BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VICENTE CARDOSO v. PORTUGAL - 30130/10 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 204 (13 March 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/204.html
Cite as: [2013] ECHR 204

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

     

    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE VICENTE CARDOSO c. PORTUGAL

     

    (Requête no 30130/10)

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    12 mars 2013

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Vicente Cardoso c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 février 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 30130/10) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Carlos Alberto Vicente Cardoso (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me H. Guerra, avocat à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho, procureur général adjoint.

  3. .  Le 18 octobre 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1955 et réside à Quarteira (Portugal).
  6. A.  Les faits à l’origine de la procédure contre l’État


  7. .  Le requérant était le gérant-associé de la société de droit portugais S. qui avait pour activités principales le transport et le stockage de marchandises dans le port de Sines.

  8. .  Entre le 23 juin 1994 et le 26 mai 1995, la société S. accepta le dépôt de conteneurs de cigarettes, provenant des Etats-Unis. Faisant droit aux demandes présentées par la société, les autorités douanières autorisèrent la sortie des conteneurs en direction des ports de Leixões et de Lisbonne. Elles n’exigèrent néanmoins pas de garantie du principal obligé ou du transporteur.

  9. .  Le 23 juin 1995, l’entrepôt de la société fut perquisitionné par la douane et la police. Ayant constaté la disparation des conteneurs de cigarettes, les autorités mirent sous scellé l’entrepôt et saisirent la marchandise et les équipements de la société.

  10. .  Une enquête fut ouverte contre la société par le parquet près le tribunal de Santiago do Cacém des chefs de soustraction de marchandises à la surveillance douanière et faux et usages de faux. Elle fut classée sans suite par une décision du tribunal de Santiago do Cacém du 17 mai 1995, confirmée par un arrêt de la cour d’appel d’Évora du 9 novembre 1999.

  11. .  Le 23 juillet 1997, la société reçut le décompte de la dette douanière relative aux années 1995, 1996 et 1997, laquelle s’élevait à plus de sept millions d’euros. Le 12 février 1998, elle contesta le montant qui lui était réclamé. Le recours fut conclu par une décision du 27 janvier 2009 (son issue n’est pas précisée).

  12. .  Par un jugement du 1er octobre 1999, le tribunal de Santiago do Cacém déclara la faillite de la société S.

  13. .  Le 17 septembre 2003, le requérant porta plainte contre un agent des douanes, l’accusant de corruption active. Par une ordonnance du 12 février 2008, l’affaire fut toutefois classée sans suite.

  14. .  Consécutivement aux faits décrits ci-dessus, le 29 novembre 2007, le requérant fut inscrit dans la liste des plus gros débiteurs du fisc. Son nom fut retiré de cette liste le 17 mars 2011, la dette douanière ayant été considérée comme prescrite. Le requérant allègue être toutefois toujours considéré comme débiteur de dettes fiscales au Portugal.
  15. B.  L’action en responsabilité civile extracontractuelle (procédure interne no 465/03) devant le tribunal administratif de Lisbonne


  16. .  Le 16 septembre 2003, le requérant saisit le tribunal administratif de Lisbonne d’une action en responsabilité civile extracontractuelle contre l’Etat, réclamant réparation pour les dommages subis en raison des divers actes pratiqués par les autorités douanières à l’encontre de la société S. entre les années 1994 et 1997.

  17. .  Par une ordonnance préparatoire du 14 décembre 2009, faisant droit à l’exception qui avait été soulevée par l’Etat, le tribunal déclara la demande du requérant irrecevable pour tardiveté. Il estima que les actes de l’administration douanière contestés avaient été pratiqués entre les années 1994 et 1995, le délai de trois ans prescrit par la loi pour introduire une action en indemnisation ayant dès lors été dépassé. Le tribunal considéra que le requérant n’avait pas étayé le caractère criminel des actes dénoncés pour lui permettre de bénéficier des délais de prescription plus longs prévus en matière pénale.

  18. .  Le requérant interjeta appel de cette ordonnance devant le tribunal central administratif du Sud, contestant la prescription de son droit à une indemnisation. Par un arrêt du 10 novembre 2011, le tribunal confirma l’ordonnance, déboutant ainsi le requérant de sa prétention.
  19. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  20. .  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  21. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  22. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

  23. .  La période à considérer a débuté le 16 septembre 2003 et s’est terminée le 10 novembre 2011. Elle a donc duré 8 années, 1 mois et 26 jours, pour deux instances.
  24. A.  Sur la recevabilité


  25. .  Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes en faisant valoir que le requérant a omis d’introduire au niveau interne une action en responsabilité civile extracontractuelle pour se plaindre de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

  26. .  La Cour rappelle la jurisprudence établie dans l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, 10 juin 2008 selon laquelle l’action en responsabilité extracontractuelle de l’Etat ne peut être considérée comme un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention, aussi longtemps que la jurisprudence qui se dégage de l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007 n’aura pas été consolidée dans l’ordre juridique portugais, à travers une harmonisation des divergences jurisprudentielles. L’exception soulevée par le Gouvernement ne peut donc être retenue.

  27. .  La Cour constate que le grief tiré de la durée de la procédure n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  28. B.  Sur le fond


  29. .  Le Gouvernement estime que l’État ne peut être tenu responsable de la durée de la procédure dans la mesure où la demande indemnitaire était déjà prescrite au moment de l’introduction de l’action.

  30. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

  31. .  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

  32. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. La Cour note qu’il a fallu plus de six ans au tribunal administratif et fiscal de Lisbonne pour prononcer l’ordonnance préparatoire, rejetant la demande du requérant pour tardiveté.

  33. .  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

  34. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
  35. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  36. .  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant conteste l’appréciation du délai de prescription par les juridictions administratives. Il estime être victime d’un déni de justice, alléguant que les juridictions administratives ont omis de se prononcer quant au fond de sa demande en la rejetant pour des motifs formels.

  37.   La Cour rappelle que c’est au premier chef aux juridictions nationales qu’il incombe d’interpréter la législation interne, s’agissant notamment des règles de nature procédurale, son rôle se limitant à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII). Néanmoins, compte tenu de ce que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect du principe de la sécurité juridique, les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que ces règles soient appliquées (Stone Court Shipping Company S.A. c. Espagne, no 55524/00, § 34, 28 octobre 2003).

  38.   En l’espèce, le requérant conteste l’interprétation par les juridictions internes du délai de prescription. Il n’apporte toutefois aucun élément prouvant que cette interprétation ait été arbitraire, ses griefs s’assimilant ainsi à une « quatrième instance » (Kemmache c. France (no 3), 24 novembre 1994, § 44, série A no 296-C). Dans ces conditions, il n’y a aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard. Il s’ensuit que le grief tiré de l’iniquité de la procédure doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement.
  39. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  40. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  41. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  42. .  Le requérant réclame 7 775 052,14 euros (EUR) et 300 000 EUR au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait respectivement subis.

  43. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions, les estimant excessives.

  44. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 4 800 EUR à ce titre.
  45. B.  Frais et dépens


  46. .  Le requérant demande également 44 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

  47. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  48. .  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale et estime raisonnable la somme de 1 200 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
  49. C.  Intérêts moratoires


  50. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  51. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure civile et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  4 800 EUR (quatre mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  1 200 EUR (mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                       Dragoljub Popović
     Greffière adjointe                                                                     
    Président


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/204.html