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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> NECATI YILMAZ v. TURKEY - 15380/09 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 142 (12 February 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/142.html
Cite as: [2013] ECHR 142

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE NECATİ YILMAZ c. TURQUIE

     

    (Requête no 15380/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    12 février 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Necati Yılmaz c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 janvier 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 15380/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Necati Yılmaz (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 février 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2.   Le requérant a été représenté par Me N. Çelik, avocat exerçant à Trabzon. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 9 juin 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
  4. EN FAIT


  5. .  Le requérant est né en 1963 et réside à Araklı - Trabzon.

  6. .  Il souffre d’une déficience visuelle à 80 % due à une rétinite pigmentaire.
  7. A.  L’arrestation du requérant et les certificats médicaux établis par la suite


  8. .  Le 7 avril 2007, vers 23 heures, le premier ministre de Turquie, M. Recep Tayyip Erdoğan, arriva à Araklı pour inaugurer une nouvelle route.

  9. .  A la fin du discours de M. Erdoğan, le requérant fut arrêté pour avoir publiquement injurié le premier ministre.

  10.   Il ressort du procès-verbal d’incident établi par trois policiers le 8 avril 2007 que le requérant a été arrêté pour injure le 7 avril 2007, vers 23 h 15, par les gardes du corps du premier ministre et conduit en voiture au commissariat de police d’Araklı.

  11.   Le 8 avril 2007, le requérant fut examiné à l’hôpital d’Araklı par un médecin auquel il se plaignit d’avoir reçu des coups à la tête.

  12.   Le médecin observa que l’intéressé avait une égratignure de 1 centimètre sur l’oreille droite, une sensibilité au niveau de la zone zygomatique droite, une lésion érythémateuse localisée sur le côté droit du cou et une sensibilité à la palpation sur la zone pariétale droite.

  13.   Dans la nuit du 8 avril 2007, vers 2 heures du matin, le requérant fut transféré à l’hôpital de Trabzon. Le médecin qui l’examina constata la présence d’un léger œdème et de rougeurs autour de l’oreille droite.

  14.   Entendu par le procureur le même jour, le requérant nia les accusations portées contre lui. Il se borna à reconnaître avoir crié à la fin du discours du premier ministre et avoir lancé en guise de protestation : « Laisse tomber ce que tu racontes, parle-nous plutôt du prix de la noisette, tout le monde ici en pâtit. » Il se plaignit en revanche d’avoir été frappé par les gardes du corps du premier ministre dans la voiture 19, alléguant avoir notamment reçu des coups de poing sur le côté droit du visage.

  15.   Toujours le 8 avril 2007, à 17 heures, le requérant fut libéré.

  16. .  Le 9 avril 2007, le requérant subit un contrôle neurologique à l’hôpital de Trabzon. Selon le rapport médical du 10 avril 2007, le patient ne présentait pas de fracture crânienne et son pronostic vital n’était pas engagé. Un ophtalmologue examina également le requérant sans relever aucune anomalie autre que la rétinite pigmentaire chronique dont l’intéressé souffrait.
  17. B.  La procédure pénale diligentée contre le requérant


  18.   Le procureur de la République d’Araklı requit la condamnation du requérant pour injure à l’égard du premier ministre.

  19.   Le 21 janvier 2009, le tribunal de police d’Araklı relaxa le requérant.

  20.   Le 20 février 2009, le procureur se pourvut en cassation contre cette décision.

  21. .  A ce jour, la procédure est toujours pendante devant la Cour de cassation.
  22. C.  La plainte du requérant et l’enquête pénale sur les circonstances de son arrestation


  23.   Entre-temps, le 11 avril 2007, le requérant avait déposé, par l’intermédiaire de son avocat, une plainte pour mauvais traitements contre les policiers responsables de son arrestation. Il alléguait avoir été frappé à coups de poing par les gardes du corps du premier ministre pendant le trajet en voiture jusqu’au commissariat.

  24. .  D’abord, le 19 avril 2007, le parquet d’Araklı, puis, le 13 juillet 2007, le parquet d’Of et, enfin, le 23 juillet 2007, le parquet de Rize se déclarèrent incompétents ratione loci.

  25.   Finalement, le parquet d’Of se déclara compétent pour mener l’enquête pénale.

  26.   Le 15 août 2007, le procureur de la République d’Of demanda au ministère de l’Intérieur de lui fournir la liste nominale des gardes du corps chargés de la protection du premier ministre le 7 avril 2007.

  27.   Le 3 septembre 2007, le directeur adjoint du service de protection du premier ministre informa le procureur de la République d’Of que l’identité des gardes du corps qui avaient arrêté le requérant n’avait pas pu être déterminée.

  28.   Le 11 septembre 2007, le procureur de la République d’Of demanda alors au parquet d’Ankara d’établir la liste nominale des gardes du corps en charge de la protection du premier ministre le 7 avril 2007.

  29.   En l’absence de réponse du parquet d’Ankara, le 12 novembre 2007 le procureur de la République d’Of fit la même demande au parquet de Trabzon.

  30.   Il ne reçut aucune réponse.

  31.   Le 25 décembre 2007, il sollicita du parquet de Trabzon une réponse à sa demande du 12 novembre 2007, en vain.

  32. .  Le 9 juillet 2008, le procureur de la République d’Of s’adressa une nouvelle fois au parquet d’Ankara. Il lui demanda de lui fournir les noms des gardes du corps qui étaient en mission de protection du premier ministre dans la voiture 19.

  33. .  Aucune réponse ne lui fut donnée.

  34.   Le 9 septembre et le 17 novembre 2008, le procureur de la République d’Of demanda une nouvelle fois au parquet d’Ankara de lui faire parvenir la liste en question.

  35. .  Le parquet d’Ankara ne lui répondit pas.

  36.   Dans l’intervalle, le 2 novembre 2007 et le 21 janvier 2008, le procureur de la République avait entendu trois policiers. Ceux-ci avaient affirmé ne connaître ni les noms des gardes du corps qui avaient arrêté le requérant ni les circonstances de l’arrestation. Ils avaient soutenu que les gardes du corps les avaient informés de l’arrestation de Necati Yılmaz pour injure proférée publiquement contre le premier ministre à la fin du discours de celui-ci. Les gardes du corps auraient également soutenu que leur mission de protection du premier ministre ne leur avait pas laissé le temps d’établir immédiatement un procès-verbal d’arrestation.

  37.   Le 3 avril et le 5 mai 2008, le requérant et deux policiers participèrent à une séance d’identification à partir de photographies. Le requérant affirma que sa déficience visuelle l’empêchait de reconnaître, à partir de photographies de ce format, les agents de sécurité qui l’avaient arrêté. La tentative d’identification par les policiers n’aboutit pas non plus.

  38. .  Le 8 juin 2010, le procureur de la République d’Of rendit une ordonnance de non-lieu. Il estima que les éléments du dossier n’étaient pas de nature à étayer les allégations du requérant et que les agissements des forces de l’ordre n’avaient pas été contraires à la loi.

  39. .  Le requérant fit opposition à cette décision par l’intermédiaire de son avocat.

  40. .  Le 4 août 2010, la cour d’assises de Rize annula l’ordonnance de non-lieu attaquée. Elle estima qu’il y avait suffisamment d’éléments dans le dossier d’enquête pénale prouvant que les agissements des gardes du corps du premier ministre étaient contraires à la loi. Elle déplora l’absence totale de référence aux rapports médicaux du requérant dans l’ordonnance de non-lieu et considéra cela comme un manquement essentiel dans l’appréciation des preuves. Elle critiqua également la non-prise en compte par le procureur de la République de la cohérence du récit du plaignant au regard de ses blessures attestées par des rapports médicaux.

  41. .  Selon les éléments du dossier, l’affaire est toujours pendante en droit interne. Par ailleurs, aucune nouvelle information concernant cette procédure n’a été fournie à la Cour.
  42. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  43. .  Le requérant allègue avoir subi des mauvais traitements de la part des gardes du corps du premier ministre. Il se plaint également de n’avoir pas pu bénéficier d’un recours effectif en droit interne. Pour l’ensemble de ces griefs, il invoque les articles 3, 6 et 13 de la Convention.

  44.   Le Gouvernement combat ces thèses.

  45. .  La Cour estime opportun d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Fazıl Ahmet Tamer et autres c. Turquie, no 19028/02, § 91, 24 juillet 2007, Mecail Özel c. Turquie, no 16816/03, § 21, 14 avril 2009, et Nisbet Özdemir c. Turquie, no 23143/04, § 19, 19 janvier 2010).
  46. A.  Sur la recevabilité


  47. .  Faisant valoir que l’affaire est toujours pendante devant le procureur de la République, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes.

  48. .  La Cour observe que l’enquête pénale relative aux allégations du requérant est en cours depuis le 7 avril 2007. En effet, selon les éléments du dossier, à ce jour les gardes du corps mis en cause n’ont pas été identifiés, et ce en raison de l’inertie des autorités (paragraphes 22-31 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime, compte tenu des allégations du requérant et de l’ancienneté des faits, que les autorités n’ont pas pris toutes les mesures positives que les circonstances de la cause leur imposaient de prendre pour faire aboutir rapidement l’instruction. En conséquence, la Cour décide, tout en soulignant que sa décision se limite aux circonstances de l’espèce, de ne pas retenir l’exception du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 81, CEDH 1999-V, et Ernst et autres c. Belgique (déc.), no 33400/96, 25 juin 2002).

  49. .  Le Gouvernement soulève une seconde exception tirée du non-respect du délai de six mois. Il estime que, pour autant que le requérant dénonce une absence de voies de recours internes effectives, il aurait dû introduire sa Requête dans un délai de six mois à partir du 7 avril 2007, date des faits litigieux.

  50.   La Cour note que le requérant se plaint non pas de l’absence de voies de recours internes, mais de l’insuffisance de l’enquête pénale menée par les autorités nationales. Elle considère qu’on ne peut reprocher à l’intéressé d’avoir saisi les instances nationales pour faire valoir ses droits. Elle observe que, lorsque le requérant s’est rendu compte de l’incapacité des autorités à obtenir, au cours des deux ans qui ont suivi les faits, les noms des gardes du corps qui étaient chargés d’assurer la protection du premier ministre et auxquels il reprochait de l’avoir frappé, il a pris conscience du caractère ineffectif des recours disponibles dans l’ordre juridique interne. Il a alors, dans le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention, introduit sa Requête devant la Cour. En conséquence, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-respect de la règle des six mois.

  51. .  Constatant que les griefs du requérant ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour décide de les déclarer recevables.
  52. B.  Sur le fond

    1.  Sur les allégations de mauvais traitements

    46.  Le requérant réitère ses allégations. Il se plaint d’avoir été arrêté pour avoir protesté à haute voix à l’issue du discours du premier ministre puis d’avoir été frappé par les gardes du corps de celui-ci dans la voiture qui l’emmenait au commissariat.


  53. .  Le Gouvernement soutient que le requérant ne prouve pas la véracité de ses allégations. Selon lui, les gardes du corps ont arrêté l’intéressé et l’ont éloigné de la place où le premier ministre prononçait son discours pour éviter toute autre action indésirable de sa part. Ils auraient également voulu prévenir ainsi toute manifestation éventuelle d’hostilité en provenance de la foule contre le requérant. Par ailleurs, de l’avis du Gouvernement, les rapports médicaux des 8 et 10 avril 2007 concernant le requérant ne permettent pas d’établir au-delà de tout doute raisonnable les faits allégués par l’intéressé.

  54. .  La Cour rappelle que, lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté ou que, plus généralement, il se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 de la Convention (R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 61, 19 mai 2004, Bakbak c. Turquie, no 39812/98, § 41, 1er juillet 2004, et Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 38, série A no 336).

  55.   En l’espèce, la Cour observe d’abord que, selon le procès-verbal d’incident établi le 8 avril 2007, le requérant a été arrêté le 7 avril 2007 vers 23 h 15 par les gardes du corps du premier ministre (paragraphes 7 et 8 ci-dessus). Rien n’indique dans ce document que l’intéressé ait eu un comportement ayant justifié d’une quelconque façon le recours à la force contre lui.

  56.   Elle relève ensuite que le requérant a été examiné par des médecins après son arrestation et qu’il s’est plaint auprès d’eux d’avoir reçu des coups. Les rapports médicaux établis mentionnent effectivement l’existence d’une zone œdémateuse autour de l’oreille droite, d’une lésion érythémateuse localisée sur le côté droit du cou, et d’une sensibilité au niveau de la zone zygomatique droite et au niveau de la zone pariétale droite (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). Contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, ces éléments corroborent le récit de l’intéressé.

  57. .  La Cour note enfin que nul ne soutient devant elle que les blessures du requérant remontaient à une période antérieure à l’arrestation. Elle considère donc que le traitement dont l’intéressé a été victime tombe sous le coup de l’article 3 de la Convention.

  58.   Elle observe en outre qu’il ressort du dossier que l’intéressé s’est trouvé confronté à des gardes du corps du premier ministre qui ne se sont pas bornés à l’arrêter, mais qui lui ont délibérément assené des coups de poing.

  59.   Elle estime que ces actes ont largement outrepassé le cadre d’une arrestation normale. Le requérant a donc été soumis à un traitement inhumain et dégradant.

  60.   Vu l’ensemble des éléments soumis à son appréciation et en l’absence d’une explication plausible de la part du Gouvernement, la Cour estime que l’Etat défendeur porte la responsabilité des blessures infligées au requérant.

  61. .  Partant, il y a eu violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention.
  62. 2.  Sur le caractère effectif des investigations menées


  63. .  Le Gouvernement indique que l’enquête ouverte par le parquet à la suite de la plainte pénale déposée par le requérant est toujours en cours au niveau national.

  64.   Le requérant précise que plus de cinq ans se sont écoulés depuis les faits, survenus le 7 avril 2007, et que le parquet n’a pas pu obtenir les noms des gardes du corps chargés de la protection du premier ministre ce jour-là. Il déplore que, malgré la décision prise le 4 août 2010 par la cour d’assises de Rize, l’enquête pénale n’ait pas avancé.

  65.   La Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’Etat, un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’Etat par l’article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, §§ 102-103, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, et Ay c. Turquie, no 30951/96, § 59-60, 22 mars 2005).

  66.   En ce qui concerne l’obligation pour les autorités nationales d’ouvrir et de mener une enquête effective, la Cour se réfère aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence dans les arrêts Khachiev et Akaïeva c. Russie (nos 57942/00 et 57945/00, § 177, 24 février 2005), Menecheva c. Russie (no 59261/00, § 67, CEDH 2006-III), Batı et autres c. Turquie (nos 33097/96 et 57834/00, §§ 134-137, CEDH 2004-IV) et Abdülsamet Yaman c. Turquie (no 32446/96, § 54, 2 novembre 2004).

  67.   En l’espèce, la Cour relève d’emblée que, à la suite de la plainte déposée par le requérant, une enquête a été ouverte et qu’elle est en cours depuis plus de cinq ans au niveau national. Elle observe que, malgré la mention par la cour d’assises de Rize de plusieurs lacunes dans l’enquête (paragraphe 36 ci-dessus), le dossier n’a pas progressé (paragraphe 37 ci-dessus). Les autorités n’ont toujours pas pris les mesures que les circonstances de la cause leur imposaient de prendre pour faire aboutir rapidement l’instruction. Les gardes du corps qui sont soupçonnés d’avoir maltraité le requérant n’ont même pas été identifiés. Or la Cour rappelle avoir déjà jugé, dans des circonstances similaires à celles de l’espèce, que les autorités nationales devaient prendre toutes les mesures positives nécessaires pour agir avec une promptitude suffisante et une diligence raisonnable, de sorte que les auteurs de traitements contraires à l’article 3 ne jouissent pas d’une quasi-impunité (voir Ciğerhun Öner c. Turquie (no 2), no 2858/07, § 99, 23 novembre 2010, Batı et autres, précité, § 146, et, mutatis mutandis, Selmouni, précité, §§ 78-79).

  68.   La Cour réaffirme en outre que, dans des circonstances comme celles de l’espèce, la prompte ouverture d’une enquête et la conduite diligente de celle-ci sont capitales pour maintenir la confiance du public et son adhésion à l’Etat de droit et pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration (Nurgül Doğan c. Turquie, n72194/01, § 61, 8 juillet 2008, et Batı et autres, précité, § 136).

  69.   En l’espèce, la Cour considère que l’absence de promptitude et de diligence dans la conduite de l’enquête a eu pour conséquence d’accorder une quasi-impunité aux gardes du corps du premier ministre, auteurs présumés d’actes de violence contre le requérant, et de rendre le recours pénal ineffectif.

  70.   Elle estime également que, loin d’être rigoureux, le système pénal tel qu’il a été appliqué en l’espèce ne pouvait engendrer aucune force dissuasive propre à assurer la prévention efficace d’actes illégaux tels que ceux dénoncés par le requérant (Okkalı c. Turquie, no 52067/99, § 78, CEDH 2006-XII).

  71.   Partant, il y a eu violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.
  72. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION


  73. .  Le requérant soutient enfin que son arrestation et sa garde à vue n’étaient pas régulières ni conformes aux exigences de l’article 5 de la Convention.

  74. .  La Cour estime que la présentation de ce grief est tardive étant donné que la garde à vue du requérant a pris fin le 8 avril 2007, soit plus de six mois avant l’introduction, le 24 février 2009, de la présente Requête (Erol c. Turquie (déc.), no 15323/03, 26 février 2008, et Aşıcı c. Turquie (no 2), no 26656/04, §§ 27-29, 31 janvier 2012). Ce grief doit donc être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  75. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    A.  Dommage

    67.  Le requérant réclame 250 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

    68.  Le Gouvernement estime ce montant excessif et invite la Cour à rejeter les prétentions du requérant.

    69.  Statuant en équité, la Cour alloue 12 000 EUR au requérant pour le préjudice moral lié à la violation des volets matériel et procédural de l’article 3 de la Convention.

    B.  Frais et dépens

    70.  Le requérant sollicite également 5 000 EUR pour frais et dépens, sans présenter de justificatif à l’appui de sa demande.

    71.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

    72.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des circonstances de l’espèce et de l’absence de justificatif à l’appui de la demande présentée au titre des frais et dépens, la Cour rejette les prétentions du requérant à cet égard.

    C.  Intérêts moratoires


  76. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  77. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation du volet matériel et du volet procédural de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 12 000 EUR (douze mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, somme à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président


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