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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FERREIRA ALVES v. PORTUGAL (No. 9) - 54312/10 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 258 (02 April 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/258.html
Cite as: [2013] ECHR 258

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE FERREIRA ALVES c. PORTUGAL (No 9)

     

    (Requête no 54312/10)

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    2 avril 2013

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Ferreira Alves c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mars 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 54312/10) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jorge de Jesus Ferreira Alves (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 septembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me F. Mota, avocate à Matosinhos (Portugal). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho, procureur général adjoint.

  3. .  Le 18 octobre 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1953 et réside à Matosinhos.
  6. A.  La procédure civile (procédure interne no 236-C/1995)


  7. .  Le 18 septembre 2002, avocat de profession, le requérant saisit le tribunal de Porto d’une action en revendication d’honoraires contre les époux F., leur réclamant le paiement de 17 600 EUR pour son intervention, comme avocat de ces derniers, dans le cadre de diverses procédures civiles.

  8. .  Le 26 mars 2003, les défendeurs présentèrent leur mémoire en défense.

  9. .  A une date non précisée, le requérant contesta la légitimité de l’intervention, au titre de l’aide juridictionnelle, de l’avocat des défendeurs. Il demanda ainsi au tribunal de ne pas joindre le mémoire en défense des défendeurs au procès-verbal de la procédure.

  10. .  Par une ordonnance du 16 septembre 2003, le tribunal estima que l’intervention de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle avait d’abord été validée par décision tacite des services sociaux puis par une ordonnance de l’ordre des avocats, la présentation du mémoire en défense étant donc légitime. Il releva toutefois que l’acceptation tacite de la demande d’aide juridictionnelle des requérants avait été postérieurement annulée par une décision des services sociaux. Il invita donc les défendeurs à mandater un avocat et joindre, au procès-verbal de la procédure, le pouvoir l’habilitant à intervenir en représentation de ces derniers dans le cadre de la procédure.

  11. .  Le 24 septembre 2003, le requérant interjeta appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Porto, laquelle prononça un arrêt de rejet le 31 mars 2004.

  12. .  Le 17 mai 2005, le tribunal prononça une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits établis et ceux restant à établir.

  13. .  Le 6 juin 2005, le tribunal demanda à l’Ordre des avocats un avis juridique concernant les honoraires qui étaient réclamés par le requérant. L’avis rendu fut porté à la connaissance des parties le 7 décembre 2006.

  14. .  Le 26 février 2007, le tribunal tint son audience.

  15. .  Par un jugement du 18 mai 2007, le tribunal fit partiellement droit à la demande du requérant, condamnant les défendeurs à payer 14 800 EUR au requérant au titre des honoraires litigieux.
  16. B.  La procédure d’exécution (procédure interne no 5781/07.8YYPRT)


  17. .  Le 11 juillet 2007, le requérant saisit le tribunal de Porto d’une action en vue d’obtenir l’exécution forcée du jugement du 18 mai 2007.

  18. .  Le 17 juillet 2007, le tribunal informa le requérant qu’un huissier de justice avait été chargé de l’affaire.

  19. .  Le 25 octobre 2007, l’huissier de justice informa le requérant qu’une saisie de 436, 31 EUR sur le salaire de l’un des défendeurs avait été ordonnée à partir de septembre 2007. Cette saisie intervint mensuellement jusqu’à juin 2012, date à laquelle la créance fut intégralement payée.

  20. .  Le 13 juillet 2012, le tribunal déclara l’extinction de l’instance.
  21. II.  Le droit interne pertinent


  22. .  Les dispositions pertinentes du code de la procédure civile concernant la saisie sur salaire se lisent ainsi :
  23. Article 824

    « 1.  Sont insaisissables :

    a)  Deux tiers des revenus, salaires ou prestations similaires du débiteur ;

    (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

    19.  Le requérant allègue que la durée de la procédure civile a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 13 de la Convention, il dénonce également l’inefficacité, au niveau interne, de l’action en responsabilité extracontractuelle pour contester la durée excessive d’une procédure. A l’appui de ses allégations, le requérant invoque également la violation des articles 14, 17, 34, 35, 41, 46 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.


  24. .  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), la Cour estime que l’affaire doit être examinée uniquement à la lumière des articles 6 § 1 et 13 de la Convention dont les dispositions pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :
  25. Article 6 § 1

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (...) »


  26. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  27. A.  Sur la recevabilité

    22.  Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes en faisant valoir que le requérant a omis d’introduire une action en responsabilité extracontractuelle au niveau interne pour se plaindre de la durée de la procédure litigieuse, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention.

    23.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle « ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ».

    24.  En l’espèce, la Cour estime toutefois que l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes est étroitement liée au bien-fondé du grief tiré de l’article 13 de la Convention. Compte tenu des affinités étroites que présentent les articles 35 § 1 et 13 de la Convention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI), la Cour reprendra donc ci-après son examen sur ce point dans le cadre de l’examen du fond de l’affaire.


  28. .  La Cour constate que les griefs déduits de la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
  29. B.  Sur le fond

    1.  Sur la violation de l’article 6 § 1 de la Convention

    a.  Sur la période à prendre en considération


  30.   La Cour rappelle que le terme d’une procédure dont la durée est examinée sous l’angle de l’article 6 § 1 est le moment où le droit revendiqué trouve sa « réalisation effective » (voir Estima Jorge c. Portugal, 21 avril 1998, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1998-II ; Zappia c. Italie, 26 septembre 1996, § 23, Recueil 1996-IV), la procédure d’exécution devant être prise en considération afin d’examiner le caractère raisonnable de la durée de la procédure (Silva Pontes c. Portugal, 23 mars 1994, § 29- 4, série A no 286-A.).

  31. .  En l’espèce, la période à considérer a débuté le 18 septembre 2002, date d’introduction de l’action civile devant le tribunal de Porto. Cette action ayant été conclue par un jugement du 18 mai 2007, la Cour constate que le requérant a saisi le tribunal de l’action en exécution le 17 juillet 2007, soit environ deux mois après ledit jugement.

  32. .  S’agissant de l’action en exécution, la Cour note que, même si la procédure n’a été conclue que le 13 juillet 2012, l’exécution forcée du jugement en question a débuté en septembre 2007, avec la première saisie mensuelle sur le salaire du défendeur. A cet égard, elle relève que seul un tiers du salaire est saisissable en droit portugais conformément à l’article 824 § 1 a) du code de procédure civile. La Cour observe par ailleurs que le paiement de la somme s’est poursuivi sans incidents jusqu’à son paiement intégral. Dès lors, la Cour estime que le droit revendiqué par le requérant a trouvé sa réalisation effective à partir de la première saisie, les autorités internes ne pouvant être tenues responsables des retards de paiement causés uniquement par les limitations financières des débiteurs. La Cour en déduit que la période à prendre en considération en l’espèce s’est terminée en septembre 2007, la procédure litigieuse ayant donc duré globalement environ quatre années et dix mois, sur deux niveaux de juridictions.
  33. b.  Sur la durée de la procédure


  34. .  Le requérant dénonce la durée excessive de la procédure.

  35. .  Le Gouvernement estime que la procédure n’a pas connu d’atermoiements, le droit du requérant ayant en outre été satisfait à partir de la date de la première saisie sur salaire, en septembre 2007.

  36. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

  37. .  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

  38. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. La Cour constate notamment qu’il fallut plus d’un an au tribunal de Porto pour rendre sa décision préparatoire, après l’arrêt de la cour d’appel de Porto du 31 mars 2004 (voir paragraphes 9 et 10 ci-dessus).

  39. .  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

  40. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
  41. 2.  Sur la violation de l’article 13 de la Convention


  42. .  Le requérant soutient que l’action en responsabilité extracontractuelle ne saurait constituer un recours « effectif », au sens de l’article 13 de la Convention, pour faire sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire.

  43. .  Le Gouvernement conteste la thèse du requérant.

  44. .  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne, précité, § 156). Elle relève que les exceptions et arguments soulevés par le Gouvernement ont déjà été rejetés précédemment (voir parmi d’autres, Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, 10 juin 2008; Garcia Franco et autres c. Portugal, no 9273/07, § 50, 22 juin 2010) et ne voit pas de raison de parvenir à une conclusion différente dans le cas présent. Ainsi, en l’espèce, la Cour estime que l’action en responsabilité extracontractuelle de l’Etat ne constituait pas un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention dans le cas d’espèce.

  45. .  Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
  46. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  47. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  48. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  49. .  Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) et 15 000 EUR au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait respectivement subi.

  50. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  51. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 200 EUR au titre du préjudice moral.
  52. B.  Frais et dépens


  53. .  Le requérant demande également 1 850 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

  54. .  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
  55. 46.  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires


  56. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  57. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement tiré du non- épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

     

    2.  Déclare la Requête recevable ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  3 200 EUR (trois mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                       Dragoljub Popović
      Greffière adjointe                                                                    
    Président

     


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