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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TEKÇI AND OTHERS v. TURKEY - 13660/05 - Chamber Judgment (French text) [2013] ECHR 1261 (10 December 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1261.html
Cite as: [2013] ECHR 1261

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE TEKÇİ ET AUTRES c. TURQUIE

     

    (Requête no 13660/05)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    10 décembre 2013

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Tekçi et autres c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Işıl Karakaş,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 novembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13660/05) dirigée contre la République de Turquie et dont douze ressortissants de cet Etat, M. Halit Tekçi, Mme Ayşan Tekçi, M. Süleyman Tekçi, Mme Sara Tekçi, Mme Havva Tekçi, M. Lokman Tekçi, M. Osman Tekçi, Mme Salime Tekçi, M. Abdurrahman Tekçi, Mme Asya Tekçi, M. Mehmet Tekçi et M. Ömer Tekçi (« les requérants »), ont saisi la Cour le 25 février 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Mes H. Geylani et Y. Geylani Arslan, avocats à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

    3.  Les requérants alléguent la violation des articles 2, 5, 6, 13 et 14 de la Convention.

    4.  Le 6 juillet 2009, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Les requérants sont nés respectivement en 1942, 1948, 1963, 1964, 1973, 1974, 1978, 1981, 1981, 1982, 1986 et 1990 et résident à Hakkari.

    6.  Les deux premiers requérants sont respectivement le père et la mère du disparu Nezir Tekçi (ci-après « Nezir »), et les autres requérants sont ses frères et sœurs.

    A.  Sur la disparition de Nezir Tekçi

    7.  Les requérants indiquent que Nezir s’était rendu le 27 avril 1995 dans le village de Armutlu pour aider au déménagement de son frère Lokman à Yüksekova, et que, lors du déménagement, les deux frères avaient rendu visite à Fehim Dara, habitant le village de Yukarıölçek, en compagnie de Habip Bala et Hamit İsaoğlu. Ils ajoutent que, le 28 avril 1995, une opération militaire avait eu lieu dans la zone proche du village de Yukarıölçek et que des militaires avaient alors emmené les cinq hommes, ainsi que plusieurs villageois - dont Ecevit Sefalı, Nazım Dara, Serhenk Serdaroğlu, Cemil Kırmızıtaş, Kadir Altekin, Abdullah Yazar -, dans une étable. Ils précisent que, le lendemain, toutes les personnes, excepté Nezir, avaient été libérées, que Nezir avait été livré aux militaires d’une unité basée dans le village de Muşan et que le commandant de cette unité, A.O.A., avait tué leur proche au bout de quatre jours.

    B.  Plaintes pénales déposées devant les autorités militaires

    8.  Le 22 mai 1995, les requérants déposèrent une plainte devant le commandement de la gendarmerie de Hakkari au sujet de la disparition de Nezir. Le même jour, ils adressèrent une demande similaire au sous-préfet de Yüksekova.

    9.  Le 15 décembre 1997, le parquet militaire de Van (21. Jandarma Sınır Tümen Komutanlığı) rendit une ordonnance de non-lieu à l’encontre de A.O.A. et de M.E.Y. Dans sa décision, il nota que les requérants avaient déposé une plainte le 22 mai 1995 et une autre plainte le 5 juin 1995. Il releva que certains des éléments réunis, en particulier le procès-verbal de gendarmerie du 31 juillet 1995, indiquaient que le disparu était membre du PKK[1]. Il releva également que, selon la déposition de Nazım Fırat (arrêté pour séparatisme), le 31 mai 1995, Nezir avait participé à un affrontement armé à Yüksekova entre des militaires et des membres du PKK au cours duquel il avait été tué, qu’il avait été enterré à l’endroit où avait eu lieu le combat, et que Nazım Fırat avait été arrêté par les forces de l’ordre. Cela étant, le parquet indiqua que, même si le père du disparu et Nazım Fırat soutenaient que Nezir avait été tué, il n’y avait pas de certitude à ce sujet et qu’il n’y avait pas non plus de certitude au sujet de la thèse selon laquelle A.O.A. et M.E.Y. avaient tué Nezir. Il précisa aussi qu’il n’avait pas non plus été établi que Nezir appartenait au PKK, et il ajouta que Nazım Fırat avait réfuté sa déposition, obtenue d’après lui sous la pression lors de sa garde à vue, de sorte que cette déposition n’avait plus de force probante. Le parquet conclut que, le corps de Nezir n’ayant pas été retrouvé, il n’était pas possible d’établir s’il était décédé ou s’il avait été tué, et que l’affirmation des requérants selon laquelle Nezir avait été placé en garde à vue par les forces de l’ordre n’était pas non plus confirmée par des éléments de preuve.

    10.  Le 20 décembre 1997, après avoir reçu l’ordonnance en question, le commandement de la gendarmerie de Van décida de ne pas contester cette décision.

    11.  Le 10 décembre 1998, l’ordonnance de non-lieu du parquet militaire de Van en date du 15 décembre 1997 fut notifiée à Halit Tekçi.

    12.  D’après les éléments du dossier, ce dernier ne contesta pas cette ordonnance devant le tribunal militaire compétent.

    C.  Plaintes pénales déposées devant les autorités judiciaires

    13.  Le 22 mai 1995, Halit Tekçi déposa une plainte devant le procureur de la République de Yüksekova au sujet de la disparition de son fils, en mettant en cause la responsabilité des militaires. Après avoir réitéré sa version des faits, il demanda l’audition des personnes suivantes : Habip Bala, Hamit Cindar, Fehim Dara, Mehdiye Dara, Ecevit Safalı, Nazım Dara, Serhenk Erişmiş, Kadir Altekin et Abdullah Yazar.

    14.  Le 22 mai 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda au commandement de la gendarmerie de lui fournir en urgence les coordonnées des personnes indiquées dans la plainte de Halit Tekçi du même jour.

    15.  Toujours le 22 mai 1995, le procureur de la République de Yüksekova entendit Halit Tekçi. Celui-ci déclara notamment que son fils avait été placé en garde à vue par les militaires qui étaient basés au village de Muşan.

    16.  Le 24 mai 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda au commandement de la gendarmerie de Yüksekova de lui présenter les personnes suivantes pour audition : Serhenk Erişmiş, Nazım Dara, Fehim Dara, Mehdiye Dara, Ecevit Safalı, Cemil Kırmızıtaş, Selahattin Sarıtaş, Yusuf Kırmızıtaş, Habip Bala, Hamit Cindar et un certain Hurşit dont le nom de famille n’était pas précisé.

    17.  Le 31 mai 1995, l’association YAKAY-DER (Yakınlarını Kaybeden Ailelerle Yardımlaşma ve Dayanışma Derneği, association d’entraide des familles ayant perdu un proche) déposa une plainte pénale devant le parquet de Fatih (Istanbul). Ce dernier se déclara incompétent et transmit la plainte au parquet de Yüksekova.

    18.  Le 5 juin 1995, Halit Tekçi déposa une autre plainte devant le procureur de la République de Yüksekova au sujet de la disparition de Nezir. Il demanda l’audition des témoins qui avaient été conduits avec son fils dans l’étable et qui, d’après lui, avaient déclarés que le militaire A.O.A., après avoir fait attacher les mains et bander les yeux de Nezir, avait emmené ce dernier avec lui. Il précisa que Nezir avait été emmené à la garnison de Köycük mais que sa garde à vue n’avait pas été enregistrée. Il donna les noms des témoins suivants : Fehim Dara, Nazım Dara, Mehdiye Dara, Kadir Altekin, Serhenk Erişmiş, Ecevit Safalı, Yusuf Kırmızıtaş, Hamit Cindar, Habip Bala, Cemil Kırmızıtaş, İbrahim Bartin, Mehmet Süre, Yusuf Bartin, Mehmet Torus, Casim Bartin, Mikail Tarakçı, Hurşit Karay et un certain Hurşit dont le nom de famille n’était pas précisé.

    19.  Le 7 juin 1995, en se référant à sa plainte du 5 juin 1995, Halit Tekçi informa le procureur de la République que le militaire qui, d’après lui, avait tué Nezir puis placé le corps de celui-ci sur une mine antipersonnel s’appelait A.O.A. Il demanda que le nécessaire fût fait pour retrouver et condamner les responsables du décès de son fils et pour déterminer le montant dû au titre des dommages matériel et moral subis en raison de cette perte.

    20.  Le 7 juin 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda en urgence au commandement de la sûreté (Güvenlik Komutanlığı) de Yüksekova de lui présenter le militaire A.O.A. pour audition.

    21.  Le 21 juin 1995, les requérants demandèrent au parquet de Yüksekova d’approfondir l’enquête au sujet de la disparition de leur proche et, en particulier, d’interroger les témoins ainsi que le militaire A.O.A.

    22.  Toujours le 21 juin 1995, dans la mesure où il n’avait pas reçu de réponse à sa requête du 24 mai 1995, le procureur de la République de Yüksekova réitéra sa demande faite au commandement de la gendarmerie de Yüksekova.

    23.  Le même jour, le procureur de la République de Yüksekova réitéra également sa demande du 7 juin 1995 faite au commandement de la sûreté de Yüksekova aux fins de présentation et d’audition de A.O.A.

    24.  Le 3 juillet 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda en urgence au commandement des forces de sécurité de Yüksekova la liste des personnes placées en garde à vue à la date de l’incident.

    25.  Le 10 juillet 1995, sur saisine des requérants, le ministre des Droits de l’homme (« le ministre ») informa ceux-ci que, s’agissant de la disparition de leur proche survenue le 29 avril 1995 dans le village de Yukarıölçek, le préfet de Hakkari avait été saisi et qu’ils seraient informés du résultat de l’enquête.

    26.  Le 19 juillet 1995, à la suite de la demande précitée en date du 3 juillet 1995, le commandant A.O.A. envoya au procureur de la République de Yüksekova une feuille sur laquelle étaient écrits à la main les noms et prénoms des 68 personnes qui se trouvaient en garde à vue à la date de l’incident.

    27.  Toujours le 19 juillet 1995, A.O.A. fut entendu par le procureur de la République. Dans sa déposition, il déclara qu’il ne connaissait ni Halit Tekçi ni son fils Nezir Tekçi. Il présenta la liste des personnes placées en garde à vue à l’époque des faits. Il précisa qu’il ressortait de cette liste que Nezir n’avait pas été placé en garde à vue. Il indiqua avoir appris, au début du mois de juin, que des tirs de provocation avaient été effectués à l’encontre du commandement de la gendarmerie de Yüksekova, que Nezir avait été tué à cette occasion et que son corps avait été enlevé par des membres du PKK.

    28.  Le 20 juillet 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda au commandement de la gendarmerie de Yüksekova de l’informer en urgence au sujet de la disparition de Nezir, qui serait mort lors d’un affrontement près du village de Çobanpınar (hameau de Mıtırban), et de lui fournir des documents confirmant le décès de celui-ci.

    29.  Le 24 juillet 1995, les requérants demandèrent des nouvelles auprès du parquet de Yüksekova au sujet de la disparition de leur proche survenue le 29 avril 1995, ainsi qu’auprès du préfet de Hakkari. Le même jour, ils accusèrent réception de la lettre du ministre en date du 10 juillet 1995 et ils demandèrent que le nécessaire fût effectué pour éclaircir les circonstances dans lesquelles leur proche avait disparu.

    30.  Le 31 juillet 1995, se fondant sur la déposition de Nazım Fırat, dont le nom de code était « Agit », le commandement de la gendarmerie de Yüksekova informa le procureur de la République de Yüksekova que Nezir, dont le nom de code était « Bedirhan », avait été tué de deux balles dans le thorax au cours de l’affrontement survenu le 31 mai 1995 entre des membres du PKK et les gendarmes du commandement de Yüksekova. Le commandement de la gendarmerie joignit en annexe des copies de la déposition en question et d’un rapport d’incident (vukuat raporu).

    31.  Le 14 août 1995, le procureur de la République de Yüksekova entendit les personnes suivantes :

    - Selahattin Sarıtaş qui déclara avoir été placé en garde à vue avec soixante ou soixante-dix personnes deux à trois mois plus tôt, qui ajouta qu’une partie des personnes avaient été placées en garde à vue dans une étable et une autre partie sous une tente comme lui, et qui précisa ne pas avoir subi de mauvais traitements et ne pas connaître Nezir ;

    - Yusuf Kırmızıtaş qui précisa avoir été placé en garde à vue avec soixante ou soixante-dix personnes deux à trois mois plus tôt, qui indiqua ne pas savoir si Nezir avait été placé en garde à vue, et qui déclara ne pas avoir subi de mauvais traitements ;

    - Nazım Dara qui déclara avoir été placé en garde à vue dans une étable à l’époque des faits litigieux et ne pas connaître Nezir, et qui ajouta que deux personnes avaient été amenées à la gendarmerie de la sous-préfecture et qu’elles avaient par la suite été mises en liberté ;

    - Mehdiye Dara qui déclara ne pas avoir été placée en garde à vue et ne pas connaître Nezir ;

    - Fehim Dara qui déclara ne pas avoir pas été placé en garde à vue et ne pas connaître Nezir ;

    - Ecevit Safalı qui déclara avoir été placé en garde à vue à l’époque des faits litigieux et qui précisa ne pas connaître Nezir ;

    - Serhenk Erişmiş qui affirma avoir été placé en garde à vue à l’époque des faits litigieux mais ne pas connaître Nezir.

    32.  Le 15 août 1995, les requérants s’adressèrent au préfet de Hakkari au sujet de la lettre du ministre du 10 juillet 1995.

    33.  Le 12 septembre 1995, le procureur de la République de Yüksekova se déclara incompétent rationae materiae au profit du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Dans sa décision, il indiqua que Nezir avait été tué au cours d’un affrontement, après avoir été touché à la poitrine, alors qu’il avait attaqué le commandement de la gendarmerie de Yüksekova avec un groupe de terroristes.

    34.  Le 4 octobre 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır émit un avis de recherche à l’encontre des personnes présumées responsables du décès de Nezir, en demandant à la direction de la sûreté et au commandement de la gendarmerie de Diyarbakır un compte rendu tous les trois mois.

    35.  Le 20 novembre 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de Diyarbakır entendit Nazım Fırat qui déclara ne rien savoir au sujet du décès de Nezir, survenu au cours d’une opération menée contre la gendarmerie de Yüksekova. Il précisa que, lorsqu’il avait déposé pendant sa garde à vue, le sergent-chef İbrahim l’avait obligé à faire une déclaration dans le sens contraire, qu’il ne connaissait pas Nezir et ne savait pas où ce dernier avait été tué, et qu’il avait entendu son nom pour la première fois à la gendarmerie.

    36.  Le 12 septembre 1996, en réponse à la demande du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır du 4 octobre 1995, la direction de la sûreté de Hakkari signala l’absence d’éléments de preuve, de documents ou de dénonciations au sujet de l’exécution extrajudiciaire de Nezir.

    37.  Le 17 mars 1997, les requérants déposèrent un complément de plainte devant le parquet près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, précisant que Nezir avait été arrêté par des militaires et avait été tué par le militaire A.O.A. avec la complicité du militaire M.E.Y. Dans leur plainte, les requérants précisaient en particulier ce qui suit :

    - le 29 avril 1995, Selim Özeken, qui était parti au village de Muşan, avait déclaré à Halit Tekçi qu’il avait vu Nezir et d’autres personnes placées en garde à vue par les soldats ;

    - Sadrettin Bala et Hamit Cındar, qui avaient été placés en garde à vue, avaient été mis en liberté. Ils avaient déclaré avoir été placés en garde à vue avec Nezir pendant deux jours, lequel avait les mains attachées et les yeux bandés et avait par la suite été conduit à un autre endroit ;

    - Cemil Kırmızıtaş et Selahattin Kırmızıtaş, habitants du village de Muşan, avaient également été placés en garde à vue par les militaires et avaient aussi déclaré avoir été placés en garde à vue avec Nezir pendant deux jours. Ils avaient indiqué avoir vu les militaires emmener Nezir alors que ce dernier avait les mains attachées et les yeux bandés ;

    - le 10 mai 1995, alors qu’il se trouvait dans un magasin du centre de Yüksekova, Halit Tekçi avait parlé avec un militaire qui avait participé à l’opération militaire litigieuse. Il indiqua que ce militaire lui avait affirmé que Nezir avait été tué le 1er mai 1995 par A.O.A. après avoir été interrogé au sujet des refuges du PKK et avoir répondu qu’il n’était pas membre de cette organisation. Il ajouta que ce militaire lui avait également déclaré qu’A.O.A. avait tué Nezir, dont les mains étaient attachées et les yeux bandés, avec une arme à feu, puis avait placé sa dépouille sur une mine antipersonnel qui avait explosé et déchiqueté son corps.

    38.  Le 19 mars 1997, le procureur de la République de Yüksekova transmis au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır une copie de la plainte de Halit Tekçi.

    39.  Le 9 juillet 1997, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır se déclara incompétent rationae loci au profit du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Van, au sujet du décès de Nezir survenu le 31 mai 1995 lors d’un affrontement entre les forces de l’ordre et des membres du PKK.

    40.  Le 5 novembre 1997, tenant compte de la qualité des auteurs présumés du meurtre de Nezir, à savoir A.O.A. et M.E.Y., le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Van se déclara incompétent au profit du procureur militaire de Van.

    41.  Le 29 juin 2004, après avoir examiné la plainte du 31 mai 1995 de l’association YAKAY-DER, le parquet de Yüksekova constata que, le 12 septembre 1995, il s’était déclaré incompétent et avait transmis cette plainte au parquet près la cour de sûreté de l’Etat de Van.

    42.  Le 10 août 2004, le parquet de Van se déclara incompétent et renvoya l’affaire devant le parquet militaire de Van dans la mesure où les auteurs présumés du meurtre de Nezir, A.O.A. et M.E.Y., étaient des militaires et où les faits s’étaient déroulés lors d’opérations accomplies par des soldats. Dans sa décision, le parquet constata qu’il ressortait de l’enquête préliminaire et d’un procès-verbal établi le 8 janvier 2004 que Nezir avait été tué à la frontière de l’Iran car il était habillé comme les peshmergas. Par ailleurs, il précisa qu’il ressortait de la déposition de Cemil Kırmızıtaş que, à la fin du mois d’avril 1995, des militaires s’étaient rendus au poste de Dişli pour faire part d’informations au sujet de la lutte contre le terrorisme. La déposition de Cemil Kırmızıtaş indiquait que, dans ce but, les militaires avaient réuni soixante habitants des villages environnants, dont Nezir qui était menotté et à qui Cemil Kırmızıtaş avait parlé, et que le commandant A.O.A., après s’être exprimé, avait libéré tous les villageois réunis sauf Nezir. Par ailleurs, le parquet releva que le témoin Nazım Dara avait déclaré que les militaires avaient emmené Nezir.

    43.  Le 6 mai 2005, les requérants demandèrent une copie des pièces relatives à l’enquête pénale menée par le parquet de Yüksekova à la suite de sa décision d’incompétence rendue le 29 juin 2004. Le même jour, le parquet leur répondit que le dossier avait été transféré au parquet militaire le 12 août 2004.

    44.  Le 13 septembre 2006, en réponse à une demande des requérants du 12 septembre 2006, le parquet militaire indiqua qu’il n’y avait aucune pièce ou décision à communiquer aux intéressés étant donné qu’aucune enquête n’avait été menée au sujet de leur plainte.

    45.  Le 15 décembre 2008, le parquet de Yüksekova entendit Halit Tekçi. Celui-ci déclara que son fils Nezir était parti à Armutlu pour ramener des moutons à Yüksekova le 27 ou le 28 avril 1995, puis qu’il avait passé la nuit chez Nazım Dara dans le village de Demirkonak, et que, à l’aube, des gendarmes avaient mené une opération dans ce village et réuni les villageois ainsi que Nezir. Il ajouta qu’un militaire avait dit à ce dernier qu’il risquait d’être tué par le commandant militaire s’il gardait ses vêtements traditionnels et que, par la suite, ce commandant avait arrêté son fils. Il indiqua également que, à une date non précisée, il avait parlé avec un soldat ayant effectué son service militaire à l’époque des faits et que celui-ci lui avait déclaré que son fils avait été tué par des militaires.

    46.  Le 17 décembre 2008, le parquet de Yüksekova entendit Mehmet Süre qui se trouvait avec Nezir au moment de son arrestation et qui confirma la version de Halit Tekçi concernant cette arrestation.

    47.  Le 18 décembre 2008, le parquet de Yüksekova entendit Cemil Kırmızıtaş. Ce dernier déclara que, à l’époque des faits litigieux, il se trouvait également en garde à vue au poste de Dişli, qu’il y avait vu Nezir qu’il connaissait pour avoir fait du commerce de bétail, et que celui-ci était menotté. Il précisa que les personnes placées en garde à vue avaient toutes été libérées, sauf Nezir, et qu’il en avait informé un membre de sa famille.

    48.  Le 19 décembre 2008, le parquet de Yüksekova entendit Nazım Dara. Celui-ci déclara que, à l’époque des faits litigieux, Nezir, accompagné d’une autre personne, était venu passer la nuit chez lui, et que, au matin, des gendarmes étaient venus au village et avaient arrêté les villageois ainsi que Nezir. Il indiqua que tous avaient été placés en garde à vue puis libérés le lendemain, excepté Nezir. Il précisa qu’un commandant nommé A.O.A. faisait partie des militaires impliqués. Il ajouta qu’il avait demandé aux militaires ce qu’il était advenu de Nezir quelques jours plus tard et que ces derniers lui avaient répondu qu’il avait été tué sur le terrain.

    49.  Le 13 août 2009, le procureur de la République de Yüksekova entendit Y.Ş. Celui-ci déclara que, alors qu’il faisait son service national à Gelibolu, son bataillon avait été envoyé à Yüksekova en avril 1995 et que tous les militaires, y compris les gradés, avaient campé pendant plusieurs jours dans le village de Muşan. Il ajouta qu’un dénommé Nezir Tekçi avait été arrêté par la première unité du bataillon, lui-même étant en service dans la deuxième unité. Il indiqua que, le jour de l’incident, cinquante militaires étaient partis en opération accompagnés de Nezir, avec le commandant A.O.A. de la première unité, le lieutenant K.A. de la deuxième unité et d’autres gradés dont il ne se souvenait pas des noms. Il précisa que Nezir devait révéler aux militaires la cache des terroristes et de leurs armes dans la montagne, que lui-même avait parlé avec Nezir au cours d’une pause, et que celui-ci lui avait donné son nom ainsi que le nom de son village d’origine (Oramarlı). Il précisa également que, sur le chemin du retour, le commandant A.O.A. avait menacé de tuer Nezir si ce dernier ne lui disait pas où se trouvaient les membres du PKK ainsi que leurs armes, et que Nezir avait répondu qu’il n’en savait rien. Il ajouta qu’A.O.A. avait ensuite emmené Nezir une dizaine de mètres plus loin, puis que Nezir avait couru vers les autres soldats en pensant qu’il allait être tué par ce commandant et que ce dernier avait demandé aux soldats qui parlaient le kurde de lever la main. Il expliqua qu’une vingtaine de soldats avaient alors levé la main, qu’A.O.A. leur avait dit de tirer sur Nezir et que les soldats en question avaient refusé. Puis il déclara que le lieutenant K.A. avait dit au commandant A.O.A. de lui donner l’ordre de tuer Nezir, que le commandant A.O.A. lui donna cet ordre, et que le lieutenant K.A. avait alors emmené Nezir une dizaine de mètres plus loin et avait tiré sur lui un ou deux coups de feu avec son fusil G3. Il ajouta qu’ensuite le commandant A.O.A. avait ordonné aux soldats de tirer sur Nezir, que les soldats avaient obéi et que lui-même avait tiré en direction de Nezir avec les autres soldats mais en orientant son arme sur le côté. Il indiqua que Nezir était décédé et que le lieutenant K.A. avait demandé au responsable des mines de le rejoindre. Il déclara que, quelques instants après, il avait entendu le bruit de l’explosion d’une mine, qu’il avait vu les vêtements de Nezir s’envoler et que le lieutenant K.A. avait montré aux soldats la tête de Nezir, qui s’était détachée de son corps, en la tenant par les cheveux.

    Le soldat Y.Ş. identifia Nezir à partir d’une photographie que lui montra le procureur de la République. Il précisa en outre que Halit Tekçi s’était rendu à son domicile afin qu’il témoigne au sujet de la mort de Nezir.

    D.  Action pénale engagée contre les militaires A.O.A. et K.A.

    50.  Par un acte d’accusation du 4 mai 2011, le procureur de la République de Hakkari intenta une action pénale contre A.O.A. pour homicide volontaire accompagné de torture sur la personne de Nezir. Dans son acte d’accusation, le procureur faisait référence aux dépositions de Halit Tekçi, des témoins Y.Ş. et H.A. - qui confirmait les dires de Y.Ş. -, ainsi qu’à des éléments de preuve du dossier.

    51.  Par la suite, une action pénale fut également engagée contre K.A. pour les mêmes chefs d’accusation que ceux retenus contre A.O.A.

    52.  Le 14 novembre 2011, pour des raisons de sécurité et de bonne administration de la justice, la Cour de cassation dessaisit la cour d’assises de Hakkari au profit de la cour d’assises d’Eskişehir (ci-après « la cour d’assises »).

    53.  Le 21 décembre 2011, la cour d’assises commença l’examen de l’affaire.

    54.  A l’audience du 29 mars 2012, la cour d’assises entendit A.O.A. et K.A. Les deux hommes nièrent les faits qui leur étaient reprochés.

    55.  A l’audience du 12 juin 2012, la cour d’assises entendit İ.A.Ş., militaire à l’époque des faits, qui déclara ne pas se souvenir de l’incident.

    56.  A l’audience du 4 octobre 2012, la cour d’assises entendit Halit Tekçi. Celui-ci réitéra ses précédentes déclarations.

    57.  A l’audience du 18 décembre 2012, la cour d’assises entendit le témoin H.A. Celui-ci déclara que Nezir avait été arrêté par son bataillon, qu’il avait été torturé au motif qu’il était terroriste et qu’il lui avait été demandé de montrer des caches d’armes. Il indiqua que Nezir avait affirmé qu’il n’était pas membre du PKK et qu’il n’avait rien à voir avec cette organisation. Il précisa que, le jour de l’incident, dans l’après-midi, Nezir avait été conduit dans la montagne, que lui-même n’était pas avec les militaires qui avaient emmené Nezir, mais que ses camarades lui avaient raconté que celui-ci avait été tué dans la montagne par une balle tirée sur ordre de A.O.A. et que tous les militaires avaient ensuite tiré sur lui. Il ajouta que le corps de Nezir avait ensuite été déchiqueté par l’explosion d’une bombe. Il précisa que M.T. lui avait relaté le déroulement de l’incident.

    58.  A l’audience du 5 mars 2013, la cour d’assises entendit Y.Ş. Celui-ci confirma sa précédente déposition au sujet de la mort de Nezir. Par ailleurs, l’avocat A.E. fit valoir qu’il ressortait de la liste des personnes placées en garde à vue à l’époque des faits, établie par A.O.A., que Cemil Kırmızıtaş et Selahattin Kırmızıtaş avaient prévenu Halit Tekçi que son fils Nezir avait été placé en garde à vue avec eux.

    59.  La procédure est toujours pendante devant la cour d’assises.

    E.  Action pénale engagée contre le témoin Nazım Fırat

    60.  Le 21 juillet 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır intenta une action pénale contre Nazım Fırat pour séparatisme.

    61.  Le dossier ne contient aucune information sur l’issue de cette action.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    62.  La Cour se réfère à l’aperçu du droit interne figurant notamment dans les arrêts Sabuktekin c. Turquie (no 27243/95, §§ 61-68, CEDH 2002-II), Ertak c. Turquie (no 20764/92, §§ 94-106, CEDH 2000-V), Kurt c. Turquie (25 mai 1998, §§ 56-62, Recueil des arrêts et décisions 1998-III), Tekin c. Turquie (9 juin 1998, §§ 25-29, Recueil 1998-IV) et Çakıcı c. Turquie ([GC], no 23657/94, §§ 56-67, CEDH 1999-IV).

    63.  Selon l’article 107 de la loi no 353 portant création des tribunaux militaires et réglementant leur procédure, la décision de non-lieu rendue par le procureur militaire peut être contestée devant le tribunal militaire le plus proche dans un délai de quinze jours à partir de la date de sa notification à la personne concernée.

    64.  Selon l’article 172 § 2 du code de procédure pénale (« le CPP » ; loi no 5271 du 4 décembre 2004), une fois que la décision de non-lieu a été rendue, une nouvelle action publique ne peut être engagée pour les mêmes actes qu’en cas d’éléments de preuve nouveaux.

    EN DROIT

    I.  SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

    A.  Exception tirée du non-respect du délai de six mois

    65.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-respect du délai de six mois, en deux branches. D’une part, il soutient que, si les requérants estimaient que les voies de recours internes n’étaient pas effectives, ils auraient dû introduire leur requête, conformément à la jurisprudence de la Cour, dans le délai de six mois à partir de la date de l’acte dénoncé ou bien de la date à laquelle ils se sont rendu compte de l’ineffectivité des voies de recours internes. D’autre part, le Gouvernement fait valoir que les requérants n’ont pas expliqué pour quelle raison ils ont introduit leur requête le 25 février 2005, soit dix ans après la disparition de leur proche et cinq ans après la décision interne définitive.

    66.  Les requérants contestent l’exception du Gouvernement.

    1.  Concernant la première branche de l’exception

    67.  La Cour constate que les requérants ne se plaignent pas de l’absence d’enquête ab initio mais de l’insuffisance de l’enquête - qui dure depuis de nombreuses années - menée par les autorités nationales qui s’est avérée inefficace. Cela étant, elle observe que, en l’espèce, l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants auraient dû introduire leur requête dans le délai de six mois à partir de la date de l’acte dénoncé ou bien de la date à laquelle ils se sont rendu compte de l’ineffectivité des voies de recours internes soulève des questions étroitement liées à celles posées par le grief que les requérants ont formulé sur le terrain de l’article 2 de la Convention quant à l’effectivité de l’enquête pénale (Nihayet Arıcı et autres c. Turquie, nos 24604/04 et 16855/05, § 135, 23 octobre 2012). Partant, elle décide de la joindre au fond.

    2.  Concernant la seconde branche de l’exception

    a.  Principes généraux pertinents

    68.  Dans les affaires de disparitions, la Cour rappelle que la présomption de décès n’est pas automatique et qu’elle n’est posée qu’après un examen des circonstances de l’affaire, la date à laquelle la personne a été vue pour la dernière fois étant à cet égard un élément pertinent (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, § 143, CEDH 2009, et Vagapova et Zoubiraïev c. Russie, no 21080/05, §§ 85-86, 26 février 2009). Le laps de temps écoulé depuis l’enlèvement en cause n’autorise pas en soi à décider que la personne disparue est présumée décédée. Encore faut-il prendre en compte la situation dans laquelle l’enlèvement a eu lieu et l’appartenance de la victime à une des parties à un conflit armé (Timurtaş c. Turquie, no 23531/94, §§ 82-83, CEDH 2000-VI, et Osmanoğlu c. Turquie, no 48804/99, §§ 55-58, 24 janvier 2008, et les références qui y sont mentionnées, ainsi que Açış c. Turquie, no 7050/05, § 35, 1er février 2011).

    69.  Cela étant et conformément à la jurisprudence de la Cour, l’examen du bien-fondé de la requête suppose toutefois que soient réunies les conditions définies notamment à l’article 35 § 1 de la Convention, aux termes duquel la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. La règle des six mois a pour objet d’assurer la sécurité juridique et de veiller à ce que les affaires litigieuses au regard de la Convention soient examinées dans un délai raisonnable. En outre, cette règle vise aussi à protéger les autorités et les autres personnes concernées de l’incertitude dans laquelle les laisserait l’écoulement prolongé du temps (Bulut et Yavuz c. Turquie (déc.), no 73065/01, 28 mai 2002, et Bayram et Yıldırım c. Turquie (déc.), no 38587/97, CEDH 2002-III).

    70.  S’il n’existe pas de recours ou si les recours disponibles ne sont pas effectifs, le délai de six mois mentionné à l’article 35 § 1 de la Convention prend normalement naissance à la date des actes dénoncés (Hazar et autres c. Turquie (déc.), nos 62566/00-62577/00 et 62579-62581/00, 10 janvier 2002). Toutefois, des considérations particulières peuvent s’appliquer dans des cas exceptionnels, lorsqu’un requérant utilise ou invoque un recours apparemment disponible et ne se rend compte que par la suite de l’existence de circonstances qui le rendent ineffectif. En ce cas, il convient de prendre comme point de départ de la période de six mois la date à laquelle le requérant a pour la première fois eu connaissance de cette situation ou aurait dû en avoir connaissance (Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni (déc.), no 46477/99, 7 juin 2001, Kıniş c. Turquie (déc.), no 13635/04, 28 juin 2005, et Öztürk et autres c. Turquie (déc.), no 13745/02, 29 avril 2008).

    71.  Concernant en particulier l’application de la règle des six mois dans les affaires de disparitions, la Cour se réfère aux principes fondamentaux qui se dégagent de l’affaire Varnava et autres précitée (§§ 162-166). Bien que la Cour ait souligné que les mêmes principes, posés dans les affaires Bulut et Yavuz (déc.) et Bayram et Yıldırım (déc.) précitées, ont été appliqués mutatis mutandis dans des affaires concernant des disparitions, elle a considéré que le délai de six mois ne s’appliquait pas en tant que tel aux situations continues (Agrotexim Hellas S.A. et autres c. Grèce, n14807/89, décision de la Commission du 12 février 1992, DR 72, p. 148, Cone c. Roumanie, no 35935/02, § 22, 24 juin 2008, et Varnava et autres, précité, §§ 158-159).

    72.  Dans l’affaire Varnava et autres précitée (§ 166), la Cour a jugé que, après plus de dix ans, les requérants doivent généralement démontrer de façon convaincante que des progrès concrets étaient accomplis pour justifier leur retard à saisir la Cour.

    73.  Dans les affaires de disparitions, tout comme il est impératif que les autorités internes compétentes ouvrent une enquête et prennent des mesures dès que la personne a disparu dans des circonstances mettant sa vie en péril, il est indispensable que les proches de la personne disparue qui entendent se plaindre à Strasbourg d’un manque d’effectivité de l’enquête ou de l’absence d’une enquête ne tardent pas indûment à saisir la Cour de leur grief. Au fil du temps, la mémoire des témoins décline, ceux-ci risquent de décéder ou d’être introuvables, certains éléments de preuve se détériorent ou disparaissent et les chances de mener une enquête effective s’amenuisent progressivement, de sorte que l’examen et le prononcé d’un arrêt par la Cour risquent de se trouver privés de sens et d’effectivité. Par conséquent, en matière de disparitions, les requérants ne sauraient attendre indéfiniment pour saisir la Cour. Ils doivent faire preuve de diligence et d’initiative et introduire leurs griefs sans délai excessif (Varnava et autres, précité, § 161).

    74.  Des requêtes peuvent être rejetées par la Cour pour tardiveté dans des affaires de disparitions lorsque les requérants ont trop attendu, ou attendu sans raison apparente, pour la saisir, après s’être rendu compte, ou avoir dû se rendre compte, de l’absence d’ouverture d’une enquête ou de l’enlisement ou de la perte d’effectivité de l’enquête menée, ainsi que de l’absence dans l’immédiat, quel que soit le cas de figure, de la moindre chance réaliste de voir une enquête effective être menée à l’avenir. Lorsque des initiatives sont prises relativement à une disparition, les proches peuvent raisonnablement s’attendre à obtenir des éléments nouveaux de nature à résoudre des questions de fait ou de droit cruciales. Dans ces conditions, tant qu’il existe un contact véritable entre les familles et les autorités au sujet des plaintes et des demandes d’information, ou un indice ou une possibilité réaliste que les mesures d’enquête progressent, la question d’un éventuel délai excessif ne se pose généralement pas. En revanche, après un laps de temps considérable, lorsque l’activité d’investigation est marquée par d’importantes lenteurs et interruptions, vient un moment où les proches doivent se rendre compte qu’il n’est et ne sera pas mené une enquête effective. Le point de savoir quand ce stade est atteint tient forcément aux circonstances de l’affaire (Varnava et autres, précité, § 165).

    b.  Application de ces principes à la présente affaire

    75.  En l’espèce, la Cour constate que les requérants soutiennent que leur proche a disparu après avoir été arrêté par des militaires le 27 avril 1995 et qu’ils ont introduit leur requête le 25 février 2005, soit environ neuf ans et dix mois après cette disparition. Elle observe qu’ils ont aussitôt après les faits déposé une plainte pénale au sujet de la disparition de leur proche devant le procureur militaire et le procureur de la République. S’il est vrai que le procureur militaire a rendu une ordonnance de non-lieu le 15 décembre 1997, la Cour relève qu’avant et après cette décision de nombreux actes juridiques de nature à relancer l’enquête ont été pris par le procureur de la République. En particulier, elle note que, le 10 août 2004, le procureur de la République de Van s’était déclaré incompétent au profit du procureur militaire de Van au motif que les faits litigieux avaient été commis par des militaires nommément désignés. La Cour estime que, à cette date, il y avait des témoins majeurs soutenant que le proche des requérants s’était trouvé avec d’autres villageois sous le contrôle des militaires et que, contrairement aux autres villageois, il n’avait pas été libéré (paragraphes 37, 42, 47 et 48 ci-dessus), et que ces témoignages jetaient un doute sur la tenue des registres de garde à vue effectuée par les militaires en poste à la date des faits litigieux.

    76.  Or, à cette dernière date, soit environ neuf ans et dix mois après la disparition du proche des requérants, il existait des faits nouveaux permettant de relancer l’enquête pénale y afférente. En tout état de cause, la Cour note que les constats établis par le procureur de la République de Van étaient de nature à déterminer les conditions dans lesquelles le proche des requérants avait pu disparaître. C’est pourquoi, à la lumière des éléments soumis à son appréciation, la Cour estime que les requérants ont démontré l’existence de faits et de circonstances spécifiques de nature à justifier l’écoulement d’un tel délai, à savoir la découverte de nouveaux éléments de preuve ou d’informations concernant la disparition de leur proche (Er et autres c. Turquie, no 23016/04, §§ 59-60, 31 juillet 2012). Il ressort des éléments du dossier que des progrès concrets, de nature à justifier la saisine de la Cour environ neuf ans et dix mois après la disparition en question, avaient été accomplis dans l’enquête (voir, a contrario, Yetişen c. Turquie (déc.), n21099/06, § 80, 10 juillet 2012).

    77.  Partant, à la lumière de ces considérations et tenant compte des circonstances particulière de l’espèce, la Cour conclut que les requérants ont introduit leur requête dans le délai de six mois, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement doit être rejetée.

    B.  Exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes

    78.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes, en deux branches. Ainsi, en se référant à l’affaire Epözdemir c. Turquie ((déc.), no 57039/00, 31 janvier 2002), il soutient que les requérants n’ont pas contesté la décision de non-lieu du parquet militaire du 15 décembre 1997, notifiée au père du disparu le 10 décembre 1998. Enfin, se fondant sur l’article 13 du code de procédure administrative, le Gouvernement indique que les requérants avaient la possibilité d’introduire une action en dommages et intérêts contre l’administration et qu’ils n’ont pas engagé une telle action.

    79.  Les requérants ne se prononcent pas sur cet argument.

    80.  Concernant la première branche de l’exception, la Cour estime que le recours pénal dont il est question doit être examiné à la lumière de l’argumentation relative à l’ineffectivité des voies de recours internes (paragraphe 67 ci-dessus), dans la mesure où une action pénale a été engagée contre deux militaires pour homicide sur la personne du disparu. C’est pourquoi, la Cour constate que cette partie de l’exception du Gouvernement soulève des questions étroitement liées à celles posées par le grief que les requérants tirent de l’article 2 de la Convention. Partant, elle la joint au fond.

    81.  S’agissant de la seconde branche de l’exception tirée de l’absence d’action civile en réparation de dommages subis en raison d’actes illicites ou de voies de fait de la part d’agents de l’Etat, la Cour rappelle avoir déjà rejeté, dans des circonstances similaires à celles de la présente affaire, une telle exception (voir, entres autres, Paçacı et autres c. Turquie, no 3064/07, § 69, 8 novembre 2011, Ekinci c. Turquie, no 25625/94, § 58, 18 juillet 2000, Oğur c. Turquie [GC], no 21594/93, § 66, CEDH 1999-III, Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, § 78, CEDH 1999-IV, et Zengin c. Turquie, no 46928/99, § 36, 28 octobre 2004). Ayant examiné la présente affaire, elle considère que le Gouvernement n’a fourni en l’espèce aucun élément ou argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente. Partant, elle rejette cette branche de l’exception soulevée par le Gouvernement.

    82.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2, 5, 6, 13 ET 14 DE LA CONVENTION

    83.  Les requérants allèguent que leur proche a disparu alors qu’il était détenu par des militaires. Ils invoquent les articles 2, 5, 6, 13 et 14 de la Convention. Eu égard à la manière dont les requérants présentent leurs griefs, la Cour estime qu’il y a lieu de les examiner uniquement sous l’angle de l’article 2 de la Convention (Nihayet Arıcı et autres, précité, § 141), ainsi libellé :

    « 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

    2.  La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

    a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

    b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

    c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

    84.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

    A.  Arguments des parties

    85.  Le Gouvernement soutient qu’il n’y a aucune preuve permettant de conclure, « au-delà de tout doute raisonnable », que le proche des requérants avait été arrêté par des militaires et tué alors qu’il se trouvait sous le contrôle des autorités nationales. Il souligne que l’enquête menée par les autorités nationales, ayant abouti d’après lui à la réunion de tous les éléments de preuve accessibles, n’a pas permis d’étayer les allégations des requérants selon lesquelles des militaires avaient arrêté leur proche. Il explique que l’impossibilité pour les autorités nationales d’établir ce qu’il était advenu du disparu ne signifie pas que l’enquête menée n’était pas effective. En se référant à l’affaire Tekdağ c. Turquie (no 27699/95, 15 janvier 2004), le Gouvernement indique que l’obligation positive découlant de l’article 2 de la Convention n’impose pas nécessairement à l’Etat de localiser et de poursuivre les auteurs d’attaques mortelles.

    86.  Le Gouvernement précise que, à la suite de la plainte des requérants concernant la disparition de Nezir Tekçi, les autorités nationales ont immédiatement déclenché une enquête pénale. Il ajoute que les témoins Serhenk Erişmiş, Nazım Dara, Mehdiye Dara, Fehim Dara, Selahattin Sarıtaş et Yusuf Kırmızıtaş, cités par Halit Tekçi dans sa plainte du 5 juin 1995, ont été entendus par le procureur de la République. Il souligne qu’il ressort des éléments du dossier que les dépositions de Nazım Fırat et A.O.A. sont contradictoires. Il conclut que le procureur de la République a mené une enquête permettant d’examiner correctement les éléments de preuve disponibles. Par conséquent, il considère qu’il n’y a pas d’acte illégal susceptible d’être imputé aux autorités nationales.

    87.  En se référant aux dispositions pertinentes en l’espèce du CPP, le Gouvernement explique que, à la suite d’une décision de non-lieu rendue par le procureur de la République, une nouvelle enquête ne peut être engagée pour les mêmes actes qu’en cas d’éléments de preuve nouveaux. Il soutient qu’il n’y a pas d’élément indiquant que Nezir Tekçi avait été placé en garde à vue par les autorités nationales et que, à cet égard, tous les registres de garde à vue ont été examinés au cours de l’enquête pénale. Il est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulé par les requérants. Il conclut que l’enquête menée par les autorités nationales était effective.

    88.  Les requérants réitèrent leurs allégations.

    B.  Quant à la disparition du proche des requérants

    1.  Appréciation des preuves par la Cour et établissement des faits

    89.  En l’espèce, la Cour est invitée à dire si les faits de l’espèce révèlent une atteinte au droit à la vie du proche des requérants et un manquement aux obligations procédurales pour l’Etat défendeur, également au titre de l’article 2 de la Convention, de mener une enquête adéquate et effective sur ces faits.

    90.  La Cour constate d’abord que les requérants et le Gouvernement s’opposent sur les circonstances qui ont conduit à la disparition du proche des requérants. En particulier, le Gouvernement soutient qu’il n’y a aucune preuve permettant de conclure, « au-delà de tout doute raisonnable », que le proche des requérants avait été arrêté par des militaires et qu’il avait été tué alors qu’il se trouvait sous le contrôle des autorités nationales.

    91.  La Cour examinera les questions qui se posent à la lumière des documents écrits versés au dossier de l’affaire ainsi que des observations présentées par les parties et, au besoin, des éléments qu’elle se sera procurés d’office (McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 173, série A no 324, Yaşa c. Turquie, 2 septembre 1998, § 94, Recueil 1998-VI, et Ekrem c. Turquie, no 75632/01, § 51, 12 juin 2007). A cette fin, la Cour se rallie au principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (voir, mutatis mutandis, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, §§ 160-161, série A no 25). Une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants; en outre, le comportement des parties lors de la recherche des preuves peut être pris en compte (voir, parmi beaucoup d’autres, Wolf-Sorg c. Turquie, no 6458/03, § 63, 8 juin 2010).

    92.  Par ailleurs, la Cour rappelle que la procédure prévue par la Convention ne se prête pas toujours à une application rigoureuse du principe affirmanti incumbit probatio (la preuve incombe à celui qui affirme). Elle renvoie à sa jurisprudence relative aux articles 2 et 3 de la Convention selon laquelle, lorsque les événements en cause sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, tout dommage corporel ou décès survenu pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. La charge de la preuve pèse dans ce cas sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII, Çakıcı, précité, § 85, et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 97, 16 décembre 2008). En l’absence d’une telle explication, la Cour est en droit de tirer des conclusions pouvant être défavorables au gouvernement défendeur (Orhan c. Turquie, no 25656/94, § 274, 18 juin 2002, et El Masri c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine » [GC], n39630/09, § 152, CEDH 2012). Il en va de même dans le cas de disparition d’une personne, soumise au contrôle des autorités nationales, pendant sa garde à vue ; toute disparition survenue pendant cette même période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait (voir, parmi beaucoup d’autres, Er et autres, précité, § 66, et Tanış et autres c. Turquie, no 65899/01, § 160, CEDH 2005-VIII).

    93.  En l’espèce et à la lumière des éléments du dossier présentés par les parties, la Cour relève qu’il ressort de la décision d’incompétence du procureur de la République de Van du 10 août 2004 (paragraphe 43 ci-dessus) qu’un villageois avait déclaré que, à la fin du mois d’avril 1995, le proche des requérants - Nezir Tekçi - avait été placé en garde à vue, avec une soixantaine d’autres villageois, par des militaires et que tous, à l’exception de Nezir Tekçi, avaient ensuite été libérés. Elle note que cette version des faits a été confirmée par d’autres témoins tels que Sadrettin Bala, Hamit Cindar, Mehmet Süre, Selahattin Kırmızıtaş, Cemil Kırmızıtaş et Nazım Dara (paragraphes 37, 46, 47 et 48 ci-dessus). De plus, elle observe en particulier que Y.Ş., un soldat placé sous le commandement des militaires qui avaient arrêté Nezir Tekçi, avait confirmé dans sa déposition du 13 août 2009 (paragraphe 49 ci-dessus) que le proche des requérants était bien sous le contrôle des militaires entre fin avril et début mai 1995, et qu’il avait également déclaré, toujours dans sa déposition, que Nezir Tekçi avait été tué par des militaires. Par ailleurs, à ce stade de l’examen de l’affaire, la Cour note qu’une action pénale pour homicide volontaire sur la personne de Nezir Tekçi a été intentée contre les deux militaires auteurs présumés de cette infraction devant la cour d’assises d’Eskişehir (paragraphes 50 et 51 ci-dessus), laquelle action est toujours pendante.

    2.  Quant à la disparition et au décès présumé de Nezir Tekçi

    94.  En l’espèce, la Cour relève que Nezir Tekçi a été vu pour la dernière fois fin avril 1995, soit plus de dix-huit ans, et depuis il n’y a aucune information à son sujet. Il ressort clairement des dépositions des villageois et du soldat entendu le 13 août 2009 que Nezir Tekçi a été arrêté par des militaires à l’époque des faits et il est établi que son nom n’a pas été inscrit sur le registre des personnes placées en garde à vue. La Cour estime donc pouvoir admettre que le proche des requérants a disparu dans des circonstances mettant sa vie en danger et qu’il doit dès lors être présumé mort (Lyanova et Aliyeva c. Russie, nos 12713/02 et 28440/03, §§ 94-95, 2 octobre 2008, Vagapova et Zoubiraïev, précité, §§ 85-86 - affaire dans laquelle un jeune homme disparu depuis plus de quatre ans dans des circonstances mettant sa vie en danger a été présumé décédé -, Tanış et autres, précité, § 182 - affaire dans laquelle une présomption de décès a été retenue au sujet de deux membres du HADEP (Parti de la démocratie du peuple) disparus depuis plus de quatre ans après leur placement en garde à vue dans les locaux de la gendarmerie dans des circonstances mettant leur vie en danger -, Turluyeva c. Russie, no 63638/09, §§ 86-87, 20 juin 2013, et Er et autres, précité, § 79).

    95.  La Cour rappelle que, dans l’affaire Akkum et autres c. Turquie (no 21894/93, § 211, CEDH 2005-II (extraits)), elle a déjà dit qu’il était légitime de dresser un parallèle entre la situation de détenus, dont l’état de santé relève de la responsabilité de l’Etat, et celle de personnes trouvées blessées ou mortes dans une zone placée sous le contrôle des seules autorités de l’Etat. En effet, dans ces deux situations, les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités. La Cour constate que ni les autorités nationales compétentes ni le Gouvernement n’ont fourni d’explication sur ce qui s’est passé après l’arrestation non reconnue du proche des requérants (Timurtaş précité, § 86, et Çiçek c. Turquie, no 25704/94, § 147, 27 février 2001). En tout état de cause, l’argument avancé par le procureur militaire de Van dans sa décision de non-lieu du 15 décembre 1997, selon lequel Nezir Tekçi avait été tué au cours d’un affrontement armé, avait été réfuté par la suite par le témoin Nazım Fırat. Par ailleurs, les autorités nationales n’ont pas invoqué de motif de nature à justifier un quelconque recours de leurs agents à la force meurtrière (voir, mutatis mutandis, Nihayet Arıcı et autres précité, § 156).

    96.  Il s’ensuit que la responsabilité de l’Etat défendeur est engagée quant aux circonstances de la disparition de Nezir Tekçi et également de son décès. Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.

    C. Quant à l’allégation d’insuffisance de l’enquête

    1.  Principes généraux pertinents

    97.  La Cour rappelle que l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de la Convention de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », implique et exige de mener une forme d’enquête officielle effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme (voir, mutatis mutandis, McCann et autres, précité, § 161, Timurtaş, précité, § 87, Çiçek précité, § 148, et Er et autres, précité, § 80). Les investigations doivent notamment être approfondies, impartiales et attentives (McCann et autres, précité, §§ 161-163, Çakıcı, précité, § 86, et Brecknell c. Royaume-Uni, no 32457/04, §§ 65-72, 27 novembre 2007).

    98.  Les autorités doivent donc avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l’obtention des preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires et les expertises médicolégales. Les conclusions de l’enquête doivent se fonder sur une analyse approfondie, objective et impartiale de l’ensemble des éléments pertinents et doivent appliquer un critère comparable à celui de la « nécessité absolue » énoncé à l’article 2 § 2 de la Convention. Toute carence de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les circonstances de l’affaire ou les responsabilités risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à la norme requise d’effectivité (Kelly et autres c. Royaume-Uni, no 30054/96, §§ 96-97, 4 mai 2001, Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, §§ 139 et 144, CEDH 2002-IV, et Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 113, CEDH 2005-VII).

    99.  Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte. Force est d’admettre qu’il peut y avoir des obstacles ou des difficultés empêchant l’enquête de progresser dans une situation particulière. Toutefois, une réponse rapide des autorités lorsqu’il s’agit d’enquêter sur le recours à la force meurtrière peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux (McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, § 114, CEDH 2001-III, Bişkin c. Turquie, no 45403/99, § 69, 10 janvier 2006, et Wolf-Sorg, précité, §§ 73-76).

    100.  La Cour considère de surcroît que la nature et le degré de l’examen répondant au critère minimum d’effectivité de l’enquête dépendent des circonstances de l’espèce. Ils s’apprécient sur la base de l’ensemble des faits pertinents et eu égard aux réalités pratiques du travail d’enquête. Il n’est pas possible de réduire la variété des situations pouvant se produire à une simple liste d’actes d’enquête ou à d’autres critères simplifiés (Fatma Kaçar c. Turquie, no 35838/97, § 74, 15 juillet 2005, Velikova c. Bulgarie, n41488/98, § 80, CEDH 2000-VI, Tanrıkulu, précité, §§ 101-110, Kaya c. Turquie, 19 février 1998, §§ 89-91, Recueil 1998-I, et Güleç c. Turquie, 27 juillet 1998, §§ 79-81, Recueil 1998-IV).

    101.  La Cour rappelle par ailleurs que l’Etat a l’obligation de conduire une « enquête officielle et effective » de nature à permettre d’établir les causes de la mort, d’identifier les éventuels responsables de celle-ci et d’aboutir à leur punition (Oğur, précité, § 88, et Er et autres, précité, § 81). Il s’agit là d’une obligation non de résultat, mais de moyens. Les autorités doivent avoir pris les mesures qui leur étaient raisonnablement accessibles pour que fussent recueillies les preuves concernant l’incident (voir, en dernier lieu, Nihayet Arıcı et autres, précité, § 163). Les exigences procédurales des articles 2 et 3 de la Convention s’étendent au-delà du stade de l’instruction préliminaire lorsque, comme en l’espèce, celle-ci a entraîné l’ouverture de poursuites devant les juridictions nationales : c’est l’ensemble de la procédure, y compris la phase du jugement, qui doit satisfaire aux impératifs posés par ces dispositions (Paçacı et autres, précité, § 78).

    102.  En outre, la Cour réaffirme que les instances judiciaires internes ne doivent en aucun cas se montrer disposées à laisser impunies des atteintes à la vie et/ou à l’intégrité physique ou morale des personnes. Cela est indispensable pour maintenir la confiance du public et assurer son adhésion à l’Etat de droit ainsi que pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration (Tuna c. Turquie, no 22339/03, § 71, 19 janvier 2010).

    2.  Application de ces principes à la présente affaire

    103.  En l’espèce, d’après les éléments du dossier soumis à son appréciation par les parties, la Cour constate que, après la disparition de Nezir Tekçi, les requérants ont déposé une plainte le 22 mai 1995 devant les autorités militaire et judiciaire nationales. La Cour observe que la rapidité avec laquelle a été menée l’enquête militaire contraste avec la teneur de l’enquête judiciaire, notamment au vu des éléments de preuve réunis par le procureur de la République. Elle note à ce titre que les constats tenus pour établis par le procureur militaire dans sa décision du 15 décembre 1997 (paragraphe 9 ci-dessus) ont été réfutés par la suite lors des investigations menées par le procureur de la République.

    104.  La Cour relève toutefois que, eu égard à la qualité des personnes impliquées dans l’arrestation du proche des requérants, d’une part, et à l’appartenance présumée de ce dernier au PKK, d’autre part, le procureur de la République s’est déclaré incompétent au profit du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat, et que celui-ci s’est à son tour déclaré incompétent au profit du procureur militaire. Elle estime donc que le renvoi du dossier de l’enquête entre ces différentes autorités a eu pour résultat de nuire à la diligence nécessaire pour mener des investigations et pour tirer des conséquences quant aux éléments de preuve réunis.

    105.  De plus, la Cour note que, à la demande du procureur de la République de Yüksekova, A.O.A. - en sa qualité de commandant militaire à la date des faits litigieux - a écrit à la main, sur un document non officiel, les noms des 68 personnes placées en garde à vue à la date de l’incident. Ce document porte la même date que le jour où l’intéressé a été entendu par le procureur de la République (paragraphe 27 ci-dessus). La Cour souligne ainsi la légèreté avec laquelle les registres des personnes placées en garde à vue sont tenus. A cet égard, elle a déjà jugé qu’un tel manquement est de nature à dissimuler l’arrestation et la détention des personnes placées en garde à vue dans le sud-est de la Turquie à une époque identique à celle des faits de l’espèce (Timurtaş, précité, § 84, et Er et autres, précité, § 77, ainsi que les jurisprudences qui y sont citées).

    106.  Dans ce contexte, la Cour constate qu’il n’apparaît pas, ni dans le dossier soumis à son examen, ni dans les motifs des décisions rendues par les différentes autorités nationales saisies de la plainte des requérants au sujet de l’arrestation de leur proche, que des investigations de nature à déterminer la raison de l’opération menée par les militaires dans la région ou la zone en question ont été menées. Elle note également que les autorités compétentes n’ont pas non plus cherché à identifier les militaires qui se trouvaient en mission dans cette zone à l’époque des faits et, le cas échéant, à les auditionner. Elle relève en outre que le militaire M.E.Y. - auquel le procureur militaire de Van faisait référence - ne semble pas avoir été entendu.

    107.  La Cour note en outre que l’enquête pénale menée au sujet de la disparition de Nezir Tekçi a été orientée de manière déterminante par les requérants. Ces derniers ont eux-mêmes déposé des demandes d’investigations complémentaires ou bien transmis au procureur de la République des informations fondamentales au sujet de témoins oculaires ayant assisté soit à l’arrestation soit au décès de leur proche. Ces informations et l’audition des témoins entendus par le procureur de la République ont permis d’identifier les responsables présumés du décès de Nezir Tekçi.

    108.  En dernier lieu, la Cour constate que, en mai 2011, soit seize ans après la survenance des faits, une action pénale a été engagée contre deux militaires pour homicide volontaire sur la personne de Nezir Tekçi. Cela étant, cette action est toujours pendante devant la cour d’assises d’Eskişehir. A cet égard, la Cour est d’avis que les investigations menées par le procureur militaire et le procureur de la République, ainsi que celles effectuées pendant le procès devant la juridiction pénale - encore au stade de l’audition des témoins -, sur les circonstances dans lesquelles Nezir Tekçi a été tué n’ont pas été rapides et adéquates (Tuna, précité, § 77, et Paçacı et autres, précité, § 84). Partant, la Cour conclut que l’Etat défendeur a donc failli à ses obligations procédurales, découlant de l’article 2 de la Convention, de protéger le droit à la vie de Nezir Tekçi. Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter l’exception de non-respect du délai de six mois soulevée par le Gouvernement.

    109.  A la lumière des manquements relevés ci-dessus, la Cour conclut que les autorités nationales n’ont pas mené une enquête approfondie et effective sur les circonstances entourant le décès de Nezir Tekçi. Dès lors, il y a lieu de considérer que l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ne peut être retenue.

    110.  Partant, la Cour rejette cette exception.

    111.  La Cour conclut qu’il y a eu manquement aux obligations procédurales qui incombent à l’Etat défendeur au titre de l’article 2 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION

    A.  Sur l’article 46 de la Convention

    112.  Aux termes de cette disposition :

    « 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

    2.  L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

    (...)

    5.  Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen. »

    113.  La Cour rappelle que ses arrêts ont un caractère déclaratoire pour l’essentiel et qu’en général il appartient au premier chef à l’Etat en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention (voir, entre autres, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 202, CEDH 2004-II, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII, et Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001-I).

    114.  Cependant, à titre exceptionnel, la Cour, pour aider l’Etat défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, cherche à indiquer le type de mesures à prendre pour mettre un terme à la situation structurelle qu’elle constate. Dans ce contexte, elle peut formuler plusieurs options dont le choix et l’accomplissement restent à la discrétion de l’Etat concerné (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 194, CEDH 2004-V, et Nihayet Arıcı et autres, précité, §§ 173-176).

    115.  Il est possible que, dans d’autres cas exceptionnels, la nature même de la violation constatée n’offre pas réellement de choix parmi différentes sortes de mesures susceptibles d’y remédier et que la Cour soit conduite à indiquer exclusivement l’une de ces mesures (Assanidzé, précité, § 202, Abuyeva et autres c. Russie, no 27065/05, § 237, 2 décembre 2010).

    116.  En l’espèce, la Cour a constaté une violation de l’article 2 la Convention sous son volet matériel en raison du fait que la responsabilité de l’Etat défendeur était engagée quant aux circonstances de la disparition et du décès du proche des requérants (paragraphe 66 ci-dessus). Elle a également conclu que l’Etat défendeur avait manqué à ses obligations procédurales au titre de l’article 2 de la Convention (paragraphe 111 ci-dessus).

    117.  Par conséquent, eu égard aux circonstances particulières de la présente requête et au fait que l’action pénale engagée contre les deux prétendus auteurs du décès du proche des requérants est toujours pendante devant la cour d’assises d’Eskişehir (paragraphes 53 et 59 ci-dessus), la Cour estime que, sous le contrôle du Comité des Ministres, l’Etat défendeur devrait mettre en œuvre les moyens nécessaires pour assurer que ces prétendus auteurs soient jugés avec célérité et diligence conformément aux exigences procédurales de l’article 2 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Nihayet Arıcı et autres, précité, § 176), en respectant au cours de la phase de jugement les impératifs d’un procès équitable conformément à l’article 6 de la Convention.

    B.  Sur l’article 41 de la Convention

    118.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    1.  Dommages

    119.  Au titre du préjudice matériel, les parents de Nezir Tekçi font valoir que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le montant correspondant est calculé selon la formule suivante : le revenu mensuel moyen de la personne décédée multiplié par douze mois et par le restant de la durée de l’espérance de vie moyenne en Turquie, à savoir 66 ans. Ils indiquent que leur fils, âgé de vingt-six ans au moment de son décès, avait un revenu moyen de 666 livres turques (TRL). Ils réclament en conséquence l’équivalent de 319 680 TRL.

    Cela étant, considérant que leur fils les aurait aidés mensuellement à hauteur d’une somme moyenne de 250 TRL, ils réclament chacun 100 000 TRL pour perte de revenus, montant qu’ils estiment raisonnable et moins important que celui découlant du calcul effectué selon les tables actuarielles.

    120.  Au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi, les requérants réclament les sommes suivantes :

    - 50 000 TRL pour chacun des parents de Nezir Tekçi ;

    - 25 000 TRL pour chacun de ses frères et sœurs.

    121.  Le Gouvernement conteste ces prétentions, qu’il estime être excessives, au motif que les requérants n’étayent pas leurs allégations. A cet égard, il soutient que la demande au titre des préjudices ne doit pas être source d’enrichissement injuste. Il estime qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable.

    122.  La Cour rappelle qu’il doit y avoir un lien de causalité manifeste entre le dommage allégué par les requérants et la violation de la Convention et que cela peut, le cas échéant, inclure une indemnité au titre de la perte de revenus (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne (article 50), 13 juin 1994, §§ 16-20, série A no 285-C, Çakıcı, précité, § 127, Salman, précité, § 137, et Er et autres, précité, § 118). En l’espèce, elle a conclu que l’Etat défendeur était responsable (paragraphes 98 et 113 ci-dessus), au regard de l’article 2 de la Convention, du décès de Nezir Tekçi. Cela étant, elle relève que les requérants n’étayent pas la preuve de la réalité de l’aide financière que leur proche aurait pu apporter à ses parents, qu’ils se contentent d’indiquer le mode de calcul appliqué par la juridiction suprême nationale dans une situation semblable à celle de la présente affaire, et que le montant correspondant à la perte du soutien financier avancé par eux est hypothétique et sans fondement réel. Partant, la Cour rejette la demande formulée par les requérants pour dommage matériel.

    123.  En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants conjointement la somme de 65 000 EUR pour dommage moral.

    2.  Frais et dépens

    124.  Les requérants demandent également au total 20 750 TRL pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Leurs demandes sont ventilées comme suit :

    - 3 000 TRL pour l’introduction de la requête devant la Cour, selon le tarif fixé par le barreau compétent ;

    - 13 750 TRL correspondant à 4 % du montant à accorder aux requérants au titre des préjudices matériel et moral ;

    - 1 960 TRL pour les frais de préparation et de suivi de la requête, pour lesquels ils présentent un décompte horaire ;

    - 900 TRL pour les frais de traduction et 240 TRL pour les frais de correspondance avec la Cour, pour lesquels ils ne présentent aucun justificatif ;

    - 900 TRL pour les frais de téléphone, de télécopie et de secrétariat avec la Cour depuis 2005.

    125.  Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il attire en particulier l’attention de la Cour sur le fait que les requérants n’étayent pas leurs demandes par des justificatifs.

    126.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 150 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde conjointement aux requérants.

    C.  Intérêts moratoires

    127.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ

    1.  Joint au fond les exceptions préliminaires du Gouvernement tirées du non-épuisement des voies de recours internes et du non-respect du délai de six mois (première branche), et les rejette ;

     

    2.  Déclare la requête recevable ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural ;

     

    5.  Dit,

    a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i.  65 000 EUR (soixante-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii.  1 150 EUR (mille cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens,

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président



    [1]  Une organisation armée illégale.


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