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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> M.D. v. BELGIUM - 56028/10 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 1139 (14 November 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1139.html Cite as: [2013] ECHR 1139 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE M.D. c. BELGIQUE
(Requête no 56028/10)
ARRÊT
STRASBOURG
14 novembre 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la onvention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire M.D. c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
4. Le 16 janvier 2012, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Procédures d’asile et d’éloignement
6. Le 25 septembre 2009, le requérant se présenta aux autorités belges et introduisit une demande d’asile.
7. Les autorités relevèrent qu’il ressortait du rapport Eurodac que les empreintes digitales du requérant avaient été enregistrées à Tayros en Grèce le 5 février 2008.
8. Le 9 décembre 2009, l’office des étrangers (« OE ») adressa aux autorités grecques une demande de reprise en charge de la demande d’asile du requérant en vertu de l’article 10 § 1 du règlement du Conseil no 343/2003 du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers (« le règlement Dublin II »).
9. En l’absence de réponse de la part des autorités grecques dans le délai imparti d’un mois, l’OE considéra, le 17 décembre 2009, qu’il y avait un accord tacite de reprise en charge.
10. Le 26 avril 2010, l’OE prit une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire sur la base de l’article 51/5 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers ») au motif que la Belgique n’était pas responsable de l’examen de la demande d’asile du requérant en vertu du règlement Dublin II.
B. Mesures de détention et procédures y afférentes
1. Mesure initiale de privation de liberté
11. La décision de refus de séjour du 26 avril 2010 (paragraphe 10 ci-dessus) était assortie d’un ordre de maintien dans un lieu déterminé en application de l’article 51/5 § 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant fut placé au centre fermé de Merksplas le même jour.
2. Réquisitoire de ré-écrou
12. Le 6 mai 2010, un éloignement vers Athènes fut organisé, mais le requérant refusa d’embarquer. Il fit l’objet d’un réquisitoire de ré-écrou le même jour, en application de l’article 27 §§ 1 et 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant fit donc l’objet d’un deuxième titre de détention valable pour une période maximum de deux mois en application de l’article 29 § 1 de la loi sur les étrangers.
a) Première Requête de mise en liberté
13. Le 31 mai 2010, le requérant introduisit une Requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles visant la décision du 6 mai 2010. Il invoqua le risque d’être exposé à une violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour en Grèce.
14. Le 4 juin 2010, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles considéra que la détention du requérant n’était entachée d’aucune irrégularité et déclara sa Requête non fondée.
15. Saisie en appel par le requérant, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles constata par un arrêt du 16 juin 2010 que les tribunaux de Bruxelles étaient sans juridiction au motif que le requérant aurait dû introduire sa Requête de mise en liberté auprès du tribunal du lieu de sa résidence, en l’occurrence Merksplas.
16. Invoquant une violation de l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant se pourvut en cassation le 22 juin 2010.
17. Par un arrêt du 27 juillet 2010, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 16 juin 2010 considérant que le lieu où un étranger est détenu en exécution d’une décision de privation de liberté fondée sur l’article 51/5 § 3 de la loi sur les étrangers n’est pas le lieu de sa résidence au sens de l’article 71 alinéa 1er de cette loi. L’arrêt de la chambre des mises en accusation n’était dès lors pas légalement justifié et l’affaire fut renvoyée devant la chambre des mises en accusation autrement composée.
18. Le 11 août 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, constata que l’affaire était devenue sans objet étant donné qu’entretemps, le 2 juillet 2010, une nouvelle mesure de détention avait été adoptée (paragraphe 22 ci-dessous).
b) Deuxième Requête de mise en liberté
19. Entretemps, le 20 juin 2010, le requérant introduisit une nouvelle Requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Il invoqua les articles 3 et 5 § 4 de la Convention.
20. Le 25 juin 2010, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la Requête irrecevable au motif qu’un mois ne s’était pas encore écoulé depuis la précédente Requête de mise en liberté.
21. Saisie par le requérant, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara, par un arrêt du 7 juillet 2010, que l’appel était devenu sans objet étant donné que le 2 juillet 2010 une nouvelle mesure de détention avait été adoptée (paragraphe 22 ci-dessous).
3. Prolongation de la détention
22. Le 2 juillet 2010, l’OE prit une décision de prolongation de la détention sur la base de l’article 29 § 2 de la loi sur les étrangers, courant jusqu’au 4 septembre 2010. L’OE considéra qu’il subsistait toujours une possibilité que l’intéressé soit éloigné dans un délai raisonnable, à savoir le 15 juillet 2010.
23. Le 12 juillet 2010, le requérant introduisit une Requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Il invoqua une violation des articles 3 et 5 § 4 de la Convention.
24. Sa Requête fut déclarée non fondée par une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles du 15 juillet 2010.
25. Saisie par le requérant d’un appel contre ladite ordonnance, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles ordonna, le 28 juillet 2010, la mise en liberté immédiate du requérant au motif que le requérant courait un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Grèce.
26. Le 4 août 2010, l’Etat belge se pourvut en cassation contre cet arrêt.
27. Le 31 août 2010, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 28 juillet 2010 au motif que le requérant ne pouvait pas valablement introduire une Requête de mise en liberté le 12 juillet 2010 étant donné qu’un mois ne s’était pas encore écoulé depuis l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 16 juin 2010 sur sa Requête précédente (paragraphe 15 ci-dessus) et que cet arrêt faisait l’objet d’un pourvoi en cassation avec effet suspensif. La Cour de cassation renvoya l’affaire devant la chambre des mises en accusation autrement composée.
28. Le 3 septembre 2010, c’est-à-dire la veille de l’expiration du délai de deux mois à partir de la décision du 2 juillet 2010, le requérant fut libéré.
29. Le 15 septembre 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, constata que la Requête de mise en liberté était devenue sans objet du fait de la libération du requérant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
30. Concernant les mesures de détention et les procédures y afférentes, le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans l’arrêt Firoz Muneer c. Belgique (no 10864/10, §§ 33-41, 11 avril 2013). Concernant les procédures d’asile et d’éloignement, les dispositions pertinentes sont énoncées dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, §§ 128-141, CEDH 2011).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
31. Le requérant se plaint que les recours qu’il a utilisés pour contester la légalité de sa détention n’ont pas permis à un juge de statuer à bref délai sur sa détention et n’étaient pas effectifs. Il invoque les articles 5 § 4 et 13 de la Convention.
« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
34. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention alors qu’il fut détenu pendant plus de quatre mois. La légalité des deuxième et troisième périodes de détention ne fut à aucun moment contrôlée par un juge statuant de manière définitive. De plus, alors qu’il a introduit sa première Requête de mise en liberté le 31 mai 2010, ce n’est que le 28 juillet 2010 qu’un juge a « statué » sur sa détention au sens de l’article 5 § 4, la jugeant illégale, et le 3 septembre 2010, qu’il a effectivement été libéré.
35. Le Gouvernement soutient que l’exigence d’un accès au juge qui statue « à bref délai » a été respectée en l’espèce. Les délais dans lesquels les procédures ont été jugées furent très brefs et aucune des périodes entre les différentes décisions ne saurait passer pour excessive. La durée totale de la détention du requérant ne saurait pas non plus être qualifiée d’excessive. Par ailleurs, le Gouvernement estime qu’une personne ne peut plus invoquer l’article 5 § 4 de la Convention dès lors qu’elle a été mise en liberté, ce qui est le cas du requérant.
2. Appréciation de la Cour
39. La Cour relève que le requérant fut placé en détention sur décision de l’OE le 26 avril 2010 contre laquelle il n’introduisit pas de Requête de mise en liberté. La première Requête de mise en liberté date du 31 mai 2010 lorsque le requérant saisit la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles visant le réquisitoire de ré-écrou du 6 mai 2010. Le 4 juin 2010, la chambre du conseil rejeta la Requête de mise en liberté. Le requérant déposa une nouvelle Requête de mise en liberté le 20 juin 2010, qui fut rejetée par une ordonnance de la chambre du conseil du 25 juin 2010. La suite de la procédure avorta : le 7 juillet 2010, puis le 11 août 2010, la chambre des mises en accusation considéra en effet que, du fait de la prolongation de la mesure de détention le 2 juillet 2010, titre autonome de privation de liberté, les recours contre les ordonnances respectives des 25 et 4 juin 2010 n’avaient plus d’objet.
40. Le requérant introduisit une troisième Requête de mise en liberté contre la mesure de prolongation décidée par l’OE le 2 juillet 2010. Il fut débouté par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles par une ordonnance du 15 juillet 2010, mais cette ordonnance fut réformée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles par un arrêt du 28 juillet 2010 qui ordonna la mise en liberté immédiate du requérant. Le requérant fut toutefois maintenu en détention car l’Etat avait formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Par un arrêt du 31 août 2010, la Cour de cassation cassa ledit arrêt au motif qu’un mois ne s’était pas écoulé depuis la précédente décision sur une autre Requête de mise en liberté. Elle renvoya l’affaire devant la chambre des mises en accusation autrement composée.
41. Le requérant fut finalement mis en liberté le 3 septembre 2010 à l’expiration du délai légal de deux mois, avant que la chambre des mises en accusation autrement composée ait pu se prononcer sur le recours.
42. La Cour ne peut que constater que le requérant a introduit une première Requête de mise en liberté le 31 mai 2010 et qu’il n’a pas pu obtenir une décision finale sur la légalité de sa détention avant sa libération le 3 septembre 2010. La Cour prend note également du fait que la dernière décision juridictionnelle sur le bien-fondé de la Requête de mise en liberté rendue par la chambre des mises en accusation le 28 juillet 2010 était favorable au requérant et que cette décision a été cassée par la Cour de cassation non pas pour un motif tenant à sa justification légale, mais pour un motif d’ordre procédural.
43. En outre, la Cour est d’avis que ledit motif procédural retenu par la Cour de cassation dans son arrêt du 31 août 2010, alors même que la légalité de la détention du requérant n’avait pas été examinée au fond dans le cadre des deux Requêtes de mise en liberté précédentes, n’a fait qu’aggraver la situation du requérant au regard de son droit à obtenir une décision sur la légalité de sa détention à bref délai.
44. Certes, le requérant a été remis en liberté alors que la troisième procédure de mise en liberté était encore pendante. Toutefois, la Cour rappelle que ce n’est que si un détenu est relâché « à bref délai » avant tout contrôle judiciaire que la Cour pourrait conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention (voir, en particulier, Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 45, série A no 182, Firoz Muneer c. Belgique, précité, § 86).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION
« 1. A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une Requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure
(...)
b) que le litige a été résolu
(...)
Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la Requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »
62. En conclusion, la Cour juge réunies les deux conditions permettant de faire application de l’article 37 § 1 b) de la Convention. Le grief tiré de la violation des articles 3 et 13 de la Convention peut, à présent, être considéré comme « résolu », au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
65. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage moral
B. Frais et dépens
C. Intérêts moratoires
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare recevable le grief tiré de l’article 5 § 4 et irrecevable le grief tiré de l’article 5 § 1 ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a lieu de rayer du rôle le grief tiré des articles 3 et 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
(i) 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
(ii) 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stephen Phillips Mark Villiger
Greffier adjoint Président