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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ION CIOBANU v. ROMANIA - 67754/10 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 391 (30 April 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/391.html
Cite as: [2013] ECHR 391

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ION CIOBANU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 67754/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    30 avril 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     

     


    En l’affaire Ion Ciobanu c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Luis López Guerra,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 avril 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 67754/10) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ion Ciobanu (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er novembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Dans sa requête, le requérant se plaignait plus particulièrement de l’absence de traitement médical pour le diabète dont il souffrait. Dans une lettre du 21 juin 2011, il a dénoncé également les mauvaises conditions de sa détention dans la prison de Colibaşi.

  4. .  Le 29 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond.

  5. .  A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).
  6. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .  Le requérant est né en 1970. Il est actuellement détenu à la prison de Colibaşi.
  8. A.  La première période de détention du requérant


  9. .  Du 9 janvier 2004 au 21 juin 2010, le requérant purgea à la prison de Colibaşi une peine de prison pour vol avec violence.

  10. .  En 2008, à la suite d’un examen médical, il fut établi que le requérant souffrait d’un diabète de type 2. Mécontent de la qualité de la nourriture fournie aux détenus diabétiques, le requérant saisit le juge d’exécution des peines délégué auprès de la prison de Colibaşi (« le juge délégué ») d’une plainte sur le fondement de la loi no 276/2006 sur l’exécution des peines. Par une décision du 2 février 2009, le juge délégué rejeta la demande de l’intéressé. Le recours du requérant contre cette décision fut rejeté pour tardiveté par un arrêt définitif du tribunal de première instance de Piteşti du 21 janvier 2010.

  11. .  Le 21 juin 2010, le requérant bénéficia d’une liberté conditionnelle.
  12. B.  La demande du requérant visant au changement de ses nom et prénom


  13. .  Entre-temps, le 3 décembre 2009, le requérant avait déposé auprès du tribunal de première instance de Piteşti une demande visant au changement de ses nom et prénom en « Washington North Americanu ». Il demanda également à être exonéré du paiement des frais de justice.

  14. .  Par un jugement du 7 mai 2010, le tribunal de première instance de Piteşti annula l’action du requérant pour non-paiement du droit de timbre, sans avoir examiné sa demande d’exonération du paiement des frais de justice. D’après le dossier, l’intéressé n’a pas formé de recours contre ce jugement.

  15. .  Le requérant déposa une demande administrative visant au changement de ses nom et prénom auprès du service de l’état civil du conseil départemental d’Argeș. Par une décision administrative du 4 novembre 2010, le président du conseil départemental rejeta la demande. D’après le dossier, le requérant n’a pas contesté cette décision devant les juridictions nationales.
  16. C.  La réincarcération du requérant et les conditions de sa détention à la prison de Colibaşi


  17. .  Auparavant, par un jugement du 11 octobre 2010, le tribunal départemental de Bucarest avait condamné le requérant du chef d’outrage à une peine de six mois de prison. Comme l’intéressé se trouvait en liberté conditionnelle, le tribunal l’avait condamné également à exécuter le restant de sa peine initiale. Le dossier ne précise pas si le requérant a formé un pourvoi en recours contre ce jugement.

  18. .  Le 2 février 2011, le requérant fut réincarcéré dans la prison de Colibaşi pour purger sa peine.
  19. 1.  La version du requérant


  20. .  Dans sa lettre du 21 juin 2011, le requérant alléguait que les conditions de sa détention dans la prison de Colibaşi étaient « inhumaines » et « moyenâgeuses ».

  21. .  Il dénonçait principalement le caractère aléatoire de l’hygiène dans les cellules. A cet égard, il indiquait que les matelas des lits étaient très usés, sales et déchirés par endroits et qu’ils sentaient mauvais. L’administration de la prison n’aurait pas fourni aux détenus de produits d’entretien et de produits de désinfection des groupes sanitaires. L’installation sanitaire aurait été très vieille et, la plupart du temps, elle n’aurait pas fonctionné convenablement. Les parasites auraient pullulé dans la cellule et la désinsectisation n’aurait été faite qu’une fois par an.

  22. .  L’intéressé exposait également que l’administration ne lui fournissait ni savon ni brosse à dents ni dentifrice ni papier toilette. N’ayant pas de famille pour l’aider, il n’aurait pas été en mesure de se procurer le matériel de toilette nécessaire.

  23. .  Il ajoutait que, l’été, faute de système d’aération, la température était très élevée dans la cellule. Des espaces auraient été aménagés pour des activités de plein air, mais les détenus n’y auraient pas eu accès.

  24. .  L’intéressé dénonçait en outre la très mauvaise qualité de la nourriture et le caractère inadapté du régime alimentaire pour une personne souffrant comme lui de diabète. Les soupes n’auraient été que de l’eau bouillie avec de la graisse et des restes de légumes. Les autres nourritures se seraient résumées à des purées de légumes et des pâtes avec de la graisse. Le thé aurait souvent contenu de la terre. La viande aurait été totalement absente du menu des détenus.

  25. .  Le requérant indiquait enfin que, à intervalles réguliers, les troupes spéciales d’intervention de la prison, cagoulées, entraient la nuit dans les cellules et frappaient les détenus pour leur prendre de force leur nourriture.
  26. 2.  La version du Gouvernement


  27. .  Le Gouvernement indique que, depuis le 2 février 2011, le requérant purge sa peine dans la cellule no E 2.11 et qu’il est placé sous le régime dit « fermé ». La cellule aurait une superficie de 57,12 m², elle serait occupée par trente détenus et dotée de trente-six lits. Les sanitaires de cette cellule seraient composés de quatre douches, quatre WC et six lavabos. Les WC seraient désinfectés tous les matins. Le maintien de la propreté relèverait de la responsabilité des détenus qui se verraient attribuer par l’administration de la prison des produits d’entretien et d’hygiène personnelle. La cellule serait dotée d’une poubelle qui serait vidée tous les jours. Des désinsectisations auraient lieu en fonction des besoins.

  28. .  Les cellules disposeraient d’eau potable. Le requérant bénéficierait d’un accès aux douches deux fois par semaine. La prison aurait sa propre centrale thermique qui aurait été améliorée peu de temps auparavant.

  29. .  L’intéressé aurait bénéficié d’une nourriture spécifique préparée pour les détenus diabétiques (norme diététique - la norme 18). Cette alimentation aurait été conforme aux normes caloriques établies pour l’administration pénitentiaire. La qualité de la nourriture aurait été contrôlée tous les jours par le directeur de la prison, par le médecin et par des personnes désignées à cette fin. Le Gouvernement indique enfin que le requérant avait pris du poids pendant sa détention et qu’il en a perdu pendant sa liberté conditionnelle.
  30. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  31. .  Le droit et la pratique interne pertinents ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
  32. 25.  Le Gouvernement se réfère plus particulièrement aux décisions rendues le 11 février, le 19 avril et le 19 mai 2011 par les juridictions nationales, dans lesquelles l’administration pénitentiaire aurait été condamnée soit à assurer au détenu un espace personnel de 6 m3, soit à fournir les produits d’entretien nécessaires, soit à prendre des mesures pour mettre un terme à la situation dans laquelle douze détenus partageaient un seul lavabo, un seul WC et une seule douche.


  33. .  Les extraits pertinents de la Recommandation REC(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009) et Rupa c. Roumanie (no 1) (no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).

  34. .  Il n’existe pas de rapport du CPT concernant la prison de Colibaşi. Cependant, une organisation non gouvernementale roumaine, l’Association pour la défense de droits de l’homme - comité Helsinki (APADOR - CH), a visité cette prison le 26 avril 2007. Le rapport rédigé à la suite de la visite sur la base des informations fournies par les autorités faisait état d’une surpopulation dans cette prison. Il mentionnait également le fonctionnement aléatoire et l’état d’hygiène inapproprié des sanitaires.
  35. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  36. .  Dans sa lettre du 21 juin 2011, le requérant, sans citer d’article de la Convention, se plaignait des mauvaises conditions de sa détention dans la prison de Colibaşi. Il reprochait également aux autorités de ne pas lui avoir fourni les soins médicaux requis par son diabète.

  37. .  La Cour examinera les allégations du requérant sous l’angle de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  38. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Sur l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes


  39. .  Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de toutes les branches de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a jamais saisi les autorités administratives ni les tribunaux d’une action fondée sur la loi no 275/2006 - loi qui apportait, selon lui, des précisions sur les droits des personnes privées de liberté - pour se plaindre des conditions de sa détention et d’une absence des soins médicaux requis par son diabète. Il renvoie également aux exemples de jurisprudence qu’il a présentés devant la Cour dans les affaires Iacov Stanciu (précitée), Cucu (précitée) et Lăutaru c. Roumanie (no 13099/04, 18 octobre 2011).
  40. 31.  Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.


  41. .  La Cour note que le grief du requérant porte sur les conditions matérielles de détention. Elle rappelle à ce propos avoir déjà jugé, dans des affaires récentes relatives à un grief similaire et dirigées contre la Roumanie, qu’au vu de la particularité de ce grief l’action indiquée par le Gouvernement ne constituait pas un recours effectif à épuiser par les requérants (voir Cucu, précité, § 73, Lăutaru, précité, §§ 82-84, et, mutatis mutandis, Iacov Stanciu, précité, §§ 197-198). Les arguments du Gouvernement ne sauraient mener la Cour à une conclusion différente en l’espèce. Dans l’un des exemples de jurisprudence soumis par le Gouvernement (paragraphe 25 ci-dessus), la juridiction nationale continue à se rapporter à une norme de 6 m3 d’espace par détenu alors que le CPT a recommandé dans ses rapports un espace personnel calculé en mètres carrés. En effet, cette façon de mesurer en mètres cubes aboutit en pratique à des résultats différents de ceux visés par le CPT dans ses rapports. En outre, le Gouvernement n’a pas indiqué quelles mesures l’administration pénitentiaire avait prises pour remédier aux défaillances constatées par les tribunaux. Partant, il convient de rejeter cette exception du Gouvernement s’agissant de la partie du grief concernant les conditions matérielles de détention.
  42. 33.  S’agissant de la partie du grief du requérant se rapportant à l’insuffisance alléguée de son traitement médical, la Cour constate que l’intéressé a déposé une plainte fondée sur les dispositions de la loi no 275/2006 (paragraphe 8 ci-dessus). Elle note cependant qu’il a omis de former son pourvoi en recours dans le délai prévu en droit interne, de sorte que son recours a été rejeté pour tardiveté. Par ailleurs, le requérant n’a pas dénoncé une absence de traitement médical mais uniquement la qualité insatisfaisante de la nourriture pour une personne souffrant de diabète. Ainsi, il n’a pas valablement épuisé les voies de recours internes (voir, en ce sens, Coman c. Roumanie, no 34619/04, § 45, 26 octobre 2010). Il convient donc d’accueillir l’exception du Gouvernement pour cette partie du grief, qui doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    2.  Sur les autres motifs d’irrecevabilité


  43. .  La Cour constate que le requérant a été détenu dans la prison de Colibaşi d’abord du 9 janvier 2004 au 21 juin 2010. A cette dernière date, il a été remis en liberté. Depuis le 2 février 2011, le requérant est à nouveau incarcéré dans cette prison. Dans sa lettre du 21 juin 2011, il a dénoncé les mauvaises conditions de sa détention dans la prison de Colibaşi, sans préciser de quelle période il s’agissait. Néanmoins, la Cour estime que, compte tenu de la remise en liberté du requérant le 21 juin 2010 et du fait qu’il n’a saisi la Cour de ce grief que le 21 juin 2011, la partie de la requête portant sur les conditions matérielles de détention avant le 21 juin 2010 est tardive et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

  44. .  Constatant que la partie du grief portant sur les conditions matérielles de détention dans la prison de Colibaşi à partir du 2 février 2011 n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
  45. B.  Sur le fond


  46. .  Le requérant maintient que les conditions de sa détention dans la prison de Colibaşi constituent un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Pour étayer ses allégations, il a soumis une déclaration datée du 31 août 2011 et signée par quatre codétenus. Selon cette déclaration, les conditions d’hygiène étaient inappropriées, l’administration de la prison ne fournissait pas aux détenus tout le matériel nécessaire à l’entretien des cellules, les matelas étaient très sales, les détenus n’avaient accès aux douches qu’une fois par semaine et la nourriture était de très mauvaise qualité.

  47. .  Renvoyant à sa version des faits, le Gouvernement estime que l’article 3 de la Convention n’a pas été méconnu en l’espèce par les autorités nationales.

  48. .  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25, et Măciucă c. Roumanie, no 25763/03, § 22, 26 mai 2009).

  49. .  La Cour rappelle également que l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI). Elle rappelle enfin qu’il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant lorsqu’on évalue des conditions de détention (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001­II).

  50. .  En l’espèce, la Cour relève que le requérant se plaint des conditions matérielles, notamment des conditions d’hygiène, de sa détention à la prison de Colibaşi. Elle rappelle à cet égard avoir déjà conclu, sur le fondement des renseignements fournis par les parties, à la violation de l’article 3 de la Convention dans une affaire similaire, dans laquelle le requérant mettait en cause les conditions matérielles de détention dans la même prison (voir l’affaire Lăutaru, précitée, dans laquelle le requérant dénonçait les conditions de sa détention dans la prison de Colibaşi de 1999 à mai 2011, plus particulièrement le surpopulation carcérale et les conditions d’hygiène).

  51. .  En l’espèce, s’agissant des allégations du requérant quant au caractère aléatoire de l’hygiène dans sa cellule, la Cour note que les dires de l’intéressé sont corroborés par une déclaration signée par ses codétenus. Le Gouvernement a contesté ces allégations par des affirmations générales, en indiquant que le nettoyage était assuré régulièrement et que le maintien de la propreté relevait de la responsabilité des détenus. Renvoyant à sa jurisprudence dans laquelle elle a fait application du principe affirmanti incumbit probatio - la preuve incombe à celui qui affirme - lorsque le Gouvernement est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant (Khoudoïorov c. Russie, no 6847/02, § 113, CEDH 2005-X, Brânduşe c. Roumanie, no 6586/03, § 48, 7 avril 2009, et Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, § 90, 12 avril 2011), la Cour estime qu’en l’espèce ces simples affirmations du Gouvernement, non étayées par des moyens de preuve (par exemple des photos ou des rapports de l’inspection sanitaire constatant l’état des lieux), ne sont pas suffisantes pour la conduire à écarter les allégations de l’intéressé (voir, mutatis mutandis, Eugen Gabriel Radu c. Roumanie, no 3036/04, §§ 30-32, 13 octobre 2009). La Cour observe par ailleurs que les allégations du requérant quant à des conditions d’hygiène déplorables, notamment le manque de propreté des matelas ou la qualité de la nourriture, sont plus que plausibles et qu’elles reflètent des réalités décrites par le CPT dans les différents rapports établis à la suite de ses visites dans les prisons roumaines.

  52. .  La Cour ne saurait ignorer que cette situation sanitaire est exacerbée par une forte surpopulation, ce qui ressort d’ailleurs aussi des renseignements fournis par le Gouvernement. En effet, elle note que le requérant dispose d’un espace individuel réduit de 1,90 m² (paragraphe 21 ci-dessus), soit une surface très inférieure à la norme de 4 m² recommandée par le CPT pour les cellules collectives. Elle estime qu’un surpeuplement aussi grave ne peut qu’accroître les difficultés des autorités et des détenus à maintenir un niveau d’hygiène correcte.

  53. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce l’Etat, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin d’assurer au requérant des conditions de détention qui soient compatibles avec le respect de la dignité humaine. Dès lors, elle conclut que les conditions de détention subies par le requérant ont dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.
  54. Partant, il y a eu violation de cette disposition de la Convention.

    II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  55. .  Sans citer d’articles de la Convention, le requérant se plaint du refus des juridictions nationales de faire droit à sa demande visant à son changement d’identité, de l’issue de la procédure pénale engagée contre lui pour outrage et de la manière dont les juridictions nationales ont déterminé sa peine. Il allègue également avoir été victime de plusieurs agressions de la part des gardiens de la prison. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont irrecevables et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  56. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    45.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  57. .  Dans une même lettre, le requérant réclame d’abord 15 000 euros (EUR) puis 10 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison des conditions de détention auxquelles il a été soumis pendant toute la durée de son incarcération dans la prison de Colibaşi.

  58. .  Le Gouvernement estime que le requérant a formulé sa demande de satisfaction équitable de manière confuse et incohérente. Il ajoute qu’il n’a pas apporté la preuve des souffrances alléguées pour justifier sa demande de réparation. Il estime qu’en tout état de cause cette demande est spéculative, excessive et non étayée.

  59. .  La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 3 de la Convention à raison des mauvaises conditions de détention. Elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 800 EUR pour dommage moral.
  60. B.  Frais et dépens


  61. .  Le requérant ne demande pas le remboursement de frais et dépens. Dès lors, la Cour ne lui accorde aucune somme à ce titre.
  62. C.  Intérêts moratoires


  63. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  64. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et concernant les conditions de détention subies par le requérant dans la prison de Colibaşi après le 2 février 2011, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions matérielles de détention subies par le requérant ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 4 800 EUR (quatre mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président


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