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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> EL KASHIF v. POLAND - 69398/11 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 1148 (19 November 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1148.html Cite as: [2013] ECHR 1148 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE EL KASHIF c. POLOGNE
(Requête no 69398/11)
ARRÊT
STRASBOURG
19 novembre 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire El Kashif c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
4. Le 1er octobre 2012, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. En 2009, une procédure pénale simplifiée (postępowanie uproszczone) fut ouverte contre le requérant. Elle donna lieu à sa condamnation, par un jugement du tribunal de district de Varsovie du 28 mai 2010, à une peine d’amende d’environ 500 euros pour exploitation irrégulière de jeux de hasard sur Internet, en l’occurrence des loteries, infraction punie par l’article 108 § 1 du code applicable aux infractions à la loi fiscale (Kodeks karny skarbowy).
7. Un recours formé par le requérant contre le jugement du 28 mai 2010 en application de l’article 506 § 1 du CPP (voir, le droit interne ci-dessous, paragraphe 35) entraîna l’invalidation dudit jugement. L’affaire fut renvoyée en audience devant le tribunal de district de Varsovie fixée au 11 mars 2011. Ce jour-là, ni le requérant ni son avocat ne comparurent devant le tribunal. D’après le procès-verbal de l’audience, le requérant n’avait pas accusé réception de la citation à comparaître, expédiée à deux reprises à son domicile ; une autre convocation, expédiée à l’adresse indiquée par le requérant aux fins des notifications judiciaires, n’avait pas été notifiée régulièrement. Compte tenu de ces circonstances, le tribunal reporta l’audience au 17 mai 2011 et ordonna que la citation à comparaître fût notifiée au requérant par la police.
8. Le procès-verbal de l’audience du 17 mai 2011 fait apparaître que le requérant n’a pas comparu ce jour-là mais que son avocat était présent. Il en ressort également que la police n’avait pas été en mesure de notifier la convocation à l’intéressé au motif que celui-ci, depuis octobre 2010, ne résidait plus à son domicile et avait cessé son activité professionnelle exercée à l’endroit indiqué aux autorités aux fins des notifications judiciaires. Par une ordonnance prononcée à l’issue de l’audience, en se basant sur les articles 249 § 1, 258 § 1 alinéa 1 et 279 § 1 du CPP, le tribunal émit un avis de recherche contre le requérant, ordonna son placement en détention provisoire pour une durée de trois mois et suspendit la procédure dans l’attente de son arrestation. Il nota que, au vu des éléments réunis par les autorités, le requérant pouvait être soupçonné d’avoir commis les agissements litigieux. Il indiqua que la détention provisoire était nécessaire pour préserver le bon déroulement de la procédure pénale à son encontre. En effet, dans la mesure où le requérant n’était domicilié à aucune des adresses qu’il avait indiquées aux autorités, il pouvait être soupçonné de vouloir se soustraire à la justice.
9. Le 22 mai 2011, l’avocat du requérant demanda l’annulation de l’ordonnance du 17 mai. Il arguait du caractère disproportionné de la mesure prise contre son client, compte tenu du caractère vierge du casier judiciaire de celui-ci et du caractère mineur à ses yeux de l’infraction qui lui était reprochée, punie par une peine non privative de liberté. Il soutenait que, selon l’article 75 § 2 du code de procédure pénale (CPP), la comparution du requérant à l’audience aurait pu être assurée au moyen d’une mesure autre que la privation de liberté, telle que la conduite au tribunal sous contrainte.
10. Le 26 mai 2011, le tribunal de district décida de ne pas accueillir le recours et transmit le dossier au tribunal régional de Varsovie.
11. Le 30 mai 2011, l’avocat du requérant demanda au tribunal régional de surseoir à l’application de l’ordonnance du 17 mai 2011 et de procéder sans délai à l’examen de son recours contre cette dernière. Outre les arguments invoqués dans son recours antérieur, il souleva un motif de santé, à savoir la nécessité pour son client de poursuivre une thérapie antirétrovirale hors d’un milieu carcéral.
12. Le même jour, le requérant fut arrêté et incarcéré à la maison d’arrêt de Varsovie.
13. Dans un recours du 2 juin 2011, complétant celui du 22 mai 2011, l’avocat du requérant soutenait que la détention de son client était irrégulière au regard de l’article 259 § 2 du CPP. Il indiquait que la crainte des autorités de voir celui-ci se soustraire à la justice n’était pas étayée, assurant qu’il avait comparu régulièrement devant ce même tribunal dans le cadre d’autres procédures conduites contre lui parallèlement à la présente, notamment lors d’une audience tenue le 20 mai 2011, soit trois jours après l’adoption de l’ordonnance relative à sa détention provisoire. Il ajouta que la détention de son client n’était pas nécessaire, soutenant que sa domiciliation actuelle aurait pu être établie sans aucune difficulté sur la base des éléments dont les autorités disposaient d’office. Il affirma en particulier que le courrier officiel relatif à d’autres procédures menées devant cette même juridiction avait été notifié à l’adresse concernée, et que celle-ci était de plus répertoriée dans un registre des sociétés de la mairie, qui serait disponible sur Internet.
14. Le 7 juin 2011, le tribunal régional rejeta le recours, estimant que la détention provisoire du requérant était l’unique moyen de préserver la bonne marche de la procédure, au motif que l’intéressé risquait de tenter de se soustraire à la justice et d’entraver le déroulement des poursuites. Il nota que l’adresse indiquée par son avocat dans le recours contre l’ordonnance du 17 mai 2011 ne correspondait pas à l’adresse du domicile du requérant mais à celle de l’endroit où il exerçait son activité professionnelle. Or, selon le tribunal, la loi exigeait de l’accusé qu’il révélât aux autorités l’adresse de son domicile, obligation à laquelle le requérant n’aurait pas satisfait en l’espèce.
15. Le 9 juin 2011, l’avocat du requérant demanda au tribunal de reprendre la procédure pénale contre son client et d’annuler la détention provisoire de celui-ci. Il produisit un certificat établi par la mairie de Varsovie, faisant apparaître l’adresse à laquelle le requérant était domicilié (zameldowanie na pobyt stały) depuis le mois de mars 2010 et qui était identique à celle citée dans ses recours contre l’application de la détention provisoire.
16. Le 10 juin 2011, le tribunal de district de Varsovie décida de rouvrir la procédure pénale contre le requérant.
17. Le 14 juin 2011, à l’issue d’une séance tenue en présence de l’avocat du requérant, le tribunal ordonna la remise en liberté de ce dernier et remplaça sa détention provisoire par une mesure de surveillance lui imposant de se présenter au poste de police tous les sept jours. Pour ce faire, il prit en compte le motif de santé avancé par la défense et l’attestation de la mairie produite par l’avocat.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Dispositions relatives à la détention provisoire
22. Le code de procédure pénale (CPP) classe la détention provisoire parmi les « mesures préventives » (środki zapobiegawcze), avec la remise en liberté sous caution (poręczenie majątkowe), le contrôle judiciaire (dozór policji), la garantie fournie par une personne digne de foi (poręczenie osoby godnej zaufania), la garantie fournie par un organisme social (poręczenie społeczne), l’interdiction temporaire de se livrer à une activité donnée (zawieszenie oskarżonego w określonej działalności) et l’interdiction de quitter le territoire (zakaz opuszczania kraju).
23. L’article 249 § 1 du CPP énonce les motifs généraux d’imposition de mesures préventives :
« 1. Des mesures préventives peuvent être imposées pour assurer le bon déroulement de la procédure et, exceptionnellement, pour empêcher un accusé de commettre une autre infraction grave. Elles ne peuvent être imposées que si les éléments disponibles font apparaître une forte probabilité que l’accusé ait commis une infraction. »
24. L’article 258 du CPP énumère les motifs de placement en détention provisoire. Il est ainsi libellé :
« 1. La détention provisoire peut être imposée :
1) s’il y a un risque raisonnable que l’accusé s’enfuie ou se cache, en particulier lorsque son identité ne peut être établie ou qu’il n’a pas de domicile fixe [en Pologne] ;
2) s’il y a un risque raisonnable que l’accusé tente d’inciter [des témoins ou des coaccusés] à produire un faux témoignage ou à faire obstruction au bon déroulement de la procédure par tout autre moyen illégal ;
2. Si les charges qui pèsent sur l’accusé concernent une infraction grave ou une infraction pour laquelle il encourt une peine dont le maximum légal est d’au moins huit années d’emprisonnement, ou si un tribunal de première instance a condamné l’intéressé à une peine d’au moins trois années d’emprisonnement, la nécessité de maintenir la détention afin d’assurer le bon déroulement de la procédure peut découler de la probabilité qu’une peine sévère soit prononcée. »
25. Le CPP prévoit les limites dans lesquelles le tribunal peut prolonger chaque type de mesure préventive. L’article 257 du CPP dispose notamment :
« 1. Le placement en détention provisoire ne peut être ordonné si une autre mesure préventive est suffisante. »
26. L’article 259 § 1 du CPP dispose :
« 1. En l’absence de raisons particulières l’interdisant, il est mis fin à la détention provisoire, en particulier si le fait de priver l’accusé de sa liberté :
1) mettrait sérieusement en danger sa vie ou sa santé ; ou
2) emporterait des conséquences excessivement graves pour lui-même ou pour sa famille. »
27. L’article 259 § 3 du CPP est ainsi libellé :
« La détention provisoire n’est pas imposée lorsque l’infraction est passible d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas un an, sauf si l’auteur de l’infraction en cause a été arrêté en flagrant délit ou juste après la commission de celle-ci. »
28. L’article 259 § 4 du CPP précise que la règle énoncée à l’article 259 § 3 n’est pas applicable lorsque l’accusé se soustrait à la justice, persiste à ne pas répondre aux convocations ou entrave irrégulièrement la procédure d’une autre manière, ou lorsque son identité ne peut être établie.
B. Obligations de l’accusé
29. L’article 75 du CPP dispose que l’accusé qui n’a pas été privé de sa liberté est tenu de se présenter lorsqu’il reçoit une convocation relative à une affaire pénale. Il doit également informer l’autorité menant la procédure de tout changement de domicile et de toute absence de plus de sept jours. Il doit être avisé de ces obligations au moment du premier interrogatoire.
30. Selon le paragraphe 2 de cet article, en cas de non-comparution injustifiée, l’accusé peut être arrêté et conduit au tribunal sous contrainte.
C. L’indemnisation en cas de détention injustifiée
« 1. Lorsque, à l’issue de la réouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou d’un pourvoi en cassation, l’accusé est soit acquitté soit à nouveau condamné en vertu d’une disposition de fond plus clémente, il peut prétendre à une indemnisation du Trésor public pour le dommage matériel et moral que lui a causé l’exécution de tout ou partie de la peine qui lui avait été imposée à l’origine.
(...)
4. Peuvent également prétendre à une indemnisation pour dommage matériel et pour dommage moral les victimes d’une arrestation ou d’une détention provisoire manifestement injustifiées. »
D. Les dispositions relatives à la procédure pénale simplifiée (postępowanie uproszczone)
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 c) DE LA CONVENTION
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...) »
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
52. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu pendant seize jours dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre lui à la suite de son inculpation pour infraction à la loi fiscale. Cette privation de liberté a été prononcée en application des articles 249 § 1 et 259 § 4 du CPP dans le but de préserver le bon déroulement de la procédure pénale et de garantir la comparution de l’intéressé aux audiences tenues par le tribunal de district de Varsovie dans la procédure en question. La Cour note que la détention du requérant a été également motivée par des craintes des autorités de le voir tenter de se soustraire à la justice, compte tenu du fait qu’il a été établi que l’intéressé, bien qu’ayant été cité à comparaître, ne s’était pas présenté aux audiences et que ces convocations n’avaient pu lui être notifiées car il ne résidait plus aux endroits indiqués aux autorités aux fins des notifications officielles.
58. Reste à savoir si la privation de liberté en cause était compatible avec l’esprit de l’article 5 § 1 de la Convention, aux termes duquel une telle mesure doit constituer une ultima ratio, autrement dit la liberté personnelle doit être la règle et la privation de liberté avant jugement une stricte exception.
59. La Cour relève dans ce contexte que, pour motiver leur décision de placer le requérant en détention provisoire, les autorités ont fait valoir le besoin de garantir le bon déroulement de la procédure pénale, compte tenu de leurs craintes de voir l’intéressé se soustraire à la justice. Il ne prête pas à controverse que, dans certaines circonstances exceptionnelles, la privation de liberté peut constituer l’unique moyen de garantir la comparution d’un accusé, compte tenu notamment de sa personnalité, de la nature de l’infraction qui lui est imputée ou encore de la gravité de la peine qu’il encourt. Il n’en reste pas moins que les raisons invoquées par les autorités pour justifier l’application d’une mesure privative de liberté doivent être étayées par des éléments factuels concrets concernant le suspect pour apparaître comme convaincantes et pertinentes dans les circonstances de la cause (Ambruszkiewicz c. Pologne, no 38797/03, § 29, 4 mai 2006).
60. Or, en l’espèce, la Cour relève plusieurs facteurs qui l’amènent à s’interroger sur le caractère proportionné et nécessaire de la mesure appliquée par les autorités au requérant. Elle note que celui-ci était dépourvu d’antécédents criminels et qu’il avait une domiciliation permanente en Pologne (paragraphes 9 et 15 ci-dessus). Elle observe ensuite que, en principe, le droit interne interdit le recours à la détention provisoire en cas de commission d’infractions passibles d’une peine inférieure à un an d’emprisonnement (paragraphe 27 ci-dessus) ; or les infractions qui étaient imputées au requérant étaient passibles d’une peine non privative de liberté, soit tout au plus d’une amende.
61. Il est vrai que, au cours de la procédure dirigée contre lui, le requérant a changé de domiciliation sans en informer les autorités, ce qu’il aurait dû faire selon le droit interne. Cela étant, il n’a pas été démontré que sa détention provisoire durant seize jours constituait dans les circonstances de l’espèce une mesure nécessaire à l’établissement de sa domiciliation ou à la réalisation d’actes de procédure susceptibles de requérir sa comparution en personne devant les autorités.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
(...)
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
(...)
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
78. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
B. Frais et dépens
C. Intérêts moratoires
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la Requête recevable ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention ;
3. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité,
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en zlotys au taux applicable à la date du règlement :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise
Elens-Passos Ineta Ziemele
Greffière Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Z. Kalaydjieva.
I.Z.
F.E.P.
OPINION SÉPARÉE DE LA JUGE KALAYDJIEVA
(Traduction)
Les motifs pour lesquels j’ai conclu à la violation de l’article 5 de la Convention en l’espèce diffèrent de ceux adoptés par la majorité, qui a considéré que la privation de liberté litigieuse relevait de l’article 5 §1 c) en ce qu’elle avait été infligée au requérant « au motif qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction » et « en vue de sa conduite devant une autorité judiciaire compétente ».
Toutefois, il est constant que, au regard du droit interne, la comparution du requérant devant le tribunal n’était pas requise - celui-ci ayant le pouvoir d’examiner l’affaire de l’intéressé et de statuer en son absence sur les accusations portées contre lui - et que la détention ne figurait pas au nombre des mesures restrictives que les autorités pouvaient légalement prendre pour le type d’infraction dont elles avaient des raisons plausibles de le croire coupable. C’est pourquoi je ne puis approuver la majorité d’avoir conclu que la détention litigieuse relevait de l’article 5 § 1 c) et qu’elle poursuivait le but légitime énoncé par cette disposition.
L’article 5 § 1 de la Convention garantit aux individus le droit à la liberté et à la sûreté, excepté dans les cas limitativement énumérés par ses alinéas a) à f). Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que toute privation de liberté visant des fins autres que celles énoncées dans les alinéas en question doit être qualifiée d’arbitraire.
Il n’a pas été avancé que la mesure litigieuse visait à atteindre un autre des buts limitativement énumérés par les alinéas de l’article 5 § 1. Cela constitue à mes yeux une raison suffisante pour conclure que la privation de liberté infligée au requérant a été arbitraire d’un bout à l’autre, sans qu’il soit besoin de rechercher si cette mesure était « proportionnée » dans les circonstances de l’espèce. Dès lors qu’une privation de liberté ne relève d’aucun des buts énumérés dans l’article 5, elle ne peut passer pour « proportionnée ».
Dans ces conditions, je ne suis pas certaine que la majorité ait eu raison de conclure à l’applicabilité de l’article 5 § 3 à la situation du requérant. Le droit d’être « libéré pendant la procédure » au sens de l’article 5 § 3 de la Convention ne trouve à s’appliquer que lorsque la privation de liberté poursuit l’un des buts énumérés par l’article 5 § 1 c). En cas de détention arbitraire, la Convention garantit au détenu le droit « d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale », à tout moment et quelle que soit la durée de la détention (article 5 § 4).
Le fait que le tribunal avait compétence au regard du droit interne pour ordonner la détention du requérant ne me semble pas suffisant pour justifier la privation de celui-ci aux fins de l’article 5 de la Convention.