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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GULAY ÇETIN v. TURKEY - 44084/10 - HEJUD (French Text) [2013] ECHR 179 (05 March 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/179.html Cite as: [2013] ECHR 179 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GÜLAY ÇETİN c. TURQUIE
(Requête no 44084/10)
ARRÊT
STRASBOURG
5 mars 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Gülay Çetin c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 18 décembre 2012 et 12 février 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière
date :
PROCÉDURE
Le 15 novembre suivant, la Cour a décidé d’accueillir cette demande, étant entendu que, pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera de désigner feu Mme Gülay Çetin par l’expression « la requérante ».
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A cet égard, les documents officiels, qui reposent sur les rapports établis par les deux derniers médecins pénitentiaires en poste, ne font état que de trois consultations (paragraphes 61 et 64 ci-dessous). D’après ces documents, la requérante aurait été examinée pour la première fois à l’infirmerie le 2 mai 2008 (protocole no 2014), date à laquelle on lui diagnostiqua un ulcère peptique, c’est-à-dire gastroduodénal. Elle y serait retournée le 12 mai suivant (protocole no 2207) et aurait été mise sous traitement, cette fois-ci pour une gastro-entérite. A l’issue d’un troisième examen, réalisé le 11 juillet 2008 (protocole no 3629), le médecin aurait à nouveau conclu à un ulcère peptique, accompagné d’une bronchite.
Le dossier fut automatiquement transmis à la Cour de cassation, en raison du quantum de la peine infligée.
Elle y subit une cholécystectomie (ablation de la vésicule biliaire), les médecins ayant diagnostiqué une lithiase vésiculaire (calculs dans la vésicule biliaire), maladie qui, en cas de crise, peut provoquer des douleurs abdominales fortes ainsi que des nausées et des vomissements. Cette opération n’entraîna aucune amélioration de son état de santé.
Le 13 avril 2009, soit plus de deux ans après l’apparition des troubles digestifs de la requérante, on diagnostiqua chez elle un adénocarcinome gastrique (cancer de l’estomac) à caractère métastatique.
Il ressort du dossier qu’à cette date déjà, sa maladie se trouvait à un stade avancé (paragraphe 40 ci-dessous).
Le 20 avril suivant, la requérante fut admise au service d’oncologie de l’hôpital.
Elle quitta l’hôpital le 8 juin 2009, au terme d’un suivi postopératoire et d’une chimiothérapie intense de quarante-deux jours.
Pendant cette période, Ümmügülsüm Çetin adressa à la commission parlementaire des droits de l’homme de l’Assemblée nationale une lettre décrivant en détail la situation intenable dans laquelle vivait sa sœur. Elle la priait de faire en sorte que des mesures soient prises afin que la malade bénéficie, entre autres, d’une alimentation adéquate, d’un soutien psychologique et d’un traitement humain de la part du personnel pénitentiaire.
Deux jours plus tard, elle fut à nouveau admise aux urgences en raison d’une fièvre et d’une neutropénie qui nécessitèrent sa réhospitalisation jusqu’au 17 septembre 2009 aux fins d’une antibiothérapie.
Selon le dossier, elle dut à nouveau être hospitalisée du 25 septembre au 1er octobre 2009, apparemment pour des soins palliatifs.
Le 1er septembre 2009, cette déléguée transmit la lettre à la commission des droits de l’homme de l’Assemblée nationale, accompagnée d’une lettre de soutien dans laquelle elle-même dénonçait le traitement tardif et inadéquat des détenus atteints de maladies graves - comme la requérante - et exhortait la commission à examiner la question d’urgence.
Le lendemain, elle fit part à la requérante de cette initiative.
Par ailleurs, la requérante pria également l’administration pénitentiaire de fournir à la cantine de la prison des produits riches en vitamines et en protéines, tels que pollen, gingembre et gelée royale.
Le lendemain, les juges du fond rejetèrent ce recours, au motif que le maintien en détention de la requérante était « régulier et conforme à la loi ». En réalité, le motif pertinent serait le fait que l’infraction dont elle était accusée était passible d’une peine dont le quantum dépassait la limite de « trois ans au maximum » posée par l’article 109 susmentionné dans sa version en vigueur à l’époque[2].
L’avocat forma contre ce refus une opposition qui fut également rejetée, le 22 janvier, par la 3e chambre de la cour d’assises d’Antalya.
A cette dernière date, elle devait également comparaître devant le tribunal, mais le sous-officier R. l’avait convaincue d’accepter le rendez-vous à l’hôpital en lui assurant qu’elle y serait conduite sans faute après l’audience. Le jour venu, on l’avait d’abord fait voyager dans un fourgon, au mépris des recommandations des médecins, puis, à l’issue de l’audience, E.Y. et R. avaient refusé de l’emmener à l’hôpital, affirmant qu’ils n’avaient pas connaissance du rendez-vous. Ils avaient ensuite appelé l’hôpital, qui avait confirmé que la requérante était bien attendue pour un examen à 13 h 30 ; en attendant l’arrivée d’un véhicule qui l’y conduirait, ils avaient alors décidé de la laisser dans le fourgon. Se sentant incapable de supporter plusieurs heures de plus dans ces conditions, la requérante s’était alors résignée à renoncer à la consultation.
La Cour n’a pas été informée de l’issue de cette plainte.
Le 20 mai 2010, elle adressa une seconde lettre dans le même sens à la Cour de cassation.
De nouvelles TEP réalisées le 6 juillet et le 6 octobre 2010 révélèrent une légère régression des activités métaboliques, que les médecins qualifièrent de « réponse partielle » à la chimiothérapie.
Interrogée le 25 juin 2010 dans le contexte de l’une de ces plaintes, Ümmügülsüm Çetin déclara que, d’après elle, sa sœur, souffrante et éprouvée, cherchait en réalité à attirer l’attention et qu’il fallait absolument assurer son admission dans un service susceptible de lui fournir un soutien psychiatrique.
Les autorités ont pour leur part indiqué que la requérante avait toujours refusé d’être suivie par un service de psychiatrie, sauf pendant son séjour postopératoire.
Il ressort par ailleurs du dossier qu’entre le 24 septembre et le 14 décembre 2010, la requérante avait fait l’objet de dix-sept analyses médicales.
Il semble qu’aucune suite n’ait été donnée à cette demande.
« Dans les affaires qui relèvent du ressort des cours d’assises, le délai de détention provisoire est de deux ans au maximum. En cas de force majeure, ce délai peut être prolongé par une décision motivée pour une durée totale de trois ans au maximum. »
Cette demande fut écartée, apparemment au motif que, vu la gravité de la peine encourue, la requérante risquait de s’enfuir.
La dernière TEP, réalisée le 14 février 2011, révéla que la requérante était atteinte d’iléus (occlusion intestinale), c’est-à-dire d’un arrêt du transit consécutif à un traumatisme péritonéal.
En conséquence, le 14 mars 2011, elle fut transférée à l’Hôpital universitaire d’Akdeniz.
« (...) Comme ma condamnation n’est pas définitive, je ne peux pas bénéficier de l’article 104 de la Constitution. (...) Ça fait deux ans que je ne mange rien, je ne dors pas. Ma résistance physique a chuté. Le docteur de la prison m’avait toujours donné des antiacides. On ne m’a pas envoyée à l’hôpital. [Et voilà que maintenant,] j’ai un cancer de l’estomac. Je serais en phase terminale. Les gardiens me grondaient : ‘pourquoi ne manges-tu pas, tu te rebelles ou quoi ?’. Mais je vomissais tout ce que j’avalais, comme de la boue noire (...). Cela n’a pas été facile de me faire conduire à l’hôpital. Quand le médecin m’a vue avec les menottes, il m’a renvoyée en disant ‘tu n’as rien, tout est dans ta tête’. (...) Je n’arrêtais pas de souffrir le martyre, j’étais pliée en deux. Les responsables pensaient que j’étais tombée malade à cause de ma condamnation. Pour l’endoscopie, ils ont fixé un rendez-vous pour trois mois plus tard. A la fin des trois mois, [on ne m’y a] pas amenée, faute d’un véhicule et de gendarmes disponibles. Quand on m’a hospitalisée six mois plus tard, [on m’a] retiré la vésicule biliaire par erreur. Mes douleurs continuent. Quand j’y pense, je deviens folle. (...) La condamnée [de droit commun] que je suis n’arrive pas à se faire entendre comme les prisonniers politiques. Chaque jour, je me réveille [pourtant] avec un nouvel espoir. Le 27 avril 2009, on m’a retiré l’estomac et l’ovaire gauche. Il ne me reste plus d’organes. A l’hôpital, ils m’ont dit qu’ils avaient éradiqué tous les tissus malins. (...) De 75 kilos, je suis tombée à 55. Trois-quatre mois plus tard, j’ai été admise à l’hôpital universitaire d’Akdeniz. L’oncologue m’a dit ‘il vous reste deux mois à vivre’. Je pense encore à ces mots. Chaque semaine j’ai subi une chimiothérapie. Pendant un an, je me suis nourrie de purées. J’ai perdu tous mes cheveux, cils et sourcils. Mon système immunitaire est anéanti. La procédure de jugement est trop longue. (...) Ma maladie a beaucoup évolué. Il y aurait des métastases partout aux organes intérieurs. Je n’en peux plus. Maintenant, on me dit que j’ai une autre tumeur de six cm à l’ovaire droit. Ils ne peuvent pas l’opérer. Je n’ai pas vu l’hôpital depuis deux mois. Le responsable de l’infirmerie aurait écrit une note au directeur comme quoi ils attendraient les résultats de pathologie. Ce n’est pas vrai, parce qu’ils m’avaient fait un IRM, mais pas de biopsie. J’ai alors refusé de manger et entamé une grève de la faim. Je dois passer une TEP le 11 février. Le 15 février un médecin va me voir. Malheureusement, comme je suis une condamnée, seuls les assistants m’examinent. Je ne suis pas vue par les professeurs. (...) Je suis devenue un objet d’expérience entre les mains des assistants. (...) Je reste cloîtrée dans ma chambre. Je reçois certains légumes avec l’autorisation du tribunal. On est 20 dans le dortoir. Les autres veulent que, malgré mon état, je fasse le ménage sur les deux étages et que je tienne la garde. Elles disent qu’elles n’ont rien à faire de mon certificat médical. Elles ont même exempté une diabétique des tâches [quotidiennes], mais pas moi. (...) Pendant que j’étais à l’hôpital, l’une des détenues a déchiqueté mes vêtements avec un rasoir parce que je ne l’avais pas laissée les porter. Je lutte aussi avec ce genre de problèmes. Elles abusent de moi financièrement. En trois jours, elles m’ont lavé six assiettes, et elles m’ont pris vingt livres pour cela. (...) J’ai besoin d’un soutien psychosocial. Ne vous méprenez pas sur moi, je ne veux pas exploiter ma maladie. Mais j’ai un corps malade. Je ne peux pas purger ma peine (...) »
La Cour ignore la réponse donnée à ce sujet.
« - Gülay ÇETİN (538473)
- Carcinome gastrique + carcinose péritonéale[3],
- En est à sa troisième rechute et est entrée en phase terminale,
- A suivre avec des traitements de soutien (...) »
« En cas de maladie [autre que mentale], la peine est exécutée dans les services d’un établissement hospitalier réservé aux condamnés. Cependant, si l’exécution d’une peine d’emprisonnement présente, malgré tout, un risque certain pour la vie du condamné, il y est sursis jusqu’à la guérison de l’intéressé. »
Par un rapport du 8 avril 2011 (communiqué le 11 avril), le conseil de santé de l’hôpital conclut qu’il y avait lieu de surseoir à l’exécution de la peine de la requérante, aux motifs que sa maladie était incurable au sens de l’article 104 § 2 b) de la Constitution et que tenter de la traiter en milieu carcéral mettrait sa vie en danger.
A partir de cette date, la requérante se montra de plus en plus réticente à se déplacer. A chaque fois, le personnel pénitentiaire devait déployer des efforts considérables, parfois vains, pour la persuader.
A cette date, en raison des retards dans la transmission des documents pertinents (paragraphe 58 ci-dessus), il n’avait pas encore été décidé de surseoir à l’exécution de sa peine.
Ces documents ne parvinrent au parquet que le 18 juillet 2011. La demande de sursis fut alors classée, pour cause de décès.
Les inspecteurs chargés du dossier entendirent l’une des codétenues de la requérante, H.E. Celle-ci déclara qu’elle avait été détenue avec la défunte pendant quatre mois à la prison de type E d’Antalya, que, tout au long de cette période, sa camarade n’avait cessé de vomir tout ce qu’elle mangeait sans bénéficier d’aucun traitement, mais que, une fois le diagnostic de cancer posé, on avait commencé à la soigner et à la conduire régulièrement à l’hôpital.
Les inspecteurs entendirent également A.A., l’aide-soignant (Sağlık memuru) de la prison, dont les déclarations, selon eux, se résument ainsi :
« Toutes les mesures nécessaires avaient été prises à l’égard de la détenue Gülay Çetin, qu’elles concernent les traitements prescrits pour sa maladie, son traitement à l’hôpital ou encore ses rendez-vous médicaux ; et, du point de vue de la santé, toutes sortes de soutien lui avaient été procurées. »
La gardienne E.A., qui surveillait la requérante le jour du décès (paragraphe 59 ci-dessus), indiqua que, dès son admission dans la cellule no A-7, l’intéressée avait commencé à se plaindre de problèmes à l’estomac, qu’elle avait été conduite à l’hôpital justement pour cette raison, que plus tard on lui avait diagnostiqué un cancer, et qu’après cela, le personnel avait veillé à lui apporter un soutien moral.
Rien dans le rapport d’enquête n’indique que les médecins H.A. et H.D., en poste à l’époque des faits (paragraphes 61 et 64 ci-dessous), ou les médecins Ö.Ç., H.K., S.Ç. ou R.Y., qui avaient examiné la requérante auparavant (paragraphe 9 ci-dessus), aient été entendus par les inspecteurs.
Au 29 novembre 2011, le parquet avait déjà entendu les camarades de cellule de la défunte mais il attendait encore, semble-t-il, le résultat des analyses pathologiques demandées après l’autopsie, qui avait été pratiquée le jour même du décès.
Selon toute vraisemblance, l’instruction de l’affaire est encore pendante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. Le droit interne
Par ailleurs, par une loi no 6411, promulguée le 24 janvier 2013, un nouveau paragraphe 6 fut ajouté à l’article 16 susmentionné de la loi no 5275 :
« 6. Si, dans les conditions matérielles de l’établissement carcéral concerné, un condamné n’est pas, du fait d’une maladie ou d’un handicap grave dont il est atteint, en mesure de subvenir seul à ses besoins, il sera sursis à l’exécution de sa peine jusqu’à la guérison, selon la procédure prévue au paragraphe 3. »
Il faut encore signaler le règlement no 2006/10218 du 20 mars 2006 portant application de la loi no 5275. L’article 54 § 2 dudit règlement, au demeurant calqué sur l’article 16 § 2 de ladite loi, se lit ainsi :
« En cas de maladie [autre que mentale], la peine est exécutée dans les services d’un établissement hospitalier réservé aux condamnés. Cependant, si l’exécution d’une peine d’emprisonnement présente, malgré tout, un risque certain pour la vie du condamné, il y est sursis jusqu’à la guérison de l’intéressé. »
La procédure de sursis instaurée par l’article 16 § 2 de la loi no 5275 et par l’article 54 du règlement y afférent prévoit donc la libération du condamné pour raisons de santé et, ainsi, supplée le recours présidentiel en grâce médicale. Ces deux procédures constituent des garanties visant à assurer la protection de la santé et du bien-être des personnes condamnées.
Il ressort d’ailleurs de la jurisprudence constante en la matière que cette protection n’est applicable qu’aux personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pénale définitive et non aux personnes détenues à titre provisoire, étant entendu qu’en droit turc, une condamnation ne devient définitive qu’après sa confirmation ultime par la Cour de cassation.
Or, à ce sujet, nonobstant le libellé de l’article 16 § 2 en question, la Cour observe qu’en droit turc, il existe bien, ne serait-ce qu’en théorie, une base juridique pour faire bénéficier cette deuxième catégorie de personnes dudit article. En effet, l’article 116 § 1 de la loi no 5275 énonce :
« Les dispositions des articles 16, (...) de cette présente loi, relatives (...) au sursis à l’exécution d’une peine d’emprisonnement pour motif de santé, (...) aux cas de maladie faisant obstacle à l’exécution (...), s’appliquent également aux détenus à titre provisoire, dans la mesure où elles sont compatibles avec le statut de détention provisoire. »
Cette différence entre la situation de fait et de droit trouve sans doute son explication dans l’article 186 du règlement précité, à savoir le corollaire de l’article 116 susmentionné de la loi no 5275 :
« Les dispositions des articles 1, 4, 6, 9 à 14, 22, 24 à 27, 29 à 31, 40 à 46, 67 à 73, 75 à 96, 99 à 108, 110 à 117, 119 à 132, 143 à 171, 174, 176 à 179, 185, 188, 189 du présent règlement s’appliquent également aux détenus à titre provisoire, dans la mesure où elles sont compatibles avec le statut de détention provisoire. »
Force est d’observer qu’aucune référence n’y est faite à l’article 54 susmentionné du règlement, de manière à exclure son application par analogie aux détenus.
En vertu de l’article 16 § 2 c) de la loi no 2659, c’est la 3e chambre de spécialistes de l’Institut médico-légal (composée d’un médecin légiste, d’un chirurgien généraliste, d’un orthopédiste traumatologue, d’un neurologue, d’un gastroentérologue et d’un spécialiste des maladies respiratoires) qui est compétente (paragraphe 56 ci-dessus) en ce qui concerne la levée ou l’atténuation des peines des condamnés souffrant de maladies, de handicaps ou de sénilité irréversibles ou incurables, susceptibles de justifier la grâce présidentielle visée à l’article 104 § 2 b) de la Constitution et/ou l’application de l’article 16 § 2 de la loi no 5275.
En vertu de l’arrêté no 20 du ministère de la Justice en date du 1er janvier 2006, les demandes de grâce doivent être introduites soit auprès du ministère de la Justice soit auprès d’un parquet. L’instance ainsi saisie doit envoyer l’intéressé, pour examen, dans un hôpital public de son choix, afin d’obtenir un rapport confirmant ou infirmant la gravité de son état de santé. Si le rapport délivré est positif, il est transmis pour observation à la 3e chambre de spécialistes de l’Institut médico-légal. Celle-ci se prononce sur la question de savoir si la maladie dont le rapport de l’hôpital public fait état relève effectivement de l’article 104 § 2 b) de la Constitution. Pour ce faire, l’arrêté lui laisse la possibilité de procéder à son propre examen médical de l’intéressé, mais ne l’y oblige nullement.
Cette pratique vaut également pour l’application de l’article 16 § 2 de la loi no 5275.
B. Les travaux du Conseil de l’Europe
« C. Personnes inaptes à la détention continue : handicap physique grave, grand âge, pronostic fatal à court terme
50. Les détenus souffrant de handicaps physiques graves et ceux qui sont très âgés devraient pouvoir mener une vie aussi normale que possible et ne pas être séparés du reste de la population carcérale. Les modifications structurelles nécessaires devraient être entreprises dans les locaux pour faciliter les déplacements et les activités des personnes en fauteuil roulant et des autres handicapés, comme cela se pratique à l’extérieur de la prison.
51. La décision quant au moment opportun de transférer dans des unités de soins extérieures les malades dont l’état indique une issue fatale prochaine devrait être fondée sur des critères médicaux. En attendant de quitter l’établissement pénitentiaire, ces personnes devraient recevoir pendant la phase terminale de leur maladie des soins optimaux dans le service sanitaire. Dans de tels cas, des périodes d’hospitalisation temporaire hors du cadre pénitentiaire devraient être prévues. La possibilité d’accorder la grâce ou une libération anticipée pour des raisons médicales devrait être examinée. »
Elle prévoit, entre autres, ceci :
« Législation
1. Il convient de mettre en place un éventail de sanctions et mesures appliquées dans la communauté qui soit suffisamment large et varié et pourrai[t] comporter, à titre d’exemple : (...)
- la suspension, assortie de conditions, de l’exécution d’une peine d’emprisonnement ; (...) »
« recommande (...) au Comité des Ministres d’encourager les Etats membres du Conseil de l’Europe à respecter et à protéger la dignité des malades incurables et des mourants à tous égards :
a. en consacrant et en protégeant le droit des malades incurables et des mourants à une gamme complète de soins palliatifs, ce en prenant les mesures nécessaires :
i. pour que les soins palliatifs fassent partie des droits individuels reconnus par la loi dans tous les Etats membres ;
ii. pour assurer un accès équitable à des soins palliatifs appropriés à tous les malades incurables et à tous les mourants ;
iii. pour encourager parents et amis à accompagner les malades incurables et les mourants, et pour leur assurer un soutien professionnel. Lorsque la famille et/ou les organismes privés s’avèrent insuffisants ou surchargés, leur action devra être remplacée ou complétée par d’autres formes de soins médicaux professionnels ;
iv. pour disposer d’équipes et de réseaux mobiles spécialisés afin que des soins palliatifs puissent être dispensés aux malades incurables et aux mourants à domicile, quand un traitement ambulatoire est possible ;
v. pour qu’il y ait coopération entre toutes les personnes appelées à prodiguer des soins à des malades incurables ou à des mourants ;
vi. pour que soient élaborées et mises en œuvre des normes destinées à assurer la qualité des soins dispensés aux malades incurables et aux mourants ;
vii. pour que - sauf refus de l’intéressé - les malades incurables et les mourants reçoivent un traitement antidouleur et des soins palliatifs adéquats, même si le traitement appliqué peut avoir pour effet secondaire de contribuer à abréger la vie de la personne en cause ; (...) »
« (...) 1. Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme. (...)
6. Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté. (...)
10.3. Les Règles s’appliquent aussi aux personnes : (...)
b) placées en détention provisoire par une autorité judiciaire ou privées de liberté à la suite d’une condamnation, mais qui sont, pour une raison quelconque, détenues dans d’autres endroits. (...)
12.1. Les personnes souffrant de maladies mentales et dont l’état de santé mentale est incompatible avec la détention en prison devraient être détenues dans un établissement spécialement conçu à cet effet.
12.2. Si ces personnes sont néanmoins exceptionnellement détenues dans une prison, leur situation et leurs besoins doivent être régis par des règles spéciales. (...)
22.1. Les détenus doivent bénéficier d’un régime alimentaire tenant compte de leur âge, de leur état de santé, de leur état physique, de leur religion, de leur culture et de la nature de leur travail. (...)
39. Les autorités pénitentiaires doivent protéger la santé de tous les détenus dont elles ont la garde. (...)
40.1. Les services médicaux administrés en prison doivent être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la collectivité locale ou de l’Etat.
40.2. La politique sanitaire dans les prisons doit être intégrée à la politique nationale de santé publique et compatible avec cette dernière.
40.3. Les détenus doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique.
40.4. Les services médicaux de la prison doivent s’efforcer de dépister et de traiter les maladies physiques ou mentales, ainsi que les déficiences dont souffrent éventuellement les détenus.
40.5. À cette fin, chaque détenu doit bénéficier des soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques requis, y compris ceux disponibles en milieu libre.
(...)
43.1. Le médecin doit être chargé de surveiller la santé physique et mentale des détenus et doit voir, dans les conditions et au rythme prévus par les normes hospitalières, les détenus malades, ceux qui se plaignent d’être malades ou blessés, ainsi que tous ceux ayant été spécialement portés à son attention. (...)
43.3. Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale d’un détenu court des risques graves du fait de la prolongation de la détention ou en raison de toute condition de détention, y compris celle d’isolement cellulaire. (...)
46.1. Les détenus malades nécessitant des soins médicaux particuliers doivent être transférés vers des établissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils, lorsque ces soins ne sont pas dispensés en prison. (...)
94.1. Dans les présentes règles, le terme « prévenus » désigne les détenus qui ont été placés en détention provisoire par une autorité judiciaire avant leur jugement ou leur condamnation.
94.2. Tout État est en outre libre de considérer comme prévenu un détenu ayant été reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement, mais dont les recours en appel n’ont pas encore été définitivement rejetés. (...) »
EN DROIT
I. OBJET DU LITIGE
A cet égard, elle invoquait les articles 6 et 13 de la Convention ainsi que, en substance, l’article 5 § 4 et les volets procéduraux des articles 2 et 3.
Pour ce qui est du deuxième grief (paragraphe 75 ci-dessus), elle estime devoir se placer sur le terrain de l’article 3.
Article 2 § 1
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
A. Arguments des parties
1. La partie requérante
La représentante de la requérante rappelle que, durant les premières années de la détention provisoire de sa cliente, les médecins pénitentiaires se sont contentés, malgré ses souffrances et son insistance, de lui prescrire de simples antiacides pour ses problèmes gastriques, problèmes dont ils firent peu de cas mais qui finirent par s’avérer être la manifestation d’un carcinome métastatique qui progressa très vite vers la phase terminale.
Ainsi, dès le début de sa détention, la requérante aurait souffert d’une pathologie engageant son pronostic vital, mais les personnes qui se devaient de veiller sur sa santé l’auraient privée de toute chance de guérir par leur attitude aussi indifférente qu’irresponsable.
2. Le Gouvernement
A cet égard, il argue que s’agissant d’une erreur « strictement médicale » l’intéressée pouvait exercer « les voies de recours civiles à l’encontre du médecin ou du centre hospitalier » concernés.
Il lui aurait été loisible également d’introduire « un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir toute sanction appropriée, par exemple une mesure disciplinaire ».
Selon le Gouvernement, la requérante aurait également pu saisir les juridictions administratives, « ce qui aurait permis d’établir la faute médicale dont elle se plaignait et d’obtenir la réparation du dommage causé ».
La requérante aurait eu, de surcroît, « la possibilité d’un recours auprès du juge d’application des peines afin d’assurer son transfert à l’hôpital dès ses premières plaintes concernant son état de santé ».
Pour ce qui est de la suite des événements, le Gouvernement affirme qu’à partir du moment où les autorités sanitaires ont soupçonné la présence chez la requérante d’une tumeur gastrique maligne, elles lui ont prodigué tous les soins médicaux nécessaires et elles ont pris en charge le suivi approprié, l’ensemble des frais et dépens médicaux liés aux soins administrés en l’espèce ayant ainsi été réglés par le ministère de la Santé.
B. Appréciation de la Cour
« (...) peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées ».
En revanche, lorsqu’un détenu malade, de son vivant, s’estime victime d’une violation potentielle de l’article 2, la Cour considère qu’il n’y a, en principe, pas lieu de s’écarter de la démarche suivie dans l’arrêt Calvelli et Ciglio (paragraphe 84 ci-dessus).
Cette conclusion dispense la Cour d’examiner les autres exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION, PRIS ISOLÉMENT ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14
A. Arguments des parties
1. La partie requérante
Elle soutenait que les souffrances physiques et psychiques qu’elle continuait à endurer dans le milieu carcéral, exacerbées par l’indifférence des autorités pénitentiaires et judiciaires, constituaient, en elles-mêmes, une violation distincte de l’article 3.
Sa représentante ajoute qu’en l’espèce il est capital de bien comprendre la fragilité et l’impuissance des personnes gravement malades face à toute forme de brutalité, que celle-ci émane des codétenus ou du personnel pénitentiaire.
Elle se plaignait d’avoir été abandonnée dans une situation insoutenable pour la seule raison que les lenteurs de la justice faisaient qu’elle n’était pas encore définitivement condamnée.
Elle argue que l’intransigeance opposée par les autorités aux innombrables démarches judiciaires et administratives entreprises en l’espèce n’a pas seulement eu pour conséquence de priver la requérante d’un accès sans entraves à des moyens médicaux plus adaptés qui lui auraient permis d’espérer guérir mais l’a aussi privée de la possibilité de faire sereinement ses adieux à ses proches. Elle dénonce des retards de plusieurs semaines et même de plusieurs mois dans la procédure concernant l’élargissement de la requérante et, à cet égard, reproche aux autorités de n’avoir pas tenu compte de rapports médicaux accablants et d’avoir fait fi de la valeur que peut représenter pour un mourant un seul jour de liberté, privant ainsi la requérante de la possibilité de bénéficier de la mesure sollicitée avant son décès. A cet égard, elle reconnaît que nul ne peut répondre à la question de savoir si, libérée, sa cliente aurait pu guérir, mais elle déplore qu’on ne lui ait jamais laissé cette chance.
2. Le Gouvernement
- à l’hôpital, la requérante se serait toujours vu offrir l’assistance d’un psychologue ;
- l’administration pénitentiaire aurait veillé à ce que les proches de la requérante soient associés au traitement médical, afin de l’aider et de la rassurer moralement ;
- l’administration pénitentiaire aurait respecté le programme nutritionnel prescrit par les médecins ; ainsi, le nombre de repas journaliers de la requérante aurait été augmenté et, conformément à l’autorisation accordée le 12 février 2010 par le juge d’application des peines, les aliments spécifiques recommandés lui auraient été fournis soit par la cantine de la prison soit par sa famille ;
- à la demande de la requérante, certaines de ses codétenues auraient été transférées dans une autre cellule, afin qu’elle puisse trouver plus de calme ;
- l’administration aurait également pris toutes les mesures nécessaires pour lui prodiguer les soins palliatifs qui s’imposaient et pour que, malgré sa maladie, elle puisse conserver sa dignité dans le milieu carcéral.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
2. Sur le fond
a) Sur l’article 3 de la Convention
La souffrance due à une maladie qui survient naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut en soi relever de l’article 3, si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables. La santé et le bien-être du prisonnier doivent être assurés de manière adéquate compte tenu des exigences pratiques de l’emprisonnement, notamment par l’administration des soins médicaux requis.
Ainsi, la détention d’une personne malade dans des conditions matérielles et médicales inappropriées peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, Hüseyin Yıldırım, précité, § 73, Tekin Yıldız, précité, §§ 70 et 71, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, CEDH 2006-IX, Mouisel, précité, § 40, Pretty, ibidem, Gelfmann c. France, no 25875/03, § 50, 14 décembre 2004, Kudła, précité, § 94, Rivière c. France, no 33834/03, § 74, 11 juillet 2006, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII, et Farbtuhs, précité, § 51, et les références qui y figurent).
De fait, le tableau clinique d’un détenu est l’un
des critères au regard desquels on apprécie aujourd’hui sous l’angle de l’article
3 dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, dont la Turquie, la capacité de faire face à la détention (paragraphes 70-73
ci-dessus). Il fait désormais partie des éléments à prendre en compte dans les
modalités d’exécution d’une peine privative de liberté, notamment en ce qui
concerne le maintien en détention des personnes qui sont atteintes d’une
pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état est durablement
incompatible avec la vie carcérale (voir, par exemple, Matencio
c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004, Sakkopoulos
c. Grèce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004, ainsi que les
arrêts précités Hüseyin Yıldırım, § 74, Tekin Yıldız, § 72, et Mouisel,
§§ 43-44, et Farbtuhs, § 52, avec les références qui y figurent).
- L’application de ces principes à la présente affaire
i. Les conditions matérielles de détention de la requérante
Il y a lieu également d’observer que, selon toute vraisemblance, les plaintes concernant les problèmes d’hygiène, les activités carcérales et le droit de recevoir des visites n’ont jamais été soulevées devant les autorités pénitentiaires. Aussi la Cour ne saurait-elle spéculer sur l’éventualité d’un manque de diligence imputable à l’administration sur ces points.
Il en va de même des méfaits reprochés aux codétenues de la requérante, les seuls événements dénoncés à cet égard n’étant mentionnés que dans une lettre personnelle de l’intéressée à son avocate (paragraphe 45 ci-dessus) : si cette dernière avait estimé devoir appeler l’attention des autorités sur les problèmes qui y étaient relatés, rien n’indique que les responsables auraient agi différemment de la fois où ils ont transféré certaines détenues dans d’autres cellules afin d’améliorer le confort de la requérante (paragraphe 37 ci-dessus).
En l’absence d’informations plus solides, cette branche du grief n’appelle donc pas un examen plus approfondi.
Au demeurant, indépendamment de la question de savoir quelles mesures exceptionnelles auraient pu être envisagées afin de rendre moins éprouvants les déplacements de la requérante, force est d’admettre que les conditions dénoncées en l’espèce n’ont pas de commune mesure avec celles observées dans d’autres affaires comparables (voir, par exemple, Hüseyin Yıldırım, précité, § 84, Mouisel, précité, §§ 46 et 47, et Henaf c. France, no 65436/01, §§ 49 et suivants, CEDH 2003-XI).
Cet aspect de l’affaire ne soulève par ailleurs aucun autre problème particulier.
ii. La qualité de l’assistance et des soins fournis à la requérante après le diagnostic définitif
En l’occurrence, elle n’a pas non plus à apprécier la pertinence et l’ampleur des soins fournis après cette date, non seulement parce que la requérante n’en tire pas grief mais aussi et surtout parce que rien dans le dossier ne permet de douter du fait que les médecins, qui étaient hautement qualifiés, ont déployé des efforts importants pour la traiter au sein des institutions hospitalières dans lesquelles elle a été amenée à consulter, à savoir notamment le centre de recherche de l’hôpital d’Antalya puis l’hôpital universitaire d’Akdeniz.
Il reste toutefois à examiner la question de la surveillance et des soins quotidiens dont la requérante pouvait espérer bénéficier notamment à partir de mars 2011, alors qu’elle souffrait d’iléus et qu’elle était entrée dans la phase terminale de sa maladie (paragraphes 44 et 49 ci-dessus).
La Cour observe qu’il est arrivé un moment où la requérante était très sérieusement affaiblie et diminuée, tant physiquement que psychiquement (paragraphe 104 ci-dessus), de sorte qu’elle ne pouvait plus accomplir les actes élémentaires de sa vie quotidienne sans assistance.
En somme, même si la requérante n’a formulé devant la Cour aucun grief précis à cet égard et si aucun élément ne permet de penser que les autorités ont agi dans le but de l’humilier ou de la rabaisser (Farbtuhs, Hüseyin Yıldırım, tous deux précités, V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 71, CEDH 1999-IX, Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, Recueil 1997-VIII, McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, §§ 47-58, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001-III), cette situation pose en elle-même un problème sérieux sous l’angle de l’article 3 (voir, a contrario, les arrêts précités Gelfmann, § 59, Kudła, § 99, et Matencio, § 89).
C’est précisément ce point que la Cour doit examiner à présent en tant que troisième élément d’appréciation : l’opportunité de maintenir la requérante en détention (paragraphe 105 ci-dessus).
iii. Le maintien en détention de la requérante
114. La Cour relève que les dispositifs procéduraux instaurés par la législation turque prévoient des recours devant les juges du fond en ce qui concerne l’élargissement des personnes qui se trouvent en détention provisoire (article 101 du CPP), la limite dans le temps de telles mesures (article 102 du CPP) et le placement des intéressés sous contrôle judiciaire (article 109 du CPP). En outre, le dispositif instauré par l’article 16 § 2 de la loi no 5275 prévoit la possibilité de suspendre la peine d’un détenu pour raisons de santé. Enfin, l’article 104 b) de la Constitution permet de former devant le président de la République un recours en grâce pour raisons médicales.
A cet égard, la Cour prend note de la récente réforme législative intervenue le 24 janvier 2013 (paragraphe 66 ci-dessus), à la suite de laquelle le paragraphe suivant a été ajouté à l’article 16 de la loi no 5275 :
« 6. Si, dans les conditions matérielles de l’établissement carcéral concerné, un condamné n’est pas, du fait d’une maladie ou d’un handicap grave dont il est atteint, en mesure de subvenir seul à ses besoins, il sera sursis à l’exécution de sa peine jusqu’à la guérison, selon la procédure prévue au paragraphe 3. »
Ces procédures peuvent prima facie constituer des garanties aptes à assurer la protection de la santé et du bien-être des détenus, que les Etats doivent concilier avec les impératifs légitimes de la privation de liberté (voir, entre autres, Hüseyin Yıldırım, § 87, précité), et il est incontestable que la situation de la requérante appelait pareille protection. Il reste à savoir si et dans quelle mesure la requérante a pu s’en prévaloir.
iv. La période pendant laquelle la requérante relevait du régime de la détention provisoire
116. Il y a lieu de rappeler qu’en l’espèce, après la condamnation de la requérante par la cour d’assises d’Antalya le 19 septembre 2008, la Cour de cassation s’est saisie d’office de l’affaire, en raison du quantum de la peine infligée (paragraphe 11 ci-dessus). Le 13 avril 2009, alors que cette procédure était encore pendante, on découvrit que la requérante était atteinte d’un cancer métastatique à un stade déjà avancé (paragraphes 14 et 40 ci-dessus). Le 8 octobre 2009, le premier jugement de condamnation fut cassé (paragraphe 20 ci-dessus) et l’affaire fut renvoyée devant les juges du fond. Ceux-ci avaient déjà rejeté une vingtaine de demandes d’élargissement formulées par la requérante, en motivant leur refus par des considérations générales tenant à la nature de l’infraction en cause, la date de la mise en détention provisoire, la nécessité d’obtenir des compléments de preuve, ou encore la persistance des raisons sur lesquelles était fondée la première décision de placement en détention (paragraphe 21 ci-dessus).
Le 29 octobre 2009, le centre de recherche de l’hôpital d’Antalya rendit un rapport selon lequel le pronostic vital de la requérante était désormais engagé (paragraphe 22 ci-dessus). Cependant, les juges du fond, faisant fi de ce rapport, rejetèrent deux nouvelles demandes de remise en liberté introduites par la requérante, pour les mêmes motifs que précédemment (paragraphe 24 ci-dessus).
Le 19 janvier 2010, ils confirmèrent sa condamnation et ordonnèrent son maintien en détention provisoire compte tenu, encore une fois, « de la nature et du quantum de la peine prononcée ainsi que de la date de la mise en détention » (paragraphe 27 ci-dessus). Ils rejetèrent ensuite des recours formés le 20 janvier 2010 contre cette décision, estimant que, la détention de la requérante étant « régulière et conforme à la loi », l’intéressée ne pouvait bénéficier ni d’une libération conditionnelle ni d’un placement sous contrôle judiciaire au domicile en vertu de l’article 109 du CPP (paragraphe 28 ci-dessus).
Dans l’intervalle, la Cour de cassation avait à nouveau été automatiquement saisie de l’affaire (paragraphe 29 ci-dessus). La requérante, faisant valoir plusieurs rapports médicaux récents sur son état de santé, la pria alors de traiter son dossier en priorité (paragraphe 34 ci-dessus). Elle introduisit également une demande de grâce présidentielle, sur le fondement de l’article 104 § 2 b) alinéa 13 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessus). Puis, au début du mois de janvier 2011, elle adressa aux juges de fond ainsi qu’aux juges de cassation de nouvelles demandes de remise en liberté, en vertu cette fois de l’article 102 § 2 du CPP, sa détention ayant atteint la durée maximale de deux ans. Ces demandes furent rejetées au motif qu’elle risquait de se soustraire à la justice vu la gravité de la peine qu’elle encourait (paragraphe 42 ci-dessus).
Le 16 février 2011, la condamnation de la requérante devint définitive (paragraphe 46 ci-dessus) ; un mois plus tard, elle entrait dans la phase terminale de sa maladie (paragraphe 49 ci-dessus).
Au contraire, tout au long de la procédure, les juges du fond ont décidé de la maintenir en détention en vertu de l’article 101 du CPP, pour des motifs aussi brefs que stéréotypés qui n’étaient nullement adaptés aux réalités de son cas personnel et n’avaient trait à aucune autre considération propre à sa situation. Leur refus de la remettre en liberté est devenu plus critiquable encore par la suite. En effet, s’il est vrai qu’au début, elle était légalement exclue du bénéfice de l’article 109 du CPP, il est devenu possible vers la fin de son procès de lui appliquer l’article 102 § 2 du CPP, comme elle l’a d’ailleurs demandé. Or les juges ont refusé également d’appliquer cette disposition, au motif que la requérante risquait de s’enfuir, alors même qu’elle était déjà parvenue à un stade critique de sa maladie.
Cette situation ne peut s’expliquer que par l’absence, dans le système de protection interne, d’une norme claire commandant aux magistrats de tenir dûment compte du tableau clinique du détenu dans l’application des trois articles susmentionnés du CPP.
119. Certes, il n’appartient pas à la Cour d’indiquer aux autorités nationales les mesures propres à faire en sorte que leur régime de libération conditionnelle et d’appel automatique réponde aux exigences de l’article 3 de la Convention.
Cependant, il est difficilement concevable au regard de cette disposition que le sort de personnes gravement malades dépende totalement et sans aucune nuance de la discrétion exclusive, notamment, des juges de première instance, sans que les décisions de ceux-ci ne soient contrôlées par la Cour de cassation, pour la seule raison que ces personnes relèvent du régime de la détention provisoire.
La Cour juge ce problème plus préoccupant encore lorsque le pourvoi est automatique : en pareil cas, le détenu, n’ayant - même s’il est en fin de vie - aucune possibilité légale d’obtenir des juges de cassation une décision de remise en liberté, risque de se voir contraint d’attendre que sa condamnation devienne définitive le plus tôt possible pour pouvoir, enfin, bénéficier des possibilités prévues à l’article 16 § 2 de la loi no 5275 et/ou à l’article 104 § 2 b) alinéa 13 de la Constitution.
Il s’agit là d’un point du droit interne qui est aussi imprécis qu’il est sujet à caution, et la Cour n’est pas convaincue que les juges du fond soient réellement dans l’impossibilité d’appliquer ces dispositions pour faire face à des circonstances exceptionnelles telles que celles de la présente affaire en tenant dûment compte des considérations humanitaires impérieuses en jeu en l’espèce.
Il est vrai que, prises littéralement, ces dispositions semblent ne viser que les personnes définitivement condamnées, ce qui n’était pas le cas de la requérante jusqu’au 16 février 2011. C’est d’ailleurs cette lecture que le Gouvernement a défendue dans l’affaire Hüseyin Yıldırım (arrêt précité, §§ 69 et 88), qui était comparable à celle de la requérante. A cet égard, la Cour réaffirme que, du moins en ce qui concerne l’article 16 § 2 de la loi no 5275, elle ne saurait souscrire à cette interprétation, car elle a déjà eu l’occasion de constater dans plusieurs affaires similaires concernant des Requêtes dirigées contre la Turquie que des personnes détenues à titre provisoire et atteintes de maladies irréversibles avaient bel et bien été libérées pour cause de santé, en vertu de l’ancien article 399 du CPP, qui était l’équivalent de l’actuel article 16 § 2 de la loi no 5275 (voir, parmi d’autres, les décisions Tarkan Uğurlu, İnan Eren et Eroğlu, toutes précitées).
En tout état de cause, la Cour estime devoir mentionner l’article 116 § 1 de la loi no 5275 (paragraphe 66 ci-dessus) qui prévoit l’applicabilité par analogie des dispositions de son article 16 § 2 aux personnes détenues à titre provisoire, à condition d’être « compatibles avec le statut de détention provisoire ». Certes, cette condition manque de précision. Mais au-delà de cette remarque, force est d’observer qu’en l’espèce, le Gouvernement n’a fourni aucun exemple où un détenu malade aurait été libéré en application de l’article 16 § 2, combiné avec l’article 116 § 1.
Le seul élément concret susceptible d’expliquer cette situation de fait réside sans doute dans l’article 186 du règlement no 2006/10218 (paragraphe 66 ci-dessus), dont le libellé est muet quant à l’applicabilité aux détenus des modalités de libération pour motif de santé. Il s’agit là d’une lacune qui s’apparente à une délimitation du champ d’application théorique de l’article 116 § 1 de la loi no 5275, et qui, du même coup, pose en soi problème au regard du principe général, selon lequel, un règlement d’exécution d’une loi donnée, édicté par le conseil des ministres (article 115 de la Constitution) aux fins de la mise en œuvre des dispositions législatives y afférentes, ne saurait être contraire à la loi.
Il reste maintenant à examiner la seconde période de détention de la requérante.
v La période suivant la condamnation définitive de la requérante
122. A partir du moment où sa condamnation est devenue définitive, le 16 février 2011, la requérante répondait en pratique aux conditions requises pour se prévaloir des dispositifs examinés ci-dessus, compte tenu du fait qu’une instance médicale supérieure venait de confirmer qu’elle se trouvait dans la phase terminale de sa maladie, qui était incurable (paragraphes 41 et 49 ci-dessus). Aussi son avocate déposa-t-elle une nouvelle demande de grâce présidentielle en vertu de l’article 104 § 2 b) alinéa 13 de la Constitution ainsi qu’une demande de sursis à l’exécution de la peine en vertu de l’article 16 § 2 de la loi no 5275 (paragraphes 48 et 50 ci-dessus).
Le 8 avril 2011, à la demande du parquet, le conseil de santé du centre de recherche de l’hôpital d’Antalya examina la requérante et la déclara inapte à demeurer incarcérée car atteinte d’une maladie incurable (paragraphe 51 ci-dessus). A partir de ce moment où ses jours étaient comptés, il importait peu de savoir si et dans quelle mesure l’exécution de la peine de la requérante mettait sa vie en danger. Il ne s’agissait plus, en effet, de savoir combien de temps encore il était admissible de la maintenir en détention : les circonstances ne le justifiaient tout simplement plus en termes de protection de la société, et tout manque de diligence des autorités à cet égard revenait à la laisser seule, sans soutien familial et dans l’impossibilité de conserver sa dignité face à l’issue vers laquelle sa maladie progressait fatalement et inévitablement.
La Cour ne peut qu’exprimer sa grave préoccupation devant ces inutiles redondances et atermoiements, que le Gouvernement n’a d’ailleurs pas cherché à expliquer, pas plus qu’il n’a avancé de justification quant au fait extrêmement déplorable que ce rapport, jugé déterminant, n’ait pas été communiqué au procureur concerné mais simplement mis à disposition, une semaine après son établissement le 15 juin 2011, sur le portail officiel du ministère de la Justice, et qu’il n’ait été reçu par le parquet que le 18 juillet suivant, six jours après la mort de la requérante (paragraphes 56, 58 et 59 ci-dessus).
124. Ces éléments montrent qu’en l’espèce les procédures en cause ont été appliquées en privilégiant plutôt les formalités que les considérations humanitaires et ont, ainsi, empêché la requérante, alors mourante, de vivre ses derniers jours dans la dignité.
vi. Conclusion
125. La Cour conclut que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge propre à épargner à la requérante des traitements contraires à l’article 3. La détention dont elle a fait l’objet dans les conditions décrites plus haut sans jamais parvenir à bénéficier du système de protection offert en théorie en droit turc a porté atteinte à sa dignité et l’a soumise à une épreuve d’une intensité qui a dépassé le niveau inévitable de souffrances inhérentes à une privation de la liberté et à un traitement anticancéreux.
Ces circonstances constituent un traitement inhumain et dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention et emportent violation de cette disposition.
b) Sur l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 3
A cet égard, la Cour note d’emblée qu’en l’espèce, les faits dénoncés dans le contexte de ce grief tombent effectivement sous le coup de l’article 3 (paragraphe 104 ci-dessus), dont, au demeurant, elle a constaté la violation (paragraphe 125 ci-dessus).
L’article 14 trouve donc à s’appliquer en l’espèce.
à court terme.
132. Cela étant, lorsque les circonstances sont exceptionnelles, comme l’étaient celles de la présente espèce, de sorte que les mesures prévues par les articles 101, 102 et 109 du CPP ne répondent pas ou pas suffisamment à ces exigences (paragraphes 116-119 ci-dessus), la Cour ne voit aucune raison légitime d’exclure les personnes détenues à titre provisoire du bénéfice de ces dispositifs, d’autant qu’il apparaît qu’ils leur sont - en théorie - applicables par analogie, en vertu de l’article 116 § 1 de la loi no 5275 (paragraphe 66 in fine ci-dessus).
En l’espèce, l’important est qu’à l’heure actuelle, une catégorie de détenus peut, sans justification adéquate, être moins bien traitée qu’une autre (voir, mutatis mutandis, Zarb Adami, précité, § 76), quoique la Convention ne requière pas le traitement le plus favorable (voir, mutatis mutandis, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 82, série A no 94).
En bref, la différence de traitement litigieuse a emporté violation de l’article 14 combiné avec l’article 3 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
A. Sur l’article 41 de la Convention
134. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
Ils réclament en outre 50 000 EUR pour préjudice moral, arguant que les circonstances tragiques qui ont entouré la mort de leur parente leur ont infligé une vive souffrance.
La Cour observe en revanche que, lorsqu’elle avait introduit la présente Requête, la requérante continuait à subir un préjudice moral certain, qui ne saurait être compensé par de simples constats de violation des articles 3 et/ou 14 de la Convention (paragraphes 125 et 133 ci-dessus), intervenus après son décès.
Statuant en équité, elle dit donc qu’il y a lieu d’octroyer à ce titre 20 000 EUR conjointement à ses ayants droit, selon le droit successoral turc.
2. Frais et dépens
Me Yılmaz demande également le remboursement des dépens afférents aux photocopies (525 TRY), télécopies (170 TRY), communications téléphoniques (95 TRY), traductions (315 TRY) et frais de bureau (60 TRY), soit un total de 1 165 TRY (502 EUR).
Au total, le montant réclamé au titre des frais engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour s’élève donc à 3 465 EUR.
Or elle observe, à l’instar du Gouvernement, qu’il n’a été produit aucun document susceptible d’appuyer la demande de remboursement des frais et dépens - (factures, contrat d’avocat, notes d’honoraires, etc). Elle rappelle que les principes susmentionnés excluent la prise en compte des conventions d’honoraires. Il n’apparaît pas d’ailleurs que les proches de la requérante aient effectué le moindre versement à ce titre, Me Yılmaz n’ayant pas représenté la requérante lors des procédures menées au niveau national.
Compte tenu du décompte des heures de travail produit relativement à la préparation des diverses observations écrites, la Cour estime raisonnable d’allouer conjointement aux ayants droit de la requérante la somme de 2 000 EUR.
3. Intérêts moratoires
B. Sur l’article 46 de la Convention
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
Afin d’aider l’Etat défendeur à s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46, elle estime donc devoir indiquer dès maintenant, à titre exceptionnel, les mesures générales qui lui semblent aptes à pallier certains des problèmes constatés quant aux dispositifs procéduraux qui définissent le régime judiciaire instauré en Turquie pour assurer, directement ou indirectement, la protection de la santé et du bien-être des détenus.
- la remise en liberté d’un accusé pendant la procédure (article 101 du CPP),
- les durées maximales de détention provisoire selon la nature du délit reproché (article 102 du CPP),
- le placement sous contrôle judiciaire (article 109 du CPP),
- la suspension de la peine d’un détenu pour raisons de santé (16 §§ 2 et 6 ainsi que 116 § 1 de la loi no 5275),
- le recours en grâce pour raisons médicales formé devant le président de la République (article 104 b) de la Constitution), et
- le mécanisme officiel d’expertise médicolégale tel qu’il est mis en œuvre dans le contexte de ces deux derniers dispositifs (article 16 § 2 c) de la loi no 2659).
Elle considère cependant qu’il semble manquer dans le système actuel une norme explicite engageant les magistrats concernés - à savoir les juges du fond, les procureurs de la République et les membres des instances habilitées à intervenir dans l’application des dispositifs procéduraux et/ou à connaître des recours en opposition (itiraz) - à tenir dûment compte, lorsqu’il s’agit de décider du sort des personnes détenues à titre provisoire, qui sont donc par définition présumées innocentes, de leur état de santé et de la compatibilité de leur tableau clinique avec la vie carcérale, en ayant égard à des considérations humanitaires. Rien ne s’oppose a priori à ce que l’on exige que ce critère soit appliqué à chaque fois que les autorités judiciaires compétentes sont appelées à statuer sur une demande d’élargissement (articles 101 et 102 du CPP) ou de placement sous contrôle judiciaire (article 109 du CPP) formulée, justificatifs à l’appui, par un détenu malade.
La Cour estime en outre que, dans les cas où l’état de santé d’un détenu est exceptionnellement grave, il devrait également être prévu que la Cour de cassation puisse, tout au long de la procédure menée devant elle, décider de le remettre en liberté, et ce notamment lorsque le pourvoi est automatique. Faute de telles mesures, un accusé en fin de vie pourrait, en l’absence d’action favorable de la part des magistrats, se trouver dans la situation intenable où l’espoir d’un acquittement dans un futur relativement éloigné ne lui serait pas plus agréable qu’une condamnation définitive à brève échéance, la seconde hypothèse présentant au moins l’avantage de lui permettre de demander une remise en liberté en vertu des articles 16 §§ 2 et 6, et 116 § 1 de la loi no 5275 et 104 b) de la Constitution, qui pour l’instant, ne paraissent, en pratique, applicables qu’aux condamnés.
Elle a déjà relevé l’ambigüité entourant le champ d’application ratione personae de ces dispositifs, notamment ceux de la loi no 5275, considérés en connexion avec le règlement no 2006/10218, édicté aux fins de sa mise œuvre (paragraphes 66 et 120 ci-dessus). Il reste que, ces dispositions étant essentiellement axées sur l’appréciation de constats médicaux objectifs et, de par leur nature, sur des considérations humanitaires, le système de protection turc pourrait offrir aux détenus souffrant de maladies présentant un pronostic fatal à court terme - conjointement avec les mesures invoquées au paragraphe précédent ou en lieu et place de celles-ci - une possibilité de bénéficier de moyens comparables à ceux ouverts aux condamnés, que ce soit par la création de nouvelles normes ou dans le cadre des normes existantes. Il est entendu que le mécanisme de protection ainsi conçu devrait prévoir des mesures propres à assurer sa mise en œuvre efficace et respectueuse de la Convention par les autorités nationales concernées, dont notamment les magistrats.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare irrecevable le grief tiré de l’article 2 de la Convention ;
2. Déclare recevables les griefs tirés des articles 3 et 14 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, tant pris isolément que combiné avec l’article 14 ;
4. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser aux ayants droit de la requérante, conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt :
i) 20 000 EUR (vingt mille euros), pour dommage moral ;
ii) 2 000 EUR (deux mille euros), pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Guido
Raimondi
Greffière adjointe Président