TROISIÈME
SECTION
AFFAIRE BUCUREŞTEANU c. ROUMANIE
(Requête
no 20558/04)
ARRÊT
STRASBOURG
16
avril 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions
définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Bucureşteanu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième
section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26
mars 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une requête (no 20558/04) dirigée contre la
Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Florea et Florin Bucureşteanu,
(« les requérants »), ont saisi la Cour le 17 mars 2004 en
vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales (« la Convention »).
. Les requérants
ont été représentés par Me V. Ştefănescu, avocat à Târgovişte.
Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par
ses agentes, Mmes I. Cambrea et C. Brumar, du ministère des Affaires
étrangères.
. Le requérant Florin Bucureşteanu se plaint de l’absence d’une enquête prompte et efficace au sujet de
son agression subie le 12 août 2000. Le requérant Florea Bucureşteanu se
plaint de la durée de sa détention provisoire et du défaut de justification du
maintien de cette mesure par les tribunaux internes.
. Le 7 février
2012, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs susmentionnés
ont été communiqués au Gouvernement sur le terrain des articles 3 et 5 § 3 de
la Convention. Comme le permet l’article 29 § 1 de la
Convention, il a en outre été décidé que
la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
. A la suite du
déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du
Règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme
Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4
de la Convention et 29 § 1 du règlement).
EN FAIT
LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
. Les
requérants, MM. Florea et Florin Bucureşteanu, sont nés respectivement en 1953 et 1976 et résident à Târgovişte. Le deuxième requérant
est le fils du premier requérant.
A. L’agression
de Florin Bucureşteanu et la procédure pénale engagée
. Le 12 août
2000, le requérant fut agressé par plusieurs personnes. Il fut admis à l’hôpital
des urgences de Bucarest, avec le diagnostic suivant : traumatisme
crânio-cérébral, fracture des os de l’avant-bras droit, fracture des côtes et plaie
au niveau des sourcils. Il quitta l’hôpital le 22 août 2000.
. Par un
certificat du 30 octobre 2000, le laboratoire médico-légal de Dâmboviţa
conclut que le requérant avait eu besoin de 80 à 85 jours de soins médicaux.
. Le 29 août
2000, le requérant porta plainte devant le parquet contre huit personnes du
chef d’atteinte grave à l’intégrité corporelle, délit prévu par l’article 182
du code pénal (ci-après « CP »). Il réitéra sa plainte le 30 août 2000
devant la police.
. Le parquet
entendit le requérant, ses parents, douze témoins, ainsi que sept des huit personnes
indiquées par le requérant comme étant les agresseurs. Ces derniers nièrent
avoir agressé le requérant.
. Par une
décision du 9 août 2001, le parquet près le tribunal de première instance de
Târgovişte ordonna l’ouverture de poursuites contre quatre des personnes
citées par le requérant et rendit un non-lieu pour les quatre autres. Néanmoins,
le 30 novembre 2001, compte tenu des dépositions contradictoires des personnes
entendues, le parquet décida la clôture des poursuites au motif que l’agression
n’avait pas été commise par les personnes indiquées par le requérant. L’affaire
fut renvoyée devant la police judiciaire pour la poursuite de l’instruction aux
fins de l’identification des agresseurs.
. Le 28 février
2002, le requérant fit une offre de preuve par témoins, à savoir sa compagne et
son oncle. Ceux-ci furent entendus par la police. Ils déclarèrent avoir assisté
à l’agression du requérant et identifièrent plusieurs personnes qui avaient
porté des coups à celui-ci.
. Le 12 juillet
2002, la police ouvrit des poursuites pénales in rem au sujet de l’agression
du requérant.
. Faute de
renseignements de la part des autorités sur le déroulement de l’enquête, le
requérant et ses parents envoyèrent plusieurs lettres au parquet près la Haute
Cour de cassation et de justice et à la direction générale de la police
nationale afin de demander des informations supplémentaires quant au stade de l’enquête
et de dénoncer la longueur de la procédure. Par une lettre du 16 octobre 2003,
la direction générale de la police nationale les informa que l’enquête était en
cours devant la police judiciaire de Târgovişte.
. Par un
procès-verbal du 6 août 2004, les autorités d’enquête décidèrent la réouverture
des poursuites à l’encontre de quatre des agresseurs présumés.
. En octobre
2004, la police judiciaire communiqua l’affaire au parquet avec une proposition
de renvoi en jugement de quatre personnes qui avaient été reconnues par deux
témoins, autres que la compagne et l’oncle du requérant, comme étant les agresseurs
de ce dernier.
. Cependant, le
16 décembre 2004, le parquet décida à nouveau la clôture des poursuites à l’égard
desdites personnes et le renvoi de l’affaire devant la police judiciaire pour
la poursuite de l’instruction. Le parquet constata que la thèse de l’agression
du requérant par les personnes qu’il avait indiquées comme étant ses agresseurs
n’était confirmée que par un témoin, V.D., qui avait déjà été entendu les 20
avril et 16 septembre 2004. Le parquet décida toutefois d’écarter cette
déposition au motif que le même témoin avait donné une version des faits
différente lors de sa première audition, le 7 mai 2001. Le parquet mentionna
également que la famille du requérant et celle des agresseurs présumés étaient
connues dans la ville comme appartenant à des « groupes de délinquants».
. L’affaire fut
réinscrite au rôle de la police judiciaire de Târgovişte.
. Le 15 mars
2006, la police judiciaire de Târgovişte demanda à la direction
départementale de Prahova de soumettre un agresseur présumé au test du
polygraphe. Il ne ressort pas des pièces du dossier si le test a effectivement été
réalisé.
. Le 21 août
2006, trois des agresseurs présumés furent cités à comparaître devant la police
pour être interrogés. Ceux-ci refusèrent de faire des déclarations écrites et
mentionnèrent qu’ils maintenaient leurs déclarations antérieures.
. Le requérant et
sa mère demandèrent à plusieurs reprises au cours des années 2004 - 2007 des
renseignements sur l’affaire auprès de la police judiciaire de Târgovişte,
du parquet national anti-corruption, du parquet près la Haute Cour de cassation
et de justice, de la direction d’investigation du crime organisé et du
terrorisme, du ministère de la justice et du président de la République. A
chaque reprise, les autorités leur répondirent que l’enquête était en cours. Dans
une lettre du 22 juin 2006, la police judiciaire de Târgovişte les informa
que l’enquête continuait étant donné que le parquet avait estimé que les pièces
du dossier ne permettaient pas de conclure que les agresseurs présumés avaient
commis les faits. Dans une lettre du 17 septembre 2007, la police ajouta
que, malgré la poursuite de l’enquête, le dossier avait été enregistré dans la
catégorie des affaires avec « auteur inconnu » eu égard aux décisions
du parquet des 30 novembre 2001 et 16 décembre 2004 de clore les
poursuites contre quatre des personnes qu’il avait indiquées dans sa plainte
pénale comme étant les agresseurs.
. Le requérant
affirme que pendant cette période les autorités ont refusé de lui fournir des
photocopies des pièces du dossier.
. Les décisions
du parquet du 30 novembre 2001 et du 16 décembre 2004 (paragraphes 11
et 17 ci-dessus), ne furent pas notifiées au requérant. Il prit connaissance de
leur contenu par l’intermédiaire de son avocat, le 13 septembre 2010.
. Par une
décision du 27 décembre 2010, le parquet classa l’affaire pour cause de
prescription de la responsabilité pénale en vertu de l’article 122 § 1 c)
du CP. Cette décision fut notifiée au requérant.
. Le
Gouvernement produit devant la Cour une lettre de la direction départementale
de police de Dâmboviţa du 18 mai 2012 attestant que toutes les pétitions
et réclamations reçues pendant la période novembre 2001 - mars 2004
ont été détruites conformément aux dispositions légales concernant l’archivage
des documents de la police. Il produit également deux lettres du parquet près
le tribunal de première instance de Târgovişte des 15 et 18 mai 2012
attestant qu’aucune demande écrite de la part du requérant n’a été enregistrée
pour la période novembre 2001 - mars 2004 et que ses décisions des 30 novembre
2001 et 16 décembre 2004 ont été communiquées à la demande de l’avocat du
requérant, le 12 juillet 2011.
B. La
détention provisoire de Florea Bucureşteanu
. Le 17 juillet
2006, le domicile du requérant fut attaqué par les membres d’une « bande »
qui auraient proféré des menaces et auraient tiré des coups de feu. En
conséquence, la famille du requérant demanda l’aide de la police.
. Dans la nuit
du 17 au 18 juillet 2006, une fusillade eut lieu dans les rues à proximité du
domicile du requérant. Par une décision du procureur, à 5 h du matin le 18
juillet 2006, le requérant Florea Bucureşteanu fut placé en garde à vue.
Par une décision du même jour, le parquet ouvrit des poursuites pénales et mit le
requérant en examen du chef de tentative de meurtre (article 174-175 du CP) et de
détention illégale d’armes (article 279 du CP).
. Le même jour,
par une décision du tribunal départemental de Dâmboviţa, le requérant fut
placé en détention provisoire pour une période de 29 jours, du 19 juillet au 16
août 2006. Il était accusé d’avoir tiré un coup de feu, avec un pistolet qu’il
détenait illégalement, dans la direction d’une voiture dans laquelle se
trouvaient quatre personnes, la balle ayant touché la fesse droite d’une d’entre-elles.
Le tribunal jugea qu’il y avait des raisons plausibles de croire que le
requérant avait commis les infractions de tentative de meurtre et de détention
illégale d’armes. Le tribunal constata que trois témoins avaient déclaré avoir
vu le requérant tirant avec un pistolet dans la direction d’une voiture. En
outre, lors de la perquisition réalisée au domicile du requérant, la police
avait trouvé plusieurs munitions. Le tribunal se référa également aux documents
médicaux produits au dossier, au rapport d’expertise technique concernant la
voiture impliquée dans l’incident et aux rapports de recherche sur les lieux.
Le tribunal jugea également que la détention
provisoire du requérant était justifiée, au sens de l’article
148 § 1 h) du code de procédure pénale, par des raisons d’ordre
public, eu égard aux circonstances de faits, aux effets produits ou qui
auraient pu se produire, au comportement extrêmement agressif du requérant, à
son attitude non sincère et au fait qu’il avait attenté à la vie d’autrui. Le
requérant, qui était assisté par deux avocats choisis, fut entendu par le
tribunal.
. Par une décision
du 21 juillet 2006, sur contestation du requérant, la cour d’appel de
Ploieşti confirma la décision du tribunal départemental de Dâmboviţa
du 18 juillet 2006.
. Le 21 août
2006, le parquet étendit les poursuites pénales contre le requérant du chef d’usage
illégal d’arme létale (article 136 de la loi no 295/2004 sur le
régime des armes et des munitions).
. La détention
provisoire fut prolongée par le tribunal départemental de Dâmboviţa consécutivement
les 11 août, 11 septembre, 3 octobre, 3 novembre, 4 décembre 2006, 8
janvier, 5 février, 6 mars, 3 avril, et 1er juin 2007, au
motif que les raisons de placement en détention initiale persistaient. Lors des
audiences des 15 septembre et 3 octobre 2006, et de celle du 1er
juin 2007, le tribunal écarta les demandes du requérant tendant au remplacement
de la détention provisoire par l’interdiction de quitter la ville ou le pays.
. Le requérant
forma des recours contre les décisions des 11 septembre, 3 octobre et 4
décembre 2006, ainsi que contre celles des 8 janvier et 1er
juin 2007. Les recours du requérant furent rejetés par la cour d’appel de
Ploieşti qui constata que le requérant était récidiviste (ayant déjà été
condamné pour vol), qu’il y avait des risques qu’il essaie d’entraver la
recherche de la vérité en influençant certains témoins, compte tenu notamment
du conflit entre la famille du requérant et le groupe dont faisait partie la
victime. Elle releva également la nécessité de rechercher des preuves et d’entendre
des témoins. Elle souligna enfin que la remise en liberté du requérant
représentait un danger pour l’ordre public étant donné le sentiment d’insécurité
qu’elle aurait provoqué dans le public, vu la gravité des infractions pour
lesquelles il était inculpé et le fait que le requérant était suspecté d’avoir
utilisé en public une arme à feu contre plusieurs personnes.
. Le requérant
fut assisté par deux avocats choisis devant le tribunal départemental de
Dâmboviţa et devant la cour d’appel de Ploieşti.
. Sur
réquisitoire du 31 août 2006, le requérant fut renvoyé en jugement devant le
tribunal départemental de Dâmboviţa, du chef de tentative de meurtre et d’infractions
au régime des armes et des munitions.
. Le tribunal reporta
trois audiences sur demande de la victime en vue de son assistance par l’avocat
de son choix, et sur demande du requérant ou de la victime en vue d’obtenir des
renseignements sur la demande de dépaysement formée par la victime. Après
plusieurs reports d’audience, dus au refus de plusieurs témoins de comparaître en
vue de leur audition, le tribunal délivra des mandats de comparution et
condamna l’un des témoins à une amende. Par un jugement du 13 juillet 2007, le
tribunal départemental de Dâmboviţa condamna le requérant à sept ans et
demi de prison ferme pour les délits pour lesquels il avait été renvoyé en
jugement.
. Par un arrêt
de la cour d’appel de Ploieşti du 12 novembre 2007, la peine du requérant
fut réduite à trois ans et demi d’emprisonnement. Cet arrêt fut confirmé en
dernier ressort par la Haute Cour de cassation et de justice le 11 mars 2008.
EN DROIT
I. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
. Le requérant Florin Bucureşteanu se plaint de l’absence d’une enquête prompte et efficace au sujet de
son agression subie le 12 août 2000. Il invoque les droits garantis
par les articles 2, 5 et 6 de la Convention. La Cour rappelle que, dans sa
décision partielle du 7 février 2012, elle a estimé qu’il convenait d’analyser
le présent grief sur le terrain de l’article 3 de la Convention, ainsi
libellé :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à
des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la
recevabilité
. Le
Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois et du non-épuisement
des voies de recours internes par le requérant.
1. L’exception
tirée du non-respect du délai de six mois
. Le
Gouvernement estime que le requérant a omis de s’informer auprès du parquet ou
de la police judiciaire du stade de l’enquête ouverte suite à sa plainte pénale,
malgré le fait qu’il était assisté par un avocat choisi. Ses lettres envoyées à
plusieurs autorités publiques (paragraphe 21 ci-dessus) ne sauraient être
interprétées comme des preuves de son intérêt pour l’enquête. Le Gouvernement
fait valoir également que le requérant a commencé à s’intéresser de l’issue de
cette enquête uniquement après la décision du 16 décembre 2004, par laquelle le
parquet a renvoyé l’affaire devant la police judiciaire, et suite aux demandes
de renseignements de la Cour dans le cadre de la présente requête. En cela, le
Gouvernement estime que la situation dans la présente requête s’apparente à
celle des requêtes Andriţă c. Roumanie ((déc.), no
67708/01, 27 janvier 2009), Finozhenok c. Russie ((déc.), no
3025/06, 31 mai 2011), et Nasirkhayeva c. Russie ((déc.), no
1721/07, 31 mai 2011).
. Le requérant
souligne qu’il a fait toutes les démarches nécessaires afin de se renseigner
sur l’issue de l’enquête pénale ouverte suite à sa plainte, mais que celles-ci
sont restées infructueuses.
. La Cour rappelle que la règle des six mois a pour finalité de
servir la sécurité juridique et de veiller à ce que les affaires soulevant des
questions au regard de la Convention soient examinées dans un délai
raisonnable, tout en évitant aux autorités et autres personnes concernées d’être
pendant longtemps dans l’incertitude (P.M. c.
Royaume-Uni (déc.), no 6638/03,
24 août 2004 et Bulut et Yavuz c.
Turquie (déc.), no
73065/01, 28 mai 2002). En outre, cette règle fournit au requérant
potentiel un délai de réflexion suffisant pour lui permettre d’apprécier l’opportunité
d’introduire une requête et, le cas échéant, de déterminer les griefs et
arguments précis à présenter (O’Loughlin et
autres c. Royaume-Uni (déc.), no 23274/04,
25 août 2005), indiquant aux particuliers comme aux autorités la
période au-delà de laquelle le contrôle de la Cour ne s’exerce plus (Tahsin Ipek c. Turquie
(déc.), no 39706/98, 7 novembre 2000). Seuls les recours normaux et
effectifs peuvent être pris en compte car un requérant ne peut pas repousser le
délai strict imposé par la Convention en essayant d’adresser des requêtes
inopportunes à des instances ou institutions qui n’ont pas le pouvoir ou la
compétence nécessaires pour accorder sur le fondement de la Convention une
réparation effective concernant le grief en question (Fernie c. Royaume-Uni
(déc.), no 14881/04, 5 janvier 2006).
. En l’espèce, la Cour entend
souligner d’emblée que, à la différence des requêtes Andriţă, Finozhenok et Nasirkhayeva
citées par le Gouvernement, dans la présente requête, l’enquête n’était pas
finalisée au moment où la Cour a été saisie (voir aussi, a contrario, Nicorici
c. Roumanie (déc.), no 648/05, § 31, 4 octobre 2011). Par
ailleurs, il ressort des pièces du dossier, que le 28 février 2002, le
requérant a fait une offre de preuve par témoins dans la procédure et que, par
une lettre du 16 octobre 2003, soit moins de six mois avant l’introduction
de la présente requête, la direction générale de la police nationale a informé
les parents du requérant que l’enquête était en cours devant la police
judiciaire de Târgovişte (paragraphe 14 ci-dessus). Dans ces conditions,
la Cour estime qu’il ne saurait être reproché au requérant d’avoir fait preuve
de négligence et qu’il a dès lors respecté le délai de six mois dans la
présente requête. Elle rejette en conséquence l’exception préliminaire du
Gouvernement soulevée à cet égard.
2. L’exception
tirée du non-épuisement des voies de recours internes
. Le
Gouvernement estime que le requérant aurait pu former un recours devant les
tribunaux contre les décisions du parquet près le tribunal de première instance
de Târgovişte des 30 novembre 2001 et 16 décembre 2004,
conformément à l’article 2781 du code de procédure pénale. D’après
le Gouvernement, ce recours était adéquat, efficace, suffisant et accessible et
le requérant avait connaissance de l’existence des décisions susmentionnées.
. Le requérant
conteste la thèse du Gouvernement.
. La Cour
rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article
35 § 1 de la Convention vise à donner aux États contractants la possibilité de
redresser la situation dans leur ordre juridique interne avant d’avoir à
répondre de leurs actes devant un organisme international (Egmez
c. Chypre, no 30873/96,
§ 64, CEDH 2000-XII). A cet égard, un requérant doit avoir fait un usage normal
des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants. Lorsqu’une voie
de recours a été utilisée, l’usage d’une voie dont le but est pratiquement le
même n’est pas exigé (Günes
c. Turquie (déc.), no 28490/95, 9 octobre 2001).
. La Cour
observe qu’en l’espèce, au vu des copies du dossier d’enquête fournies par les
parties, il n’y a aucune preuve de la communication au requérant, conformément
aux dispositions du code de procédure pénale, des décisions du parquet près le
tribunal de première instance de Târgovişte des 30 ovembre 2001 et 16
décembre 2004. Elle note que, si la police a informé le
requérant que des décisions avaient été adoptées par le parquet, elle ne l’a
fait que plusieurs années après leur adoption, suite aux demandes répétées du
requérant. Par ailleurs, ces lettres étaient très sommaires, ne comportant que
quelques lignes, et précisaient que les décisions concernaient uniquement une
partie des agresseurs présumés et que l’enquête était en cours (paragraphe 21
ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour ne saurait, reprocher au
requérant de ne pas avoir formé de recours contre les décisions du parquet des
30 nvembre 2001 et 16 décembre 004. Partant l’exception préliminaire
du Gouvernement doit être rejetée.
. La Cour
constate en outre que le grief du requérant n’est pas manifestement mal fondé
au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun
autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
48. Le Gouvernement considère que les
autorités internes ont mené une enquête effective et ne sont pas restées
inactives face aux allégations du requérant. En se référant aux faits
pertinents, il note que le requérant et des témoins ont été entendus et que le
certificat médico-légal ainsi que les autres documents médicaux produits ont
été pris en compte. Toutefois, les pièces du dossier n’ont pas permis aux autorités
de conclure que les personnes indiquées par le requérant dans sa plainte
étaient les auteurs de l’agression.
. Le
Gouvernement estime que l’attitude passive du requérant a nui à l’efficacité de
l’enquête, puisqu’il n’a pas fait de démarches afin de s’intéresser de l’issue
de la procédure et qu’il n’a manifesté aucun intérêt pour le déroulement de l’enquête.
Il n’a pas non plus demandé au procureur à être informé des décisions rendues.
. De son côté,
le requérant affirme que les autorités n’ont pas mené d’enquête prompte et
efficace au sujet de son agression. Il souligne que la procédure a été
excessivement longue et qu’au terme de dix ans, il s’est vu opposer la
prescription de l’action publique. En tout état de cause, d’après lui, le
déroulement de l’enquête n’a pas fait apparaître que le but des autorités était
la recherche de la vérité.
. La Cour
rappelle que l’article 3 de la Convention impose aux autorités nationales le
devoir de mener une enquête officielle effective lorsqu’une personne allègue,
de manière « défendable », avoir été victime d’actes contraires à l’article 3
et commis dans des circonstances suspectes, quelle que soit la qualité des
personnes mises en cause (M.C. c. Bulgarie, no 39272/98,
§§ 151 et 153, CEDH 2003-XII). Cette enquête doit pouvoir mener non seulement à
l’identification mais aussi à la punition des responsables (Macovei et
autres c. Roumanie, no 5048/02, § 46, 21 juin 2007).
Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans l’obligation
d’enquêter, même si l’enquête vise des faits commis par des civils (Ebcin c.
Turquie, no 19506/05, § 56, 1er février 2011).
. En l’espèce,
la Cour estime que le caractère défendable des allégations du requérant
concernant l’atteinte à son intégrité corporelle résultait de la réalité non
contestée des lésions mentionnées dans le certificat médical du 8 juillet 1998
(paragraphes 7 et 8 ci-dessus). Au vu du caractère autonome des termes contenus
dans l’article 3 de la Convention, la Cour juge ce constat suffisant pour faire
entrer l’agression dont le requérant a été victime dans la sphère de protection
de cet article (voir, mutatis mutandis, Macovei et autres
précité, § 50).
. La Cour note
qu’une enquête a bien eu lieu dans la présente affaire. Il reste à apprécier la
diligence avec laquelle elle a été menée et son caractère « effectif ».
. La procédure
diligentée contre les agresseurs présumés du requérant d’atteinte grave à l’intégrité
corporelle a débuté le 29 août 2000 avec la plainte du requérant. Elle s’est
achevée le 27 décembre 2010, date à laquelle le parquet près le tribunal de
première instance de Târgovişte a établi que l’action publique se trouvait
prescrite. L’enquête s’est ainsi déroulée pendant plus de dix ans. La Cour
estime que, quelle que soit sa complexité, une telle durée entache
inévitablement son efficacité. Le fait que les investigations ont été clôturées
en raison de la prescription l’atteste (Şerban c. Roumanie, no
11014/05, § 84, 10 janvier 2012).
. A cet
égard, la Cour note qu’il ressort des pièces du dossier que, malgré les
dépositions contradictoires des personnes entendues (paragraphes 11 et 17
ci-dessus), les autorités n’ont aucunement recherché à éclaircir les
circonstances de fait de l’affaire, en procédant par exemple à des
confrontations. Pour ce qui est de la décision du parquet du 16 décembre 2004,
la Cour relève que sa motivation se fonde, outre l’absence de preuve confirmant
l’implication des quatre agresseurs présumés dans l’agression, sur l’appréciation
personnelle du procureur chargé de l’enquête, quant au contexte de l’agression.
Il souligne ainsi que la famille du requérant et celle des agresseurs présumés
étaient connues dans la ville comme appartenant à des « groupes de
délinquants » (paragraphe 17 ci-dessus). Or, une telle affirmation ne
peut que confirmer un certain désintérêt des autorités quant aux allégations du
requérant (voir, mutatis mutandis, Ghiga Chiujdea c. Roumanie,
no 4390/03, § 43, 5 octobre 2010). En tout état de
cause, la Cour observe que, après cette décision du parquet, aucune mesure
réelle d’instruction n’a été prise par la police judiciaire de Târgovişte
qui s’est bornée à inscrire l’affaire dans la catégorie des affaires avec
« auteur inconnu » (paragraphe 21 in fine
ci-dessus, et, mutatis mutandis, Predică c. Roumanie, no
42344/07, § 69, 7 juin 2011).
. Dans ces
circonstances, la Cour estime que les autorités n’ont pas mené d’enquête
diligente et effective au sujet de l’allégation du requérant.
. Ces éléments suffisent
à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention,
dans son volet procédural, à l’égard du requérant Florin Bucureşteanu.
II. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
. Le requérant
Florea Bucureşteanu se plaint de la durée de sa détention provisoire et du
défaut de justification du maintien de cette mesure par les tribunaux internes.
Il invoque les articles 5, 6 et 7 de la Convention. La Cour rappelle que, dans
sa décision partielle du 7 février 2012, elle a estimé qu’il
convenait d’analyser le présent grief sur le terrain de l’article 5 § 3 de la
Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans
les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a
le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la
procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la
comparution de l’intéressé à l’audience. ».
A. Arguments
des parties
. Se référant à la jurisprudence
de la Cour en la matière, le Gouvernement expose que la
détention provisoire du requérant a commencé le 18 juillet 2006 et qu’elle a
pris fin lors de sa condamnation en première instance, le 13 juillet 2007.
Toutefois, il estime que, au vu des arrêts rendus par la Cour dans les affaires
Degeratu c. Roumanie (no 35104/02, § 39, 6 juillet 2010),
Begu c. Roumanie (no 20448/02, § 98, 15 mars 2011),
Konolos c. Roumanie (no 26600/02, § 34, 7 février 2008), et Bujac
c. Roumanie (no 37217/03, §§ 70-73, 2 novembre 2010), la
période de détention de six mois consécutive aux décisions des 11 août et 3 novembre 2006
et des 5 février, 6 mars et 3 avril 2007 du tribunal départemental de
Dâmboviţa, contre lesquelles le requérant n’a pas formé de pourvoi en
recours, ne doit pas être prise en compte pour le calcul de la durée de
détention provisoire du requérant. En conséquence, la période de détention provisoire
à prendre en considération est d’environ six mois.
. Le
Gouvernement soutient que les juridictions nationales ont justifié
régulièrement la nécessité de prolonger la mesure de détention provisoire, avec
des motifs pertinents et suffisants, amplement détaillés et non stéréotypés.
Elles ont examiné les circonstances de l’affaire à la lumière des exigences de
l’article 5 § 3 de la Convention, du caractère des infractions reprochées qui
faisaient partie de la catégorie des celles dirigées contre la vie, et de l’opportunité
de mesures alternatives à la détention provisoire.
. Pour ce qui
est de la conduite de la procédure, le Gouvernement relève d’abord le caractère
complexe de l’affaire qui portait sur une infraction grave. Il expose ensuite
que les autorités avaient fait preuve de diligence. A cet égard, le
Gouvernement souligne que le requérant a été renvoyé en jugement un mois et
demi seulement après son inculpation et que la procédure en première instance s’est
déroulée avec célérité. Il ajoute que le tribunal a délivré des mandats de
comparution à l’égard des témoins qui ne s’étaient pas présentés en vue de leur
audition et qu’il a condamné l’un d’entre eux à une amende pour la même raison.
Il souligne enfin que le tribunal n’a reporté des audiences que pour des
raisons bien justifiées, et cela sur demande du requérant ou de la victime.
. De son côté,
le requérant estime en premier lieu que la période de détention à prendre en considération
s’est étendue sur un an et six mois, ayant débuté le 18 juillet 2006, date de
son placement sous mandat d’arrêt, pour s’achever le 11 mars 2008, date de l’arrêt
de la Haute Cour de cassation et de justice. A cet égard, il estime qu’un
recours formé contre les décisions du tribunal départemental ayant prolongé sa
détention provisoire était inefficace car les tribunaux ont examiné uniquement
de manière formelle la question de sa détention provisoire.
. Le requérant
ajoute que les juridictions nationales ont omis de motiver son maintien en
détention provisoire par rapport à ses données personnelles ou à celles de l’affaire.
Il affirme que non seulement la durée de sa détention provisoire n’a pas
répondu aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention, mais que
la durée de l’entière procédure pénale a été trop longue étant donné qu’il n’a
pas bénéficié de son droit d’être jugé en étant libre.
B. Appréciation
de la Cour
. La Cour estime d’emblée que, conformément à sa jurisprudence, la détention
provisoire du requérant au sens de l’article 5 § 3 de la Convention a débuté le
18 juillet 2006, avec son arrestation, et a pris fin le 13 juillet 2007,
date de sa condamnation en premier ressort (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 147, CEDH
2000-IV). Elle a donc duré presque un an.
. Le Gouvernement considère que, à
la lumière des conclusions de la Cour dans l’affaire Degeratu, précitée, la période de détention de six mois consécutive aux
décisions par lesquelles le tribunal départemental de Dâmboviţa a prolongé
la détention du requérant et contre lesquelles il n’a pas formé de pourvoi en
recours, ne doit pas être prise en compte pour le calcul de la durée totale de
la détention provisoire. La Cour n’estime pas nécessaire de trancher cette
question dans la présente affaire, étant donné que, même en prenant en
considération la période la plus longue - soit environ un an -, celle-ci s’avère
raisonnable pour les raisons exposées ci-dessous (Medinţu
c. Roumanie (déc.), no 5623/04, § 42, 13 novembre 2012).
. Suivant sa jurisprudence, la Cour a développé
quatre raisons fondamentales acceptables pour décider le placement ou le
maintien en détention provisoire d’un accusé suspecté d’avoir commis une
infraction : le danger de fuite de l’accusé, le risque que l’accusé, une
fois remis en liberté, entrave l’administration de la justice ou commette de
nouvelles infractions, ou le risque que sa remise en liberté trouble l’ordre
public. Elle a également jugé que les juridictions statuant sur l’opportunité
du maintien du requérant en détention provisoire doivent se livrer à l’examen d’un
ensemble d’éléments pertinents concrets, propres à confirmer la nécessité
de cette mesure (voir, entre autres, Georgiou c. Grèce (déc.), no 8710/08,
22 mars 2011).
. En l’espèce, la Cour note d’abord que la
décision de placement du requérant en détention provisoire était fondée sur l’article
148 § 1 h) du code de procédure pénale, le tribunal indiquant essentiellement
que le maintien en liberté du requérant constituait un danger pour l’ordre
public (paragraphe 28 ci-dessus).
. Force est de constater ensuite que les
tribunaux internes ont procédé d’office et à des intervalles réguliers au
contrôle de la légalité et de l’opportunité du maintien en détention de l’intéressé.
Dans leurs décisions, ils ont justifié la nécessité de la mesure par des
références aux textes de loi et aux éléments de fait qu’ils estimaient pertinents.
Ainsi, ils se sont livrés à un examen concret de la situation et de la
personnalité du requérant, dont en particulier l’impact sur l’ordre public et
sur la bonne administration de la justice. Étant donné le laps de temps
restreint entre lesdites décisions, il est raisonnable que les tribunaux aient
utilisé pendant certaines périodes des raisonnements proches, en se fondant sur
les mêmes motifs pour justifier le maintien du requérant en détention
(Georgiou, (déc.), précitée et Medinţu (déc.), précitée, § 47).
. Il convient
de noter également que, avec le passage du temps, les tribunaux ont fourni des
raisons différentes pour justifier le maintien de l’intéressé en détention,
raisons qui ne peuvent pas être considérées comme stéréotypées (paragraphes 31
et 32 ci-dessus). Par ailleurs, les tribunaux nationaux ont examiné l’opportunité
de remplacer la mesure de détention provisoire par une autre mesure (paragraphe
31 in fine ci-dessus).
. Pour
ce qui est de la diligence des autorités dans la conduite de l’enquête, la Cour constate que les poursuites pénales ouvertes contre le
requérant ont abouti, environ un mois et demi seulement après le placement en
détention, à son renvoi en jugement (voir le réquisitoire du 31 août 2006,
paragraphe 34 ci-dessus). Après l’inscription au rôle des tribunaux, les
audiences ont été reportées initialement à la suite des demandes du requérant
et de la victime (paragraphe 35 ci-dessus). Une fois que le requérant et ses
coïnculpés ainsi que les principaux témoins eurent été entendus, le tribunal a
rendu son jugement sur le fond de l’affaire. Dès lors, il ne saurait être
reproché aux autorités judiciaires un quelconque manque de diligence dans le
traitement de l’affaire.
. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal
fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la
Convention.
III. SUR
LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
. Dans leurs
observations transmises à la Cour le 22 octobre 2012, les requérants Florin et Florea Bucureşteanu, se prétendent victimes d’une violation de l’article 14 de la
Convention et de l’article 1 du Protocole no 12 à la
Convention, alléguant que la méconnaissance de leurs droits garantis par les
articles 3 et 5 § 3 de la Convention résulteraient d’attitudes
discriminatoires des autorités policières et judiciaires envers les personnes d’origine
rom. Le requérant Florea Bucureşteanu soutient de surcroît que, du
fait de sa détention provisoire, il a été dans l’impossibilité de bénéficier d’une
défense « pleine et effective », au sens des articles 6 et 13 de la
Convention, dans la procédure pénale qui a abouti à sa condamnation pénale.
. La Cour note
que les deux procédures qui ont fait l’objet de la
présente requête ont pris fin respectivement par la décision de classement
du 27 décembre 2010 du parquet près le tribunal de première instance
de Târgovişte, en ce qui concerne le requérant Florin Bucureşteanu,
et par l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de
justice du 11 mars 2008, en ce qui concerne le requérant Florea
Bucureşteanu. Or, les présents griefs ont été
formulés pour la première fois le 22 octobre 2012, soit plus de six mois après.
. Il s’ensuit
que ces griefs sont tardifs et doivent être rejetés en application de l’article 35
§§ 1 et 4 de la Convention.
IV. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
. Aux termes de
l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation
de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute
Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de
cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une
satisfaction équitable. »
A. Dommage
. Le requérant Florin Bucureşteanu réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait
subi et 250 000 EUR au titre du préjudice moral consistant dans la
souffrance causée par son agression, son hospitalisation, par les soins
médicaux, l’invalidité permanente consécutive à l’agression, ainsi que ses
problèmes psychologiques au cours de ces douze dernières années.
. Le
Gouvernement souligne que le requérant Florin Bucureşteanu n’a aucunement
étayé le préjudice matériel qu’il aurait subi. En ce qui concerne le dommage
moral invoqué, le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité
clair avec les violations alléguées et qu’il n’est pas non plus étayé. Le
Gouvernement met en exergue que celui-ci n’a pas produit de documents attestant
de son état de santé ou de son invalidité et qu’en tout état de cause les
conséquences médicales de son agression ne sont pas pertinentes pour le volet
procédural de l’article 3 de la Convention qui fait l’objet de la présente
requête. Il souligne également que les montants demandés sont excessifs par
rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière. A titre subsidiaire, le
Gouvernement estime que le constat d’une violation vaudrait en soi une
réparation satisfaisante du préjudice moral allégué.
. La Cour
relève que le seul fondement à retenir, pour l’octroi d’une satisfaction
équitable, réside en l’espèce dans le fait que le requérant Florin Bucureşteanu
n’a pas bénéficié d’une enquête efficace au sujet de son agression, en
méconnaissance de l’article 3 de la Convention.
. La Cour
note que la demande au titre de la réparation de son préjudice matériel n’est
pas étayée. Elle estime cependant qu’il a subi un tort moral indéniable compte
tenu de la violation constatée ci-dessus. Dès lors, statuant en équité, elle
considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant Florin Bucureşteanu
7 500 EUR pour le préjudice moral.
B. Frais
et dépens
. Les
requérants demandent également respectivement 7 000 RON, soit environ
1 500 EUR, et 8 000 RON, soit environ 1 700 EUR, pour les frais
et dépens engagés devant la Cour.
. Le Gouvernement
souligne que les requérants n’ont pas envoyé de contrats d’assistance
judiciaire, établissant les honoraires de l’avocat ainsi qu’un récapitulatif
des heures effectivement travaillées par celui-ci. Il estime qu’en tout état de
cause les montants réclamés sont excessifs.
. Selon la
jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu
des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime
raisonnable la somme demandée de 1 500 EUR pour la procédure devant
la Cour et l’accorde au requérant Florin Bucureşteanu.
C. Intérêts
moratoires
. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA
COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable
quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention, en ce qui concerne le
requérant Florin Bucureşteanu, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation
de l’article 3 de la Convention, dans son volet procédural, en ce qui concerne
le requérant Florin Bucureşteanu ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au
requérant Florin Bucureşteanu, dans les trois mois à compter du jour
où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2
de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur,
au taux applicable à la date du règlement) :
i) 7 500 EUR (sept mille cinq
cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage
moral ;
ii) 1 500 EUR (mille cinq cents
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant,
pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
4. Rejette la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 16 avril 2013, en application de l’article
77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep
Casadevall
Greffier Président