BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PIETRIS S.A. v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 67576/10 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 1231 (03 December 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1231.html
Cite as: [2013] ECHR 1231

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

     

    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE PIETRIS S.A. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

     

    (Requête no 67576/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    3 décembre 2013

     

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Pietris S.A. c. République de Moldova,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

              Luis López Guerra, président,
              Nona Tsotsoria,
              Valeriu Griţco, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 novembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 67576/10) dirigée contre la République de Moldova et dont une ressortissante de cet Etat, la compagnie Pietris S.A. (« la requérante »), a saisi la Cour le 17 novembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La société requérante a été représentée par Me I. Soțchi, avocate à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol, du ministère de la Justice.

    3.  La requérante allègue que ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 ont été méconnus à la suite de l’annulation de l’arrêt irrévocable rendu en sa faveur et en l’absence d’un recours effectif contre la violation du principe de la sécurité des rapports juridiques.

    4.  Le 1er juin 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    5.  Le Gouvernement s’oppose à l’examen de la Requête par un Comité. Après avoir examiné l’objection du Gouvernement, la Cour la rejette.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    6.  La requérante est une société anonyme moldave, ayant son siège social à Vatra, la municipalité de Chișinău.

    7.  Le 26 décembre 2003, le tribunal économique de Chișinău accueillit l’action de la société requérante contre une société tierce T., concernant la transmission à la requérante du droit de propriété sur certains immeubles pour l’acquittement d’une dette. Cet arrêt ne fut pas frappé d’appel et passa donc en force de chose jugée. Le 12 mars 2004, la société « Pietris S.A. » enregistra son droit de propriété au cadastre.

    8.  Le 4 septembre 2008, la société T. introduisit une demande en révision contre l’arrêt du 26 décembre 2003. Le 3 novembre 2008, le juge mit les biens sous séquestre judiciaire. Par un jugement avant dire droit irrévocable du 6 octobre 2010, la demande de révision fut accueillie et l’affaire renvoyée pour être réexaminée.

    9.  Le 19 octobre 2010, en invoquant directement les articles 6 et 13 de la Convention et la jurisprudence de la Cour, la société requérante contesta le jugement avant dire droit du 6 octobre 2010 dans la partie concernant la révision de l’affaire.

    10.  Le 18 novembre 2010, la cour économique d’appel accueillit, en s’appuyant notamment sur l’article 13 de la Convention, la contestation de la requérante et annula la révision adoptée le 6 octobre 2010. Elle constata la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, sans accorder de compensation au titre de la satisfaction équitable.

    11.  Le 14 septembre 2011, la société requérante forma une demande devant la cour économique d’appel pour le remboursement des frais et dépens encourus. Cette Requête ne fut pas examinée jusqu’à ce jour.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    12.  Concernant la révision des décisions définitives, le droit interne pertinent est résumé dans les affaires Popov c. République de Moldova (no 2) (no 19960/04, §§ 27-29, 6 décembre 2005) et Jomiru et Creţu c. République de Moldova, (no 28430/06, §§ 26 - 27, 17 avril 2012).

    13.  Quant aux voies de recours contre le jugement de révision d’un arrêt irrévocable, les dispositions pertinentes sont prévues à l’article 453 du Code de procédure civile moldave. Cet article prévoit que le jugement avant dire droit favorable à la demande de révision ne peut être attaqué qu’avec le jugement au fond. A l’opposé, le jugement qui est défavorable à une telle demande est susceptible de faire l’objet d’un recours devant l’instance supérieure.

    14.  La jurisprudence de la Cour suprême de justice est analysée dans l’affaire Galuschin c. République de Moldova (déc.), (no 29568/06, § 16, 23 août 2011).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

    15.  La société requérante se plaint de l’absence de dédommagement de la part des juridictions moldaves pour l’atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques et du droit au respect de ses biens. Elle allègue de ce fait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Les passages pertinents des dispositions invoquées sont ainsi libellés :

    Article 6 § 1

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    Article 1 du Protocole no 1

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    16.  Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité.

    1.  Sur le non-épuisement allégué des voies de recours internes

    17.  Faisant valoir que l’intéressée avait la possibilité de demander devant les juges nationaux, en s’appuyant directement sur les dispositions de la Convention, des indemnités contre les violations subies, le Gouvernement soutient que la société requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes.

    18.  Aux yeux de la société requérante, la voie de recours invoquée par le Gouvernement est ineffective, d’autant plus qu’une demande de restitution des frais judiciaires encourus a été déposée le 14 septembre 2011, mais elle n’a pas été examinée jusqu’à ce jour.

    19.  La Cour note qu’une demande de remboursement des frais et dépens a été déposée, depuis deux ans, devant les instances nationales et qu’elle est demeurée sans réponse. En conséquence, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

    2.  Sur la qualité de victime de la société requérante

    20.  Le Gouvernement soutient que la société requérante ne peut plus se prétendre victime d’une violation des droits garantis par les dispositions de la Convention et de ses Protocoles, parce que sa situation a été remédiée au niveau national.

    21.  La société requérante estime que l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée car, en l’absence de compensation pour les préjudices et les frais allégués, elle a conservé sa qualité de victime.

    22.  La Cour estime que l’exception préliminaire invoquée par le Gouvernement au titre de la perte de la qualité de victime est si étroitement liée à la substance des griefs de la requérante qu’il y a lieu de la joindre au fond de la Requête (voir, parmi d’autres Opuz c. Turquie, no 33401/02, § 116, CEDH 2009).

    23.  Par ailleurs, la Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

     

    B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties

    a)  La société requérante

    24.  La société requérante soutient que l’annulation d’un arrêt irrévocable rendu en sa faveur a violé le principe de la sécurité des rapports juridiques. Bien que les juridictions nationales aient reconnu cette violation, elles n’ont pas donné suite à sa demande de compensation des préjudices subis et des dépens encourus. Dans ces circonstances, la requérante considère qu’elle est victime de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.

    b)  Le Gouvernement

    25.  Le Gouvernement conteste cette thèse. Il estime que la société requérante a été rétablie, par l’annulation de la révision abusive, dans ses droits et que des allégations sur le remboursement des frais et dépenses judiciaires ne peuvent pas être considérées suffisantes pour maintenir sa qualité de victime.

    2.  L’appréciation de la Cour

    a)  Principes généraux

    26.  La Cour rappelle que c’est en premier lieu aux autorités nationales qu’il appartient de redresser une violation alléguée de la Convention.

    27.  La Cour réaffirme qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Ganea c. République de Moldova, no 2474/06, § 18, 17 mai 2011, avec les références y citées ; Vladut c. Roumanie, no 6350/02, § 30, 30 novembre 2006 ; Mureşan c. Roumanie, no 8015/05, § 20, 26 mai 2009 ; Anişoara et Mihai Olteanu c. Roumanie, no 37425/03, § 24, 13 octobre 2009).

    28.  Il découle de ce qui précède qu’il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant (voir, notamment, Normann c. Danemark (déc.), no 44704/98, 14 juin 2001 ; Jensen et Rasmussen c. Danemark (déc.), no 52620/99, 20 mars 2003 ; et Nardone c. Italie (déc.), no 34368/02, 25 novembre 2004).

    b)  Application des principes susmentionnés en l’espèce

    29.  La Cour relève qu’elle a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Popov c. République de Moldova (no 2), no 19960/04, §§ 52-58, 6 décembre 2005 ; Oferta Plus SRL c. République de Moldova, no 14385/04, §§ 104-107 et 112-115, 19 décembre 2006 ; Melnic c. République de Moldova, no 6923/03, §§ 38-44, 14 novembre 2006 ; Istrate c. République de Moldova, no 53773/00, §§ 46-61, 13 juin 2006) et que c’est exactement de cette jurisprudence que se sont inspirées les juridictions moldaves pour donner gain de cause à la société requérante au niveau national (voir le paragraphe 10 ci-dessus). La seule question qui soulève dès lors un problème dans la présente affaire est l’absence de compensation au titre de satisfaction équitable.

    30.  La Cour observe qu’en vertu de la jurisprudence Galuschin, toute personne a la possibilité d’introduire une demande en réparation du dommage résultant de la révision abusive d’un arrêt irrévocable qui lui était favorable. Cette jurisprudence concerne une procédure spéciale prévue à l’article 449 du code de procédure civile. Dans le cadre de cette procédure, l’initiative incombe à l’agent du Gouvernement et il appartient ensuite au procureur général, après la communication de la Requête à la partie défenderesse, de saisir la Cour suprême de justice d’une action en révision.

    31.  Bien que la situation de la requérante soit distincte de celle de la Requête Galuschin précitée, la Cour ne perçoit pas de différence entre les deux procédures invoquées en ce qui concerne la demande de satisfaction équitable, et elle réitère sa position selon laquelle la voie de recours interne susmentionnée doit en principe être utilisée par les intéressés (voir Daniel - P S.A. c. République de Moldova (déc.), no 32846/07, 20 mars 2012 et mutatis mutandis Mătăsaru et Saviţchi c. République Moldova, no 38281/08, § 72, 2 novembre 2010).

    32.  Cela étant, la Cour examine avec attention l’évolution de la jurisprudence des juridictions internes, et elle se réserve la possibilité de revoir sa propre jurisprudence au cas où cette voie de recours ne serait plus jugée effective.

    33.  Ainsi, la Cour remarque que la société requérante avait demandé, mais les juridictions nationales ne lui ont alloué aucune réparation pour les préjudices subis et les dépens encourus. Dans des telles circonstances, l’on ne saurait admettre que l’Etat défendeur ait suffisamment redressé la violation des droits de la société requérante, protégés par la Convention et ses Protocoles.

    34.  Partant, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement tirée de la perte de la qualité de « victime » de la société requérante au sens de l’article 34 de la Convention et de conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

    35.  La société requérante dénonce l’absence de tout recours devant une instance nationale pouvant statuer sur la réouverture abusive d’un procès. Elle invoque l’article 13 de la Convention, qui dispose :

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    36.  Le Gouvernement combat la thèse de l’intéressée en réitérant pour l’essentiel ses arguments sur le non-épuisement allégué des voies de recours internes et la perte de la qualité de victime.

    37.  Eu égard au constat relatif à l’article 6 de la Convention (paragraphe 34 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, entre autres, Popov c. République de Moldova précité, (§ 55)).

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    38.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    39.  La société requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction pour le préjudice moral et matériel.

    B.  Frais et dépens

    40.  Justificatifs à l’appui, la société requérante a demandé 1 631 euros (EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 1 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

    41.  Le Gouvernement juge ces sommes excessives.

    42.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 631 EUR tous frais confondus et l’accorde à la société requérante.

    C.  Intérêts moratoires

    43.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement concernant la perte de la qualité de « victime » de la société requérante et la rejette ;

     

    2.  Déclare la Requête recevable ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

     

    5.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

     

    6.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser à la société requérante, dans les trois mois, 2 631 (deux mille six cent trente et un) euros pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Marialena Tsirli                                                                   Luis López Guerra
    Greffière adjointe                                                                      
    Président


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1231.html