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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> EKICI v. TURKEY - 47280/09 - HEJUD (French Text) [2013] ECHR 193 (05 March 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/193.html
Cite as: [2013] ECHR 193

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE EKİCİ c. TURQUIE

     

    (Requête no 47280/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    5 mars 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Ekici c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Peer Lorenzen, président,
              András Sajó,
              Nebojša Vučinić, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 février 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 47280/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Emin Ekici (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 juillet 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant est représenté par Me N. Özdemir, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

  3. .  Le 29 mars 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1970 et réside à Adana.

  6. .  Le 18 janvier 2000, il fut arrêté dans le cadre d’une opération menée contre l’organisation illégale Hizbullah. Il était soupçonné d’en être membre et d’avoir commis des crimes au nom de cette organisation. Il fut placé en détention provisoire le 26 janvier 2000. Il fut inculpé de ce chef et son procès commença devant la cour de sûreté de l’État. Après la suppression des cours de sûreté de l’État, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises spéciale d’Istanbul.

  7. .  A la suite de l’entrée en vigueur, le 31 décembre 2010, des dispositions du code de procédure pénale relatives à la durée maximum de la détention provisoire, le requérant fut libéré le 4 janvier 2011.

  8. .  Le 16 février 2012, la cour d’assises spéciale reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à la prison à vie.

  9. .  Le pourvoi formé contre cette décision est à ce jour pendant.
  10. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION


  11. .  Le requérant allègue que la durée de sa détention provisoire a enfreint l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
  12. « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

    A.  Sur la recevabilité


  13. .  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. D’après lui, le requérant aurait dû introduire un recours en indemnisation sur le fondement des articles 141 et suivants du code de procédure pénale.

  14. .  La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion d’examiner une telle exception et qu’elle l’a rejetée (voir, entre autres, Sudan et autres c. Turquie, nos 48846/07, 37741/08, 37466/09, 41803/09, 43598/09 et 47269/09, § 20, 5 avril 2011). En effet, elle note que la disposition en question ne permet pas au justiciable ayant subi une période de détention provisoire excessive d’intenter un recours avant la fin de la procédure engagée à son encontre puisqu’au niveau interne, le recours en question n’est recevable qu’après l’obtention d’une décision définitive (Kürüm c. Turquie, no 56493/07, § 20, 26 janvier 2010). Étant donné que la procédure pénale diligentée contre le requérant est toujours pendante devant la Cour de cassation (paragraphe 8 ci-dessus), le requérant n’a pas à ce jour la possibilité d’intenter le recours prévu par l’article 141 du code de procédure pénale. La Cour conclut donc que ledit recours n’est donc pas effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement.

  15. .  La Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  16. B.  Sur le fond


  17. .  La Cour note que la période à considérer a débuté le 18 janvier 2000 avec l’arrestation du requérant pour s’achever avec sa remise en liberté le 4 janvier 2011 (paragraphes 5-6 ci-dessus). La détention provisoire de l’intéressé a donc duré près de onze ans.

  18. .  La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné des affaires portant sur des faits et griefs similaires et a conclu à maintes reprises à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Dereci c. Turquie, no 77845/01, §§ 34-41, 24 mai 2005, Taciroğlu c. Turquie, no 25324/02, §§ 18-24, 2 février 2006, et Tunce et autres c. Turquie, nos 2422/06, 3712/08, 3714/08, 3715/08, 3717/08, 3718/08, 3719/08, 3724/08, 3725/08, 3728/08, 3730/08, 3731/08, 3733/08, 3734/08, 3735/08, 3737/08, 3739/08, 3740/08, 3745/08 et 3746/08, § 18, 13 octobre 2009). Le Gouvernement n’ayant fourni aucun fait ni argument qui permettrait de se départir en l’espèce de ces conclusions, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
  19. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    15.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  20. .  Le requérant réclame la réparation de son préjudice moral, sans toutefois le chiffrer. Il explique que son épouse est décédée peu après sa mise en liberté et se plaint de n’avoir pas pu être présent à ses côtés pendant sa maladie et auprès de ses quatre enfants pendant cette période. Il réclame également le paiement des dépenses de transports engagées par sa famille pour le rencontrer à la prison ainsi que de ses dépenses personnelles à la prison. Il fournit les justificatifs relatifs à ces dépenses.

  21. .  Le Gouvernement souligne que le requérant ne chiffre pas ses prétentions.

  22. .  La Cour note d’abord que le paiement réclamé par le requérant pour les dépenses de transports engagées par sa famille pour le rencontrer à la prison ainsi que ses dépenses personnelles à la prison peuvent être considérées comme une demande de réparation du dommage matériel. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 14 000 euros au titre des préjudices matériel et moral subis par lui.
  23. B.  Frais et dépens


  24. .  Le requérant n’a pas soumis de demande pour les frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
  25. C.  Intérêts moratoires


  26. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  27. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 14 000 EUR (quatorze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommages matériel et moral, somme à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                           Peer Lorenzen
         Greffière adjointe                                                                  Président


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