En l’affaire Marques Jerónimo Barata c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième
section), siégeant en un Comité composé de :
Dragoljub Popović, président,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19
février 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une Requête (no 22851/11) dirigée contre la
République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Luís Miguel
Marques Jerónimo Barata (« le requérant »), a saisi la Cour le 31
mars 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
. Le requérant a
été représenté par Me L. R. Ferreira, avocate à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a
été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho,
procureur général adjoint.
. Le 14 décembre
2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
. Le requérant
est né en 1969 et réside à Lavradio (Portugal).
. Consécutivement
à sa séparation de son épouse, le 28 avril 2008, le requérant saisit le
tribunal aux affaires familiales de Cascais d’une action en vue de l’aménagement
de l’exercice de l’autorité parentale (regulação do poder paternal)
vis-à-vis de ses deux filles mineures (procédure interne no 3121/08.8TBCSC).
. Par un
jugement du 26 juin 2008, le tribunal homologua un accord
conclu entre les parents aux termes duquel la garde des enfants était attribuée
à la mère, le requérant bénéficiant d’un droit de visite. Les parents n’étant
pas parvenu à un arrangement quant au montant de la pension alimentaire, la
procédure se poursuivit. Le tribunal ordonna néanmoins au requérant de verser à
titre provisoire la somme mensuelle de 1 250 euros.
. Les parties
contestèrent la pension alimentaire provisoire fixée. Ils présentèrent leurs
mémoires respectifs à cet égard les 26 juin et 2 juillet 2008.
. Le 14 janvier
2009, le tribunal invita les parties à présenter leurs moyens de preuve. Des
informations complémentaires furent demandées au requérant le 8 juillet 2009.
. Le tribunal
tint une audience le 27 janvier 2010, les parties ne parvinrent toutefois pas à
un accord.
. Le 16 juin
2010, le requérant demanda à nouveau que le montant de la pension alimentaire soit
réduit.
. Par une
ordonnance du 22 octobre 2010, le tribunal ramena la pension alimentaire
provisoire à 1 080 euros. La mère attaqua cette ordonnance devant la cour
d’appel de Lisbonne. Son recours fut toutefois radié du rôle au motif qu’elle n’avait
pas présenté son mémoire en recours.
. Par un
jugement du tribunal aux affaires familiales de Cascais du 11 juillet
2010, le montant de la pension alimentaire fut fixé à 900 euros par mois.
. La mère des
enfants interjeta appel de cette décision devant la cour d’appel de Lisbonne.
Aux dernières informations reçues, lesquelles remontent au 6 juillet 2012, la
procédure était toujours pendante.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION
. Le requérant
allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai
raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi
libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un
délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations
sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
. La période à
considérer a débuté le 28 avril 2008 et était toujours pendante au 6 juillet
2012. A la date de l’adoption de l’arrêt, elle avait duré 4 années, 9
mois et 24 jours pour deux instances.
A. Sur la recevabilité
. Le Gouvernement soulève une exception tirée du
non-épuisement des voies de recours internes en faisant valoir que le requérant
a omis d’introduire au niveau interne une action en responsabilité civile
extracontractuelle pour se plaindre de la violation de l’article 6 § 1 de la
Convention.
. La Cour rappelle la jurisprudence établie dans l’arrêt
Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, 10 juin 2008 selon laquelle l’action en responsabilité
extracontractuelle de l’Etat ne peut être considérée comme un recours « effectif »
au sens de l’article 13 de la Convention, aussi longtemps que la jurisprudence
qui se dégage de l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007
n’aura pas été consolidée dans l’ordre juridique portugais, à travers une
harmonisation des divergences jurisprudentielles. L’exception soulevée par le
Gouvernement ne peut donc être retenue.
. La Cour constate que la Requête n’est
pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention.
Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
. Le
Gouvernement estime que la durée de la procédure n’a pas dépassé le
« délai raisonnable » au sens de l’article 6 de la Convention,
attribuant les retards de la procédure à l’attitude litigieuse des parties.
. La Cour
rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie
suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa
jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du
requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour
les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France
[GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). Dans les affaires
concernant l’état des personnes, l’enjeu du litige pour le requérant est aussi
un critère pertinent et une diligence particulière s’impose en outre eu égard
aux éventuelles conséquences qu’une lenteur excessive peut avoir notamment sur
la jouissance du droit au respect de la vie familiale (Laino c. Italie
[GC], no 33158/96, § 18, CEDH 1999-I ; Boca
c. Belgique, no 50615/99, § 24, CEDH
2002-IX).
. S’agissant du
comportement des parties, la Cour estime qu’on ne saurait leur reprocher d’avoir
fait usage des divers recours et autres possibilités procédurales que leur
ouvrait le droit interne. Le comportement du requérant constitue toutefois un
élément objectif, non imputable à l’Etat défendeur, qui entre en ligne de
compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable de l’article
6 § 1 (Wiesinger c. Autriche, arrêt du 30 octobre 1991, série A no
213, § 57; Erkner et Hofauer c. Autriche, arrêt du 23 avril 1987,
série A no 117, § 68).
. La Cour a
traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle
du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de
la Convention (voir Frydlender précité).
. Après avoir
examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le
Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion
différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière,
la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est
excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
. Partant, il y
a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
. Aux termes de
l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
. Le requérant
réclame 9 450 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
. Le Gouvernement
conteste cette prétention.
. La Cour estime
que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui
accorde 4 100 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
. Le requérant
demande également 1 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
. Le
Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
. Compte tenu
des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime
raisonnable la somme de 1 000 EUR au titre des frais et dépens pour la
procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au
requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i) 4 100 EUR (quatre mille cents
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage
moral ;
ii) 1 000 EUR (mille euros),
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le
requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
4. Rejette la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 12 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise
Elens-Passos Dragoljub Popović
Greffière adjointe Président