PREMIÈRE
SECTION
AFFAIRE IOANNIS PAPAGEORGIOU c. GRÈCE
(Requête
no 45847/09)
ARRÊT
STRASBOURG
24
octobre 2013
Cet
arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44
§ 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ioannis Papageorgiou c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première
section), siégeant en une chambre composée de :
Isabelle Berro-Lefèvre,
présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le
1er octobre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une Requête (no 45847/09) dirigée contre la
République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ioannis
Papageorgiou (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 août 2009 en
vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales (« la Convention »).
. Le requérant a
été représenté par Mes V. Dimakopoulos et S. Aggelis, avocats à
Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté
par les délégués de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, conseillère
auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. I. Bakopoulos, auditeur auprès du
Conseil juridique de l’Etat.
. Le requérant
allègue en particulier une violation de l’article 6 §§1 et 3 a), c) et d) de la
Convention.
. Le 31 août
2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article
29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en
même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
. Le requérant
est né en 1962 et réside à Athènes.
. Accusé de
faux, usage de faux et captation de fausse attestation, le requérant déposa
devant le lieutenant de la gendarmerie maritime qui menait l’instruction, le 26
avril 1994, des observations relatives à sa défense. Il y déclarait comme
adresse de son domicile le 9, rue Efpalinou à Athènes. Il avait déclaré la même
adresse lors de l’enquête préliminaire, le 16 mars 1994.
. Le 27 décembre
1995, le requérant fut cité à comparaître à l’audience devant le tribunal
correctionnel du Pirée, qui était fixée au 20 février 1996. N’ayant pas trouvé
le requérant ou un proche à l’adresse déclarée (9, rue Efpalinou) et ayant
appris que celui-ci avait déménagé, l’huissier de justice chargé de la
signification suivit la procédure prévue pour les personnes de domicile inconnu
et déposa la citation à la mairie d’Athènes.
. Le 20 février
1996, le tribunal correctionnel du Pirée condamna le requérant par contumace à
une peine d’emprisonnement de onze mois, commuée en sanction pécuniaire, pour
faux, usage de faux et captation de fausse attestation, infractions commises à
répétition.
. Le bordereau
de notification du jugement du tribunal correctionnel porte la date du 25
novembre 1997. Toutefois, comme l’huissier de justice chargé de la
signification ne trouva au domicile déclaré du requérant ni celui-ci ni aucune
des personnes mentionnées à l’article 156 § 1 du code de procédure pénale, il
remit le jugement au fonctionnaire de la mairie d’Athènes désigné en vertu de l’article
156 § 2 du même code, lequel afficha le jugement dans un lieu public prévu à
cet effet.
. Le requérant affirme
avoir eu connaissance du jugement de manière fortuite, le 30 décembre 2006,
lorsqu’il fit une demande d’établissement d’un passeport.
. Le 4 janvier
2007, il interjeta appel contre le jugement. Il se prévalait de la nullité de
sa signification au motif qu’elle avait été faite selon la procédure pour les
personnes à domicile inconnu et non à l’adresse qui était connue des autorités
judiciaires. Il indiquait comme adresse de son domicile le 86, rue Filonos au
Pirée.
. Le 6 février
2007, la cour d’appel du Pirée rejeta l’appel comme tardif. Elle considéra que
depuis le 27 décembre 1995, le requérant était une personne à domicile inconnu.
Ceci était confirmé par l’huissier de justice qui l’avait recherché au 9, rue
Efpalinou à Athènes et qui avait constaté que ni le requérant ni aucune autre
personne au nombre de celles mentionnées à l’article 156 du code de procédure
pénale ne résidait à cette adresse et que le requérant n’avait donné aucune
information quant à son nouveau domicile.
. Le 16 mai
2007, le requérant se pourvut en cassation. Ses moyens de cassation se
fondaient sur le manque de motivation de l’arrêt de la cour d’appel concernant
la nullité de la signification du jugement, la non-prise en considération de
certains moyens de preuve et la violation de l’article 2 du Protocole no
7. Dans son pourvoi et ses observations complémentaires du 18 février
2008, il exposait que la signification avait été faite en violation des
dispositions pertinentes du code de procédure pénale et soulignait que la
signification du jugement aurait dû être faite par voie d’affichage sur la
porte de son domicile et que, de toute manière, son domicile professionnel, au 133,
rue Filonos au Pirée, était déjà connu des autorités. Il soulignait, en outre,
que l’arrêt de la cour d’appel n’énonçait pas qu’il avait omis de signaler un
changement d’adresse en méconnaissance de l’article 273 § 1 c) du code de
procédure pénale ou que sa nouvelle adresse n’était pas connue du parquet.
. Par un arrêt
du 20 février 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima que la
cour d’appel avait suffisamment motivé sa décision. Elle considéra, entre
autres, que la cour d’appel n’avait pas à motiver davantage sa décision, compte
tenu du fait que le requérant n’avait pas précisé dans son acte d’appel s’il
avait informé le parquet (et de quelle manière) de son adresse, mais avait seulement
soutenu de manière vague qu’il avait un domicile connu.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE
INTERNES PERTINENTS
. Les
dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent ainsi :
Article 155 - Signification
« 1. La signification s’effectue avec la
remise du document par huissier de justice (...) en mains propres à l’intéressé
(...). Si le destinataire n’est pas trouvé à son domicile ou à sa résidence ou
à son commerce ou à l’atelier ou au bureau où il exerce sa profession (...), le
document est délivré à l’une des personnes qui habitent avec lui, même à titre
temporaire (...) ou à quelqu’un qui travaille au [même] commerce, atelier ou
bureau. (...)
2. (...) Si aucune des personnes mentionnées au
paragraphe précédent ne se trouve au domicile, celui qui est chargé de la
signification doit coller le document sur la porte du domicile devant témoin
(...) »
Article 156 - Signification aux personnes de
domicile inconnu
« 1. Lorsque l’intéressé est introuvable à
son domicile [supposé] et que son domicile [actuel] est inconnu, le document
est délivré à son conjoint ou, à défaut de conjoint, à [l’un de] ses parents,
frères et sœurs, ou autres proches (...).
2. Si aucune des personnes mentionnées au
paragraphe précédent ne se trouve au domicile de l’intéressé, la notification s’effectue
auprès du maire ou d’un employé de la mairie ou (...), qui s’engagent à afficher
ledit document dans un lieu public (...). »
Article 273 - Examen de l’accusé
« 1. Lorsque l’accusé se présente
devant le juge d’instruction ou le procureur, le juge de paix ou les agents d’instruction
prévus par les articles 33 et 34, ceux-ci doivent vérifier son identité tout en
l’invitant à déclarer son adresse actuelle ou sa résidence. Ces éléments sont
enregistrés dans le procès-verbal (...). c) (...) La déclaration de tout
changement d’adresse, et (...) du nouveau lieu de résidence, doit se faire par
écrit auprès du procureur ayant engagé les poursuites pénales ou du procureur près
le tribunal devant lequel l’affaire est pendante (...). d) L’organe [chargé] de
l’instruction ou de la procédure préliminaire rappelle à l’accusé son
obligation selon l’alinéa précédent ainsi que les conséquences en cas d’omission.
Mention en est faite au procès-verbal (...) »
. Est
considérée comme ayant un « domicile inconnu » toute personne qui, au
moment de la signification, est introuvable à son domicile supposé, et dont le
domicile actuel est inconnu de l’autorité judiciaire qui ordonne la
signification d’un document (Cour de cassation 436/1995, Poinika Khronika
1995, 756, Cour de cassation 167/1998, Poinika Khronika 1998, 792,
Cour de cassation 169/1998, Poiniki Dikonomia 1998, 652). La Cour
de cassation a jugé que la signification d’une citation à comparaître ou d’une
décision judiciaire est nulle si l’accusé n’a pas été recherché à son domicile
et si la citation ou la décision se sont vu directement appliquer les modalités
de signification propres aux personnes de domicile inconnu (Cour de cassation
941/1987, Poinika Khronika 1997, 785).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 DE LA CONVENTION
. Invoquant l’article
6 § 1 et 6 § 3 a) c) et d) de la Convention, le requérant se plaint d’une
violation de son droit à un procès équitable et de son droit d’accès à un
tribunal en raison du fait que les significations de la citation à comparaître
devant le tribunal correctionnel et du jugement le condamnant ont été
effectuées selon la procédure de signification aux personnes de domicile inconnu,
alors que son domicile était connu et déclaré aux autorités de poursuite. Les
articles susmentionnés sont ainsi libellés :
« 1. Toute personne a droit à ce
que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée
contre elle.(...)
(...)
3. Tout accusé a droit notamment
à :
a) être informé, dans le plus court
délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature
et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
(...)
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance
d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un
défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque
les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les
témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à
décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
(...)
. En premier
lieu, le requérant allègue une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a), c) et d),
en raison du fait que la citation à comparaître et la signification du jugement
du tribunal correctionnel ont eu lieu selon la procédure de signification à des
personnes de domicile inconnu, alors qu’il avait indiqué son adresse aux
autorités au stade de l’instruction de son affaire. Il s’ensuit que l’affichage
du jugement dans un lieu public n’était pas un mode de communication valable et
que le délai pour interjeter appel n’avait pas couru. Le requérant soutient, en
outre, que la Cour de cassation n’a pas répondu au moyen de cassation selon
lequel tant la signification de la citation à comparaître que celle du jugement
étaient nulles.
. En deuxième
lieu, le requérant allègue une violation de son droit d’accès à un tribunal,
garanti par l’article 6 § 1. A cet égard, il soutient que la Cour de cassation
n’a pas examiné les moyens de cassation relatifs : à la nullité de la
signification de la citation à comparaître et de celle du jugement, pour avoir
été faites selon les modalités applicables aux personnes de domicile inconnu,
alors qu’il avait une adresse connue des autorités ; à la violation du droit
d’accès à un tribunal ainsi que de l’article 2 du Protocole no
7 ; au fait que les autorités connaissaient son adresse professionnelle et
que les significations auraient dû avoir lieu à celle-ci.
. En troisième
lieu, le requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 en ce que les
juridictions nationales n’ont pas suffisamment motivé leurs décisions. En
premier lieu, la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur la nullité alléguée de
la signification de la citation à comparaître, n’a pas indiqué sur quels
éléments de preuve elle s’est fondée pour prendre sa décision et n’a pas tenu
compte de certains éléments considérés comme importants par le requérant. En
deuxième lieu, la Cour de cassation n’a pas répondu aux moyens relatifs à la
nullité de la signification de la citation à comparaître et de tous les actes
ultérieurs.
. La Cour note
que ces divers griefs, d’une part, se confondent et, d’autre part, se fondent
sur les mêmes faits : l’utilisation de la procédure de signification aux
personnes de domicile inconnu, qui a conduit à sa condamnation in absentia,
et à l’impossibilité de se défendre contre les accusations dirigées contre lui,
notamment en raison du fait que la cour d’appel et la Cour de cassation ont
rejeté ses recours.
. Dans la
mesure où les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention s’analysent
en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le
paragraphe 1, la Cour examinera l’ensemble des griefs du requérant en même
temps sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, notamment, Van Geyseghem
c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I ; Krombach c. France,
no 29731/96, § 82, CEDH 2001-II).
A. Sur la recevabilité
1. Non-épuisement des voies de recours
internes
. En premier
lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de
recours internes, faute de s’être fondé devant la Cour de cassation sur l’article
6 §§ 1 et 3 de la Convention ou d’avoir invoqué en substance la violation de
son droit à un procès équitable et de ses droits de la défense.
. Le requérant
rétorque qu’il a soulevé en substance dans ses pourvois l’atteinte à son droit
à un procès équitable. Il souligne que selon la jurisprudence de la Cour de
cassation, la violation de l’article 6 ne constitue pas un moyen de pourvoi
autonome, mais est examinée in concreto à l’occasion de l’examen d’un
des motifs de pourvoi prévus par le code de procédure pénale.
. La Cour
rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit s’appliquer
avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, mais qu’elle n’exige
pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes et l’exercice
de recours destinés à combattre une décision litigieuse déjà rendue qui viole prétendument un
droit garanti par la Convention : elle oblige aussi, en principe, à
soulever devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les
formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend
formuler par la suite au niveau international (voir, parmi beaucoup d’autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I ; Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00,
§ 38, CEDH 2004-III).
. Or, la Cour
note que dans son pourvoi en cassation, le requérant se plaignait du manque de
motivation de l’arrêt de la cour d’appel concernant la nullité de la
signification du jugement, la non prise en considération de certains moyens de
preuve et la violation de l’article 2 du Protocole no 7. Dans ses
observations complémentaires, il soutenait que la signification avait été faite
en violation des dispositions pertinentes du code de procédure pénale et
soulignait que son domicile (qu’il s’agisse de son domicile privé - 9, rue
Efpalinou - ou de son domicile professionnel) était connu des autorités et que
la signification du jugement aurait dû être faite par voie d’affichage sur la
porte de son domicile. Il soulignait, en outre, que l’arrêt de la cour d’appel
ne concluait pas à une omission de sa part de signaler conformément à l’article
273 § 1 c) du code de procédure pénale une nouvelle adresse qui eût été inconnue
du parquet.
. La Cour
considère que le requérant, sans s’appuyer en termes exprès sur l’article 6 de
la Convention, puisait dans le droit interne de son pays des arguments qui
équivalaient à dénoncer, en substance, une atteinte aux droits invoqués devant
elle. Il a ainsi donné à la Cour de cassation l’occasion d’éviter ou redresser
les violations alléguées, conformément à la finalité de l’article 35 § 1.
Partant, il échet de rejeter l’exception.
2. Absence de préjudice important
. En second lieu,
le Gouvernement soutient que la Requête devrait être déclarée irrecevable en
application du nouveau critère prévu par l’article 35 § 3 b) de la Convention.
Le Gouvernement allègue à ce propos que le requérant n’a subi aucun
préjudice important compte tenu des faits suivants : le requérant a été
condamné à une sanction pécuniaire d’un montant peu élevé ; sa Requête ne
soulève pas des questions d’intérêt général et ne révèle pas l’existence d’un
problème systémique affectant d’autres personnes que le requérant ; l’affaire
a été soumise à trois degrés de juridiction, et la cour d’appel et la Cour de
cassation ont déjà examiné, selon le requérant lui-même, les griefs que
celui-ci invoque maintenant devant la Cour.
. Le requérant
ne présente pas d’observations sur ce point.
. La Cour observe
qu’aux termes de l’article 35 § 3 b) de la Convention, tel qu’amendé par le
Protocole no 14, entré en vigueur le 1er juin
2010 : « La Cour déclare irrecevable toute Requête individuelle
introduite en application de l’article 34 lorsqu’elle estime (...) que le
requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de
l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la
Requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a
pas été dûment examinée par un tribunal interne. »
. Issue du
principe de minimis non curat praetor, la nouvelle condition de
recevabilité renvoie à l’idée que la violation d’un droit, quelle que soit sa
réalité d’un point de vue strictement juridique, doit atteindre un seuil
minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale
(Korolev c. Russie (déc.), nº 25551/05, 1er juillet 2010).
L’appréciation de ce seuil est, par nature, relative et dépend des
circonstances de l’espèce. Cette appréciation doit tenir
compte tant de la perception subjective du requérant que de l’enjeu objectif du
litige (Gagliano Giorgi c. Italie, no 23563/07, § 55, 6 mars
2012).
. Au vu des
critères se dégageant de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’afin
de vérifier si la violation d’un droit atteint le seuil minimum de gravité, il
y a lieu de prendre en compte notamment les éléments suivants : la nature
du droit prétendument violé, la gravité de l’incidence de la violation alléguée
dans l’exercice d’un droit et/ou les conséquences éventuelles de la violation
sur la situation personnelle du requérant (Giusti c.
Italie, no 13175/03, § 34, 18 octobre 2011 et Gagliano Giorgi c. Italie, précité, § 56).
. En l’espèce,
la Cour note que le requérant a été poursuivi pour diverses infractions au code
pénal et condamné par le tribunal correctionnel à une peine de onze mois d’emprisonnement,
commuée en une sanction pécuniaire de 1 452 euros, somme à laquelle s’est
ajoutée celle de 548 euros pour frais de justice. La Cour souligne, en outre,
que le requérant a été condamné par contumace et n’a jamais eu la possibilité
de se défendre au fond, compte tenu que la cour d’appel a rejeté son appel
comme tardif. Enfin, la Cour rappelle qu’elle a rendu récemment certains arrêts
concernant la Grèce qui avaient trait à des problèmes d’irrégularités dans la
signification d’actes et de décisions de justice divers: Elyasin c.
Grèce, no 46929/06, 28 mai 2009, Popovitsi c. Grèce,
no 53451/07, 14 janvier 2010 et Drakos c. Grèce, no
48289/07, 13 janvier 2011.
34. La Cour en
déduit que dans la présente affaire, la première condition de l’article 35 § 3
b) de la Convention, à savoir l’absence de préjudice important pour le
requérant, n’a pas été remplie. Partant, l’exception du Gouvernement doit être
rejetée.
3. Conclusion
. La Cour
constate que la Requête n’est pas manifestement
mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par
ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient
donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
. Le
Gouvernement souligne que le requérant savait qu’une procédure pénale était
pendante contre lui depuis 1994. Comme il avait changé d’adresse, il aurait dû
le déclarer sans tarder au parquet, ce qu’il n’a pourtant fait que douze ans
après l’établissement de l’acte d’accusation et dix ans après le jugement de
première instance. Il est donc évident qu’alors qu’il était au courant de la
procédure à son encontre et avait déjà présenté sa défense, il s’est
désintéressé de l’évolution de cette procédure. Le requérant n’a donc pas
respecté l’obligation de déclarer tout changement d’adresse posée par l’article
273 § 1 c), ce qui a eu pour résultat que tous les documents de l’instruction ainsi
que le jugement ont été valablement signifiés à l’adresse qu’il avait
initialement déclarée.
. Le requérant
rétorque que le fait qu’il avait présenté sa défense, les 16 mars et 27 avril
1994, devant les autorités menant l’enquête préliminaire et l’instruction ne
signifie pas qu’il savait que leur aboutissement serait son renvoi en jugement.
Il expose qu’il n’était pas représenté par un avocat et que même s’il a été
informé de ses droits de défense, rien ne lui avait été dit concernant la
signification des documents et les déclarations à faire en cas de changement d’adresse.
Le requérant insiste sur le fait que le parquet aurait dû signifier la citation
à comparaître et le jugement à l’adresse indiquée, soit au 9, rue Efpalinou, et
non à la mairie d’Athènes, ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants.
. Le requérant
soutient que les juridictions grecques n’ont pas examiné l’existence d’un autre
domicile connu selon lui des autorités à savoir son adresse professionnelle, à
laquelle des documents lui avaient d’ailleurs été signifiés dans d’autres
affaires le concernant pendant la même période. Le requérant reproche, en
outre, à la Cour de cassation d’avoir interprété de manière trop formaliste la
législation pertinente et de l’avoir ainsi privé de son droit à voir le fond de
son affaire examiné à nouveau en sa présence.
. La Cour
rappelle que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès
constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations
implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours,
car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel
jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces
limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière
ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa
substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1
que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup
d’autres, Edificaciones March
Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998-I ;
Liakopoulou c. Grèce, no 20627/04, § 17, 24 mai 2006 ; Elyasin
c. Grèce, précité, § 26).
. Par ailleurs,
la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que la comparution d’un prévenu revêt
une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que
de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les
confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts,
ainsi que ceux des témoins. Une procédure se déroulant en l’absence du prévenu
n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention s’il peut
obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir
entendu, sur le bien-fondé des accusations en fait comme en droit (Colozza
c. Italie, 12 février 1985, § 29, série A nº 89 ; Medenica
c. Suisse, 14 juin 2001, nº 20491/92, § 54, CEDH 2001-VI).
. En l’occurrence,
la Cour note tout d’abord que le régime grec de la signification aux personnes
« de domicile inconnu » vise à assurer la sécurité juridique et n’est
pas en soi incompatible avec les exigences d’un procès équitable (Elyasin et Drakos précités, §§ 30 et 36
respectivement).
Il convient de plus de déterminer si son application dans le cas d’espèce n’a
pas privé le requérant de son droit d’accès à un tribunal.
. La Cour
observe que l’article 273 § 1 du code de procédure pénale prévoit explicitement
que tout changement d’adresse de l’accusé doit être déclaré par écrit auprès du
procureur ayant engagé les poursuites pénales ou devant le procureur auprès du
tribunal devant lequel l’affaire est pendante. Or, en l’espèce, le requérant ne
s’est pas conformé à cette obligation, alors même qu’il avait déjà été entendu
et avait déposé des observations pour sa défense les 16 mars et 27 avril 1994,
dans le cadre de l’instruction de la procédure pénale en cause. En d’autres
termes, il était au courant qu’une procédure pénale était engagée contre lui (Drakos,
précité, § 37).
. La Cour note
ainsi que l’affaire se distingue clairement de l’affaire Popovitsi
c. Grèce (53451/07, 14 janvier 2010) où elle a
constaté que le refus du tribunal compétent de
prononcer l’annulation de la décision condamnatoire qui avait été notifiée à la
requérante comme étant « de domicile inconnu », avait violé le droit
d’accès à un tribunal. En effet, dans cette affaire la requérante n’a, à aucun
stade de la procédure au fond, eu connaissance des poursuites pénales engagées
à son encontre (Popovitsi, précité, § 20). Par conséquent, à la
différence de la présente affaire, la requérante dans l’affaire Popovitsi n’était
pas tenue, selon l’article 273 § 1 du code de procédure pénale, d’informer le
procureur du changement éventuel de son lieu de résidence (Drakos,
précité, § 38).
. La Cour ne
peut souscrire à l’argument du requérant selon lequel il ne bénéficiait pas à l’époque
de l’assistance d’un avocat pour le conseiller, d’autant plus que lui-même
admet qu’il était partie à d’autres procédures se déroulant devant d’autres
juridictions pendant la même période. Rien ne le dispensait
donc de son obligation d’informer le procureur compétent de sa nouvelle adresse,
comme le prévoyait explicitement le code de procédure pénale (Drakos,
précité, § 39). Faute d’une telle démarche, l’huissier de justice a
raisonnablement conclu que le requérant avait déménagé à une adresse inconnue,
au moment où il lui a notifié la citation à comparaître et, ensuite, le
jugement condamnatoire. Il convient sur ce point de rappeler que lorsque l’huissier
de justice s’est rendu à l’adresse 9, rue Efpalinou pour notifier au requérant
la citation à comparaître, il a constaté que ni le requérant ni aucun membre de
sa famille n’habitait à cette adresse. Or, interdire au parquet, lorsqu’il cite
à comparaître des accusés qui ont changé entretemps d’adresse sans le signaler,
de faire usage de la procédure de communication applicable aux personnes de
domicile inconnu, reviendrait à l’obliger à rechercher en vain des contumax
pendant de longues périodes, ce qui risquerait d’entraîner la prescription de l’infraction.
Et c’est du reste ce qui se serait passé en l’espèce, car si la cour d’appel avait
accueilli la demande de réexamen du requérant, elle n’aurait pu examiner l’affaire
quant au fond, puisque les infractions litigieuses auraient alors été
prescrites.
. Au vu de ce
qui précède, la Cour considère que la cour d’appel d’Athènes n’a pas fait
preuve d’une rigidité excessive en déclarant l’appel du requérant tardif. L’obligation
prévue par l’article 273 § 1 du code de procédure pénale ne lui imposait pas
une charge disproportionnée et il aurait pu facilement la satisfaire. En d’autres
termes, il pouvait faire preuve d’un minimum de diligence au cours de la
procédure en cause et se conformer à la condition prévue par l’article 273 § 1
du code de procédure pénale.
. Par
conséquent, l’application dans le cas d’espèce du régime de la signification des
actes décisions de justice aux personnes « de domicile inconnu » et
le rejet de l’appel du requérant pour tardiveté n’ont pas méconnu son droit d’accès
à un tribunal.
. Il n’y a donc
pas eu violation des dispositions de l’article 6 invoquées par le requérant.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu
violation de l’article 6 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 24 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Isabelle Berro-Lefèvre
Greffier Présidente