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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CIOLAN v. ROMANIA - 24378/04 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 157 (19 February 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/157.html
Cite as: [2013] ECHR 157

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE CIOLAN c. ROUMANIE

     

    (Requête no 24378/04)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    19 février 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Ciolan c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Luis López Guerra,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 janvier 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 24378/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Gheorghe Ciolan (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 juin 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Irina Cambrea, du Ministère des affaires étrangères.

  3. .  Le requérant se plaint en particulier des mauvaises conditions de détention subies pendant sa détention dans le dépôt de la police de Mehedinţi et dans les prisons de Drobeta Turnu Severin et de Craiova.

  4. .  Le 4 janvier 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

  5. .  A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).
  6. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .  Le requérant est né en 1952 et réside à Baditesti (Roumanie).
  8. A.  L’interpellation et la condamnation pénale du requérant


  9. .  Le 23 juillet 2002, le requérant fut interpelé par les agents de la police d’Husnicioara. Le soir, il fut transféré au siège de la Police municipale d’Orşova. Le requérant soutient avoir été soumis à des mauvais traitements par les agents de police. Le mandat de dépôt délivré au nom du requérant mentionnait des soupçons d’escroquerie, faux et usage de faux.

  10. .  Le 24 juillet 2002, le requérant fut placé en détention provisoire en vertu d’une ordonnance d’un procureur près le tribunal départemental de Mehedinţi pour une période de 30 jours.

  11. .  Après avoir entendu deux témoins et la partie lésée, et avoir analysé des documents, par un jugement du 20 septembre 2002, le tribunal de première instance d’Orşova condamna le requérant à trois ans et demi de prison ferme pour escroquerie, faux et usage de faux. Le requérant et le parquet interjetèrent appel de ce jugement. Par un arrêt du 5 décembre 2002, le tribunal départemental de Mehedinţi rejeta l’appel du requérant, fit droit à l’appel du parquet et ordonna la confiscation d’une somme d’argent ayant appartenu au requérant. Sur recours du requérant, par un arrêt définitif du 17 mars 2003, mis au net le 22 janvier 2004, la cour d’appel de Craiova modifia l’arrêt du tribunal départemental afin d’annuler la sanction de la confiscation.
  12. B.  Les conditions de détention subies par l’intéressé dans les différents établissements pénitentiaires


  13. .  Du 24 juillet au 28 août 2002, le requérant fut détenu dans le dépôt de l’Inspection départementale de Police de Mehedinţi (« le dépôt de la police de Mehedinţi »). Le 28 août 2002, il fut transféré dans la prison de Drobeta Turnu Severin où il purgea sa peine du 28 août 2002 au 14 février 2003, du 9 avril au 22 août 2003, du 1er au 31 octobre 2003, du 3 décembre 2003 au 26 février 2004 et du 26 mai au 23 novembre 2004. L’intéressé fut détenu dans la prison de Craiova du 14 février au 9 avril 2003. Entre ces périodes, il fut transféré à cinq reprises dans les hôpitaux-prisons de Colibaşi, de Rahova et de Bucarest-Jilava.

  14. .  Le 23 novembre 2004, le requérant fut remis en liberté.
  15. 1.  La version du requérant


  16. .  Le requérant affirme que pendant sa détention dans le dépôt de la police de Mehedinţi, il a été détenu dans la cellule no 11 dans des conditions de surpeuplement, en l’absence d’un système de ventilation et en devant supporter la fumée des détenus fumeurs. Il indique également qu’il devait satisfaire ses besoins naturels dans un seau qui était vidé une fois par jour.

  17. .   Dans la prison de Drobeta Turnu Severin, le requérant fut enfermé, entre autres, dans la cellule no 40. Selon le requérant, dans cette cellule il y avait 63 lits pour 102 détenus et des conditions d’hygiène déplorables. Il a été obligé de partager son lit avec un autre détenu. Il affirme avoir été contraint de supporter la fumée de cigarettes des autres détenus fumeurs. Le requérant fut transféré ensuite dans d’autres cellules surpeuplées, dont la cellule no 14.

  18. .  Dans la prison de Craiova, il occupa la cellule no 21 dans laquelle il fut contraint de partager son lit avec trois autres détenus. Outre le surpeuplement, il dénonce les mauvaises conditions d’hygiène, l’absence de chauffage pendant l’hiver et la fourniture de nourriture de mauvaise qualité.
  19. 2.  La version du Gouvernement


  20. .  Le Gouvernement indique que, pour ce qui est de la détention du requérant dans le dépôt de la police de Mehedinţi, il ne dispose plus des documents concernant des renseignements sur les conditions de détention de l’intéressé, le délai de conservation de tels documents étant échu. Des renseignements toujours conservés, il ressort que le requérant fut détenu dans la cellule no 11, ayant une superficie de 14 m² pour huit lits. Les toilettes étaient communes pour plusieurs cellules et elles étaient dotées de lavabos et de douches. L’aération et l’éclairage des cellules se réalisaient par voie naturelle et artificielle. Le centre médical du dépôt veillait à ce que les normes d’hygiène soient respectées.

  21. .  Dans la prison de Drobeta Turnu Severin, l’intéressé a été détenu dans les cellules nos 44 (ayant une superficie de 19,44 m² pour dix lits et dix détenus), 40 (de 70,26 m² pour quarante lits dont uniquement trente étaient occupés) et 14 (de 14,27 m² pour six lits correspondant à six personnes). Cette dernière cellule était destinée aux non-fumeurs. Les groupes sanitaires afférents aux cellules étaient dotés de toilettes et de lavabos.

  22. .  Dans la prison de Craiova le requérant fut détenu dans la cellule no 21 ayant une superficie de 45 m² pour vingt-quatre lits. De février à avril 2003, vingt-six détenus furent enfermés dans cette cellule. Le mobilier de la cellule était composé d’une table, d’un banc et d’un support pour l’appareil de télévision. Le groupe sanitaire se trouvait dans une pièce séparée pourvue de deux toilettes, deux lavabos et deux douches.

  23. .  Dans tous les établissements pénitentiaires, le requérant bénéficia d’une promenade journalière de minimum une heure.
  24. C.  L’état de santé du requérant


  25. .  Le 28 août 2002, au moment de son transfert à la prison de Drobeta Turnu Severin, le requérant fut soumis à un examen médical et la mention « apparemment cliniquement sain ; cardiopathie ischémique chronique douloureuse ; apte pour travaux légers » fut inscrite sur sa fiche médicale. Auparavant, le 5 août 2002, le requérant fut soumis à un examen radiologique qui fit état d’une image thoracique normale.

  26. .  A la suite de certains examen médicaux réalisés en août 2003, le requérant fut soupçonné de souffrir d’une tumeur rénale gauche. Du 22 août au 15 septembre 2003, il fut hospitalisé dans l’hôpital-prison de Colibaşi pour la réalisation d’examens médicaux plus approfondis. Un traitement médicamenteux lui fut accordé. Il fut ensuite transféré à l’hôpital prison de Bucarest-Rahova, avec la mention « rein gauche comportant plusieurs kystes » et « tumeur rénale ». Le 18 septembre 2003, il subit une intervention chirurgicale qui permit l’établissement du diagnostic de tuberculose rénale. A cette occasion, les médecins pratiquèrent une ablation du rein gauche.

  27. .  Le 26 février 2004, le requérant fut à nouveau transféré à l’hôpital-prison de Bucarest-Rahova, pour le traitement d’une tuberculose péritonéale. Les médecins y pratiquèrent, le 9 mars 2004, une intervention chirurgicale. Le 19 mars 2004, il fut transféré à l’hôpital-prison de Bucarest­Jilava, où il reçut un traitement antituberculeux jusqu’au 26 mai 2004, date de son transfert à la prison de Drobeta Turnu Severin où il reçut un traitement pendant quatre mois.
  28. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  29. .  Le droit et la pratique interne pertinents ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (« CPT ») rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie ( no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).
  30. 23.  Un premier rapport du CPT publié en 2003 et rédigé à la suite d’une visite réalisée en 1999 à la prison de Craiova concluait à un surpeuplement très important (68 détenus partageaient des cellules de 66 m²), à l’absence d’activité physique, à des conditions de vie médiocres, à l’absence de cloisons dans les annexes sanitaires, aux coupures de chauffage et à des conditions d’hygiène insatisfaisantes. Un deuxième rapport concernant la même prison, publié le 11 décembre 2008, à la suite d’une visite réalisée en 2006, conclut à des conditions de surpeuplement particulièrement élevées et à des services de santé surchargés.


  31. .  Dans ce dernier rapport, le CPT précisa :
  32. « § 70 : (...)  le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit.

    En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »


  33. .  Les extraits pertinents de la Recommandation n(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006 sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009-...) et Rupa c. Roumanie (no 1), (no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).

  34. .  Un résumé du guide pour le contrôle des tuberculoses en prison, réalisé par l’Organisation mondiale de la Santé (« OMS ») et le Comité international de la Croix-Rouge (« CICR ») figure dans l’affaire Ghavtadze c. Georgie (no 23204/07, § 57, 3 mars 2009).
  35. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  36. .  Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint des mauvaises conditions de détention qu’il a subies au dépôt de la police de Mehedinţi et dans les prisons de Drobeta Turnu Severin et de Craiova. Il se plaint également d’avoir contracté la tuberculose rénale en prison en raison des mauvaises conditions de détention et de ne pas avoir reçu un traitement médical adéquat pendant sa détention.

  37. .  L’article 3 de la Convention est ainsi libellé :
  38. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Sur l’exception du Gouvernement tiré du non-épuisement des voies de recours internes


  39. .  Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de toutes les branches de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a jamais saisi les autorités administratives ni les tribunaux d’une plainte pénale ou civile relative aux conditions matérielles de détention et à l’insuffisance du traitement médical accordé. De même, l’intéressé aurait pu saisir les juridictions internes d’une action fondée sur l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 56 du 25 juin 2003 portant sur certains droits des personnes privés de libertés (« l’OUG no 56/2003 »), pour se plaindre d’avoir contracté la tuberculose rénale en prison et de l’absence de traitement médical.

  40. .  Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.

  41. .  La Cour note que le requérant a été placé en détention le 24 juillet 2002 et qu’il a été remis en liberté le 23 novembre 2004. Pendant sa détention, l’OUG no 56/2003 est entrée en vigueur. La Cour a déjà jugé que pour ce qui est des conditions matérielles de détention, ni cette ordonnance ni une autre action pénale ou civile ne constituaient pas un recours effectif à épuiser (Petrea c. Roumanie, no 4792/03, § 37, 29 avril 2008 et Iacov Stanciu précité, § 197). Les allégations du requérant selon lesquelles les mauvaises conditions de détention ont eu pour conséquence sa contamination par la tuberculose sont liées plus particulièrement à des aspects matériels de sa détention de sorte que les recours indiqués par le Gouvernement ne sauraient pas y remédier (Fűlöp c. Roumanie, no 18999/04, § 31, 24 juillet 2012). Dès lors, l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue pour cette branche du grief.

  42. .  Cependant, la Cour note que, bien qu’il ait à sa disposition à partir de juin 2003 une voie de recours efficace fondée sur les dispositions de l’OUG no 56/2003 (Petrea précité, §§ 35-36) pour se plaindre de l’absence d’un traitement médical adéquat pour ses affections identifiées en août 2003, le requérant ne l’a pas utilisé. Il s’ensuit que cette partie du grief doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  43. 2.  Sur l’exception du Gouvernement tiré de la tardivité du grief dans sa partie concernant les conditions matérielles de détention dans le dépôt de la police de Mehedinţi et dans la prison de Craiova


  44. .  Le Gouvernement fait valoir que le requérant ne s’est pas plaint des conditions de détention subies dans le dépôt de la police de Mehedinţi et de la prison de Craiova dans le délai de six mois prévu par l’article 35 de la Convention et que ces conditions de détention n’étaient pas similaires à celles qu’il a subies dans la prison de Drobeta Turnu Severin.

  45. .  Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.

  46. .  La Cour rappelle qu’il n’y a pas lieu de considérer les conditions de détention comme une situation continue dans la mesure où le grief y afférent porte sur un épisode, un traitement, ou un régime de détention spécifique, lié à une période de détention identifiée ; au contraire, il y a situation continue si le grief concerne des aspects généraux (conditions d’hygiène, surpeuplement, température des cellules etc.) et des conditions de détention qui sont restées sensiblement similaires malgré le transfert du requérant (Seleznev c. Russie, no 15591/03, § 36, 26 juin 2008).

  47. .  La Cour observe qu’en ce qui concerne les conditions de détention au dépôt de la police de Mehedinţi, le grief, tel que présenté par le requérant, porte sur plusieurs aspects, à savoir le manque d’espace et les conditions précaires d’hygiène (paragraphe 12 ci-dessus). Après son transfert dans les prisons de Drobeta Turnu Severin et de Craiova, une partie des questions susmentionnées ont continué de se poser, plus particulièrement le manque d’espace et de propreté. Dès lors, en l’espèce, la Cour ne saurait conclure que le transfert de l’intéressé a apporté un changement notable dans les conditions de détention dénoncées, pour conclure qu’il ne s’agirait pas d’une situation continue (Sudarkov c. Russie, no 3130/03, § 40, 10 juillet 2008).

  48. .  Partant, il convient de rejeter cet exception du Gouvernement.
  49. 3.  Sur le bien-fondé du grief tiré des conditions matérielles de détention


  50. .  La Cour constate que cette partie de la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  51. B.  Sur le fond


  52. .  Le requérant dénonce les conditions de sa détention au dépôt de la police de Mehedinţi et dans les prisons de Drobeta Turnu Severin et de Craiova en raison du surpeuplement, de l’absence d’un système de chauffage, du placement des détenus fumeurs avec les non-fumeurs, de l’absence d’hygiène et d’une nourriture adéquate. Il considère que les mauvaises conditions de détention ont contribué à sa contamination par la tuberculose rénale.

  53. .  Le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant étaient conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention. Il relève que d’après la fiche médicale de l’intéressé, celui-ci était fumeur. Se fondant sur un avis médical rédigé par un médecin de la prison de Drobeta Turnu Severin, le Gouvernement souligne que la tuberculose rénale apparait comme un effet secondaire à la réactivation d’un complexe primaire, à savoir pulmonaire dans les cas les plus fréquents. Il indique que cette maladie peut se manifester à un intervalle significatif de temps après l’infection primaire et que plus de 50 % des patients souffrant de tuberculose rénale présentent des aspects radiographiques normaux. Le Gouvernement conclut que, compte tenu de ces aspects cliniques et statistiques, la probabilité que l’intéressé ait contracté la tuberculose rénale en prison est très réduite.

  54. .  La Cour relève que les mesures privatives de liberté impliquent, par nature, certains inconvénients pour les personnes auxquelles elles sont appliquées. Toutefois, elle rappelle que l’incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Dans ce contexte, l’article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 93-94, CEDH 2000-XI et Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 131, 22 octobre 2009).

  55. .  La Cour relève d’emblée que, s’agissant de la question relative au moment de la contamination du requérant par la tuberculose, il s’agit d’un problème d’ordre médical sur lequel elle ne saurait se prononcer (voir, mutatis mutandis, Fűlöp précité, § 42). Bien qu’elle note que le requérant s’est vu établir le diagnostic de tuberculose rénale alors qu’il était privé de liberté, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner en l’espèce les arguments du requérant à cet égard, dans la mesure où il n’a apporté devant la Cour aucun élément de nature à contredire les affirmations du Gouvernement sur ce point et à démontrer les causes du développement de cette maladies (voir, mutatis mutandis, Fane Ciobanu c. Roumanie, no 27240/03, § 76, 11 octobre 2011).

  56. .  Toutefois, s’agissant des conditions de détention, la Cour rappelle que lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005). Ainsi, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, la Cour a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale étaient concernés des cas de figure où l’espace personnel accordé au requérant était inférieur à 3 m² (Colesnicov c. Roumanie, no 36479/03, §§ 78-82, 21 décembre 2010 et Budaca c. Roumanie, no 57260/10,
    §§ 40-45, 17
    juillet 2012).

  57. .  En l’espèce, selon les données communiquées par le Gouvernement (paragraphe 16 ci-dessus), le requérant a disposé dans les cellules où il fut détenu d’un espace personnel allant de 1,73 m² dans la prison de Craiova à un maximum de 2,37 m² dans la prison de Drobeta Turnu Severin et ce, sans prendre en compte le mobilier dont la présence réduisait encore cette superficie. La Cour en conclut que l’intéressé a vécu pendant environ deux ans et quatre mois, dans les différents établissements pénitentiaires où il a été détenu, en disposant d’un espace individuel extrêmement réduit, en dessous de la norme recommandée par le CPT (paragraphe 24 ci-dessus).

  58. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour estime que les conditions de détention que le requérant a dû supporter pendant plus de deux ans n’ont pas manqué de le soumettre à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

  59. .  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
  60. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  61. .  Le requérant invoque l’article 3 de la Convention en raison des mauvais traitements qu’il aurait subis lors de son placement en garde à vue. Il se plaint également sous l’angle des articles 5 §§ 2 et 3 et 6 de la Convention des aspects liés à son placement en détention provisoire et de l’iniquité de la procédure pénale engagée contre lui. Il invoque enfin l’article 34 de la Convention pour se plaindre du refus des autorités de l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava, du 19 mars au 26 mai 2004, de lui permettre de recevoir ou d’envoyer des courriers. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont irrecevables et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  62. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    48.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  63. .  Le requérant réclame 7 000 000 d’euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

  64. .  Le Gouvernement considère que la somme demandée est exorbitante et non justifiée. Il estime qu’un éventuel arrêt de violation pourrait constituer par lui-même une réparation satisfaisante du préjudice moral prétendument subi par l’intéressé.

  65. .  La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des mauvaises conditions de détention. Elle estime que, de ce fait, le requérant a subi un tort moral indéniable que le seul constat de violation ne saurait réparer. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 400 EUR au titre du préjudice moral.
  66. B.  Frais et dépens


  67. .  Le requérant demande 2 040 lei roumains (RON) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes lors de la procédure pénale dirigée contre lui. Il demande également, sans chiffrer, « les frais engagés devant la Cour Européenne ».

  68. .  Le Gouvernement relève que le requérant n’a présenté aucun justificatif pour les sommes demandées à ce titre.

  69. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale, étant donné que ces frais ne sont pas en rapport avec la violation constatée par la Cour. De plus, faute pour le requérant d’avoir chiffré et justifié les frais encourus dans la procédure devant la Cour, aucune somme ne saurait lui être allouée à ce titre.
  70. C.  Intérêts moratoires


  71. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  72. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions matérielles de détention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions matérielles de détention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 5 400 EUR (cinq mille quatre cents euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président


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