite en France, effectuée du 27 septembre au 9 octobre 2006, le Comité européen pour la prévention de la torture publia, le 10 décembre 2007, un rapport dans lequel il observe, s’agissant des garanties offertes aux personnes placées en rétention :
« 88. Une troisième garantie fondamentale est la possibilité effective, pour ceux des retenus qui le souhaiteraient, de déposer une demande d’asile en bonne et due forme lors de leur séjour en CRA/LRA [centre de rétention administrative / locaux de rétention administrative] (...). La délégation a pu vérifier dans les différents CRA visités que de telles demandes avaient pu être effectuées, mais que les démarches à suivre étaient parsemées d’embûches.
Premièrement, le retenu concerné disposait d’un délai maximum de 5 jours pour entreprendre les démarches obligatoires (y compris le recueil des documents administratifs et autres nécessaires à l’élaboration de son dossier). Deuxièmement, la demande devait être rédigée exclusivement en langue française. Troisièmement, toute intervention éventuelle d’un interprète/traducteur se faisait aux frais de l’intéressé. Quatrièmement, la mise à disposition de papier et de moyens d’écriture en zones de rétention relevait souvent de la gageure (...). En fin de compte, la seule – et unique – chance du retenu reposait sur les épaules du personnel de la CIMADE qui, au vu des nombreuses demandes et des moyens à disposition, était contraint de « sélectionner » les cas qu’ils allaient soutenir (ceux présentant la plus grande chance de succès, à leurs yeux). La délégation a été d’autant plus préoccupée lorsqu’elle a appris lors de sa visite en France, l’absence prolongée – depuis plusieurs semaines, sinon plusieurs mois – de la CIMADE dans certains CRA parisiens (...).
En outre, étant donné que la limite de 5 jours susmentionnée a été initialement fixée dans le but de prévenir les demandes d’asile tardives formulées au moment de l’embarquement (et que le délai d’instruction de la demande d’asile par l’OFPRA est de 96 heures), et eu égard à la période maximale de rétention actuellement en vigueur (soit 32 jours), le CPT recommande aux autorités françaises de porter le délai pour le dépôt d’une demande d’asile par un retenu en CRA à un minimum de dix jours[1]. Cela devrait notamment permettre à l’intéressé de disposer d’un temps raisonnable pour préparer son dossier en rétention (accès aux pièces/documents nécessaires, traduction/interprétation par l’intermédiaire des associations, etc.).
89. De plus, l’absence de la CIMADE et de l’ANAEM dans les CRA le week-end (et principalement le dimanche) posait également problème sur un autre plan. En effet, comme déjà indiqué (...), des audiences foraines étaient organisées dans les CRA le samedi, et certains appels – comme l’appel contre la mesure de prolongation de la rétention – doivent impérativement être déposés dans les 24 heures du prononcé. En l’absence de soutien juridique le week-end (autre qu’un numéro de téléphone de permanence), l’accès effectif des retenus à certains recours prévus par la loi devenait aléatoire. »
B. Aperçu des travaux effectués dans le cadre des Nations Unies
80. Dans ses Observations finales du 31 juillet 2008 relatives au quatrième rapport périodique présenté par la France, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies considère que la question du respect du principe de non-refoulement constitue l’un des principaux sujets de préoccupation pour la France et recommande à cet égard :
« 20. (...) il [le Comité] est préoccupé par des informations signalant que des étrangers ont en fait été renvoyés dans des pays où leur intégrité était en danger et ont effectivement été soumis à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte. Le Comité a également reçu des informations signalant que souvent les étrangers ne sont pas correctement informés de leurs droits, notamment du droit de demander l’asile, et que souvent l’assistance d’un conseil ne leur est pas assurée (...).
L’État partie devrait veiller à ce que la décision de renvoyer un étranger, y compris un demandeur d’asile, soit prise à l’issue d’une procédure équitable qui permet d’exclure effectivement le risque réel de violations graves des droits de l’homme dont l’intéressé pourrait être victime à son retour. Les étrangers sans papiers et les demandeurs d’asile doivent être correctement informés de leurs droits, lesquels doivent leur être garantis, y compris du droit de demander l’asile, et bénéficier d’une aide juridictionnelle gratuite. L’État partie devrait également veiller à ce que tous les individus frappés d’un arrêté d’expulsion disposent de suffisamment de temps pour établir une demande d’asile, bénéficient de l’assistance d’un traducteur et puissent exercer leur droit de recours avec effet suspensif. »
81. Dans ses Observations finales publiées le 20 mai 2010 concernant la France, le Comité des Nations Unies contre la torture observe :
« Non-refoulement
14. Tout en prenant acte des informations fournies au Comité par l’État partie, selon lesquelles ces chiffres seraient en baisse par rapport à l’année 2008, le Comité reste préoccupé du fait que 22 % des demandes d’asile présentées en 2009 auraient été traitées sous la procédure dite prioritaire, qui n’offre pas de recours suspensif contre un refus initial de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le demandeur peut donc être renvoyé vers un pays où il risque la torture, et ce avant que la Cour nationale du droit d’asile ait pu entendre sa demande de protection. En l’absence de données chiffrées relatives aux requêtes introduites contre une mesure d’éloignement pour cause de risque de torture, ainsi qu’au nombre d’annulations de mesures d’éloignement prononcées par le juge administratif sur la base de l’article 3, le Comité n’est pas convaincu que la procédure prioritaire offre des garanties suffisantes contre un éloignement emportant un risque de torture. (art. 3)
Le Comité recommande que l’État partie instaure un recours suspensif pour les demandes d’asile placées en procédure prioritaire. Il recommande également que les situations couvertes par l’article 3 de la Convention fassent l’objet d’un examen approfondi des risques, notamment en assurant une formation adéquate des juges aux risques de torture dans les pays de renvoi et en procédant d’une manière systématique à des entretiens individuels à même d’évaluer le risque personnel encouru par les demandeurs. »
C. Aperçu des travaux effectués dans le cadre de l’Union européenne
1. La mise en place d’un régime d’asile européen commun (RAEC)
82. En mai 1999 débutèrent des travaux en vue de la création d’un régime d’asile européen commun (RAEC). Le 1er décembre 2005, l’Union européenne adopta la directive 2005/85/CE relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, dite directive procédures.
83. Le principe d’accès à la procédure d’asile est consacré par l’article 6 de la directive. Aux termes de cet article, les Etats membres sont tenus de garantir aux personnes le droit de déposer une demande d’asile, et de veiller à ce que les autorités compétentes soient en mesure de faciliter l’accès à la procédure aux personnes qui souhaitent déposer une demande.
84. Les autres articles pertinents de la directive sont l’article 8, relatif aux conditions auxquelles est soumis l’examen des demandes, l’article 9, relatif aux conditions auxquelles sont soumises les décisions de l’autorité responsable de la détermination, l’article 14, concernant le statut du rapport sur l’entretien personnel dans le cadre de la procédure, l’article 23 sur la procédure d’examen et l’article 39 relatif au droit à un recours effectif.
85. La deuxième phase des travaux visant à mettre en place le RAEC consiste à établir d’ici 2012 un espace commun de protection et de solidarité fondé, entre autres, sur une procédure d’asile commune.
2. L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’affaire Brahim Samba Diouf c. ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration (C-69-10) / 28 juillet 2011
86. Il s’agissait d’une demande de renvoi préjudiciel formée par le tribunal administratif du Grand-Duché du Luxembourg, visant l’article 39 de la directive procédures précité. Au principal, le litige opposait un ressortissant mauritanien en situation irrégulière au ministre luxembourgeois du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration au sujet du rejet de la demande présentée par l’intéressé en vue de l’obtention du statut de réfugié. Cette décision avait été prise en application d’une procédure accélérée et valait ordre de quitter le territoire national. La décision de recourir à la procédure accélérée signifiait notamment la réduction à quinze jours du délai ordinaire d’un mois prévu pour introduire un recours contentieux contre la décision de refus finale devant la juridiction administrative.
87. M. Samba Diouf a introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal administratif de Luxembourg. Celui-ci a saisi la CJUE pour obtenir la réponse aux questions suivantes : le fait que, dans le cadre de la procédure accélérée d’asile, au sens du droit luxembourgeois, aucun recours juridictionnel contre la décision de l’autorité administrative de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée n’est disponible est-il contraire à l’article 39 de la directive 2005/85/CE ? En cas de réponse négative, le principe général du recours effectif au regard du droit communautaire inspiré par les articles 6 et 13 de la Convention est-il à interpréter au sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle instaurée par le Grand-Duché de Luxembourg ?
88. Dans son arrêt, la CJUE vérifie notamment la compatibilité de la réglementation en cause avec le droit à un recours juridictionnel effectif. Elle souligne que le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union. Puis, quant aux conséquences de l’application d’une procédure prioritaire, la CJUE relève en particulier :
« (...)
66. En ce qui concerne le fait que le délai de recours soit de quinze jours dans l’hypothèse d’une procédure accélérée, alors qu’il est d’un mois dans le cas d’une décision adoptée en application de la procédure ordinaire, il importe, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 63 de ses conclusions, que le délai imparti soit matériellement suffisant pour préparer et former un recours effectif.
67. S’agissant de procédures abrégées, un délai de recours de quinze jours ne semble pas, en principe, matériellement insuffisant pour préparer et former un recours effectif, et apparaît comme étant raisonnable et proportionné par rapport aux droits et aux intérêts en présence.
68. Il incombe cependant au juge national, dans l’hypothèse où, dans une situation donnée, ce délai devait s’avérer insuffisant compte tenu des circonstances, de déterminer si cet élément serait de nature à justifier, à lui seul, qu’il soit fait droit au recours formé indirectement contre la décision d’examiner la demande d’asile dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que, en faisant droit au recours, ledit juge ordonnerait que la demande soit examinée en application de la procédure ordinaire.
(...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
89. Le requérant allègue que son éloignement vers le Soudan l’exposerait à subir des traitements inhumains et dégradants. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
90. Se référant à la décision rendue le 14 octobre 2010 par la CNDA lui reconnaissant le statut de réfugié, le requérant confirme être protégé contre tout éloignement vers le Soudan. Il rappelle toutefois que son affaire a connu une issue positive uniquement parce qu’il a pu saisir la Cour d’une demande d’application de l’article 39 de son règlement.
91. Le Gouvernement estime essentiel de revenir sur la question de la recevabilité de la requête, bien que celle-ci ait été déclarée recevable par la Cour. Dans son mémoire du 7 mars 2011, soumis à la demande de la Cour en vue de la préparation de l’audience, le Gouvernement excipe pour la première fois de la perte de la qualité de victime du requérant au titre de l’article 34 de la Convention. Il se fonde à cet égard sur la décision rendue par la CNDA reconnaissant le statut de refugié du requérant.
92. Lors de l’audience, le Gouvernement se réfère aux conférences d’Interlaken et d’Izmir, et souligne que, lors de ces événements, la Cour et l’ensemble des Etats parties à la Convention ont souligné l’importance du respect des règles de recevabilité, en vue du bon fonctionnement de la Cour et de l’effectivité des droits garantis. En l’espèce, eu égard à la décision précitée rendue par la CNDA, le requérant aurait perdu la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention et de la jurisprudence de la Cour (voir notamment Gebremedhin, précité, § 56). Le Gouvernement explique que le requérant se trouve désormais protégé contre toute mesure administrative d’éloignement à destination de son pays d’origine par son statut de réfugié. Dès lors, il ne saurait se déclarer victime d’une violation de l’article 3 de la Convention.
93. La Cour observe tout d’abord que par une décision du 14 décembre 2010, elle a déclaré la requête recevable.
94. Elle rappelle, cependant, qu’aux termes de la dernière phrase de l’article 35 § 4 de la Convention elle peut constater l’irrecevabilité d’une requête « à tout stade de la procédure ». Cette disposition permet à la Cour, même au stade de l’examen du fond, sous réserve de ce qui est prévu à l’article 55 de son règlement, de revenir sur la décision par laquelle la requête a été déclarée recevable lorsqu’elle constate que celle-ci aurait dû être considérée comme irrecevable pour une des raisons énumérées aux alinéas 1 à 3 de ce même article (Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 32, CEDH 2004-III, et Sammut and Visa Investments Limited c. Malte (déc.), no 27023/03, § 56, 16 octobre 2007). Selon sa jurisprudence constante, une telle incompatibilité existe, ratione personae, si un requérant ne peut pas, ou ne peut plus, se prétendre victime de la violation alléguée (voir, par exemple, Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 52, CEDH 2000-VII, Pisano c. Italie, no 36732/97, § 34, 24 octobre 2002, et De Sanctis S.R.L. et Igea ’98 S.R.L. c. Italie (déc.), no 29386/02, § 48, 27 avril 2010).
95. En la présente espèce, la Cour constate que, par une décision du 14 octobre 2010, la CNDA a reconnu le statut de réfugié du requérant et, par là-même, le fait qu’il risquerait d’être persécuté au Soudan s’il devait y être renvoyé. La Cour note qu’elle a eu connaissance de cette décision le 19 février 2011, soit postérieurement à la décision sur la recevabilité de la requête qu’elle a rendue le 14 décembre 2010. La Cour déplore le caractère tardif de la transmission de cette information par les parties, sur laquelle se fonde désormais le Gouvernement pour soumettre à la Cour des observations.
Toutefois, elle observe, comme le précise le Gouvernement, que l’article 33 § 1 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés fait désormais obstacle à toute mesure d’éloignement du requérant vers son pays d’origine. Elle relève ensuite qu’aux termes de l’article L. 742-6 du CESEDA, en cas de reconnaissance de la qualité de réfugié, l’administration délivre sans délai à l’intéressé une carte de résident. Elle note que le requérant confirme bénéficier d’une protection contre un éloignement vers le Soudan. Elle en déduit qu’il est suffisamment établi que le requérant ne risque plus d’être renvoyé au Soudan et que la possibilité de rester sur le territoire français lui est garantie (voir Gebremedhin c. France, no 25389/05, décision du 10 octobre 2006). En conséquence, il ne peut plus se prétendre victime de la violation alléguée de la Convention exposée au paragraphe 89 ci‑dessus.
Cette partie de la requête doit donc être rejetée en application des articles 34 et 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
96. Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié en droit français d’un recours effectif pour faire valoir son grief tiré de l’article 3, au mépris de l’article 13 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
97. La Cour rappelle que dans sa décision sur la recevabilité de la présente affaire, elle a joint au fond des griefs du requérant une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement. Ce dernier faisait valoir qu’il appartenait au requérant de contester l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière non seulement devant le tribunal administratif, mais également devant la cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat.
A. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement tirée de la perte de la qualité de « victime » du requérant et sur l’application de l’article 37 de la Convention
98. A titre principal, le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité du grief pour perte de la qualité de « victime » au sens de l’article 34 de la Convention et de la jurisprudence de la Cour. Il soutient que dès lors que le requérant ne peut plus se déclarer victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, il ne saurait être considéré comme victime d’une violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 en raison du caractère indissociable de ces deux aspects.
Par conséquent, le Gouvernement demande à la Cour de constater que le requérant a perdu la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention également pour le grief exposé au paragraphe 96 ci-dessus, et, le litige ayant été résolu, de faire application de l’article 37 § 1 b) de la Convention.
99. Le requérant exprime la volonté de maintenir sa requête devant la Cour en ce qui concerne le grief tiré des articles 13 et 3 combinés. Il rappelle que son éloignement vers le Soudan n’a été empêché que par la décision de la Cour d’appliquer l’article 39 du règlement, grâce à laquelle il est demeuré sur le territoire français et a pu poursuivre son recours devant la CNDA. Il explique également que, suite à la décision de la Cour, il a été assigné à résidence sans autorisation provisoire de séjour pendant presque deux ans, jusqu’à ce que la CNDA statue. Il indique également que le Gouvernement ne lui a jamais proposé de réparation. Il estime avoir donc conservé son statut de victime au sens de la Convention.
100. La Cour n’est pas convaincue par la thèse du Gouvernement selon laquelle le requérant ne peut plus se dire victime d’une violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 dès lors qu’il n’est plus victime de la violation alléguée de cette dernière disposition. A cet égard, le Gouvernement se fonde sur le caractère indissociable de ces deux aspects.
La Cour rappelle d’abord que dans sa décision sur la recevabilité, adoptée avant d’avoir eu connaissance de la décision de la CNDA, elle a jugé que la thèse développée par le requérant quant à un risque de mauvais traitements au Soudan avait un degré suffisant de crédibilité pour qu’il soit considéré qu’une question sérieuse se pose sous l’angle de l’article 3. La Cour a donc déclaré ce grief recevable à la lumière des informations dont elle disposait à l’époque. Au demeurant, plutôt que de remettre en cause le caractère défendable dudit grief, la décision de la CNDA, qui a reconnu au requérant la qualité de réfugié, infirmant la décision antérieure de l’OFPRA, ne fait que confirmer l’approche adoptée par la Cour. Il y a lieu d’en déduire que le grief tiré de l’article 3 est « défendable », de sorte que le requérant est en principe en mesure d’invoquer cette disposition en combinaison avec l’article 13 (voir notamment Gebremedhin, précité, §§ 53 à 55).
Ensuite, la Cour constate que la violation alléguée sur ce terrain (relative au défaut d’effectivité des voies de recours disponibles en cas de placement en procédure prioritaire) était « consommée » au moment où le risque de renvoi vers le Soudan a été levé. En effet, le requérant a obtenu le statut de réfugié le 14 octobre 2010, soit bien après la dernière décision rendue par les autorités internes à la suite du recours qu’il a exercé et dont il dénonce l’ineffectivité devant la Cour, la décision de l’OFPRA rejetant sa demande lui ayant été notifiée le 31 janvier 2009. Or, la Cour souligne que seule l’application de l’article 39 de son règlement a pu suspendre l’éloignement du requérant, pour lequel un laissez-passer avait déjà été émis par les autorités soudanaises après la présentation, le 11 février 2009, du requérant devant ces autorités. En effet, le requérant ayant été placé en procédure prioritaire, son recours devant la CNDA n’avait pas de caractère suspensif. Une fois le requérant éloigné, la CNDA, selon sa jurisprudence constante, récemment confirmée par le Conseil Constitutionnel (voir paragraphes 59 à 61), aurait conclu au non-lieu à statuer. C’est donc uniquement grâce au maintien du requérant sur le territoire français, en vertu de la mesure provisoire demandée par la Cour, que la CNDA a pu poursuivre l’examen de la demande du requérant.
Enfin, selon la jurisprudence de la Cour, pour qu’une décision ou une mesure favorable au requérant suffise à lui retirer la qualité de victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention. Or, elle relève avec le requérant que, jusqu’à ce que la CNDA ait statué, le requérant n’a pas été admis au séjour au titre de l’asile : l’arrêté de reconduite à la frontière est resté en vigueur et le requérant a été assigné à résidence pendant environ vingt mois, avec interdiction de quitter le département et obligation de se présenter régulièrement à la police. Cela a d’ailleurs été confirmé par le jugement rendu le 9 février 2010 par le tribunal administratif de Montpellier (paragraphe 35 ci-dessus). Il s’ensuit qu’en l’espèce les conditions précitées quant à la perte de la qualité de victime ne sont pas remplies s’agissant du grief tiré des articles 13 et 3 combinés (voir Gebremedhin, précité, § 56, et aussi, a contrario, Laleh Mir Isfahani c. Pays-Bas (déc.), no 31252/03, 31 août 2008).
101. Au vu de ce qui précède, et de la volonté clairement exprimée par le requérant de maintenir la requête, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu à rayer l’affaire du rôle en application de l’article 37 § 1 a) ou b) de la Convention.
102. De plus, compte tenu de la gravité des questions posées par la présente affaire et de leur récurrence devant la Cour, celle-ci considère que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention exige la poursuite de l’examen de la requête, comme le prévoit l’article 37 § 1 in fine de la Convention.
103. Il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement et de poursuivre l’examen au fond du grief.
B. Sur le bien-fondé
1. Thèses des parties
a) Le requérant
104. Le requérant fait d’abord valoir que, malgré ses tentatives, sa demande d’asile n’a pu être enregistrée avant son placement en rétention administrative. Il soutient que, alors qu’il a clairement exprimé son souhait de demander l’asile en France à plusieurs reprises, il n’a pas été informé des démarches à suivre ni lors de son interpellation, ni en garde à vue, ni en détention. Il explique que lors de son incarcération, il n’a pas pu déposer de demande d’asile, ni en se rendant à la préfecture, ni par l’intermédiaire de travailleurs sociaux, peu disponibles du fait de la surpopulation carcérale et ne connaissant pas le droit des étrangers.
105. Il note que l’arrêté de reconduite à la frontière lui ayant été notifié lorsqu’il se trouvait en détention, il n’a bénéficié d’aucune assistance juridique ou linguistique pour préparer son recours pendant le délai imparti, à savoir quarante-huit heures, recours qu’il a donc rédigé en arabe. Ce n’est qu’une fois à l’audience qu’il a été assisté par l’avocat de permanence, lequel n’a disposé que de quelques minutes pour échanger avec le requérant et développer sa défense. Le requérant soutient également que le tribunal administratif, statuant dans l’urgence, n’est pas une instance spécialisée pour reconnaître à une personne la qualité de réfugié et ne procède pas à un examen suffisamment rigoureux. Il en déduit que le recours devant le tribunal administratif contre la mesure d’éloignement ne constitue pas un recours effectif au sens de la Convention.
106. Le requérant estime qu’il n’a pas davantage bénéficié d’un recours effectif dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile. Il conteste les critères retenus pour décider du traitement de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire et l’application selon lui systématique qui est faite de l’article L. 741-4 du CESEDA aux demandes faites en rétention et à la sienne en particulier. Or, l’application de la procédure prioritaire entraîne des conséquences importantes, en particulier quant au délai de recours. Il considère que sa demande a été traitée de façon trop rapide par l’OFPRA, le rejet ayant été notifié le jour même de son entretien, qui a duré une demi‑heure. Il regrette que le compte rendu d’entretien ne lui ait pas été communiqué par l’OFPRA, contrairement à ce qui se passe en procédure non prioritaire. Or, la communication de ce compte rendu, qui fonde la décision de l’OFPRA, aurait pu permettre la dissipation de malentendus, concernant le fait par exemple que le requérant était issu d’une tribu non arabe et d’origine darfouri. Pour le requérant, l’OFPRA ne présente pas les garanties d’indépendance d’une juridiction, rendant d’autant plus indispensable un recours suspensif devant la CNDA, ce qui n’est pas le cas dans le cadre de la procédure prioritaire.
b) Le Gouvernement
107. Tout d’abord, le Gouvernement a fait valoir à l’audience que si l’on s’en tenait à l’esprit et à la lettre de la Convention, la procédure d’asile ne devrait pas être examinée par la Cour en tant que telle, car les faits de l’espèce concernent surtout les modalités de mise en œuvre par les Etats parties du droit d’asile tel que garanti par la Convention de 1951, matière que la Cour se garde d’aborder. La présente affaire relèverait donc de la marge d’appréciation dont disposent les Etats pour organiser les procédures en matière d’asile.
108. Ensuite, après avoir décrit les principes et les modalités de la procédure d’asile en France ainsi que de la procédure devant les juridictions administratives (voir paragraphes 49 à 74 ci-dessus), le Gouvernement s’attache à en démontrer l’effectivité au sens de l’article 13 de la Convention tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour.
109. En ce qui concerne d’abord le recours devant le juge administratif, le Gouvernement explique que le requérant a bénéficié de toutes les garanties juridictionnelles offertes : il a pu contester devant une juridiction l’arrêté préfectoral de reconduite alors qu’il se trouvait encore détenu au centre pénitentiaire. Il a bénéficié d’une assistance juridique par l’intermédiaire d’un avocat et d’un interprète assermenté, comme le montre la lecture du jugement rendu le 12 janvier 2009 par le magistrat délégué du tribunal administratif de Montpellier. Selon le Gouvernement, la lecture du jugement montre qu’il a été procédé à un examen approfondi de la situation du requérant au regard des décisions contestées. Ayant entendu le requérant, le tribunal a estimé, dans le cadre d’un jugement particulièrement motivé, qu’il n’apportait « aucun élément probant à l’appui de ses allégations ». Le tribunal a rapproché les déclarations du requérant de celles faites au cours de la procédure judiciaire et examiné son parcours depuis son arrivée en Europe. Le Gouvernement en déduit que le tribunal administratif a ainsi assuré, en toute indépendance, un examen rigoureux du cas du requérant. S’il n’est pas le juge de l’asile, le tribunal administratif est le garant de la protection des droits issus de la Convention, et permet aux justiciables d’avoir accès à un recours effectif et pleinement suspensif. Cette effectivité ne saurait être remise en cause, selon le Gouvernement, sur la seule base de l’arrêt Y.P. et L.P. c. France (no 32476/06, 2 septembre 2010), dont la portée est limitée. Enfin, le contrôle exercé par le juge administratif dans le cadre des APRF est analogue à celui exercé par le même juge contre les décisions de refus d’admission à la frontière dont la Cour a reconnu la validité (voir Gebremedhin, précité, § 64).
Par conséquent, selon le Gouvernement, cette voie de recours satisfait aux exigences de l’article 13 combiné avec l’article 3.
110. Quant à la procédure d’asile, le Gouvernement soutient d’abord qu’à aucun moment le requérant n’a mentionné de craintes pour sa vie lors de son interpellation et qu’il n’a pas non plus fait savoir qu’il souhaitait faire une demande d’asile, que ce soit devant le juge judiciaire ou administratif. Même en détention, le greffe de la prison étant chargé de recueillir le courrier des détenus, le requérant aurait pu transmettre une demande d’asile. Or, il n’a formulé une demande que lorsqu’il était sur le point d’être éloigné.
111. Compte tenu de ces circonstances, la demande d’asile du requérant a été placée en procédure prioritaire, et considérée comme reposant sur une « fraude délibérée » ou constituant un « recours abusif à l’asile », sur la base du 4o de l’article L. 741-4 du CESEDA. L’objectif de ce dispositif est en effet de pouvoir faire face à des demandes s’analysant comme un détournement de la procédure d’asile dans le seul but d’échapper à un éloignement et qui paraissent étrangères à une problématique de protection. Tel a été le cas de la demande du requérant, formée en rétention le 19 janvier 2009, soit postérieurement à l’arrêté de reconduite à la frontière, notifié le 7 janvier 2009, aucun élément sérieux n’indiquant que le requérant aurait demandé l’asile auparavant.
112. Le Gouvernement expose ensuite que l’application de la procédure prioritaire et ses modalités d’application ne remettent pas en cause l’effectivité du recours devant l’OFPRA. En effet, le Gouvernement souligne d’abord l’indépendance selon lui incontestable de l’OFPRA, garantie par son statut. Ensuite, se référant aux modalités de la procédure prioritaire, il expose que les garanties d’examen restent les mêmes que la procédure soit « normale » ou « prioritaire ». La procédure prioritaire n’est qu’une procédure dérogatoire en vue d’obtenir plus rapidement une décision. Si la demande doit être formulée dans un délai de cinq jours, cette exigence est rendue nécessaire par les délais de maintien en rétention, d’une durée maximale de trente-deux jours. Cette disposition a pour contrepartie la garantie que l’étranger, dès son placement en rétention, est informé de son droit à demander l’asile, faute de quoi les délais ne courent pas. De plus, si l’OFPRA doit se prononcer dans un délai de quatre jours, celui-ci n’est pas impératif et la décision peut être différée si des investigations particulières sont nécessaires. En rétention, l’étranger bénéficie de certaines facilités et en particulier de l’aide juridique apportée par l’une des associations présentes dans les centres. Tel a été le cas du requérant qui, ayant été informé de son droit à demander l’asile dès son placement en rétention, a pu, avec l’aide de la CIMADE, présenter une demande d’asile le 19 janvier 2009. L’OFPRA, après audition du requérant assisté par un avocat, a rendu sa décision le 30 janvier 2009, soit onze jours plus tard. L’exécution de la mesure d’éloignement a été suspendue pendant toute cette période. Le fait que la CNDA ait par la suite reconnu la qualité de réfugié au requérant ne suffit pas à condamner le dispositif applicable aux procédures prioritaires, puisque, comme cela ressort de la jurisprudence de la Cour, l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable.
113. Le droit français applicable ménage donc deux voies de recours pour les étrangers se trouvant dans la situation du requérant : le recours contre la mesure d’éloignement exercé devant le juge administratif et le recours devant l’OFPRA. L’un et l’autre répondent en entier, et à eux seuls, aux critères d’effectivité requis.
114. Toutefois, à l’audience, le Gouvernement a ajouté que seule la mesure d’éloignement ou d’expulsion est susceptible de faire grief au regard de l’article 3 de la Convention, puisqu’il faut en France une décision prise par l’autorité administrative pour éloigner l’étranger. La décision de rejet de l’OFPRA à elle seule, pas plus d’ailleurs que celle de la CNDA, ne peut entraîner l’éloignement de l’étranger. Il s’ensuit, selon le Gouvernement, qu’exiger que le recours devant la CNDA ait dans tous les cas un effet suspensif méconnaîtrait le fait que ce n’est pas la décision des organes de protection au titre de l’asile qui implique l’éloignement et imposerait aux autorités françaises un double système de contrôle, à la fois par le juge administratif et par le juge spécialisé de la CNDA. Or, cela irait au-delà des exigences de la jurisprudence de la Cour, le rôle de cette dernière n’étant pas de se substituer au législateur national.
115. Le Gouvernement souligne qu’il appartient aux Etats, dans le respect de leurs obligations constitutionnelles et internationales, dont la Convention de Genève, de définir les modalités d’exercice du droit d’asile qui ne saurait se confondre avec l’article 3 de la Convention. Le droit d’asile, valeur essentielle, ne sera durablement préservé que si les Etats disposent des moyens nécessaires pour faire face aux demandes qui ne relèvent pas du besoin de protection.
c) L’UNHCR, tiers intervenant
116. L’UNHCR se réfère d’abord à ses observations initiales dans la présente affaire (voir la décision sur la recevabilité rendue le 14 décembre 2010 par la Cour, §§ 100 à 109). Ensuite, aussi bien dans ses observations écrites que lors de l’audience, l’UNHCR réitère ses préoccupations quant aux lacunes de la procédure d’asile prioritaire appliquée aux demandeurs d’asile en rétention en France, au vu notamment de l’obligation de non‑refoulement prévue par la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. L’UNHCR admet que les procédures d’asile accélérées, dont se sont dotés de nombreux Etats européens, puissent faciliter le traitement des demandes clairement abusives ou manifestement infondées. Toutefois, l’UNHCR observe que plusieurs Etats européens privilégient dans le cadre de ces procédures une interprétation excessivement large des notions de demandes clairement abusives ou manifestement infondées. Il souligne d’ailleurs que le simple fait de déposer une demande d’asile en rétention, y compris après notification d’une mesure d’éloignement, s’il peut constituer une indication, ne saurait suffire à lui seul à établir son caractère infondé ou abusif et impliquer un examen en procédure prioritaire.
117. Evoquant la pratique récente en France, l’UNHCR relève l’augmentation du nombre de demandes d’asile en rétention, se rapportant pour une grande majorité à des premières demandes (73 % en 2009 alors que ce chiffre n’était que de 64 % en 2008). Par ailleurs, le taux de reconnaissance de la protection internationale par l’OFPRA en rétention continue d’être inférieur au taux de reconnaissance global (en 2009, ces taux étaient respectivement de 4,78 %, premières demandes et demandes de réexamen confondues, et de 14,3 %).
118. L’UNHCR indique aussi que la refonte de la Directive sur les procédures d’asile entreprise par les institutions communautaires, actuellement en cours (voir paragraphe 85 ci-dessus), témoigne des lacunes relatives aux procédures d’asile accélérées telles qu’elles ont été mises en œuvre par les Etats membres, notamment en matière de garanties procédurales.
119. Dans la présente affaire, les deux procédures en cause sont représentatives des lacunes procédurales dénoncées par l’UNHCR.
120. En premier lieu, en ce qui concerne la procédure d’asile prioritaire en rétention, l’UNHCR considère que les conditions de saisine de l’OFPRA sont particulièrement contraignantes : le demandeur d’asile dispose d’un délai de cinq jours pour déposer une demande en langue française. Or, aucun traducteur n’est pris en charge par les autorités. Selon l’UNHCR, ces conditions sont susceptibles d’affecter la capacité du demandeur d’asile en rétention à faire valoir le bien-fondé de sa demande, a fortiori compte tenu de la vulnérabilité des personnes placées dans cette situation.
L’UNHCR note également la brièveté du délai imparti à l’OFPRA pour statuer, quatre-vingt-seize heures, notamment en ce qui concerne les demandes complexes.
Selon l’UNHCR, le recours devant la CNDA n’est pas à même de suppléer les insuffisances de la procédure devant l’OFPRA, car il n’a pas d’effet suspensif, et le demandeur risque d’être renvoyé avant que la CNDA ne statue. Or, toutes procédures d’asile confondues, cette juridiction a annulé plus d’une décision négative de l’OFPRA sur cinq en 2010. L’éloignement prématuré du demandeur d’asile est donc susceptible, dans certains cas, de porter atteinte au principe du non-refoulement.
121. En second lieu, quant à la possibilité pour le demandeur d’asile en rétention de contester la mesure d’éloignement devant le juge administratif, l’UNHCR soutient que si un tel recours peut paraître effectif en théorie, il ne garantit pas en pratique un examen attentif et rigoureux. Cela se vérifie en l’espèce puisque la CNDA a reconnu le statut de réfugié du requérant alors que le juge administratif avait rejeté sa demande.
122. A l’appui de cette thèse, l’UNHCR souligne que le délai imparti au demandeur, quarante-huit heures, est encore plus bref que dans le cadre de la procédure prioritaire en rétention. Par ailleurs, bien qu’en théorie le demandeur ait droit à un interprète, il lui est difficile d’en bénéficier en pratique. En effet, le demandeur doit en faire la demande expresse au président du tribunal administratif, alors qu’il n’est pas toujours informé de cette possibilité. Par conséquent, souvent le requérant ne bénéficie pas d’un interprète, ou bien celui-ci n’intervient que lors de l’audience devant le tribunal administratif et non au moment de la préparation de la demande, stade pourtant crucial pour l’effectivité du recours. A cela s’ajoutent les difficultés matérielles et procédurales pour le demandeur d’apporter des preuves. Selon l’UNHCR, l’ensemble de ces facteurs affecte négativement la capacité du demandeur à faire valoir son besoin de protection devant le juge.
123. De plus, l’UNHCR estime que le délai de soixante-douze heures dont dispose le tribunal administratif pour statuer n’est pas suffisant pour permettre un examen aussi rigoureux que possible de la demande, surtout s’il s’agit d’une première demande.
124. Par ailleurs, l’UNHCR indique que le recours devant le tribunal administratif n’est pas de plein droit suspensif sur l’ensemble du territoire français, puisqu’un régime dérogatoire est applicable en Guyane et à Saint‑Martin.
125. Du point de vue de l’étendue du contrôle, l’UNHCR estime que la CNDA paraît plus à même que le tribunal administratif de conduire l’examen le plus rigoureux possible. La CNDA est en effet une juridiction spécialisée statuant en plein contentieux et en formation collégiale sur l’ensemble des circonstances de fait et de droit pertinent.
126. En conclusion, l’UNHCR réaffirme que la procédure d’asile en rétention combinée au recours devant le tribunal administratif dans le cadre de la procédure d’éloignement ne sont pas de nature à assurer un examen attentif et rigoureux du besoin de protection internationale des personnes concernées. Il considère qu’en l’espèce la Cour a pallié une insuffisance majeure du système par l’indication de mesures provisoires, et émet le souhait que des mesures soient prises au niveau national pour y remédier, conformément au principe de subsidiarité rappelé récemment par la déclaration de la conférence d’Izmir.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux applicables
127. Les principes généraux relatifs à l’effectivité des recours et des garanties fournies par les Etats contractants en cas d’expulsion d’un demandeur d’asile en vertu des articles 13 et 3 combinés de la Convention sont résumés dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, §§ 286 à 293, 21 janvier 2011). Dans cet arrêt, la Cour a d’abord rappelé le caractère subsidiaire que revêt, par rapport aux systèmes nationaux, le mécanisme de plainte devant elle, puisqu’elle se garde d’examiner elle‑même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire vers le pays qu’il a fui (§§ 286 et 287).
128. Ensuite, la Cour a réitéré les principes inhérents à l’article 13 de la Convention, qui « garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils y sont consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit » (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 288).
129. La Cour reconnaît une marge d’appréciation aux Etats contractants puisque « l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul » (Gebremedhin, précité, § 53, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 289).
130. En revanche, l’effectivité commande des exigences d’accessibilité et de réalité : « pour être effectif, le recours exigé par l’article 13 doit être disponible en droit comme en pratique, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’Etat défendeur » (Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 112, CEDH 1999‑IV, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 290).
131. Examinant les recours ouverts aux demandeurs d’asile en Grèce, la Cour a également réaffirmé « que l’accessibilité en pratique d’un recours est déterminante pour évaluer son effectivité » (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 318).
132. Par ailleurs, l’effectivité implique des exigences de qualité, de rapidité et de suspensivité, compte tenu en particulier de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements. Ainsi, « l’article 13 exige un recours interne habilitant à examiner le contenu du grief et à offrir le redressement approprié, même si les Etats jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose cette disposition » (Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 48, CEDH 2000‑VIII).
133. Une attention particulière doit être prêtée à la rapidité du recours lui‑même puisqu’il n’est pas exclu que la durée excessive d’un recours le rende inadéquat (Doran c. Irlande, no 50389/99, § 57, CEDH 2003-X).
134. L’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005‑III), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (Jabari, précité, § 50) ainsi qu’une célérité particulière (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004‑IV (extraits)) ; il requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002‑I ; Gebremedhin, précité, § 66, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 290 à 293).
135. Enfin, « selon la Cour, l’exigence résultant de l’article 13 de faire surseoir à l’exécution de la mesure litigieuse ne peut être envisagée de manière accessoire, c’est-à-dire en faisant abstraction de ces exigences quant à l’étendue du contrôle. Le contraire reviendrait en effet à reconnaître aux Etats la faculté de procéder à l’éloignement de l’intéressé sans avoir procédé à un examen aussi rigoureux que possible des griefs tirés de l’article 3 » (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 388).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
136. Avant tout, la Cour relève que la question qui se pose concerne l’effectivité des recours exercés en France par le requérant, dont l’éloignement était en cours, pour faire valoir un grief tiré de l’article 3 de la Convention. En effet, si l’accès à ces voies de recours n’est pas en cause en tant que tel, les obstacles rencontrés pour les exercer sont susceptibles de porter atteinte à leur effectivité. A cet égard, la Cour estime nécessaire de souligner à nouveau qu’en ce qui concerne les requêtes relatives à l’asile et à l’immigration, telles que celle du requérant, elle se consacre et se limite, dans le respect du principe de subsidiarité, à évaluer l’effectivité des procédures nationales et à s’assurer que ces procédures fonctionnent dans le respect des droits de l’homme (voir M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 286 et 287).
137. Dans la présente affaire, le requérant a exercé les voies de recours disponibles dans le système français pour faire valoir son grief tiré de l’article 3 de la Convention : il a saisi l’OFPRA puis la CNDA d’une demande d’asile, et il a contesté devant le tribunal administratif de Montpellier l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Selon le Gouvernement, seul cet arrêté serait susceptible de faire grief au regard de l’article 3 de la Convention, puisqu’il faut en France une décision prise par l’autorité administrative pour éloigner l’étranger, une décision de l’OFPRA ou de la CNDA ne suffisant pas.
138. La Cour constate, comme l’indique d’ailleurs le Gouvernement, que le droit français ménage deux voies pour l’étranger qui allègue être exposé à des risques en cas de retour : le recours contre la mesure d’éloignement devant le juge administratif et le recours devant l’OFPRA, chargé d’examiner la demande d’asile. Dans son examen d’un tel dispositif, la Cour n’a pas à se prononcer sur la question de savoir quelle décision serait susceptible de faire grief, ni quelle voie de recours doit être intentée ou privilégiée par le requérant, ce dernier ayant d’ailleurs exercé tous les recours à sa disposition. La Cour rappelle à cet égard que l’article 13 de la Convention ne va pas jusqu’à exiger une forme particulière de recours et que l’organisation des voies de recours internes relève de la marge d’appréciation des Etats (voir Vilvarajah et autres c. Royaume‑Uni, 30 octobre 1991, § 122, série A no 215, et, parmi d’autres, G.H.H. et autres c. Turquie, no 43258/98, § 36, CEDH 2000‑VIII).
139. La préoccupation essentielle de la Cour est de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire vers le Soudan. Ces garanties peuvent être fournies par l’ensemble des recours offerts par le droit français, qui peut ainsi remplir les exigences de l’article 13, même si aucun recours n’y répond en entier à lui seul (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 289).
140. La Cour note d’abord que le requérant soutient avoir mentionné son intention de demander l’asile en France dès son interpellation et sa garde à vue, puis depuis le lieu de sa détention et pendant la procédure de comparution immédiate dont il a fait l’objet, sans qu’aucune de ses tentatives ne soit suivie d’effet. Ce n’est qu’une fois placé en rétention administrative qu’il a pu soumettre sa demande d’asile à l’OFPRA. En revanche, le Gouvernement conteste le fait même que le requérant ait présenté une demande d’asile avant sa rétention puisque, compte tenu des dispositifs prévus à cet effet, si le requérant avait fait une telle demande, elle aurait été recueillie, même en détention.
141. La Cour n’est pas convaincue par les arguments exposés par le Gouvernement en la matière. Elle commence par observer que le requérant, gardé à vue puis détenu, n’a pas pu se rendre en personne à la préfecture pour introduire une demande d’asile, comme l’exige le droit français (voir paragraphe 42 ci-dessus). Elle note ensuite que les procès-verbaux de garde à vue du requérant paraissent fournir des éléments, même partiels, quant aux tentatives de demandes d’asile que le requérant allègue avoir faites dès son arrivée en France (voir paragraphes 21 et 22 ci-dessus). Surtout, la Cour constate que le seul fait que la demande d’asile du requérant ait été considérée comme étant postérieure à l’arrêté de reconduite à la frontière a suffi aux autorités pour considérer qu’elle reposait sur une « fraude délibérée » ou constituait un « recours abusif à l’asile » (sur la base du 4o de l’article L. 741-4 du CESEDA, voir paragraphe 45 ci-dessus). Cet unique élément a donc valu à la demande du requérant un classement en procédure prioritaire, comme l’a confirmé le Gouvernement lors de l’audience. La Cour ne peut que relever le caractère automatique du classement en procédure prioritaire de la demande du requérant, lié à un motif d’ordre procédural, et sans relation ni avec les circonstances de l’espèce, ni avec la teneur de la demande et son fondement.
142. Certes, la Cour est consciente de la nécessité pour les Etats confrontés à un grand nombre de demandeurs d’asile de disposer des moyens nécessaires pour faire face à un tel contentieux, ainsi que des risques d’engorgement du système évoqués par le Gouvernement. A cet égard, la Cour reconnaît, comme le soulignent le Gouvernement et l’UNHCR, que les procédures d’asile accélérées, dont se sont dotés de nombreux Etats européens, puissent faciliter le traitement des demandes clairement abusives ou manifestement infondées. Elle a d’ailleurs déjà eu l’occasion d’estimer que le réexamen d’une demande d’asile selon le mode prioritaire ne privait pas l’étranger en rétention d’un examen circonstancié dès lors qu’une première demande avait fait l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une procédure d’asile normale (Sultani c. France, no 45223/05, §§ 64-65, CEDH 2007‑IV (extraits)).
143. Toutefois, la Cour le souligne, tel n’est pas le cas du requérant. En effet, il s’agissait en l’espèce d’une première demande, et non d’un réexamen. Ainsi, l’examen de la demande du requérant par l’OFPRA, selon le mode prioritaire, aurait constitué le seul examen sur le fond en matière d’asile avant son éloignement, s’il n’avait pas obtenu en temps utile une mesure provisoire par la Cour.
144. La Cour observe que le classement en procédure prioritaire de la demande du requérant a induit des conséquences substantielles quant au déroulement de la procédure. Ainsi, le délai imparti au requérant pour présenter sa demande a été réduit de vingt et un à cinq jours, sous peine, en cas de non-respect, de rejet pour tardiveté. La Cour relève le caractère particulièrement bref et contraignant d’un tel délai, s’agissant pour le requérant de préparer, en rétention, une demande d’asile complète et documentée en langue française, soumise à des exigences identiques à celles prévues pour les demandes déposées hors rétention selon la procédure normale (voir également à ce sujet les recommandations du CPT et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, paragraphes 77 à 79).
145. De plus, pour la Cour, les difficultés rencontrées par le requérant ont été fortement aggravées par le facteur linguistique, aucune interprétation n’étant prise en charge à ce stade. La Cour constate que, si le requérant a eu recours à la CIMADE, seule association présente dans le centre de rétention administrative de Perpignan, celle-ci n’a pu fournir qu’une assistance limitée.
146. Enfin, la Cour ne peut que souligner que le placement en rétention ne permet pas, dans un délai aussi bref, de rassembler, par l’intermédiaire de contacts extérieurs, tous les éléments susceptibles d’appuyer et de documenter une demande d’asile, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une première demande. Tel a été le cas du requérant qui, lors de l’entretien devant l’OFPRA, s’est trouvé dans l’impossibilité de fournir les éléments demandés quant à son origine ethnique et à la provenance darfouri de sa famille. Or, comme cela ressort du compte rendu d’entretien et de la décision rendue par l’OFPRA, ces éléments ont été déterminants lors de l’examen de la demande du requérant, considérée pour l’essentiel comme étant fondée sur des déclarations très imprécises, voire erronées. C’est en effet dans le cadre d’une motivation très succincte que la décision de l’OFPRA, rendue le jour même du déroulement de l’entretien avec le requérant, se borne à relever les incohérences du récit ainsi que l’absence d’éléments probants.
147. La Cour constate qu’en l’espèce le caractère accéléré de la procédure n’a pas permis au requérant d’apporter des précisions sur ces points, éventuellement par écrit ou au cours d’un second entretien, alors même qu’il a pu, par la suite, dissiper les incohérences supposées et fournir les documents manquants. Si la Cour reconnaît l’importance de la rapidité des recours, elle considère que celle-ci ne devrait pas être privilégiée aux dépens de l’effectivité de garanties procédurales essentielles visant à protéger le requérant contre un refoulement arbitraire vers le Soudan.
148. La Cour ne saurait donc pas se limiter à l’analyse théorique avancée par le Gouvernement selon laquelle la procédure prioritaire ne constitue qu’un régime dérogatoire à la règle de l’examen des dossiers par ordre chronologique d’arrivée, assorti de garanties identiques à celles de la procédure classique. En l’espèce, la Cour estime au contraire que le classement de la demande d’asile du requérant en procédure prioritaire a abouti à un traitement extrêmement rapide, voire sommaire de cette demande par l’OFPRA. Pour la Cour, l’ensemble des contraintes imposées au requérant tout au long de cette procédure, alors qu’il était privé de liberté et qu’il s’agissait d’une première demande d’asile, ont affecté en pratique la capacité du requérant à faire valoir le bien-fondé de ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention.
149. Quant à la saisine du tribunal administratif en vue de contester l’arrêté de reconduite à la frontière, la Cour reconnaît que ce recours, pleinement suspensif, a été exercé devant un juge dont la compétence pour examiner les griefs tirés de l’article 3 ne saurait être remise en cause. Ainsi, un tel recours aurait théoriquement pu permettre au juge administratif de réaliser un examen effectif des risques que le requérant affirmait encourir en cas de renvoi vers le Soudan (voir, mutatis mutandis, Y.P. et L.P. c. France, précité, § 55).
150. Toutefois, la Cour observe que le requérant s’est heurté en pratique à des obstacles conséquents dans le cadre de cette procédure. Avant tout, la Cour met en exergue le caractère extrêmement bref du délai de quarante‑huit heures imparti au requérant pour préparer son recours, en particulier par rapport au délai de droit commun de deux mois en vigueur devant les tribunaux administratifs.
151. La Cour relève également que la brièveté de ce délai a contraint le requérant, alors en détention et n’ayant aucun accès à une assistance juridique et linguistique, à soumettre son recours sous la forme « d’un courrier en langue arabe » (voir paragraphe 26). Ce document comportait des arguments peu circonstanciés et dépourvus d’éléments de preuve. Devant le tribunal administratif de Montpellier, le requérant bénéficia de l’assistance d’un interprète et d’un avocat commis d’office, ce dernier reprenant, suite à un bref entretien avec le requérant, l’argumentation que celui-ci avait exposée par écrit, sans pouvoir ajouter d’éléments de preuve. Cette absence d’éléments probants motiva, pour l’essentiel, le rejet de la requête par le magistrat administratif. Ce dernier reprocha également au requérant de ne pas avoir préalablement introduit de demande d’asile, alors qu’il n’est pas démontré que le requérant, détenu, ait pu faire valoir une telle demande.
152. Par conséquent, eu égard à la procédure devant le magistrat administratif, la Cour souligne à nouveau les obstacles rencontrés par le requérant pour introduire une requête motivée et documentée dans un délai particulièrement court, avec l’assistance ponctuelle d’un avocat commis d’office rencontré peu de temps avant l’audience.
153. Au vu de ce qui précède, la Cour émet de sérieux doutes sur le fait que le requérant ait été en mesure de faire valoir efficacement ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention devant le magistrat administratif.
154. Ainsi, quant à l’effectivité du système de droit interne pris dans son ensemble, la Cour constate que si les recours exercés par le requérant étaient théoriquement disponibles, leur accessibilité en pratique a été limitée par plusieurs facteurs, liés pour l’essentiel au classement automatique de sa demande en procédure prioritaire, à la brièveté des délais de recours à sa disposition et aux difficultés matérielles et procédurales d’apporter des preuves alors que le requérant se trouvait en détention ou en rétention.
155. Quant à la qualité de l’examen des demandes assurée par l’OFPRA et le juge administratif, force est de constater qu’elle dépend au moins en partie de la qualité de la saisine. Or, cette dernière est liée aux conditions de préparation des recours et à l’assistance juridique et linguistique dont le requérant a pu disposer, qui, en l’espèce, ont été insuffisantes, comme cela vient d’être démontré (voir paragraphes 140 à 141 et 143 à 146). De plus, la Cour note également, avec le requérant, la durée limitée de l’entretien devant l’OFPRA, s’agissant d’une première demande présentant un caractère complexe.
156. Enfin, la Cour constate que les insuffisances relevées quant à l’effectivité des recours exercés par le requérant n’ont pu être compensées en appel. Sa demande ayant été traitée en procédure prioritaire, le requérant ne disposait en effet d’aucun recours en appel ou en cassation suspensifs, que ce soit devant la CNDA, la cour administrative d’appel ou le Conseil d’Etat (voir, a contrario, H.R. c. France, no 64780/09, §§ 78 à 80, 22 septembre 2011). La Cour relève en particulier à cet égard l’absence de caractère suspensif du recours formé devant la CNDA de la décision de refus par l’OFPRA de la demande d’asile, lorsque l’examen de celle-ci s’inscrit dans le cadre de la procédure prioritaire.
157. Or, la Cour réitère que seule l’application de l’article 39 de son règlement a pu suspendre l’éloignement du requérant, pour lequel un laissez-passer avait déjà été émis par les autorités soudanaises (voir paragraphes 32 et 100 ci-dessus). En effet, à l’issue des procédures devant l’OFPRA et le juge administratif, rien n’aurait pu empêcher l’éloignement du requérant, ni, par conséquent, la décision de non-lieu à statuer de la CNDA (voir paragraphe 100 ci-dessus).
158. Dès lors, si l’effectivité des recours au sens de l’article 13 de la Convention ne dépend certes pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant, la Cour ne peut cependant que conclure que, sans son intervention, le requérant aurait fait l’objet d’un refoulement vers le Soudan, sans que ses demandes aient fait l’objet d’un examen aussi rigoureux que possible (voir, mutatis mutandis, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 388).
159. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et concernant les recours devant la cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat. Elle constate en outre que le requérant n’a pas disposé en pratique de recours effectifs lui permettant de faire valoir le bien-fondé du grief tiré de l’article 3 de la Convention alors que son éloignement vers le Soudan était en cours.
160. Partant, elle conclut à la violation de l’article 13 combiné avec l’article 3.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
161. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.
162. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
163. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
164. Le requérant demande 5 000 euros (EUR) pour préjudice moral. A l’appui de cette demande, il explique que, l’arrêté de reconduite à la frontière n’ayant pas été abrogé, et le requérant n’ayant pas été admis au titre de l’asile sur le territoire français, il est resté assigné à résidence pendant près de deux ans jusqu’à la notification de la décision de la CNDA. Pendant cette période, il a dû se plier à une interdiction de quitter le département et à l’obligation de se présenter une fois par semaine aux services de police. Il expose également ne pas avoir pu bénéficier des mêmes aides que les demandeurs d’asile admis au séjour. Il se plaint donc d’une atteinte à sa liberté de circulation pendant une période non négligeable ainsi que d’un fort stress émotionnel.
165. Le Gouvernement considère que la constatation éventuelle par la Cour d’une violation suffirait à assurer la réparation du préjudice moral allégué.
166. La Cour rappelle qu’elle conclut à la violation des articles 13 et 3 de la Convention combinés uniquement au motif que le requérant n’a pas disposé en pratique d’un « recours effectif » pour faire valoir son grief tiré de l’article 3 de la Convention. S’il n’est pas douteux que de telles circonstances sont de nature à générer angoisse et tension, la Cour estime que, dans les circonstances de la cause, le préjudice moral dont peut en conséquence se prévaloir le requérant se trouve suffisamment réparé par le constat de violation auquel elle parvient (voir, mutatis mutandis, Gebremedhin, précité, § 79).
B. Frais et dépens
167. Le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Cour. Son conseil indique que, son client étant sans ressources, il a « fait l’avance des frais et honoraires ». Il demande 4 305,60 EUR au titre des honoraires correspondant aux diligences accomplies avant la décision sur la recevabilité et présente un état prévisionnel détaillé et ventilé des dépenses, indiquant que cette somme correspond notamment à des entretiens en langue anglaise avec le requérant, à l’étude du dossier et à la rédaction des observations écrites soumises à la Cour. Il ne demande pas le remboursement des frais et dépens exposés au niveau interne. Quant à la phase de la procédure postérieure à la décision sur la recevabilité, incluant la participation à l’audience sur le bien-fondé, le requérant demande 5 980 EUR. Le requérant indique qu’il convient de déduire les sommes versées au titre de l’assistance judiciaire.
168. Le Gouvernement estime que ces montants sont disproportionnés. Il considère qu’une somme de 1 500 EUR serait suffisante pour la phase précédant la décision sur la recevabilité. Quant à celle postérieure, il estime que les frais exposés ne sauraient raisonnablement excéder 2 000 EUR, soit une somme totale de 3 500 EUR.
169. La Cour rappelle qu’un requérant ne peut en principe obtenir un remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, aux termes de l’article 60 §§ 2 et 3 du règlement, le requérant doit soumettre des prétentions chiffrées et ventilées par rubriques et accompagnées des justificatifs pertinents, faute de quoi la chambre peut rejeter tout ou partie de celles-ci (voir, parmi d’autres, Mazelié c. France, no 5356/04, § 38, 27 juin 2006, et Gebremedhin, précité, § 82).
170. Vu la situation de demandeur d’asile puis de réfugié du requérant, la Cour ne doute pas de la réalité de son impécuniosité. Elle estime que, dans ces circonstances, il y a lieu d’allouer une somme au requérant au titre de l’avance sur honoraires que son conseil lui a concédée, et se satisfait à cet égard de l’état prévisionnel des dépenses qu’il produit.
171. Il convient cependant de prendre en compte le fait que la Cour n’a conclu en l’espèce à la violation de la Convention que pour l’un des griefs développés par le requérant, celui tiré des articles 13 et 3 de la Convention combinés. Seuls sont recouvrables au titre de l’article 41 les frais et dépens raisonnables quant à leur montant et qui ont été réellement et nécessairement engagés pour tenter de faire corriger dans l’ordre juridique interne la violation susmentionnée et pour amener la Cour à constater la violation. La Cour rejette en conséquence la demande pour le surplus (voir, par exemple, Gebremedhin, précité, § 82).
172. Ceci étant, se livrant à sa propre appréciation sur la base des informations disponibles, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant 7 000 EUR au titre des frais et dépens, moins les 2 253,75 EUR déjà perçus du Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire, soit 4 746,25 EUR.
C. Intérêts moratoires
173. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare irrecevable le grief tiré de l’article 3 de la Convention, eu égard au renvoi éventuel vers le Soudan du requérant, compte tenu de la reconnaissance du statut de réfugié dont ce dernier a fait l’objet ;
2. Dit que le requérant ayant contesté l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière devant le tribunal administratif, les recours devant la cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat n’étaient pas pertinents aux fins de l’épuisement de voies de recours internes, et rejette l’exception d’irrecevabilité présentée par le Gouvernement à cet égard ;
3. Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement relative au grief tiré de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 et décide de poursuivre l’examen de la requête, comme le prévoit l’article 37 § 1 in fine de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 ;
5. Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;
6. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
7. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 746,25 EUR (quatre mille sept cent quarante-six euros vingt-cinq centimes), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 2 février 2012.
Stephen
Phillips Dean
Spielmann
Greffier adjoint Président