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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GARDEAN AND S.C. GRUP 95 S.A. v. ROMANIA - 25787/04 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 390 (30 April 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/390.html
Cite as: [2013] ECHR 390

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE GARDEAN ET S.C. GRUP 95 SA c. ROUMANIE

     

    (Requête no 25787/04)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

    (Révision)

     

     

     

    STRASBOURG

     

    30 avril 2013

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Gardean et S.C. Grup 95 SA c. Roumanie (demande en révision de l’arrêt du 1er décembre 2009),

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Ineta Ziemele,
              Luis López Guerra,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 avril 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25787/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Adrian Gardean, ainsi qu’une société par actions de droit roumain, S.C. Grup 95 SA (« les requérants »), avaient saisi la Cour le 1er avril 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Par un arrêt du 1er décembre 2009, la Cour a rejeté comme irrecevable ratione personae la requête en tant qu’elle émanait de M. Adrian Gardean, et pour ce qui était de la société requérante, S.C. Grup 95 SA, elle a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à raison de la révocation d’une décision définitive de justice par le biais d’un « recours en annulation ». La Cour a jugé que l’application de l’article 41 ne se trouvait pas en état et a réservé cette question.

  3. .  Le 8 février 2010, lors de l’échange d’observations au titre de l’article 41, la société Terra Finance SARL (ci-après « la société T. ») a informé la Cour de ce qu’elle entendait continuer la procédure devant la Cour au nom de la société requérante. A l’appui, elle a fourni copie d’un contrat de cession conclu le 19 février 2009 entre elle et la société requérante portant sur un certain nombre d’actions, et sur tous les droits donnant lieu à litige, y compris ceux relatifs à la procédure devant la Cour. Ledit contrat prévoyait le droit pour la société T. d’ester en justice à la place de la société requérante dans toutes ses procédures pendantes. Le 27 mai 2009, ayant décidé de cesser son activité puis ayant été mise en liquidation, la société requérante fut rayée du Registre des sociétés. Cette décision fut entérinée par un jugement du 27 mai 2009 du juge délégué auprès du Registre de commerce de Hunedoara. Ce jugement devint définitif le 13 novembre 2009.
  4. 4.  Le 5 juillet 2010, le Gouvernement a formulé une demande en révision de l’arrêt du 1er décembre 2009 précité au motif que cette cession constituait à ses yeux un fait nouveau qui aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue de l’affaire au sens de l’article 80 du règlement de la Cour.


  5. .  Le 4 janvier 2011, la Cour a examiné la demande en révision et a décidé d’accorder à la société T. un délai de trois semaines pour présenter d’éventuelles observations. Celles-ci sont parvenues à la Cour le 21 janvier 2011. Par une lettre du 25 février 2011, le Gouvernement a formulé ses observations en réponse aux observations de la société T. Le 15 décembre 2011, la société T. informait la Cour n’avoir jamais reçu les dernières observations du Gouvernement. Le 16 mai 2012, la Cour a renvoyé à la société T. une copie des dernières observations formulées par le Gouvernement.

  6. .  A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
  7. EN DROIT

    SUR LA DEMANDE EN RÉVISION

    7.  Le Gouvernement demande la révision de l’arrêt du 1er décembre 2009 au motif que la radiation de la société requérante du Registre des sociétés constituait un fait nouveau dont il ne pouvait raisonnablement avoir connaissance au moment du prononcé de l’arrêt et qui aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue de l’affaire. Selon le Gouvernement, après le 27 mai 2009, date de radiation de la société requérante du Registre des sociétés, la Cour aurait pu constater qu’il convenait de rayer la requête du rôle au regard de la perte de personnalité juridique de celle-ci ou de son manque d’intérêt à poursuivre la procédure. Par ailleurs, d’après le Gouvernement, la société T. ne saurait utilement se prévaloir du contrat de cession conclu entre elle et la requérante, car la protection des droits de l’homme ne se concilie guère avec l’idée de cessibilité des droits s’attachant à une requête devant la Cour en faveur d’une personne physique ou morale qui n’a aucun lien avec la procédure ou avec les violations alléguées.

    8.  La société T. affirme avoir informé la Cour, le 8 février 2010, soit avant que l’arrêt de la Cour ne devienne définitif et que la question de la satisfaction équitable ne soit résolue, de l’existence des changements intervenus. Au demeurant, il n’y avait aucun changement réel - sinon une simple modification du nom de la société requérante - puisque les actions de celle-ci ont été cédées, selon l’accord des actionnaires, en faveur de la société T. Selon cette dernière, il convient de distinguer le présent cas (contrat de cession en vigueur) de celui où, par exemple, un requérant n’aurait pas informé la Cour de la perte de sa qualité d’héritier, comme dans l’affaire Stoicescu c. Roumanie ((révision), no 31551/96, 21 septembre 2004)). Quant à la possibilité pour le Gouvernement de « raisonnablement » connaître l’existence du contrat de cession, la société T. affirme que tant le contrat de cession en question que la radiation de la société requérante ont été publiés dans le Journal officiel (« Monitorul Oficial »), dont les autorités internes pouvaient prendre connaissance.


  8. .  En réponse, le Gouvernement soutient que les observations susmentionnées appartiennent à une société commerciale tierce, qui n’a pas la qualité de requérante dans la présente affaire. Il rappelle que cette entité n’a fourni aucune raison valable pour justifier le défaut d’information de la Cour en temps utile sur les changements intervenus. Selon le Gouvernement, les événements survenus avant le prononcé de l’arrêt auraient pu avoir une influence décisive sur l’issue de l’affaire car ils auraient justifié la radiation du rôle de la requête. En l’absence de tout indice de sa disparition, il n’y avait aucune raison pour le Gouvernement de vérifier de son propre chef la situation de la société requérante. Le Gouvernement estime qu’il serait excessif d’imposer aux autorités une telle obligation et qu’il incombait à la société requérante d’informer la Cour des changements intervenus et non de les dissimuler.

  9. .  La Cour rappelle que, selon l’article 44 de la Convention, ses arrêts sont définitifs et que, dans la mesure où elle remet en question ce caractère définitif, la procédure en révision, non prévue par la Convention mais instaurée par le règlement de la Cour, revêt un caractère exceptionnel, d’où l’exigence d’un examen strict de la recevabilité de toute demande en révision d’un arrêt de la Cour dans le cadre d’une telle procédure (Pardo c. France (révision - recevabilité), 10 juillet 1996, § 21, Recueil des arrêts et décisions 1996-III ; Gustafsson c. Suède (révision - bien-fondé), 30 juillet 1998, § 25, Recueil 1998-V, et Stoicescu c. Roumanie, n31551/96, § 33, 21 septembre 2004).

  10.   Elle rappelle également qu’une requête peut être rejetée comme étant abusive, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, si elle a été fondée sciemment sur des faits controuvés (voir, parmi d’autres, Kérétchachvili c. Géorgie (déc.), no 5667/02, 2 mai 2006). Une information incomplète et donc trompeuse peut également être qualifiée d’abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le noyau de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante son manquement à divulguer les informations pertinentes (Poznanski et autres c. Allemagne (déc.), n25101/05, 3 juillet 2007, Predescu c. Roumanie, no 21447/03, § 25, 2 décembre 2008, et Constantinescu et autres c. Roumanie (déc.), n33605/03, 16 juin 2009).

  11. .  La Cour doit déterminer s’il y a lieu de réviser l’arrêt du 1er décembre 2009 au regard de l’article 80 de son règlement qui, en ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi libellé :
  12. « En cas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut, dans le délai de six mois à partir du moment où elle a eu connaissance du fait découvert, saisir la Cour d’une demande en révision de l’arrêt dont il s’agit. (...) »


  13. .  Il y a donc lieu d’examiner si les faits en question « auraient pu exercer une influence décisive » sur le sens des conclusions de la Cour dans l’arrêt rendu, s’ils « ne pouvaient raisonnablement être connus » du Gouvernement avant le prononcé dudit arrêt et si la demande en révision a été formée dans le délai légal prévu à l’article 80 du règlement.

  14. .  La Cour observe que, dans son arrêt au principal, elle avait conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Or, avant l’adoption de l’arrêt au principal, la société requérante a fait l’objet d’une cession en faveur d’une société tierce et a été rayée du Registre des sociétés.

  15. .  La Cour note qu’elle n’a pas été informée, avant le prononcé de l’arrêt du 1er décembre 2009, de la radiation de la société requérante du Registre des sociétés. Par conséquent, elle a adopté son arrêt sur la base des documents et informations qui étaient en sa possession à cette date.

  16. .  La Cour estime que la cession de la société requérante, suivie de sa radiation du Registre des sociétés, toutes deux intervenues avant le prononcé de l’arrêt au principal, constituaient bien des faits de nature à exercer « une influence décisive » sur le sens de la solution donnée au litige par ledit arrêt, dès lors que la société requérante y a perdu sa personnalité juridique et a cessé d’exister (voir, a contrario, S.C. Concordia International SRL Constanţa c. Roumanie (révision), no 38969/02, § 16, 20 décembre 2011). Tout en admettant que la société requérante ait pu se prétendre victime d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles au moment de l’introduction de la requête, la Cour estime qu’elle ne pouvait plus le faire après le 27 mai 2009, date de sa radiation du Registre des sociétés. Par conséquent, à partir du 27 mai 2009 se posait la question de savoir si les conditions permettant de rayer l’affaire du rôle, telles qu’elles sont définies à l’article 37 § 1 de la Convention, étaient réunies en l’espèce.

  17. .  Quant à l’absence de possibilité raisonnable pour le Gouvernement d’avoir connaissance des faits découverts, condition imposée par l’article 80 du règlement, la Cour observe que la radiation de la société requérante du Registre des sociétés a eu lieu le 27 mai 2009, soit après le 30 avril 2008, date du dépôt par le Gouvernement de ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. La Cour observe également que la seule information concernant la perte de la personnalité juridique de la société requérante est ultérieure à l’adoption de l’arrêt du 1er décembre 2009 (paragraphe 3 ci-dessus).

  18.   Tout en observant que l’éventuelle cession des droits litigieux afférents à une requête devant la Cour conditionne souvent étroitement la détermination des personnes ayant qualité pour poursuivre cette requête devant la Cour (voir, pour une cession convenue entre les requérants et la conclusion de l’absence de locus standi du requérant cédant, (Dimitrescu c. Roumanie, nos 5629/03 et 3028/04, §§ 31-34, 3 juin 2008) et sans spéculer sur l’interprétation du contrat de cession intervenu dans la présente affaire, la Cour attache une grande importance au comportement des deux sociétés et note que celles-ci ont essayé de dissimuler le changement de situation (voir, mutatis mutandis, Igor Vasilyevich Vasilevskyi c. Lettonie, (déc.) n73485/01, §§ 24-26, 10 janvier 2012). Dans ces conditions et compte tenu de la spécificité de l’affaire, la Cour conclut qu’on ne saurait « raisonnablement » reprocher du Gouvernement d’être resté dans l’ignorance de ces faits.

  19.   La Cour note par ailleurs que le Gouvernement a pris connaissance des nouveaux éléments de fait au mois de février 2010, à l’occasion des observations formulées par la société T. Il en ressort que le Gouvernement a respecté le délai de six mois prévu au premier paragraphe de l’article 80 du règlement.

  20.   La Cour rappelle ensuite qu’en vertu de l’article 47 § 6 du règlement, il incombe au requérant de l’informer « de tout fait pertinent pour l’examen de sa requête ». Qui plus est, le 20 juillet 2004, le greffe a fait savoir à la société requérante qu’il lui appartenait de l’informer de tout événement ultérieur important relatif à son affaire. Or, en l’espèce, la Cour relève que la société requérante ne lui a adressé aucune information concernant la perte de sa personnalité juridique avant la reddition de son arrêt au principal et que, de surcroit, elle n’a fait aucune référence à sa radiation du Registre des sociétés avant le 8 février 2010, date à laquelle elle a soumis ses demandes au titre de l’article 41 de la Convention. Par ailleurs, dans la mesure où la société T. affirme vouloir continuer l’instance, la Cour note que celle-ci a attendu le prononcé de l’arrêt avant de l’informer des changements intervenus. Elle retient qu’alors même qu’elles avaient la possibilité matérielle de le faire, aussi bien la société requérante que la société T. ont omis sciemment de porter à la connaissance de la Cour l’existence de la nouvelle situation, en méconnaissance de l’obligation qui leur était faite par les articles 44 C, § 1 et 47 § 6 du règlement de l’informer de tout fait pertinent pour l’examen de la requête, ainsi que de leur devoir de coopérer avec la Cour dans le but d’une bonne administration de la justice, énoncé à l’article 44 A du règlement.

  21.   A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de réviser, dans son intégralité, l’arrêt du 1er décembre 2009, en application de l’article 80 de son règlement.

  22.   Sur quoi, et pour les mêmes raisons, il convient de déclarer la requête irrecevable comme étant abusive au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
  23. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide d’accueillir la demande en révision de l’arrêt du 1er décembre 2009 ;

     

    2.  Déclare la requête irrecevable.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président


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