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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BOLECH v. SWITZERLAND - 30138/12 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 1054 (29 October 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1054.html
Cite as: [2013] ECHR 1054

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE BOLECH c. SUISSE

     

    (Requête no 30138/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    29 octobre 2013

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Bolech c. Suisse,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 30138/12) dirigée contre la Confédération suisse (« la Suisse ») et dont un ressortissant ayant la double nationalité suisse et croate, M. Vedran Bolech (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant, actuellement détenu dans une prison à Zürich, est représenté par Me M. Mensik, avocat à Meggen. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Schürmann, de l’Office fédéral de la justice.

    3.  Le requérant reproche aux autorités d’avoir procédé, à l’appui de son arrestation le 14 septembre 2011 et de sa mise en détention provisoire consécutive, à une évaluation d’un risque de fuite de sa part basée sur des critères discriminatoires et spéculatifs, incompatibles avec l’article 14 de la Convention lu conjointement avec l’article 5 § 1 de la Convention.

    4.  Le 18 octobre 2012, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la Requête au Gouvernement eu égard à la violation alléguée de l’article 5 § 1 alinéa c) de la Convention. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, elle a en outre décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

    5.  Par une lettre du 24 octobre 2012, les parties ont été informées que la présidente de la section avait décidé, en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour, que la Requête serait traitée en priorité.

    6.  Les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre. Le gouvernement croate n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    7.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

    8.  Le requérant, né en Croatie, habite en Suisse depuis plus de vingt ans et a été naturalisé en 2008. Il a travaillé dans ce pays comme infirmier anesthésiste et sa femme l’a rejoint en 2008. Son ex-épouse et ses deux premiers fils, de nationalité suisse, habitent également en Suisse.

    9.  Le 14 septembre 2011, le requérant fut arrêté par la police sur la base de soupçons de commission de multiples actes d’ordre sexuel perpétrés sur des femmes incapables de discernement ou de résistance pendant qu’elles se trouvaient en salle de réveil après une opération.

    10.  Par une ordonnance du 16 septembre 2011, le tribunal des mesures de contrainte (Zwangsmassnahmengericht) du canton de Zürich ordonna la détention provisoire du requérant jusqu’au 31 octobre 2011.

    11.  Le 1er novembre 2011, ce tribunal prolongea la détention provisoire de l’intéressé jusqu’au 1er janvier 2012.

    12.  Le recours du requérant contre cette décision fut rejeté par le tribunal cantonal du canton de Zürich le 29 novembre 2011.

    13.  Le 13 janvier 2012, le Tribunal fédéral annula la décision du tribunal cantonal en raison d’une violation du droit d’être entendu, cette juridiction n’ayant pas accordé le droit de répliquer au requérant, et il renvoya l’affaire devant l’instance inférieure.

    14.  Après avoir accordé au requérant le droit de répliquer, le 27 janvier 2012, le tribunal cantonal confirma sa décision du 29 novembre 2011 et rejeta le recours du requérant. Il confirma l’existence de sérieux soupçons de culpabilité pesant sur ce dernier, ainsi qu’un danger de collusion et un risque de fuite. Il considéra les mesures de substitution à la détention provisoire comme étant insuffisantes et la durée de la détention conforme au principe de proportionnalité. Par ailleurs, il prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 31 janvier 2012.

    15.  Entretemps, par une décision du 26 janvier 2012, le tribunal des mesures de contrainte prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 30 avril 2012. Sur recours du requérant, le tribunal cantonal confirma cette prolongation le 1er mars 2012.

    16.  Le 2 mars 2012, le requérant forma un recours contre la décision du tribunal cantonal du 27 janvier 2012 concernant la prolongation de sa détention provisoire jusqu’au 31 janvier 2012. Le 12 mars 2012, le requérant forma également un recours contre la décision du même tribunal du 1er mars 2012. A l’appui de ses deux recours, le requérant contesta l’existence de sérieux soupçons de culpabilité, d’un danger de collusion et d’un risque de fuite, et il soutint ainsi que les conditions justifiant sa détention provisoire n’étaient pas remplies. Il indiqua que son centre d’intérêts se trouvait en Suisse et que son origine croate seule ne suffisait pas pour supposer un risque de fuite de sa part. En outre, il affirma que les instances inférieures n’avaient pas suffisamment examiné la possibilité de substituer des mesures alternatives à la détention provisoire. Enfin, il se plaignit d’une violation du principe de célérité par les autorités au motif qu’aucune audience n’avait eu lieu dans le cadre de la procédure pénale depuis le mois de décembre 2011.

    17.  Par un arrêt du 28 mars 2012, le Tribunal fédéral estima que les juridictions inférieures n’avaient pas violé le principe de proportionnalité et il rejeta les deux recours du requérant. Il confirma l’existence de sérieux soupçons de culpabilité et constata un risque de fuite considérable. A ce titre, il releva que le requérant, de double nationalité suisse et croate, avait conservé des liens forts avec son pays d’origine, qu’il y passait ses vacances, que sa mère, avec laquelle il entretenait de bonnes relations, vivait en Croatie, que sa femme, de nationalité croate, parlait seulement un peu l’allemand et n’était venue en Suisse qu’en 2008, et que son troisième enfant, issu de son second mariage, était encore très jeune. Il nota également que le requérant soutenait lui-même avoir seulement un petit cercle de connaissances en Suisse et que, à cause de la procédure pénale entamée à son encontre, ses perspectives professionnelles en Suisse étaient fortement compromises notamment au vu d’une possible interdiction d’exercer son activité en vertu de l’article 67 du code pénal (paragraphe 23 ci-dessous). De plus, il releva que la Croatie n’extradait pas ses propres nationaux. Sur la base de ces différents éléments, il entérina le constat d’un risque de fuite considérable. S’agissant des mesures de substitution, le Tribunal fédéral estima que, en raison du risque de fuite considérable ainsi établi, une saisie des documents officiels du prévenu ne suffisait pas étant donné que les autorités croates pouvaient toujours lui en délivrer. Quant à la mise en place de sûretés, il considéra que le requérant n’avait que des moyens financiers limités, compte tenu de la situation de sa femme qui bénéficiait de prestations sociales. Il conclut également que ni une obligation de se présenter régulièrement à un service administratif ni une assignation à résidence sous surveillance électronique ne suffisaient pour prévenir le risque de fuite du requérant, étant donné que ces mesures permettaient seulement de constater une fuite mais non de l’éviter, et que, de plus, les infrastructures techniques pour la surveillance électronique n’avaient pas encore été mises en place dans le canton de Zürich. Le Tribunal fédéral rejeta enfin le grief du requérant concernant la violation du principe de célérité.

    18.  Le 27 avril 2012, le tribunal des mesures de contrainte prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 30 juillet 2012. Par une décision du 3 août 2012, il la prolongea ensuite jusqu’au 30 octobre 2012, puis, par une décision du 1er novembre 2012, jusqu’au 31 janvier 2013. Le tribunal cantonal confirma cette prolongation le 3 décembre 2012 pour les motifs déjà retenus par le Tribunal fédéral (paragraphe 17 ci-dessus).

    19.  Par un arrêt du 23 janvier 2013, le Tribunal fédéral rejeta le recours formé par le requérant. La juridiction suprême rappela que le requérant était accusé par onze femmes, indépendamment les unes des autres, de s’être livré sur elles à des actes d’ordre sexuel alors qu’elles étaient incapables de discernement ou de résistance, et qu’ainsi les soupçons sérieux de commission répétée de cette infraction étaient manifestement établis. Pour cette raison, le Tribunal fédéral constata qu’aucun changement essentiel n’était intervenu depuis son arrêt du 28 mars 2012 (paragraphe 17 ci-dessus). Il souligna par ailleurs que, au 31 janvier 2013, le requérant se trouverait en détention depuis quinze mois et demi et que cette durée ne pouvait être considérée comme étant proche de celle de la peine encourue en cas de condamnation. En outre, il releva qu’aucun élément ne permettait de considérer que la procédure n’était pas conduite avec la célérité requise, étant donné que le ministère public attendait encore une expertise afin de pouvoir notifier l’acte d’accusation au tribunal de première instance (article 220 du code de procédure pénale ; paragraphe 21 ci-dessous). Partant, le Tribunal fédéral jugea que le maintien en détention provisoire de l’intéressé était conforme au principe de proportionnalité et n’était pas critiquable sous un aspect temporel.

    20.  Par un fax du 2 septembre 2013, le représentant du requérant informa la Cour que la détention provisoire de ce dernier était prolongée jusqu’au 5 octobre 2013, en raison des précédents arrêts du Tribunal fédéral (mentionnés ci-dessus), et que les débats (Hauptverhandlung) auraient lieu les 3 et 4 décembre 2013 devant la cour d’arrondissement de Zürich.

     

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

    A.  Le droit interne

    21.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (« le CPP », entré en vigueur le 1er janvier 2011 ; recueil systématique no 312.0) sont libellées comme suit :

    Article 6 : Maxime de l’instruction

    « 1 (...)

    2 [Les autorités pénales] instruisent avec un soin égal les circonstances qui peuvent être à la charge et à la décharge du prévenu. »

    Article 220 : Définitions

    « 1 La détention provisoire commence au moment où le tribunal des mesures de contrainte l’ordonne et s’achève lorsque l’acte d’accusation est notifié au tribunal de première instance, que le prévenu commence à purger sa sanction privative de liberté de manière anticipée ou qu’il soit libéré pendant l’instruction.

    2 (...) »

    Article 221 : Conditions

    « 1 La détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté ne peuvent être ordonnées que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d’avoir commis un crime ou un délit et qu’il y a sérieusement lieu de craindre :

    a. qu’il se soustraie à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en prenant la fuite ;

    b. qu’il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuves ;

    c. qu’il compromette sérieusement la sécurité d’autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre.

    2 (...) »

    Article 237 : Dispositions générales

    « 1 Le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté si ces mesures permettent d’atteindre le même but que la détention.

    2 Font notamment partie des mesures de substitution :

    a. la fourniture de sûretés ;

    b. la saisie des documents d’identité et autres documents officiels ;

    c. l’assignation à résidence ou l’interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble ;

    d. l’obligation de se présenter régulièrement à un service administratif ;

    e. l’obligation d’avoir un travail régulier ;

    f. l’obligation de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles ;

    g. l’interdiction d’entretenir des relations avec certaines personnes.

    3 Pour surveiller l’exécution de ces mesures, le tribunal peut ordonner l’utilisation d’appareils techniques qui peuvent être fixés à la personne sous surveillance.

    4 Les dispositions sur la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté s’appliquent par analogie au prononcé des mesures de substitution ainsi qu’au recours contre elles.

    5 Le tribunal peut en tout temps révoquer les mesures de substitution, en ordonner d’autres ou prononcer la détention provisoire ou la détention pour des motifs de sûreté si des faits nouveaux l’exigent ou si le prévenu ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées. »

    22.  Le CPP prévoit une procédure simplifiée à condition que le détenu, jusqu’à la mise en accusation, reconnaisse les faits déterminants qui lui sont reprochés.

    Article 358 : Principes

    « 1 Jusqu’à la mise en accusation, le prévenu qui a reconnu les faits déterminants pour l’appréciation juridique ainsi que, au moins dans leur principe, les prétentions civiles peut demander l’exécution d’une procédure simplifiée au ministère public.

    2 La procédure simplifiée est exclue lorsque le ministère public requiert une peine privative de liberté supérieure à cinq ans. »

    23.  Le code pénal suisse du 21 décembre 1937 (« le CP » ; recueil systématique no 311.0) sanctionne l’acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, en tant que crime, par une peine privative de liberté pouvant aller, si les conditions de l’article 49 CP sont remplies, jusqu’à quinze ans. En outre, le juge peut combiner cette peine avec l’interdiction d’exercer une profession.

     

    Article 49 : Concours

    « 1 Si, en raison d’un ou de plusieurs actes, l’auteur [d’une infraction] remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l’infraction la plus grave et l’augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine.

    2-3 (...) »

    Article 67 : Interdiction d’exercer une profession

    « 1 Si l’auteur [d’une infraction] a commis un crime ou un délit dans l’exercice d’une profession, d’une industrie ou d’un commerce et qu’il a été condamné pour cette infraction à une peine privative de liberté de plus de six mois ou à une peine pécuniaire de plus de 180 jours-amende, le juge peut lui interdire totalement ou partiellement l’exercice de cette activité ou d’activités comparables pour une durée de six mois à cinq ans s’il y a lieu de craindre de nouveaux abus.

    2 (...)»

    Article 191 : Actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance

    « Celui qui, sachant qu’une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l’acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d’ordre sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d’une peine pécuniaire. »

    B.  La pratique interne

    24.  Depuis 1999, les cantons de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, de Berne, de Vaud, de Genève et du Tessin, rejoints en 2003 par le canton de Soleure, mènent des essais de surveillance électronique limités dans le temps. Lors de sa séance du 4 décembre 2009, le Conseil fédéral a pris l’arrêté suivant :

    « 1 [L]es cantons de Berne, de Soleure, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, du Tessin, de Vaud et de Genève sont autorisés :

    a. à faire exécuter des peines privatives de liberté de 20 jours à un an sous surveillance électronique à l’extérieur d’un établissement ;

    b. à faire exécuter les soldes de peines privatives de liberté de longue durée à la fin ou en lieu et place du travail externe sous surveillance électronique à l’extérieur d’un établissement pour une durée d’un mois à un an.

    2 Le recours à des dispositifs de surveillance fondés sur l’emploi de satellites («Global Positioning System», GPS) est prohibé pour l’exécution des peines privatives de liberté sous surveillance électronique à l’extérieur d’un établissement. (...)

    4 La validité des autorisations expire le jour où l’exécution des peines sous surveillance électronique est réglée par la loi, mais au plus tard le 31 décembre 2015. (...) »

    25.  Dans son rapport intitulé « l’exécution des peines sous surveillance électronique : une vue d’ensemble » de février 2007, l’Office fédéral de la justice résuma la situation actuelle en Suisse de la manière suivante :

    « Depuis 1999, les cantons de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, de Berne, de Vaud, de Genève et du Tessin, rejoints en 2003 par le canton de Soleure, mènent des essais temporaires de surveillance électronique des détenus (aussi connue sous le nom d’electronic monitoring). Ce mode alternatif d’exécution des peines - un bracelet électronique en lieu et place de l’incarcération dans un établissement pénitentiaire - est utilisé avant tout en cas de peine de courte durée (20 jours à un an). Il peut aussi être appliqué, quoique plus rarement, à des personnes frappées d’une longue peine qui vont bientôt bénéficier d’une libération conditionnelle ou à des personnes dont la période de semi-liberté touche à sa fin ; il s’agit alors d’une phase supplémentaire de l’exécution progressive de la peine.

    Les rapports d’évaluation [de] 2003 et 2004 ont conclu à un bilan positif de ces essais. Pourtant, de nombreux cantons y sont opposés ou réticents. En outre, la nouvelle partie générale du code pénal, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2007, remplacera les peines de courte durée par des peines pécuniaires et du travail d’intérêt général, faisant ainsi disparaître le principal domaine d’application de la surveillance électronique.

    Le Conseil fédéral a donc décidé de n’autoriser la poursuite des essais que pour un an. Pour les mêmes raisons, il a refusé la demande du canton de Fribourg qui désirait se joindre à l’expérience. »

    26.  Par ailleurs, dans sa décision RR.2009.329 du 24 novembre 2009, le Tribunal pénal fédéral a ordonné la mise en liberté de Roman Polanski, détenu en vue d’une extradition vers les Etats-Unis où il était recherché pour un crime punissable de trente ans, contre le dépôt d’une caution de 4 500 000 francs suisses (CHF), soit 3 654 000 euros (EUR), la saisie de ses documents d’identité, une assignation à résidence et le port d’un bracelet électronique dans l’attente d’une éventuelle extradition.

    C.  Le droit international

    27.  Selon l’article premier de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, entrée en vigueur en Suisse et en Croatie respectivement le 20 mars 1967 et le 25 avril 1995, « [l]es Parties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante ». Concernant l’extradition des nationaux, l’article 6 de la Convention européenne d’extradition est libellé comme suit :

    « 1.

    (a) Toute Partie contractante aura la faculté de refuser l’extradition de ses ressortissants.

    (b) Chaque Partie contractante pourra, par une déclaration faite au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification ou d’adhésion, définir, en ce qui la concerne, le terme «ressortissants» au sens de la présente Convention.

    (c) La qualité de ressortissant sera appréciée au moment de la décision sur l’extradition. Toutefois, si cette qualité n’est reconnue qu’entre l’époque de la décision et la date envisagée pour la remise, la Partie requise pourra également se prévaloir de la disposition de l’alinéa a du présent paragraphe.

    2 Si la Partie requise n’extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la Partie requérante, soumettre l’affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s’il y a lieu. A cet effet, les dossiers, informations et objets relatifs à l’infraction seront adressés gratuitement par la voie prévue au paragraphe 1 de l’article 12. La Partie requérante sera informée de la suite qui aura été donnée à sa demande. »

    28.  En conséquence, comme le prévoit l’article 6 de la Convention européenne d’extradition, la Croatie a déposé le 25 janvier 1995 la déclaration suivante :

    « L’article 9 de la Constitution de la République de Croatie interdit l’extradition de ressortissants croates.

    Par conséquent, la République de Croatie n’accordera pas l’extradition de ses propres ressortissants. »

    29.  N’étant pas un pays membre de l’Union européenne, la Suisse n’est pas partie à la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres (Journal officiel no L 190 du 18/07/2002 p. 0001 - 0020).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

    30.  Le requérant allègue que, en raison de sa détention provisoire ordonnée notamment, d’après lui, sur la base d’un constat de risque de fuite lié à sa possession de la nationalité croate, il a été victime d’une discrimination, fondée sur son origine, par rapport à des personnes n’ayant pas de double nationalité. De plus, il se plaint de ce que le Tribunal fédéral n’a pas dûment examiné la possibilité d’une mesure de substitution consistant en une surveillance électronique. En substance, le requérant ajoute que l’évaluation du risque de fuite par les autorités justifiant sa détention provisoire repose sur des critères incompatibles avec l’article 5 § 1 de la Convention libellé comme suit :

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

    (...)

    31.  La Cour reconnaît qu’elle a généralement examiné la question de la nécessité d’une détention provisoire ainsi que la durée adéquate de celle-ci sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention. En l’espèce, cependant, le requérant, dûment représenté par un avocat, s’est référé uniquement à l’article 5 § 1 c). La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits (Halil Yüksel Akıncı c. Turquie, no 39125/04, § 54, 11 décembre 2012 ; Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 43, CEDH 2012 ; Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), estime opportun d’examiner la présente affaire sous l’angle de l’article 5 § 1, à la lumière des principes découlant du paragraphe 3 de cette disposition, étant donné que le requérant se plaint, en substance, que sa mise en détention provisoire a d’emblée été illégale à défaut d’un risque de fuite suffisant (voir, dans ce sens, Tinner c. Suisse, nos 59301/08 et 8439/09, § 48 ss., 26 avril 2011).

    A.  Sur la recevabilité

    32.   Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

     

    B.  Sur le fond

    1.  Quant à l’appréciation du risque de fuite par les tribunaux internes justifiant la détention provisoire du requérant

    a.  Thèses des parties

    i.  Le requérant

    33.  Le requérant se plaint de ce que son maintien en détention provisoire a été motivé uniquement par sa double nationalité suisse et croate, soit sur la base de critères discriminatoires et spéculatifs. De plus, il indique qu’il avait proposé des mesures alternatives telles que la fourniture d’une garantie, la saisie de ses documents d’identité et l’obligation de se présenter quotidiennement à un service administratif. Il précise avoir signalé que des amis aisés l’avaient assuré pouvoir mettre à sa disposition les fonds nécessaires, dont il ne disposait pas lui-même, pour le versement d’une caution d’un montant non excessif.

    34.  Le requérant, qui dispose d’un casier judiciaire vierge, affirme avoir montré de manière adéquate son lien important avec la Suisse où il vit depuis 22 ans, ainsi que son lien ténu avec la Croatie. Il indique qu’il n’a gardé qu’un contact minimal avec sa mère domiciliée en Croatie et qu’il passe ses vacances d’été sur la côte adriatique croate. Il soutient que le tribunal des mesures de contrainte du canton de Zürich lui a reconnu « un domicile fixe en Suisse » et des « relations sociales solides ». De plus, il se plaint de ce qu’aucun tribunal national n’a pris en considération des faits à sa décharge (article 6, alinéa 2 du CPP ; paragraphe 21 ci-dessus). A ce titre, il indique qu’il est volontairement retourné en Suisse à la fin de ses vacances à l’étranger avec sa famille pendant l’été 2011, alors que la procédure pénale et administrative avait déjà été engagée à son encontre le 15 mars 2011.

    35.  De plus, le requérant considère que les tribunaux nationaux ont à tort conclu à un risque de fuite en prenant en compte une éventuelle interdiction d’exercer une profession au sens de l’article 67 du CP (paragraphes 17 et 23 ci-dessus). Il précise que l’interdiction provisoire d’exercer une activité n’est valable que dans le canton de Zürich et uniquement avec des patients de sexe féminin, et qu’il avait donc toujours la possibilité d’exercer sa profession en dehors du canton de Zürich ou bien dans ce canton avec des patients masculins. Il ajoute que ses perspectives professionnelles en Suisse existent toujours et qu’elles y sont meilleures au vu de la situation économique en Croatie. Il en déduit que la validation par les juridictions internes d’un risque de fuite de sa part, malgré les perspectives professionnelles qu’il dit avoir en Suisse, n’est pas fondée.

    36.  De plus, le requérant ajoute que, la Croatie n’étant pas un Etat membre des accords de Schengen, il est erroné de considérer, au vu des contrôles aux frontières, qu’il pourrait se réfugier dans cet Etat sans courir le risque de devoir s’identifier à un poste-frontière. Il soutient également que, après l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne, une éventuelle fuite de sa part serait facile à détecter pour les autorités judiciaires nationales, de même que sa condamnation en Croatie serait facile à obtenir. Par ailleurs, il signale que la Croatie exécute depuis longtemps les jugements des tribunaux suisses prononcés par contumace.

    ii.  Le Gouvernement

    37.  Le Gouvernement indique que le premier alinéa de l’article 221 du CPP énumère de manière exhaustive les conditions de mise en détention provisoire d’un individu, qui consistent en premier lieu en de forts soupçons de commission d’un crime ou d’un délit, avec, de surplus, un risque de fuite ou un risque de collusion (paragraphe 21 ci-dessus).

    38.  En l’espèce, le Gouvernement expose que le requérant ne conteste plus l’existence de forts soupçons pesant sur lui d’avoir commis les crimes qui lui sont reprochés, ces actes étant passibles, selon le premier alinéa de l’article 49 et l’article 191 du CP, d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à quinze ans (paragraphe 23 ci-dessus). Il admet que la sanction potentielle n’est pas à elle seule déterminante dans l’évaluation d’un éventuel risque de fuite. Néanmoins, il considère qu’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à quinze ans ne peut être qualifiée de négligeable, d’autant plus qu’elle peut être combinée avec l’interdiction d’exercer une profession (article 67 du CP ; paragraphe 23 ci-dessus).

    39.  Le Gouvernement rappelle que le Tribunal fédéral et le tribunal cantonal du canton de Zürich ont à maintes reprises examiné de manière circonstanciée si de forts soupçons à l’encontre du requérant et un risque de fuite existaient. Il indique que les tribunaux internes n’ont pas seulement pris en considération l’existence de contacts réguliers et intenses du requérant avec son pays d’origine, mais qu’ils ont aussi tenu compte d’autres éléments tels que la nationalité croate de son épouse, la durée de son séjour en Suisse, l’âge de son troisième enfant, sa situation familiale et ses séjours réguliers pendant ses vacances en Croatie, ainsi que le fait que ce pays n’extrade pas ses nationaux. De plus, le Gouvernement précise que le requérant pouvait rejoindre la Croatie sans courir de risque élevé de devoir s’identifier à un poste-frontière. A cet égard, il reconnaît que la Suisse pourrait demander à la Croatie de réprimer à sa place les actes commis sur son territoire si le requérant devait fuir dans ce pays. Toutefois, il avance que le requérant lui-même relève le degré de complexité de la procédure pénale en Suisse et que, de ce fait, pareille délégation des poursuites pénales augmenterait la complexité de la procédure à un point tel que cette dernière risquerait d’être clôturée sans jugement.

    40.  Par ailleurs, le Gouvernement soutient que la possibilité pour un suspect de partir à l’étranger n’est qu’un élément parmi d’autres pour déterminer l’existence d’un risque réel et concret de fuite. Ainsi, il indique que les tribunaux internes ont relevé les possibles difficultés de réintégration professionnelle en Suisse du requérant après une éventuelle condamnation et qu’il était peu probable que celui-ci puisse retrouver un emploi dans son domaine en tant qu’infirmier anesthésiste. Il ajoute que les options mentionnées par le requérant ne peuvent être considérées comme étant réellement envisageables puisque une bonne réputation est indispensable pour exercer dans le domaine en question.

    41.  Enfin, s’opposant à la thèse du requérant selon laquelle sa détention provisoire reposerait sur une discrimination, le Gouvernement rappelle que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le critère pour conclure à un risque de fuite n’est pas rattaché à la possession d’une double nationalité mais à l’existence de contacts réguliers et intenses avec d’autres Etats. Ainsi, il ajoute qu’un tel risque est par ailleurs également constaté dans le cas de ressortissants suisses n’ayant pas de double nationalité et disposant de tels contacts.

    42.   En conséquence, selon le Gouvernement, les conclusions des tribunaux internes concernant le risque de fuite du requérant ne se prêtent pas à la critique sous l’angle de l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention.

    b.  Appréciation de la Cour

    i.  Principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour

    43.  La Cour rappelle que, selon l’article 5 § 1 c) de la Convention, une personne peut être arrêtée et détenue en vue d’être conduite devant l’autorité judiciaire compétente lorsque les voies légales sont respectées et qu’il y a des raisons plausibles de soupçonner que cette personne a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci.

    44.  La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus ; d’autres motifs adoptés par les autorités judiciaires doivent continuer à légitimer la privation de liberté (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000-IV).

    45.  La Cour rappelle que la détention provisoire est une mesure à caractère exceptionnel pouvant être utilisée seulement dans les cas où elle s’avérerait strictement nécessaire et proportionnée (Dinler c. Turquie, no 61443/00, § 51, 31 mai 2005, et Lelièvre, précité, § 89). Si d’autres mesures moins sévères sont suffisantes à cette fin, la détention provisoire n’est pas compatible avec l’article 5 § 1 c) de la Convention (Ladent c. Pologne, no 11036/03, § 55, 18 mars 2008).

    46.  Selon la jurisprudence de la Cour, s’il incombe en premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en est autrement s’agissant d’affaires dans lesquelles, au regard de l’article 5 § 1 de la Convention, l’inobservation du droit interne entraîne une violation de la Convention. En pareil cas, la Cour peut exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté (voir, parmi d’autres, Kurt c. Turquie, 25 mai 1998, § 122, Recueil des arrêts et décisions 1998-III ; Ambruszkiewicz c. Pologne, no 38797/03, § 26, 4 mai 2006 ; et Bujac c. Roumanie, no 37217/03, § 55, 2 novembre 2010).

    47.  La Cour rappelle également que le risque de fuite ne peut s’apprécier sur la seule base de la gravité de la peine encourue ; il doit s’analyser en fonction d’un ensemble de données supplémentaires propres soit à en confirmer l’existence, soit à le faire apparaître à ce point réduit qu’il ne peut légitimer une détention provisoire. Dans ce contexte, il convient d’avoir égard notamment au caractère de l’intéressé, à sa dangerosité, à ses ressources, à ses liens avec l’Etat qui le poursuit ainsi qu’à ses contacts internationaux (Tomasi c. France, 27 août 1992, § 98, série A no 241-A ; W. c. Suisse, no 14379/88, § 33, 26 janvier 1993 ; et Knebl c. République Tchèque, no 20157/05, § 65, 28 octobre 2010).

    48.  Selon la jurisprudence de la Cour, le fait qu’une personne en détention provisoire soit de nationalité ou d’origine étrangère peut constituer une base suffisante pour justifier sa détention provisoire (Erdem c. Allemagne, no 38321/97, § 44, 5 juillet 2001 ; Smatana c. République tchèque, no 18642/04, § 103, 27 septembre 2007 ; et voir aussi, mutatis mutandis, Tinner, précité, §§ 56-57). Il ressort cependant de cette jurisprudence que la Cour ne s’appuie pas uniquement sur la nationalité étrangère d’un détenu pour motiver un placement en détention provisoire, mais qu’elle tient compte d’autres éléments tels que l’absence d’attaches personnelles ou de domicile dans le pays concerné ou bien des déplacements à l’étranger.

    49.  En outre, la Cour a aussi confirmé que la possession, par le requérant, de la nationalité d’un autre Etat qui rendrait l’extradition impossible peut justifier la détention provisoire (Barfuss c. République tchèque, no 35848/97, §§ 69-70, 31 juillet 2000).

    ii.  Application des principes susmentionnés à l’espèce

    50.  En l’espèce, le requérant a été placé en détention provisoire depuis le 16 septembre 2011, soit depuis deux ans, dans le cadre d’une procédure pour soupçons de commission d’actes d’ordre sexuel perpétrés sur onze femmes incapables de discernement ou de résistance. En cas de condamnation, la peine maximale pour ces crimes s’élève à quinze ans d’emprisonnement. La détention provisoire initiale de six semaines fut prolongée plusieurs fois par le tribunal des mesures de contrainte du canton de Zürich.

    51.  La Cour est convaincue que les autorités internes avaient des raisons plausibles de fortement soupçonner le requérant d’avoir commis des faits de nature criminelle. Ainsi, la nature des infractions à élucider et les exigences de l’instruction ont pu justifier son placement en détention (Kemmache c. France, 27 novembre 1991, § 47, série A no 218, et Lelièvre, précité, § 92).

    52.  Toutefois, la Cour rappelle que, si la persistance de ces raisons est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, elle ne suffit plus au bout d’un certain temps et il faut dès lors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuaient à légitimer la privation de liberté. Il faut donc déterminer si, eu égard aux circonstances de l’espèce, ces motifs étaient suffisamment pertinents pour légitimer la privation de liberté tout au long de la détention provisoire du requérant (Lelièvre, précité, §§ 94-95).

    53.  En l’espèce, les autorités nationales ont examiné à plusieurs reprises la question du maintien en détention du requérant. Elles ont motivé le placement en détention provisoire et ses prolongations successives par l’existence de sérieux soupçons de culpabilité et d’un risque de fuite en raison des liens du requérant avec son pays d’origine et de la possibilité d’une condamnation à une peine maximale de quinze ans d’emprisonnement en Suisse.

    54.  La Cour constate que le requérant avait toujours des liens avec la Croatie, pays de résidence de sa mère et de destination pour ses vacances estivales, que sa femme, de nationalité croate, n’est venue en Suisse qu’en 2008 et que son dernier enfant est encore très jeune. De plus, elle observe que la Croatie n’extrade pas ses propres nationaux (paragraphes 27 et 28 ci-dessus) et que, même si ce pays n’a pas encore adhéré à l’espace Schengen, le requérant pourrait atteindre ses frontières sans documents d’identité. Elle note également que le mandat d’arrêt européen, qui a fait l’objet d’une décision-cadre entre les Etats membres de l’Union européenne, ne relève pas du droit régissant l’espace Schengen et que les dispositions y relatives ne sont pas appliquées par la Suisse (paragraphe 29 ci-dessus). Enfin, elle constate que le requérant est volontairement retourné en Suisse à la fin de ses vacances d’été en Croatie alors que la procédure pénale et administrative avait déjà été engagée à son encontre le 15 mars 2011, mais que, à ce stade de la procédure, il n’était pas encore établi que le nombre de femmes alléguant avoir été victimes des actes incriminés s’élèverait à onze.

    55.  De plus, la Cour observe que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un risque de fuite n’est pas lié à la nationalité du détenu mais à la question de savoir si celui-ci a des contacts réguliers et intenses avec d’autres Etats.

    56.  En conclusion, ces éléments peuvent constituer une base suffisante pour justifier la détention provisoire du requérant à cause d’un risque de fuite considérable. La Cour est donc convaincue que les autorités ont procédé à une analyse circonstanciée de la situation dans son ensemble, sans discrimination à l’encontre du requérant, et qu’elles ont donné des raisons pertinentes et suffisantes pour motiver la détention de ce dernier en raison du constat d’un risque de fuite.

    2.  Quant à l’examen des mesures alternatives à la détention provisoire

    a.  Thèses des parties

    i.  Le requérant

    57.  Le requérant se plaint du refus des tribunaux internes de substituer à sa détention provisoire une mesure alternative consistant en une surveillance électronique.

    58.  Il souligne que, dans l’affaire concernant Roman Polanski (paragraphe 26 ci-dessus), l’application cumulative de mesures alternatives, dont la surveillance électronique, avait été approuvée par le Tribunal pénal fédéral, et ce malgré le non-établissement du domicile principal de M. Polanski en Suisse et un risque de fuite de ce dernier considéré comme élevé par les autorités suisses. Il soutient que, dans la présente affaire, l’application cumulative de mesures alternatives devrait a fortiori être approuvée étant donné que l’éventuel risque de fuite de sa part serait - en comparaison avec l’affaire susmentionnée - négligeable.

    ii.  Le Gouvernement

    59.  Le Gouvernement reconnaît que la détention provisoire doit toujours rester la solution ultime et que les autorités compétentes ont l’obligation de rechercher si des mesures alternatives existent.

    60.  En l’espèce, le Gouvernement soutient que les tribunaux suisses ont examiné plusieurs mesures moins sévères et ont motivé le caractère inadéquat de celles-ci. Il explique que la surveillance électronique, à elle seule, ne permet pas de pallier le risque de fuite, mais qu’elle facilite essentiellement sa détection. Il considère ainsi que son application dans le cadre de projets pilotes était et est limitée à l’exécution de certaines peines privatives de liberté, et il ajoute que, en l’espèce, le requérant n’avait pas présenté de sûretés concrètes. En outre, il indique que la saisie de documents officiels ne palliait pas non plus le risque de fuite.

    61.  Par ailleurs, le Gouvernement souligne que l’affaire précitée relative à Roman Polanski concernait un placement en détention en vue d’une extradition. Il ajoute que le Tribunal pénal fédéral n’avait approuvé la surveillance électronique qu’en tant que mesure complémentaire au versement d’une caution de 4 500 000 CHF (soit environ 3 645 000 EUR) et à la saisie de documents officiels, et que ce cas est resté isolé.

    62.  Enfin, le Gouvernement observe que le requérant était détenu depuis sept mois et demi au moment du prononcé de l’arrêt du Tribunal fédéral du 28 mars 2012. Il estime que l’urgence de substituer une mesure alternative à la détention provisoire était moins accentuée que dans l’affaire Lelièvre précitée dans laquelle le requérant était détenu depuis plus de sept ans, d’autant plus que, en l’espèce, le Tribunal fédéral avait noté l’absence d’indices montrant un éventuel non-respect du principe de célérité par les autorités de poursuite pénale, que la procédure était complexe et que le requérant ne contestait pas ce dernier point.

    b.  L’appréciation de la Cour

    i.  Principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour

    63.  La Cour rappelle que la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie qu’en dernier recours, lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention provisoire (Ladent, précité, § 54).

    64.  La libération provisoire de l’accusé doit être ordonnée s’il est possible d’obtenir de lui des garanties, comme une caution ou une autre sûreté, assurant sa comparution à l’audience lorsque la détention n’est plus justifiée que par le risque de le voir s’y soustraire par la fuite.

    65.  Lorsqu’elles sont appelées à se prononcer sur le caractère raisonnable d’une détention au titre de l’article 5 § 1 c) de la Convention, les autorités compétentes ont l’obligation de rechercher s’il n’existe pas de mesures alternatives à la poursuite de la détention (Tinner, précité, § 58 et Mangouras c. Espagne [GC], no 12050/04, 28 septembre 2010).

    ii.  Application des principes susmentionnés à l’espèce

    66.  En l’espèce, la Cour considère que toutes les mesures de substitution à la détention provisoire disponibles s’avèrent insuffisantes (Lelièvre, précité, § 97). En ce qui concerne la surveillance électronique, celle-ci se trouve encore dans une phase pilote limitée à sept cantons et dont le canton de Zürich est exclu (paragraphes 24 et 25 ci-dessus). Par ailleurs, prenant en compte l’interdiction expresse de la surveillance électronique par GPS édictée par le Conseil fédéral dans son arrêté du 4 décembre 2009 (paragraphe 24 ci-dessus), la Cour note que cette mesure permet seulement de vérifier si la personne concernée se trouve ou non dans un rayon déterminé, mais qu’elle ne permet pas à elle seule d’éviter une fuite.

    67.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la détention provisoire du requérant n’a pas contrevenu aux exigences de l’article 5 § 1 de la Convention.

    68.  Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

    69.  S’agissant du grief de discrimination en raison de l’origine du requérant, la Cour considère que ce grief tiré de l’article 14 de la Convention coïncide en substance avec les griefs soulevés au regard de l’article 5 de la Convention. La Cour rappelle que l’article 14 de la Convention complète les autres dispositions de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » que ces dispositions garantissent. Partant, compte tenu des conclusions tirées sous l’examen des articles 5 §§ 1 et 3 de la Convention, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé.

    70.  Par ailleurs, le requérant se plaint d’avoir été défavorisé par rapport aux personnes en détention provisoire dans d’autres cantons où la surveillance électronique est possible. Compte tenu de ce qui précède, notamment de ce que la surveillance électronique en Suisse se trouve encore dans une phase pilote dont le canton de Zürich est exclu (paragraphe 66 ci-dessus), la Cour estime que ce grief est également dépourvu de fondement (voir Magee c. Royaume-Uni, no 28135/95, § 50, CEDH 2000-VI, arrêt dans lequel la Cour a admis que des différences de traitement fondées sur la situation géographique du lieu de détention de l’intéressé, notamment sur des différences et caractéristiques régionales, peuvent être justifiées de manière objective et raisonnable).

    71.  Il s’ensuit que les griefs tirés de l’article 14 de la Convention sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

     

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 1 et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

     

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Stanley Naismith                                                            Guido Raimondi
            Greffier                                                                         Président

     

     


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