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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> S.C. RAISA M. SHIPPING. S.R.L. v. ROMANIA - 37576/05 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 11 (08 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/11.html
Cite as: [2013] ECHR 11

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE S.C. RAISA M. SHIPPING S.R.L. c. ROUMANIE

     

    (Requête no 37576/05)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    8 janvier 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire S.C. Raisa M. Shipping S.R.L. c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 37576/05) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Raisa Mocanu, au nom de la société S.C. Raisa M. Shipping S.R.L. (« la société requérante »), a saisi la Cour le 11 octobre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Catrinel Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  La société requérante allègue en particulier avoir été privée de son droit à un procès devant un tribunal, puisqu’elle n’a pas eu connaissance de son assignation devant la Cour de cassation, effectuée par voie d’affichage sur la porte de son siège social.

  4. .  Le 14 janvier 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

  5. .  A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme  Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
  6.  

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .  La société requérante, S.C. Raisa M. Shipping S.R.L., est un agent maritime. Elle est représentée devant la Cour par son unique actionnaire et gérante, Mme Raisa Mocanu.

  8. .  En janvier 2000, la société requérante saisit le tribunal de première instance de Tulcea d’une action à l’encontre de l’Administration fluviale du Bas-Danube Galaţi (« l’Administration fluviale ») visant à obliger cette dernière à respecter les Instructions du Conseil d’administration de l’Administration fluviale en date du 25 mai 1998. En vertu de ces instructions, il était octroyé aux agents maritimes une réduction de 50 % sur les taxes fluviales dues pour les navires acceptés en régime de ligne voyageant dans les ports du Danube maritime. La société requérante, qui avait bénéficié de cette réduction, se plaignait que l’Administration fluviale lui avait facturé indûment et rétroactivement des taxes fluviales d’un montant total de 102 596,30 dollars américains (USD), sans tenir compte de la réduction de 50 % dont elle bénéficiait.

  9. .  Par une décision du 5 juillet 2000, le tribunal de première instance de Tulcea donna gain de cause à la société requérante.

  10. .  Début 2000, l’Administration fluviale assigna la société requérante devant la Chambre arbitrale maritime de Galaţi (Arbitrajul Camerei de Comerţ şi Industrie Galaţi), demandant le paiement de taxes fluviales dues par la société requérante, sans application de l’escompte de 50 % prévu dans les Instructions du 25 mai 1998.
  11. Le 9 mars 2000, la Chambre arbitrale se déclara incompétente pour trancher ledit litige. La sentence arbitrale fut confirmée par un jugement du 15 mars 2001 du tribunal de première instance de Tulcea, par une décision du 18 septembre 2001 de la cour d’appel de Galaţi et par un arrêt de la Cour de cassation de 2003.


  12. .  Le 11 août 2000, l’Administration fluviale assigna la société requérante devant la Chambre arbitrale maritime de Galaţi d’une nouvelle demande de paiement de taxes fluviales dues par la société requérante sans application de l’escompte de 50 %.
  13. Le 14 décembre 2000, la Chambre arbitrale maritime de Galaţi jugea que la société requérante devait s’acquitter de la totalité des taxes fluviales dues par les navires dont elle était l’agent, car elle ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d’une réduction de 50 % de ces taxes.

    Dès lors, elle obligea la société requérante à payer à l’Administration fluviale 68 777,57 USD au titre de taxes fluviales, 3 921,36 lei nouveaux (RON) au titre de pénalités de retard, ainsi que 28 592 624 lei anciens (ROL) de frais.


  14. .  La société requérante attaqua devant la cour d’appel de Galaţi ladite sentence arbitrale.
  15. Par un jugement du 6 septembre 2001, la cour d’appel de Galaţi annula la sentence arbitrale du 14 décembre 2000 de la Chambre arbitrale, au motif que la Chambre arbitrale n’était pas compétente pour trancher le litige né entre l’Administration fluviale de Galaţi et la société requérante au sujet du montant des taxes de navigation litigieuses. En effet, ni le nom des arbitres ni la procédure de leur désignation n’avaient été déterminés avant la saisine de la Chambre arbitrale, alors que le code de procédure civile l’exigeait aux fins de reconnaissance de la compétence d’un tribunal arbitral. Sur le fond, la cour d’appel constata que la société requérante avait saisi les juridictions de droit commun avant que la Chambre arbitrale fût saisie, et que des décisions judiciaires avaient déjà été rendues dans le litige porté devant la Chambre arbitrale et étaient même passées en force de chose jugée avant le prononcé de la sentence arbitrale.


  16. .  L’Administration fluviale forma un pourvoi en cassation contre ce jugement. La Cour de cassation (Inalta Curte de Casaţie şi Justiţie) fixa l’audience au 27 mai 2003 et en informa la société requérante par voie d’affichage sur la porte de l’immeuble de son siège social, effectuée par un huissier de justice le 17 avril 2003. La société requérante affirme n’avoir jamais reçu la notification de la Cour de cassation.

  17. .  Par acte authentique du 16 mai 2003, la société requérante changea l’adresse de son siège social. Elle en informa les tribunaux aussitôt.

  18. .  Le 27 mai 2003, à l’issue de l’audience du même jour et d’une procédure à laquelle la société requérante ne participa pas, la Cour de cassation cassa le jugement du 6 septembre 2001 de la cour d’appel de Galaţi et jugea que la Chambre arbitrale était compétente pour trancher le litige porté devant elle, car, selon le contrat conclu entre la société requérante et l’Administration fluviale, il appartenait à cette dernière de choisir l’instance compétente pour régler le litige. Dès lors, le choix porté par cette dernière sur la Chambre arbitrale n’enfreignait pas le code de procédure civile. Sur le fond, la Cour de cassation confirma la sentence arbitrale du 14 décembre 2000.

  19. .  Le 5 février 2004 la société requérante apprit que la Cour de cassation avait rendu une décision le 27 mai 2003.
  20. Elle forma un pourvoi en annulation pour cause d’irrégularité d’assignation devant la Cour de cassation et se plaignit d’avoir été privée de son droit à se défendre. La société requérante fit valoir qu’elle n’avait pas eu connaissance de l’audience qui s’était tenue le 27 mai 2003, car elle n’avait jamais reçu la citation qui lui avait été notifiée par voie d’affichage le 17 avril 2003. Elle souligna, en outre, qu’ainsi qu’il ressortait de la copie de l’acte de citation se trouvant dans le dossier du tribunal, l’adresse du siège social figurant sur la citation était incomplète. En effet, le bâtiment en question comportait plusieurs entrées, chacune identifiée par une lettre, et son siège social se trouvait à l’entrée « A » ; or, la citation ne donnait aucune indication destinée à identifier l’entrée à laquelle la citation avait été apposée.


  21. .  Par une décision du 26 janvier 2005, la Cour de cassation rejeta le pourvoi au motif que la citation par voie d’affichage était un moyen de notification prévu par la loi et qu’en l’espèce, elle était régulière pour autant que le nom et le numéro de la rue, ainsi que le numéro de l’appartement figuraient dans l’acte de citation du 17 avril 2003.

  22. .  La décision de la Cour de cassation fut envoyée le 8 avril 2005 par courrier postal au nouveau siège de la société requérante, et réceptionnée par cette dernière le 11 avril 2005.
  23. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  24. .  Les dispositions pertinentes du code de procédure civile en vigueur à partir du 2 octobre 2000, applicables en l’espèce, se lisent ainsi :
  25.  

    Article 86

    « (1)  Les demandes et tous les actes de procédure sont notifiés d’office par l’intermédiaire des agents procéduraux du tribunal ou de tout autre salarié du tribunal (...).

    (3)  Lorsqu’il n’est pas possible de procéder à une notification selon l’alinéa 1er, la notification est faite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par tout autre moyen susceptible d’assurer la transmission du texte de l’acte et la confirmation de sa réception. »

    Article 92

    « (1)  La citation à comparaître sera remise en mains propres à la personne citée à comparaître, qui signera un accusé de réception, l’agent procédural en charge de la remise en mains propres attestant de l’identité et de la signature de la personne concernée.

    (...)

    (3)  Si la personne citée à comparaître ne se trouve pas à son domicile (...), l’agent remettra la citation (...) à un membre de la famille ou, en l’absence, à toute autre personne qui habite avec l’intéressé ou qui reçoit son courrier habituellement (...) ; la personne à qui la citation est remise signera un accusé de réception, l’agent procédural attestant de l’identité de celle-ci et de sa signature et dressant à ce sujet un procès-verbal.

    (4)  Si les personnes indiquées dans l’alinéa précédent ne le souhaitent pas ou ne peuvent pas signer l’accusé de réception, l’agent en dressera un procès-verbal et leur remettra la citation en mains propres ; ci ceux-ci ne souhaitent pas recevoir la citation ou sont absents, l’agent affichera la citation soit sur la porte du logement de la personne citée à comparaître, soit, en l’absence d’indication du numéro de son appartement, sur la porte principale du bâtiment et dressera un procès-verbal à ce sujet.

    (...)

    (6)  Les dispositions du présent article sont applicables également pour la communication ou la notification de tout acte de procédure. »

    Article 317

    « Les jugements devenus définitifs peuvent être attaqués par le biais d’une contestation en annulation, pour les motifs suivants, dans le seul cas où ces motifs n’ont pu être invoqués en appel ou en recours :

    1.  lorsque la procédure de convocation à l’audience n’a pas été accomplie selon les exigences légales ;

    (...)

    La contestation en annulation peut également être accueillie si lesdites raisons ont été invoquées lors de la demande de recours et que le tribunal les a rejetées en motivant le besoin de mener une vérification de la situation de fait ou a rejeté le recours sans examiner son bien-fondé. »

    Article 319

    « La contestation [en annulation] peut être faite à tout moment avant le début de l’exécution forcé, ainsi que pendant l’exécution forcée jusqu’à l’expiration du délai fixé à l’article 401 § 1 b) ou c). La contestation en annulation peut être faite à l’encontre des jugements devenus définitifs [irevocabile] non-susceptibles d’exécution par voie d’exécution forcée, et ce dans le délai de 15 jours à partir du jour où la personne qui conteste a eu connaissance du jugement, mais au plus tard dans le délai d’un an à partir de la date à laquelle le jugement est devenu définitif. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  26. .  La société requérante allègue une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  27. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  28. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  29. A.  Sur la recevabilité


  30. .  En premier lieu, le Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois. Il souligne que la Requête a été introduite le 11 octobre 2005, soit plus de 8 mois après la décision définitive rendue en l’espèce, à savoir la décision de la Cour de cassation du 26 janvier 2005.

  31. .  La société requérante fait valoir que la décision du 26 janvier 2005 rendue par la Cour de cassation lui a été envoyée le 8 avril 2005, et qu’elle l’a reçue le 11 avril 2005. Elle soumet à l’appui de son affirmation l’enveloppe dans laquelle se trouvait ladite décision portant le cachet de la poste roumaine. Par conséquent, la Requête introduite le 11 octobre 2005 n’est pas tardive.

  32. .  La Cour rappelle que lorsque la signification n’est pas prévue en droit interne, comme en l’espèce, il convient de prendre en considération la date à partir de laquelle les parties peuvent réellement prendre connaissance du contenu de la décision interne définitive (voir, parmi d’autres, Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 30, CEDH 1999-II, Iordache c. Roumanie (déc.), no 55092/00, Elmaliotis et Konstantinidis c. Grèce, no 28819/04, § 26, 25 janvier 2007). En l’occurrence, la Cour constate que les parties s’accordent sur le fait que la décision du 26 janvier 2005 de la Cour de cassation a été envoyée par courrier à la société requérante le 8 avril 2005 (vendredi) et que cette dernière l’a réceptionnée le 11 avril 2005 (lundi).
  33. Il s’ensuit que la Requête introduite le 11 octobre 2005 n’est pas tardive. Il convient donc de rejeter cette exception.


  34. .  Le Gouvernement soutient de surcroît que la société requérante n’a pas exercé toutes les voies de recours qui s’offraient à elle pour faire état de son grief concernant l’assignation irrégulière en justice. Notamment, elle aurait pu déposer une plainte pénale pour faux dans les écritures à l’encontre de l’agent chargé de la notification, qui avait omis d’indiquer dans la citation certains éléments de l’adresse de la société requérante.

  35. .  La Cour constate qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le pourvoi pour cause d’irrégularité d’assignation, dont la requérante a fait usage, était une voie de recours effective tant en théorie qu’en pratique et susceptible de lui offrir le remède de son grief. Cela étant, eu égard à sa jurisprudence constante selon laquelle un requérant disposant éventuellement de plusieurs voies de recours effectives est uniquement dans l’obligation d’utiliser l’une d’entre elles (Moreira Barbosa c. Portugal (déc.), no 65681/01, CEDH 2004-V (extraits), Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III), la Cour n’examinera pas si, de surcroît, une plainte pénale aurait constitué une voie de recours efficace en l’espèce. Partant, il convient de rejeter l’exception d’irrecevabilité présentée par le Gouvernement sur ce point.

  36. .  Enfin, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  37. B.  Sur le fond


  38. .  Le Gouvernement estime que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu, pouvant donner lieu à des limitations implicitement admises. L’État jouit d’une marge d’appréciation dans l’élaboration de la règlementation de l’accès à un tribunal.
  39. En l’espèce, les autorités n’ont fait qu’appliquer strictement et d’une manière correcte la loi interne, ce qui est tout à fait compatible avec la Convention et la jurisprudence de la Cour.

    De surcroît, selon le Gouvernement, la citation par voie d’affichage était due à la négligence de la société requérante, qui a omis d’informer le tribunal du changement de l’adresse de son siège social.


  40. .  La société requérante souligne d’emblée qu’elle n’a changé son siège social que le 16 mai 2003, soit après la notification par affichage en date du 17 avril 2003, et qu’elle en a informé la Cour de cassation.
  41. Elle fait valoir ensuite qu’elle n’a jamais reçu la citation à comparaître à l’audience du 27 mai 2003 devant la Cour de cassation, et que de ce fait, elle n’a pas pu se défendre et faire valoir ses droits dans une procédure déterminante pour ses droits de caractère patrimonial.

    Or, la procédure devant la Cour de cassation a abouti à l’annulation d’un jugement qui lui était favorable, à savoir le jugement du 6 septembre 2001 de la cour d’appel de Galaţi.


  42. .  La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion de se pencher sur la question de la notification des actes de procédure. Ainsi, elle a jugé que « le droit à un tribunal » comporte plusieurs aspects, dont le droit d’accès et l’égalité des armes, qui exige un juste équilibre entre les parties. Ces principes s’appliquent également dans le domaine particulier qu’est la signification et la notification des actes judiciaires aux parties (Miholapa c. Lettonie, no 61655/00, § 23, 31 mai 2007). De surcroît, les règlementations relatives aux formalités pour former un recours ne devraient pas empêcher les justiciables d’utiliser une voie de recours disponible (Tricard c. France, no 40472/98, § 29, 10 juillet 2001, et Gruais et Bousquet c. France, no 67881/01, § 27, 10 janvier 2006).
  43. S’il est vrai qu’il appartient au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer les règles de nature procédurale, un formalisme excessif dans leur application peut s’avérer contraire à l’article 6 § 1 de la Convention lorsqu’il est opéré au détriment de l’une des parties (voir, mutatis mutandis, Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 81, CEDH 2002-VII). L’effectivité du droit d’accès demande qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits (Bellet c. France, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 333-B, p. 42, § 36 ; voir également Cañete de Goñi c. Espagne, no 55782/00, § 34, CEDH 2002-VIII).


  44. .  Les tribunaux doivent faire tout ce que l’on peut raisonnablement attendre d’eux pour citer les requérants et s’assurer que ces derniers sont au courant des procédures auxquelles ils sont partie (Miholapa c. Lettonie précité, § 31, et Övuş c. Turquie, no 42981/04, § 48, 13 octobre 2009).
  45. Enfin, le droit d’action ou de recours doit s’exercer à partir du moment où les intéressés peuvent effectivement connaître les décisions judiciaires qui leur imposent une charge ou pourraient porter atteinte à leurs droits ou intérêts légitimes ; la notification, en tant qu’acte de communication entre l’organe juridictionnel et les parties, sert à faire connaître la décision du tribunal, ainsi que les fondements qui la motivent, le cas échéant pour permettre aux parties de recourir (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 37, CEDH 2000-I, et Díaz Ochoa c. Espagne, no 423/03, § 48, 22 juin 2006).


  46. .  En l’espèce, s’agissant d’un procès avec des conséquences directes sur ses droits et obligations de caractère civil, la société requérante était en droit d’avoir un accès effectif à l’ensemble de la procédure et de bénéficier de la plénitude des garanties résultant du principe du contradictoire.

  47. .  La Cour constate que l’article 86 § 3 du code de procédure civile roumain exige, d’une manière générale, pour ce qui est de la notification des actes de procédure, que le tribunal s’assure de la transmission de l’acte et de sa réception.
  48. Parmi les différentes modalités de notification, l’article 92 § 4 du même code régit la notification par voie d’affichage sur la porte du domicile ou siège social, selon le cas, permise en cas d’absence de l’intéressé lors du passage de l’huissier chargé d’effectuer la remise en mains propres.


  49. .  La société requérante s’est vu notifier l’appel interjeté par la partie adverse et la date de l’audience en appel devant la Cour de cassation par voie d’affichage à son siège social. Elle allègue ne pas l’avoir reçue et par conséquent, avoir été dans l’impossibilité de prendre part à la procédure en appel, à l’issue de laquelle le jugement du fond lui donnant gain de cause a été renversé.
  50. La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi pour atteinte au droit à la défense du fait d’une irrégularité d’assignation, a rejeté ledit pourvoi au seul motif que la notification par voie d’affichage était une modalité de notification prévue par la loi.


  51. .  Or, la Cour relève que le Gouvernement n’a fourni aucun élément indiquant que la Cour de cassation a fait diligence suffisante pour s’assurer de la transmission de la citation à comparaître et de sa réception par la société requérante.
  52. Le Gouvernement n’a pas démontré non plus que des démarches dans le même but aient été accomplies par la Cour de cassation à l’occasion de l’examen du pourvoi pour irrégularité d’assignation, cette dernière se contentant à constater que la notification par voie d’affichage avait une base légale en droit interne.


  53. .  La Cour estime qu’en appliquant de la sorte les dispositions légales pertinentes, les juridictions nationales ont fait preuve d’un formalisme incompatible avec la lettre et l’esprit de l’article 6 § 1 de la Convention et ont porté une atteinte injustifiée au droit de la société requérante d’accès à un tribunal pour la détermination de ses « droits et obligations de caractère civil » (voir, mutatis mutandis, Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 62, CEDH 1999-VII).
  54. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION


  55. .  La société requérante allègue que la décision de la Cour de cassation du 27 mai 2003 a aussi enfreint son droit au respect de ses biens, compte tenu des conséquences qu’elle a eues sur sa situation financière, notamment de l’obligation qui lui a été faite de payer à l’Administration fluviale du Bas-Danube de Galaţi plus de 100 000 USD.

  56. .  Le Gouvernement conteste cette thèse.

  57. .  Eu égard au constat relatif à l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 35 ci-dessus), la Cour estime que ce grief doit être déclaré recevable mais qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, entre autres, Iorga c. Roumanie, no 4227/02, § 60, 25 janvier 2007).
  58.  

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    39.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    1.  Dommage matériel


  59. .  La société requérante réclame 102 596,30 USD au titre du préjudice matériel subi du fait d’avoir été obligée de payer des taxes fluviales qu’elle estimes indues, du fait de la non-application d’une réduction de 50 %.

  60. .  Le Gouvernement considère qu’aucune somme ne saurait être octroyée à la société requérante en l’absence de lien de causalité entre l’allégation de violation de la Convention et le préjudice matériel prétendument subi.

  61. .  La Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure litigieuse aurait abouti si l’infraction à la Convention n’avait pas eu lieu.
  62. Toutefois, elle rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci.

    Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Piersack c. Belgique (article 50), arrêt du 26 octobre 1984, série A no 85, p. 16, § 12, et Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 21, CEDH 2001-I).


  63. .  Dans la présente affaire, la Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention en raison de l’atteinte au droit de la société requérante d’accès à un tribunal.

  64. .  La Cour observe que l’article 322 § 9 du code de procédure civile roumain permet la révision d’un procès sur le plan interne en cas de constat par elle de violation des droits d’un requérant. Ainsi, puisqu’à la suite d’un arrêt de la Cour européenne, le droit national permet la restitutio in integrum, à savoir le rétablissement de la situation existante avant que la violation constatée de l’article 6 § 1 ne survienne, en considération de son rôle subsidiaire, la Cour estime que la société requérante doit d’abord saisir les juridictions internes conformément aux dispositions de droit interne précitées.

  65. .  Il n’y a dès lors pas lieu d’accorder à la société requérante d’indemnité au titre du dommage matériel.
  66. 2.  Dommage moral


  67. .  La société requérante réclame 100 000 USD à titre de dommage moral.

  68. .  Le Gouvernement estime qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante. En subsidiaire, il demande à la Cour d’allouer à la requérante une somme qui s’inscrit dans sa jurisprudence en la matière.

  69. .  La Cour considère que la société requérante a subi une véritable perte de chances et un tort moral certain (Pélissier et Sassi c. France, no 25444/94, § 80, CEDH 1999-II, et Leoni c. Italie, no 43269/98, arrêt du 26 octobre 2000, § 32). Eu égard aux circonstances de la cause et statuant sur une base équitable comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide de lui octroyer 4 500 EUR.
  70. B.  Frais et dépens


  71. .  La société requérante demande, documents à l’appui, 3 550 RON soit 788 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes.

  72. .  Le Gouvernement estime que la société requérante n’a pas prouvé la nécessité et réalité des frais encourus et s’oppose à l’octroi d’une somme à ce titre.

  73. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi d’autres, l’arrêt Éditions Plon c. France, no 58148/00, § 64, CEDH 2004-IV).
  74. En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour alloue la somme de 500 EUR au titre des frais et dépens encourus devant la Cour de cassation.

    C.  Intérêts moratoires


  75. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  76.  

    PAR CES MOTIFS, LA COUR,

    1.  Déclare, à l’unanimité, la Requête recevable ;

     

    2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

     

    4.  Dit, par six voix contre une,

    a)  que l’État défendeur doit verser à la société requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

    i)  4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la société requérante, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président

     

     

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Pardalos.

    J.C.M.
    S.Q.


    OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE PARDALOS

    A mon grand regret, je ne puis me rallier à la conclusion de la majorité, car à mon sens il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    A mon avis, la notification de la citation à comparaître à l’audience du 27 mai 2003 a été effectuée selon les dispositions prévues par la loi.

    La majorité de la chambre justifie son constat de violation par le fait que les juridictions nationales ont fait preuve d’un formalisme incompatible avec la lettre et l’esprit de l’article 6 § 1 (paragraphe 35 de l’arrêt) et par le fait qu’elles n’ont pas été suffisamment diligentes s’agissant de s’assurer de la transmission de la citation à comparaître et de sa réception par la requérante (paragraphe 34 de l’arrêt).

    A mon sens, une excessive flexibilité, au contraire, entraîne le risque de se transformer, en pratique, en une obligation excessive à la charge des autorités judiciaires, et ce au détriment du principe de la bonne administration de la justice. Dans ces conditions, j’estime qu’on laisse aussi aux parties la possibilité, éventuellement, de profiter de la procédure pour en abuser ou se livrer à des spéculations.

    Si l’on analyse les faits de la présente requête, la société requérante a eu la possibilité de contester la décision du 27 mai 2003 ; elle a formé un pourvoi en annulation pour cause d’irrégularité de l’assignation devant la Cour de Cassation, dans laquelle elle se plaignit d’avoir été privée de son droit à se défendre. La Cour de Cassation, dans sa décision, a rejeté le pourvoi formé par la société requérante au motif que la notification avait été faite conformément à la loi, et qu’elle était régulière. A mon avis, la Cour de Cassation a dûment motivé sa décision (paragraphe 16 de l’arrêt), pas seulement en constatant que la notification ad domi avait une base légale, mais également en observant qu’elle contenait toutes les formalités prévues par la loi, c’est-à-dire le nom et le numéro de la rue ainsi que le numéro de l’appartement. En outre, la société requérante n’allègue pas une mauvaise interprétation de la loi mais se plaint en substance du résultat de la procédure.

    Considérant les faits de la présente requête, notamment la motivation donnée par la Cour de Cassation dans sa décision du 26 janvier 2005, j’estime que dans la présente affaire il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1.

     


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