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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GYORGYPAL v. ROMANIA - 29540/08 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 245 (26 March 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/245.html
Cite as: [2013] ECHR 245

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE GYÖRGYPÁL c. ROUMANIE

     

    (Requête no 29540/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    26 mars 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     

     


    En l’affaire Györgypál c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 mars 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 29540/08) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gavril Györgypál (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 juin 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agentes, Mmes Carmen Ciuta et Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Dans sa Requête initiale complétée par sa lettre du 9 mars 2009, le requérant se plaignait en particulier des mauvaises conditions de sa détention dans les prisons de Bucarest-Jilava et de Miercurea Ciuc ainsi que de l’absence de soins dentaires. Il se plaignait également de ne pas avoir bénéficié d’une interprétation pendant la procédure pénale engagée contre lui, alors même qu’il n’aurait pas parlé roumain couramment.

  4. .  Le 30 novembre 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

  5. .  A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).
  6. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .  Le requérant est né en 1973 et réside à Budapest.

  8. .  Il a indiqué que, né en Roumanie et appartenant à la minorité hongroise, il a quitté la Roumanie pour s’installer en Hongrie à une date qu’il n’a pas précisée. Il a affirmé qu’à l’époque des faits il ne maîtrisait plus la langue roumaine.
  9. A.  Le placement du requérant en détention provisoire et la prolongation de cette mesure


  10. .  Le 13 mai 2006, le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice (« le parquet ») ordonna le placement du requérant en garde à vue, au motif qu’il était soupçonné d’avoir commis le délit de trafic de drogue.

  11. .  Le 14 mai 2006, sur demande du parquet, le tribunal départemental de Harghita (« le tribunal départemental ») ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour vingt-neuf jours, au motif qu’il existait des éléments permettant de le soupçonner de trafic de drogue. Le tribunal départemental prolongea à plusieurs reprises, pendant sept mois, la détention provisoire du requérant, chaque fois en présence de l’intéressé et de l’avocat qu’il avait choisi.

  12. .  Par un jugement du 26 janvier 2007, le tribunal départemental condamna le requérant à dix ans de prison ferme du chef de trafic de drogue (paragraphe 16 ci-dessous).

  13. .  Le requérant interjeta appel devant la cour d’appel de Târgu-Mureş (« la cour d’appel »).

  14. .  Lors de l’audience du 23 mars 2007, la cour d’appel soumit au débat des parties la question de la nécessité de prolonger la détention provisoire du requérant. L’intéressé, présent à l’audience, était assisté par un avocat commis d’office. Par un jugement avant dire droit rendu le même jour, la cour d’appel prolongea la détention provisoire du requérant. Elle releva par ailleurs que celui-ci avait renoncé à bénéficier de l’assistance d’un interprète, au motif qu’il aurait maîtrisé suffisamment le roumain pour défendre ses droits.

  15. .  Le requérant forma un recours contre ce jugement avant dire droit, avançant que, lors de l’audience du 23 mars 2007, il n’avait pas été assisté par un interprète. Par un arrêt définitif du 4 avril 2007, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta le recours du requérant, au motif que l’intéressé avait déclaré n’avoir pas besoin de l’assistance d’un interprète et que ses droits avaient été défendus par un avocat commis d’office.
  16. B.  La procédure pénale engagée contre le requérant


  17. .  Par un réquisitoire du 6 juin 2006, le parquet ordonna le renvoi en jugement du requérant devant le tribunal départemental du chef de trafic de drogue.

  18. .  Pendant la procédure en première instance, le requérant fut assisté par un avocat de son choix, S.F. Le 14 juillet 2006, il demanda au tribunal départemental de désigner un interprète de langue hongroise pour l’assister dans la procédure, alléguant qu’il n’était pas en mesure de s’exprimer en roumain. D’après le dossier, le tribunal départemental ne répondit pas à sa demande.

  19. .  Par un jugement du 26 janvier 2007, le tribunal départemental condamna le requérant à dix ans de prison ferme du chef de trafic de drogue. Il fonda sa décision sur les déclarations du requérant et celles d’autres inculpés, sur les procès-verbaux de flagrant délit et de perquisition et sur les conclusions d’une expertise technique.

  20. .  Le requérant interjeta appel. Il reprochait au tribunal départemental de l’avoir condamné à une peine très lourde sans avoir pris en compte qu’il aurait collaboré avec les enquêteurs et qu’il existerait des circonstances atténuantes. Le parquet interjeta également appel.

  21. .  L’affaire fut transférée devant la cour d’appel. Le requérant était représenté par un avocat de son choix et, le 29 juin 2007, un interprète de langue hongroise fut désigné pour l’assister dans la procédure.

  22. .  Par un arrêt du 29 octobre 2007, la cour d’appel fit partiellement droit à l’appel du parquet et condamna le requérant à une peine de quinze ans et quatre mois de prison du chef de trafic de drogue.

  23. .  Le requérant forma un recours devant la Haute Cour de cassation et de justice. Il alléguait que les accusations formées contre lui dans le réquisitoire n’avaient pas été soumises au débat des parties, que l’arrêt contesté n’était pas suffisamment motivé, que la cour d’appel n’avait pas examiné ses demandes visant à une réduction de la peine, que les dispositions légales régissant le concours d’infractions n’avaient pas été correctement appliquées, que les preuves n’avaient pas été correctement interprétées et que la peine infligée n’avait pas été correctement évaluée.

  24. .  Pendant la procédure de recours, le requérant fut représenté par un avocat de son choix et assisté d’un interprète. Les débats eurent lieu le 22 février 2008. Utilisant la possibilité de prendre la parole en dernier avant la clôture des débats, le requérant déclara qu’il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un interprète pendant les poursuites pénales et qu’il regrettait les faits.

  25. .  Par un arrêt définitif du 7 mars 2008, la Haute Cour de cassation et de justice fit droit au recours du requérant dans la mesure où elle concernait l’application des dispositions légales sur le concours d’infractions et sur l’évaluation de la peine, et le condamna à une peine de sept ans de prison pour trafic de drogue.
  26. C.  Les conditions de détention du requérant


  27. .  Le 13 mai 2006, le requérant fut placé dans le dépôt de la police de Miercurea Ciuc. Il fut ensuite détenu dans la prison de Miercurea Ciuc du 11 juillet au 8 août 2006, du 4 septembre 2006 au 22 mars 2007 et du 5 juin 2008 au 28 septembre 2010. Il fut également détenu dans la prison de Bucarest-Jilava du 8 août au 4 septembre 2006 et du 4 décembre 2007 au 5 juin 2008.

  28. .  Du 22 mars au 4 décembre 2007, il fut détenu dans la prison de Târgu-Mureş.

  29. .  Le 28 septembre 2010, il fut mis en liberté conditionnelle.
  30. 1.  Les conditions de détention à la prison de Bucarest-Jilava

    a)  La version du requérant


  31. .  Le requérant indique que, dans la prison de Bucarest-Jilava, les conditions de détention étaient très mauvaises. Il souligne que les cellules étaient infestées de parasites, notamment de punaises et de poux, et que l’on trouvait des rats et des souris tant dans les cellules que dans la cour de promenade.
  32. b)  La version du Gouvernement


  33. .  Le Gouvernement affirme que, pendant sa première détention dans cette prison, le requérant a été placé dans une cellule de 44,98 m². Pendant sa deuxième détention dans cette prison, il aurait occupé successivement des cellules de 42,84 m², de 42,66 m², de 33,09 m² et de 44,98 m². L’administration de la prison ne serait pas en mesure d’indiquer le nombre de lits dans ces cellules en raison d’une fluctuation du nombre des détenus.

  34. .  Aux dires du Gouvernement, les détenus avaient accès aux douches deux fois par semaine pendant au moins quinze minutes chaque fois. Les vêtements des détenus auraient été lavés à leur demande à la laverie de la prison, selon un planning hebdomadaire.

  35. .  L’hygiène des cellules et des installations sanitaires aurait relevé de la responsabilité des détenus qui auraient reçu à cette fin des produits de nettoyage et des poubelles. Selon les besoins, les cellules et les installations sanitaires auraient été nettoyées avec, respectivement, de la chaux et du chlore. La désinsectisation et la dératisation des cellules auraient été réalisées par des sociétés spécialisées une fois par trimestre. Les matelas des détenus auraient été remplacés au fur et à mesure de leur dégradation.

  36. .  Il ressort de la lettre adressée par l’Administration nationale des prisons à l’agent du Gouvernement et jointe en annexe aux observations de ce dernier que des pièges avaient été placés dans la prison et qu’ils avaient permis d’éradiquer les populations de rats et de souris.
  37. 2.  Les conditions de détention dans la prison de Miercurea Ciuc

    a)  La version du requérant


  38. .  Le requérant indique avoir été placé dans une cellule d’une superficie d’environ 30 m² occupée par vingt-cinq détenus. La cellule aurait disposé d’une fenêtre d’une surface d’environ 1 m². Cette fenêtre aurait été partiellement cachée par des lits superposés et, de ce fait, la cellule n’aurait pas bénéficié d’un bon éclairage naturel. Quant à l’éclairage artificiel, il n’y aurait eu que deux lampes équipées d’ampoules de 60 watts, dispensant selon le requérant un éclairage insuffisant.

  39. .  De plus, il aurait fait très froid dans la cellule pendant l’hiver : le chauffage n’aurait fonctionné que trois heures par jour, le sol en béton aurait été glacé et les détenus auraient souffert de problèmes rénaux.

  40. .  La nourriture aurait été de mauvaise qualité : elle aurait très souvent eu une mauvaise odeur et contenu des insectes et des vers. Enfin, en ce qui concernait l’hygiène, la cellule aurait été sale et les matelas très vieux, crasseux et pleins de poussière, ce qui aurait favorisé le développement de différentes allergies et l’apparition de maladies de la peau.
  41. b)  La version du Gouvernement


  42. .  Le Gouvernement indique que, du 5 juin 2008 au 8 avril 2009 et du 8 avril 2009 au 28 septembre 2010, le requérant a été détenu dans deux cellules respectivement de 39,50 m² (avec vingt-quatre lits pour vingt­deux à vingt-quatre détenus) et de 20,42 m² (avec douze lits pour dix détenus).

  43. .  Selon le Gouvernement, si lors de son placement en détention le requérant a été mis sous le régime dit « fermé », il a bénéficié du régime dit « semi-ouvert » à partir du 8 avril 2009 jusqu’à sa remise en liberté, le 28 septembre 2010. Sous ce dernier régime, la porte de la cellule aurait été ouverte tous les jours de 8 heures à 12 h 30, de 13 h 45 à 17 heures et de 19 h 45 à 21 h 30, et les détenus auraient bénéficié d’un accès quotidien aux cours de promenade de 8 heures à 12 h 30 et de 13 h 45 à 17 heures.

  44. .  La prison aurait été branchée au réseau public de distribution d’eau potable. La qualité de l’eau aurait été vérifiée régulièrement par les autorités. La nourriture aurait été préparée dans le respect des normes pénitentiaires en la matière.

  45. .  Les détenus auraient bénéficié de l’eau chaude deux jours par semaine, avec possibilité d’en voir prolonger la distribution afin que l’hygiène de tous les détenus fût assurée. La mise en route du chauffage aurait été fonction de la saison et de la météo. Pendant les périodes froides, des couvertures supplémentaires auraient été distribuées aux détenus.

  46. .  En ce qui concernait les conditions d’hygiène, les produits de nettoyage auraient été distribués aux détenus tous les mois par l’administration de la prison. Des sociétés spécialisées auraient été chargées de la désinfection trimestrielle des cellules.
  47. 3.  Les demandes adressées par le requérant aux autorités administratives des prisons et au juge délégué


  48. .  Le 30 avril 2008, le requérant demanda une audience devant le juge délégué auprès de la prison de Bucarest-Jilava pour « clarifier » son transfert dans la prison de Târgu-Mureş et discuter « des conditions de vie inhumaines qu’il subissait ». Le juge délégué informa le requérant que sa demande d’audience ne remplissait pas les conditions requises par la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et qu’il n’avait pas compétence pour ordonner ou contrôler le transfert de détenus.

  49. .  Le 20 novembre 2009, le requérant demanda à l’administration de la prison de Miercurea Ciuc de retirer trois lits de sa cellule pour cause de manque d’espace. L’administration rejeta sa demande au motif qu’il s’agissait de l’unique cellule de non-fumeurs existant au sein de la section III de la prison.

  50. .  Le 24 août 2010, le requérant, précisant qu’il travaillait à la récolte des pommes de terre, demanda à l’administration de la prison de Miercurea Ciuc de lui permettre de prendre une douche chaque jour. L’administration rejeta sa demande au motif qu’elle ne disposait pas des moyens (nu avem posibilități) permettant d’assurer des douches quotidiennes.
  51. D.  Le suivi dentaire du requérant en prison


  52. .  Pendant sa détention, le requérant souffrit de maux de dents. Il fut conduit plusieurs fois au cabinet dentaire de la prison de Târgu-Mureş, où le dentiste lui obtura une dent.

  53. .  Pendant son séjour dans la prison de Bucarest-Jilava, le requérant fut traité le 12 décembre 2007 ainsi le 17 janvier et le 17 mars 2008 pour des caries et, le 13 mai 2008, il fut transféré à l’hôpital prison de Bucarest­Rahova pour une névralgie dentaire.

  54. .  Pendant sa détention à Miercurea Ciuc, le requérant fut présenté vingt-trois fois au cabinet dentaire de la prison. Insatisfait de la qualité des soins prodigués, il demanda à être transféré sous escorte dans un cabinet dentaire privé. Ayant été informé que, en vertu de l’article 28 de l’arrêté no 1897 du 21 décembre 2006, il aurait à supporter les coûts d’une telle intervention et ayant accepté ces conditions le 21 décembre 2009, il fut conduit, le 22 décembre 2009, sous escorte dans un cabinet privé pour un examen et des soins. Il fut ensuite suivi par le dentiste de la prison de Miercurea Ciuc.
  55. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

    A.  Le droit et la pratique internes et internationaux concernant les conditions de détention


  56. .  Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
  57. 46.  Le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents établissements pénitentiaires roumains visités en janvier 1999 et en juin 2006, dont la prison de Bucarest-Jilava. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, y compris la section des détenus dangereux de la prison de Bucarest-Jilava, le CPT a constaté que la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules avait été fixée à 4 m² ou 8 m3. Il a recommandé aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires au respect de cette norme dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. En revanche, le Comité s’est montré très gravement préoccupé par le fait que le surpeuplement des prisons demeurait un problème persistant à l’échelon national. Qualifiant d’« atterrantes » les conditions matérielles de détention dans certaines cellules de la prison de Bucarest-Jilava en raison, notamment, du surpeuplement chronique, du manque constant de lits, des conditions d’hygiène déplorables et de l’insuffisance d’activités éducatives pour les détenus, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures immédiates afin de réduire de façon significative le taux d’occupation des cellules.

    47.  Rédigé à la suite d’une visite effectuée en Roumanie par les membres du Bureau du Commissaire aux Droits de l’Homme du 13 au 17 septembre 2004, un rapport, publié le 29 mars 2006, fournit des renseignements sur la prison de Bucarest-Jilava. Le rapport qualifie les conditions de détention dans cet établissement de « particulièrement difficiles » et la situation d’« alarmante ». Il y est souligné en outre que « toutes les installations étaient vétustes, les fenêtres incapables de filtrer le froid et le mobilier d’un autre temps ».


  58. .  Les extraits pertinents de la Recommandation n(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009, et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).
  59. B.  Le code de procédure pénale


  60. .  Selon l’article 38510 du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits, le pourvoi en recours devait être motivé par écrit dans un mémoire séparé et déposé auprès du tribunal ayant compétence pour juger ce pourvoi, et ce au moins cinq jours avant la date de la première audience.
  61. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  62. .  Dans sa lettre du 9 mars 2009, le requérant, invoquant l’article 3 de la Convention, se plaint des mauvaises conditions de sa détention dans les prisons de Miercurea Ciuc et de Bucarest-Jilava. Il reproche également aux autorités de ne pas lui avoir fourni les soins qu’auraient réclamés ses affections dentaires. Dans ses observations transmises le 29 février 2012, il indique que sa Requête vise « les trois prisons où il a été détenu », de sorte que sa plainte porte également sur les conditions de sa détention dans la prison de Târgu-Mureş.

  63. .  La Cour examinera ces griefs sous l’angle de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  64. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Sur l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes


  65. .  Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de toutes les branches de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a jamais saisi les autorités administratives ni les tribunaux d’une action fondée sur la loi no 275/2006 - loi qui apportait, selon lui, des précisions sur les droits des personnes privées de liberté - pour se plaindre des conditions de détention et de la mauvaise qualité des soins dentaires. Il renvoie également aux exemples de jurisprudence qu’il aurait présentés devant la Cour dans les affaires Iacov Stanciu (précitée), Cucu (précitée) et Lăutaru c. Roumanie (no 13099/04, 18 octobre 2011).

  66. .  Le requérant réplique qu’il n’a pas emprunté une voie judiciaire faute de ressources et par crainte de représailles de la part de l’administration de la prison. Il indique qu’il a cependant déposé des plaintes auprès des juges délégués des différentes prisons et auprès des différentes autorités publiques et organisations non gouvernementales pour dénoncer les conditions de sa détention et la mauvaise qualité des soins dentaires reçus. Il réitère qu’il n’a pas bénéficié de soins adéquats pour ses problèmes dentaires. Il indique à cet égard que les cabinets dentaires des prisons n’étaient dotés ni du personnel spécialisé ni du matériel de qualité nécessaires à la dispensation de soins corrects. Il soutient qu’à sa sortie de prison il avait des caries à douze dents et des abcès à trois autres.

  67. .  La Cour observe que, s’agissant des conditions matérielles de détention, le grief du requérant porte en particulier sur la surpopulation carcérale et les mauvaises conditions d’hygiène. Elle rappelle à ce propos avoir déjà jugé, dans des affaires récentes relatives à un grief similaire et dirigées contre la Roumanie, qu’au vu de la particularité de ce grief l’action indiquée par le Gouvernement ne constituait pas un recours effectif à épuiser par les requérants (voir Cucu, précité, § 73, Lăutaru, précité, §§ 82 ­ 84, et, mutatis mutandis, Iacov Stanciu, précité, §§ 197-198). Les arguments du Gouvernement ne sauraient mener en l’espèce la Cour à une conclusion différente. Partant, il convient de rejeter cette exception du Gouvernement s’agissant de la partie du grief concernant les conditions matérielles de détention.

  68. .  S’agissant de la question des soins dentaires, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher la présente exception dans la mesure où ce grief est irrecevable pour les raisons qui suivent.

  69. .  La Cour note d’abord que la présente affaire est différente de l’affaire V.D. c. Roumanie (no 7078/02, §§ 92-100, 16 février 2010), dans laquelle le requérant, souffrant d’édentement, dénonçait l’impossibilité systémique pour les détenus d’obtenir gratuitement la pose d’une prothèse dentaire - et ce en dépit, selon lui, du droit interne - et se plaignait de la dégradation de son état de santé due, à ses yeux, à la privation d’une telle prothèse. Elle constate ensuite qu’en l’espèce les médecins n’ont pas fait un diagnostic préoccupant quant à l’état dentaire de l’intéressé ou signalé une urgence à le traiter (voir, a contrario, V.D., précité, §§ 95-98). Elle note en outre que le requérant a bénéficié de soins pour ses différentes affections dentaires. Par ailleurs, elle observe que le requérant n’a soumis aucun document susceptible de démontrer une dégradation de son état général de santé consécutive à ses problèmes dentaires (voir Sasu c. Roumanie (déc.), no 7092/06, §§ 57-58, 2 octobre 2012, et, a contrario, Iacov Stanciu, précité, § 184). Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
  70. 2.  Sur l’exception du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois


  71. .  Le Gouvernement excipe de la tardiveté du grief dans la mesure où celui-ci concerne les conditions de détention dans les prisons de Miercurea Ciuc et de Bucarest-Jilava, avant le transfert du requérant dans la prison de Târgu-Mureş. Soutenant que le requérant ne s’est pas plaint devant la Cour des conditions de sa détention dans la prison de Târgu-Mureş, il en déduit que la détention de l’intéressé ne peut pas s’analyser en une situation continue. Il ajoute que l’intéressé avait lui-même demandé son transfert à la prison de Târgu-Mureş (paragraphe 39 ci-dessus), ce qui montrerait qu’il était satisfait des conditions de détention dans cette prison.

  72. .  Le requérant indique dans ses observations du 29 février 2012 qu’il entend dénoncer devant la Cour les mauvaises conditions de sa détention dans les trois prisons où il a été détenu, y compris, donc, celle de Târgu­Mureş. Après avoir détaillé les conditions de sa détention dans cette dernière prison, il estime qu’elles étaient similaires à celles ayant cours dans les prisons de Miercurea Ciuc et de Bucarest-Jilava. Il explique qu’il avait sollicité son transfert non pour bénéficier de meilleures conditions de détention, mais pour être détenu dans une prison située dans l’un des départements également peuplés de Hongrois et échapper ainsi au racisme dont il aurait été victime dans la prison de Bucarest-Jilava.

  73. .  La Cour note qu’elle a déjà examiné la manière dont il convient d’appliquer la règle du délai de six mois en cas de déplacement des détenus dans différents établissements pénitentiaires (Seleznev c. Russie, no 15591/03, § 35, 26 juin 2008, et Mariana Marinescu c. Roumanie, no 36110/03, §§ 57-58, 2 février 2010). Renvoyant à la jurisprudence pertinente en l’espèce, elle rappelle ainsi qu’il n’y a pas lieu de considérer des conditions de détention comme une situation continue si le grief y afférent porte sur un épisode, un traitement ou un régime de détention spécifique, lié à une période de détention identifiée ; elle réitère que, au contraire, il y a situation continue si le grief concerne des aspects généraux et des conditions de détention restés sensiblement les mêmes malgré le transfert du requérant d’un lieu de détention à un autre (Seleznev, précité, § 36).

  74. .  En l’espèce, la Cour observe que, dans sa lettre du 9 mars 2009, le requérant se plaignait des conditions générales de détention dans la prison où il se trouvait à la date d’envoi de sa lettre - à savoir Miercurea Ciuc - et dans la prison de Bucarest-Jilava.

  75. .  Elle note également que, du 22 mars au 4 décembre 2007, soit pendant environ huit mois et deux semaines, le requérant a séjourné dans la prison de Târgu-Mureş, dont il n’a pas contesté expressément les conditions de détention dans sa lettre du 9 mars 2009. L’intéressé ne s’est plaint des conditions de détention existant dans cette dernière prison que dans ses observations du 29 février 2012, rédigées en réponse à celles du Gouvernement. Cette plainte a donc été formulée plus de six mois après que l’intéressé eut quitté la prison de Târgu-Mureş et plus de six mois après qu’il eut été remis en liberté, le 29 septembre 2010. Il s’ensuit que la partie du grief concernant les conditions de détention dans la prison de Târgu­Mureş est tardive et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

  76. .  S’agissant des conditions de détention dans les prisons de Miercurea Ciuc et de Bucarest-Jilava, avant le transfert de l’intéressé dans la prison de Târgu-Mureş, la Cour rappelle qu’il convient, assurément, de se garder de scinder artificiellement une période de détention continue en plusieurs parties du simple fait qu’un transfert du détenu a eu lieu. Néanmoins, en l’espèce, compte tenu de ses conclusions quant aux conditions de détention du requérant dans la prison de Târgu-Mureş et de la durée de son séjour dans cette dernière prison, la Cour estime que ce transfert a apporté un changement notable par rapport aux conditions de détention subies dans les prisons de Miercurea Ciuc et de Bucarest-Jilava. Elle conclut dès lors qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une situation continue (voir Mariana Marinescu, précité, § 58, et, mutatis mutandis, Iorgoiu c. Roumanie, no 1831/02, § 65, 17 juillet 2012).

  77. .  Partant, il convient d’accueillir l’exception soulevée par le Gouvernement et de rejeter pour tardiveté la partie du grief du requérant concernant les conditions de détention dans les prisons de Miercurea Ciuc et de Bucarest-Jilava du 11 juillet 2006 au 22 mars 2007, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. Il reste donc à examiner les conditions de détention correspondant à la période ultérieure au 4 décembre 2007.
  78. 3.  Sur l’exception du Gouvernement tiré de l’incompatibilité ratione materiae de l’article 3 de la Convention quant aux conditions matérielles de détention dans la prison de Bucarest-Jilava


  79. .  Se référant à l’article 47 § 1 du règlement de la Cour, le Gouvernement considère que le requérant a formulé son grief concernant les conditions matérielles de détention dans la prison de Bucarest-Jilava en des termes vagues et généraux, sans fournir de renseignements précis. Il estime dès lors que le traitement dénoncé par l’intéressé n’atteint pas le niveau de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention et demande à la Cour de déclarer ce grief irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

  80. .  Le requérant conteste ces arguments. Se référant aux conditions de sa détention dans la prison de Bucarest-Jilava, et plus particulièrement aux conditions d’hygiène, il allègue avoir subi des traitements tombant dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

  81. .  La Cour estime que cette exception du Gouvernement est étroitement liée à l’examen au fond de ce grief. Dès lors, elle la joint au fond.
  82. 4.  Sur le bien-fondé du grief concernant les conditions matérielles de détention


  83. .  S’agissant du restant du grief (les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava du 4 décembre 2007 au 5 juin 2008 et dans la prison de Miercurea Ciuc du 5 juin 2008 au 28 septembre 2010), la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre que cette partie du grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  84. B.  Sur le fond

    68.  Le requérant maintient que les conditions de sa détention dans les prisons de Bucarest-Jilava et de Miercurea Ciuc ont constitué un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il détaille les conditions de sa détention dans la prison de Bucarest-Jilava et indique qu’il y a partagé une cellule de 42,84 m² avec trente détenus. Il réitère que les cellules n’étaient pas chauffées et que les matelas étaient en mauvais état et infestés de punaises et de poux, et il dénonce la présence de rongeurs qui auraient été particulièrement nombreux la nuit, auraient détruit les vêtements et consommé la nourriture des détenus. Il indique que, pour démontrer le manque d’espace dans la prison de Miercurea Ciuc, il a versé au dossier de l’affaire des photos et des déclarations de codétenus.

    69.  Renvoyant à sa version des faits, le Gouvernement estime que l’article 3 de la Convention n’a pas été méconnu en l’espèce par les autorités nationales.


  85. .  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Irlande c. Royaume­Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25, et Măciucă c. Roumanie, no 25763/03, § 22, 26 mai 2009).

  86. .  La Cour rappelle également que l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure dont l’intéressé fait l’objet ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI). Elle rappelle enfin que, lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II).

  87. .  En l’espèce, la Cour observe que le requérant se plaint des conditions de détention auxquelles il aurait été confronté dans les prisons de Bucarest-Jilava et de Miercurea Ciuc pendant environ deux ans, neuf mois et trois semaines.

  88. .  S’agissant des conditions de détention dans la prison de Bucarest­Jilava, la Cour estime que le requérant a suffisamment étayé son grief par lequel il entend dénoncer plus particulièrement les mauvaises conditions d’hygiène régnant dans cette prison. Elle observe à cet égard que, de manière unanime, les rapports issus des visites du CPT de février 1999 et de juin 2006 et des visites du Bureau du Commissaire aux droits de l’homme de septembre 2004 qualifient les conditions de détention dans cette prison de « déplorables », d’« alarmantes » ou encore d’« atterrantes » (paragraphes 46 et 47 ci-dessus ; voir également Eugen Gabriel Radu c. Roumanie, no 3036/04, § 30, 13 octobre 2009). Elle considère que les conditions de détention décrites par l’intéressé combinées avec la durée de sa détention dans cette prison, à savoir six mois, peuvent constituer un traitement dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. Dès lors, l’exception soulevée par le Gouvernement sur ce point ne peut être retenue. En outre, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu à plusieurs reprises à l’égard de la Roumanie à la violation de l’article 3 à raison des conditions de détention inappropriées dans la prison de Bucarest-Jilava à des périodes proches de celle où l’intéressé y a été incarcéré (Banu c. Roumanie, no 60732/09, §§ 36-37, 11 décembre 2012, Iacov Stanciu, précité, Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, 12 avril 2011).

  89. .  S’agissant des conditions de détention dans la prison de Miercurea Ciuc, la Cour observe que l’intéressé a subi dans ce lieu les effets d’une situation de surpopulation carcérale (voir, mutatis mutandis, Colesnicov c. Roumanie, no 36479/03, §§ 78-82, 21 décembre 2010, et Budaca c. Roumanie, no 57260/10, §§ 40-45, 17 juillet 2012). En effet, elle note que, même si elle s’en tient aux renseignements fournis par le Gouvernement, le requérant disposait d’un espace individuel réduit allant de 1,79 m² à 2,04 m², soit une surface inférieure à la norme de 4 m² recommandée par le CPT pour les cellules collectives. Pendant sa détention sous le régime dit « fermé », l’intéressé était confiné la majeure partie de la journée, bénéficiant d’un temps de promenade limité à une heure par jour. La Cour a bien noté que, pendant sa détention sous le régime « semi­ouvert », le requérant a bénéficié d’une augmentation du temps de promenade. Cependant, cette mesure ne peut constituer en elle-même une solution au manque d’espace individuel dans les établissements pénitentiaires, d’autant plus que, comme en l’espèce, le requérant souffrait d’une situation de surpeuplement grave (voir, mutatis mutandis, Goh c. Roumanie, no 9643/03, § 62, 21 juin 2011).

  90. .  Enfin, même si la Cour admet qu’en l’espèce rien n’indique qu’il y ait eu véritablement intention d’humilier ou de rabaisser le requérant pendant sa détention dans les prisons de Bucarest-Jilava et de Miercurea Ciuc, l’absence d’un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l’article 3 de la Convention. La Cour estime que les conditions de détention en cause, que le requérant a dû subir pendant un laps de temps d’environ deux ans, neuf mois et trois semaines, n’ont pas manqué de le soumettre à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.
  91. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 3 e) DE LA CONVENTION


  92. .  Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un interprète de langue hongroise pendant les poursuites et pendant la procédure qui s’est déroulée en première instance. Il invoque à cet égard l’article 6 § 3 e) de la Convention, ainsi libellé :
  93. «  3.  Tout accusé a droit notamment à : (...)

    e)  se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

    Sur la recevabilité


  94. .  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, indiquant que le requérant n’a pas présenté ce grief dans ses motifs d’appel ou de recours devant les juridictions internes. Il soutient que les voies de recours empruntées par l’intéressé avaient exclusivement pour but la contestation de l’interprétation des preuves et l’application des circonstances atténuantes. Il reconnaît que, lorsqu’il a eu la parole en dernier dans la procédure de recours devant la Haute Cour de cassation et de justice, l’intéressé a mentionné n’avoir pas bénéficié d’une interprétation pendant les poursuites, mais d’en avoir bénéficié devant les tribunaux, mais il indique que, selon le droit interne, une telle mention ne constituait pas une saisine correcte de l’instance d’un moyen de recours.

  95. .  Le requérant indique qu’il a demandé la présence d’un interprète plusieurs fois pendant la procédure.

  96. .  La Cour rappelle d’abord qu’il est primordial que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (voir, parmi d’autres, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 69, CEDH 2010, et Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). Elle rappelle également que, aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants, à savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre lui. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (Ben Salah Adraqui et Dhaime c. Espagne (déc.), no 45023/98, CEDH 2000-IV, et Merger et Cros c. France (déc.), no 68864/01, 11 mars 2004).

  97. .  En l’espèce, la Cour relève que le requérant a omis de soulever, dans ses moyens d’appel et de recours devant les juridictions internes, le grief portant sur l’absence d’un interprète pendant les poursuites et la procédure en première instance. Il est vrai que l’intéressé a mentionné oralement devant la Haute Cour de cassation et de justice, lorsqu’il a usé de son droit de prendre la parole en dernier après les débats au fond, qu’il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un interprète pendant les poursuites. Cependant, la Cour note qu’en vertu du droit interne les motifs de recours devaient être présentés par écrit dans un délai spécifique (paragraphe 49 ci-dessus), conditions que le requérant, représenté par un avocat de son choix, n’a pas respectées. Elle estime que, dès lors, cette mention orale ne constituait pas une saisine valable, selon le droit interne, de sorte que la Haute Cour ne s’est pas attardée à examiner la remarque de l’intéressé (voir, a contrario, Vladimir Romanov c. Russie, no 41461/02, § 52, 24 juillet 2008). Par ailleurs, le grief soulevé à présent devant la Cour ne faisait pas partie des moyens de recours que, selon le droit interne, la Haute Cour aurait été tenue d’examiner d’office.

  98. .  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas épuisé valablement les voies de recours internes. Il s’ensuit que le grief soulevé sur le terrain de l’article 6 § 3 e) doit être rejeté pour non­épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  99. III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  100. .  Invoquant l’article 5 §§ 2 et 4 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir été informé dans une langue qu’il comprend des raisons de son arrestation et de ne pas avoir bénéficié de l’aide d’un interprète lors de l’audience du 23 mars 2007 devant la cour d’appel. Invoquant en outre l’article 6 §§ 1 et 3 a), b), c) et d) de la Convention, il se plaint d’avoir été condamné en l’absence de preuve de sa culpabilité. Dans ses observations du 30 mars 2012, invoquant les articles 3 et 8 de la Convention, il se plaint des conditions de sa détention dans le dépôt de la police de Harghita et de l’absence de confidentialité de ses conversations téléphoniques. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont irrecevables et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  101. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    83.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  102. .  Le requérant réclame 18 000 euros (EUR) pour préjudice matériel. Il précise que ce montant représente le coût des soins dentaires qui seraient nécessaires. Il réclame également 90 000 EUR pour préjudice moral.

  103. .  Le Gouvernement indique que le requérant n’a pas présenté de justificatifs pour étayer ses demandes et considère que la somme demandée pour préjudice moral est excessive. Pour le Gouvernement, le constat d’une violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

  104. .  La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des mauvaises conditions de détention. Elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 6 150 EUR pour dommage moral.
  105. B.  Frais et dépens


  106. .  Le requérant demande le remboursement de ses frais et dépens sans indiquer leur montant et sans fournir de justificatifs pertinents.

  107. .  Le Gouvernement relève que l’intéressé n’a ni chiffré ni justifié sa demande.

  108. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de ce que le requérant n’avait apporté aucun justificatif, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.
  109. C.  Intérêts moratoires


  110. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  111. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Joint au fond l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement relative à l’applicabilité de l’article 3 de la Cour pour ce qui est des conditions matérielles de détention dans la prison de Bucarest-Jilava et la rejette ;

     

    2.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions matérielles de détention subies par le requérant après le 4 décembre 2007, et irrecevable pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions matérielles de détention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 6 150 EUR (six mille cent cinquante euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président

     


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