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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> RIFAT DEMIR v. TURKEY - 24267/07 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 504 (04 June 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/504.html
Cite as: [2013] ECHR 504

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE RİFAT DEMİR c. TURQUIE

     

    (Requête no 24267/07)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    4 juin 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Rifat Demir c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 mai 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 24267/07) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Rifat Demir (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 décembre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été autorisé à assurer lui-même la défense de ses intérêts (article 36 § 2 in fine du règlement de la Cour). Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 2 mars 2010, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs du requérant tirés des articles 3, 5 et 6 (durée de la procédure pénale) et de l’article 13 de la Convention et de déclarer le restant de la Requête irrecevable. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
  4. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1973 et est détenu à la prison de Gümüşhane.

  6. .  Le 3 décembre 2001, il fut arrêté et placé en garde à vue à Istanbul, dans le cadre d’une opération menée contre l’organisation illégale Hizbullah. Il était soupçonné d’être membre de cette organisation et d’avoir commis des crimes au nom de celle-ci. Selon le procès-verbal d’arrestation, la police a usé de la force pour appréhender le requérant qui aurait tenté, selon les agents, de prendre la fuite.

  7. .  Le même jour, le requérant fut soumis à un examen médical qui révéla la présence de blessures ecchymotiques, décrites comme étant vieilles de trois ou quatre jours, au niveau du sourcil droit et d’ecchymoses sur les deux mains.

  8. .  Le 5 décembre 2001, le requérant fut transféré à Batman. A son arrivée dans cette ville, il fut soumis à un nouvel examen médical. Celui-ci révéla la présence sur la tempe droite de l’intéressé de blessures qui auraient été datées d’environ dix jours et qui seraient en voie de guérison.

  9. .  Le 7 décembre 2001, le requérant fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, qui ordonna son placement en détention provisoire. Il fut ensuite conduit à la maison d’arrêt de cette ville.

  10. .  Le 8 décembre 2001, le juge assesseur autorisa la reconduite du requérant dans les locaux de la direction de la sûreté de Diyarbakır pour interrogatoire.

  11. .  Le 10 décembre 2001, l’intéressé fut soumis à un nouvel examen médical avant d’être ramené à la prison. Le rapport médical correspondant indique la présence, au niveau de la zone frontale droite, de la cicatrice d’une blessure qui aurait été vieille de plusieurs mois.
  12. A.  L’enquête relative aux allégations de mauvais traitements


  13. .  Le 14 décembre 2001, le requérant adressa une plainte au parquet de Diyarbakır pour mauvais traitements. Le même jour, il fut entendu par le procureur de la République sur ses allégations. Il déclara avoir été arrêté en réalité le 30 novembre 2001 et avoir fait l’objet d’une détention non reconnue jusqu’au 3 décembre 2001, date officielle de son arrestation. Il décrivit les traitements qu’il aurait subis à Istanbul.

  14. .  Le même jour, le procureur ordonna la présentation du requérant à l’hôpital de Diyarbakır pour un examen médical. Le rapport établi au terme de cet examen mentionnait la présence des traces suivantes sur le corps de l’intéressé : ecchymose de couleur violacée/jaune de 3 cm sur 10 sur le côté gauche du dos, ecchymoses étendues de couleur violacée/jaune sur l’omoplate droite et entre les omoplates, érosions et légères ecchymoses consécutives à des coups sur le poignet droit, au niveau du front, de l’œil droit, du premier orteil droit et des 2e et 3e orteils gauches.

  15. .  Le 28 décembre 2001, le procureur entendit les témoins cités par le requérant. L’un d’entre eux déclara que, lors de leur détention dans les locaux de la police à Istanbul, il avait vu le requérant en sang, couché sur le sol. Il précisa que, bien qu’ayant eu les yeux bandés, il pouvait voir par-dessous le bord inférieur du bandeau. Il ajouta qu’il avait également entendu le requérant crier.

  16. .  Le 7 janvier 2002, l’institut médicolégal conclut que les blessures relevées dans le rapport médical du 14 décembre 2001 valaient une incapacité de travail de cinq jours.

  17. .  Le 14 janvier 2002, le parquet de Diyarbakır transféra le dossier d’enquête au parquet de Fatih (Istanbul) qui avait territorialement compétence pour connaître de l’affaire.

  18. .  Le procureur de Fatih recueillit les déclarations des policiers ayant procédé à l’interrogatoire du requérant.

  19. .  Le 7 mai 2002, ce procureur, se fondant sur l’ensemble des éléments du dossier, rendit une ordonnance de non-lieu.

  20. .  Le 24 septembre 2003, la cour d’assises de Beyoğlu rejeta l’opposition formée par le requérant contre cette ordonnance. Elle ordonna également que cette décision fût notifiée à l’intéressé par la voie du parquet.

  21. .  Le 10 novembre 2008, le requérant déposa également une plainte contre le personnel hospitalier, qu’il accusait d’avoir délibérément détruit un rapport médical qui avait, selon ses dires, été établi le 14 octobre 2001 à l’hôpital de Diyarbakır.

  22. .  Le 20 février 2009, le sous-préfet décida de ne pas autoriser l’ouverture d’une enquête pénale. Il releva que les rapports établis entre 2000 et 2004 avaient été détruits à la suite d’un dégât des eaux. Le tribunal administratif régional confirma la décision du sous-préfet.

  23. .  Enfin, le 22 mai 2009 et le 4 mai 2010, le procureur de la République rendit deux nouvelles ordonnances de non-lieu concernant les allégations de mauvais traitements du requérant. Il releva que les griefs de l’intéressé avaient déjà été examinés dans le cadre de l’enquête soldée par l’ordonnance de non-lieu du 7 mai 2002 et nota l’absence de nouveaux éléments de preuve de nature à remettre en question les conclusions de cette ordonnance.
  24. B.  La procédure pénale diligentée contre le requérant


  25. .  Deux actions pénales distinctes furent diligentées contre le requérant pour appartenance au Hizbullah et pour crimes commis au nom de cette organisation, la première à Istanbul, la deuxième à Diyarbakır. Par la suite, les deux procédures furent jointes et la procédure se poursuivit devant la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Après la suppression des cours de sûreté de l’Etat, elle se poursuivit devant la cour d’assises spéciale de Diyarbakır (« la cour d’assises »).

  26. .  Tout au long de la procédure, au terme d’audiences qui furent tenues à intervalles réguliers, la cour de sûreté de l’Etat puis la cour d’assises ordonnèrent le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée ainsi que de l’état des preuves. A partir de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, la cour d’assises spéciale se fonda aussi sur l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et sur le fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Devant les juges, le requérant affirma avoir subi des mauvais traitements dans les locaux de la police et contesta la teneur de sa déposition recueillie pendant sa garde à vue.

  27. .  Le 30 décembre 2009, la cour d’assises reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité.

  28. .  Le 26 janvier 2011, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.
  29. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION


  30. .  Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire. Il invoque à cet égard l’article 5 § 3 de la Convention, dont les passages pertinents en l’espèce sont rédigés comme suit :
  31. « 3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »


  32. .  Le Gouvernement combat la thèse du requérant.

  33. .  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  34. .  Elle note que la période à considérer a débuté le 3 décembre 2001 avec l’arrestation du requérant et qu’elle a pris fin avec l’arrêt rendu par la cour d’assises le 30 décembre 2009, le terme final de la période visée à l’article 5 § 3 étant « le jour où il est statué sur le bien-fondé de l’accusation, fût-ce seulement en premier ressort » (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 147, CEDH 2000-IV). La durée de la détention provisoire de l’intéressé est donc de plus de huit ans.

  35. .  La Cour rappelle qu’elle a conclu, dans maintes affaires portant sur des faits et griefs similaires à ceux de la présente espèce, à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Dereci c. Turquie, no 77845/01, §§ 34-41, 24 mai 2005, Taciroğlu c. Turquie, no 25324/02, §§ 18-24, 2 février 2006, et Cahit Demirel c. Turquie, n18623/03, §§ 21-28, 7 juillet 2009). Le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument qui permettrait à la Cour de s’écarter en l’espèce de ses conclusions antérieures.

  36. .  Aussi la Cour conclut-elle à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
  37. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION


  38. .  Le requérant se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable et il dénonce l’absence de voie de recours interne qui lui aurait permis de se plaindre de la durée de la procédure pénale engagée contre lui. Il invoque à cet égard les articles 6 et 13 de la Convention, ainsi libellés dans leurs parties pertinentes en l’espèce :
  39. Article 6

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »


  40. .  Le Gouvernement combat la thèse du requérant.
  41. A.  Sur la recevabilité


  42. .  La Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle Requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours interne, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.

  43. .  La Cour rappelle également que dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77) elle a précisé notamment qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des Requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que le Gouvernement n’a pas soulevé en l’espèce une exception portant sur ce nouveau recours. A lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente Requête.

  44. .  Constatant que les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle les déclare recevables.
  45. B.  Sur le fond

    1.  Article 6


  46. .  La Cour note que la période à considérer a débuté le 3 décembre 2001 avec l’arrestation du requérant et qu’elle s’est terminée le 26 janvier 2011 avec l’arrêt de la Cour de cassation (paragraphes 5 et 25 ci-dessus). La durée en cause est donc d’environ dix ans, pour deux degrés de juridiction.

  47. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

  48. .  La Cour rappelle ensuite avoir conclu, dans maintes affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Pélissier et Sassi, précité). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis en l’espèce, elle considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans la présente affaire. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

  49. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
  50. 2.  Article 13


  51.   A la lumière des considérations exprimées ci-dessus (paragraphes 34-35 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu à examiner ce grief.
  52. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  53. .  Le requérant se plaint d’avoir subi des mauvais traitements lors de sa garde à vue.
  54. 43.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour tardiveté. Il reproche en effet au requérant de ne pas avoir introduit sa Requête dans les six mois ayant suivi la décision du 24 septembre 2003 relative au rejet de son opposition contre l’ordonnance de non-lieu. Il reconnaît que cette décision n’a pas été notifiée au requérant ou à son avocat, mais il estime que les intéressés auraient dû se montrer diligents et suivre l’affaire.

    44.  Le requérant affirme avoir pris connaissance de cette décision tardivement.

    45.  La Cour rappelle que la règle du délai de six mois prévue à l’article 35 de la Convention constitue un facteur de sécurité juridique (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 50, série A no 12). Cette règle marque la limite temporelle du contrôle exercé par la Cour et signale, à la fois aux individus et aux autorités de l’Etat, la période au-delà de laquelle ce contrôle n’est plus possible (voir, entre autres, Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000-I, Iordache c. Roumanie (déc.), no 55092/00, 23 mars 2004, et Georgios Cheilas c. Grèce (déc.), no 9693/03, 12 mai 2005).

    46.  La Cour a déjà jugé que, lorsque le requérant est en droit de se voir signifier d’office la décision interne définitive par la communication d’une copie de celle-ci, il est plus conforme à l’objet de cette disposition de considérer que le délai de six mois commence à courir à la date de la communication de la copie de la décision (Worm c. Autriche, 29 août 1997, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1997-V).

    47.  La Cour observe qu’en droit turc les décisions relatives au rejet d’un recours en opposition sont normalement signifiées aux parties. La cour d’assises de Beyoğlu a d’ailleurs explicitement ordonné la notification au requérant de sa décision du 24 septembre 2003 par la voie du parquet. La Cour note cependant que cette décision, qui constitue la décision interne définitive au regard de l’article 35 de la Convention, n’a pas été notifiée au requérant ou à son avocat.

    48.  Cela étant, elle relève que la présente Requête a été introduite le 12 décembre 2007, soit plus de quatre ans après la décision interne définitive. Le requérant se borne à indiquer qu’il a pris connaissance tardivement de la décision en question, sans expliquer quand et dans quelles circonstances il en a été informé. Or la Cour estime qu’il appartenait à l’intéressé de suivre la procédure devant les juridictions nationales et de faire preuve de diligence pour s’informer plus tôt de l’issue de son recours en opposition.

    49.  Certes, la Cour a déjà jugé que l’on ne peut exiger du justiciable qu’il vienne s’informer jour après jour de l’existence d’un arrêt qui ne lui a jamais été notifié (Papageorgiou c. Grèce, 22 octobre 1997, § 32, Recueil 1997-VI). Elle estime toutefois que le délai qui s’est écoulé entre la décision interne définitive et la date à laquelle le requérant a introduit sa Requête prête à critique. Il s’agit en effet d’une période relativement longue - plus de quatre ans - pendant laquelle le requérant est resté inactif, n’entreprenant aucune démarche auprès des autorités pour s’informer de l’issue de la procédure.

    50.  La Cour reconnaît que le requérant était détenu pendant cette période et qu’il n’était pas représenté par un avocat dans le cadre de la procédure d’opposition. Elle estime cependant que l’intéressé ne se trouvait dans une situation de vulnérabilité telle qu’elle l’aurait empêché d’obtenir des informations sur l’issue de son recours.

    51.  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le retard pris par le requérant à s’informer de l’issue de son recours en opposition et de la décision du 24 septembre 2003 est dû à sa propre négligence.

    52.  Partant, la Cour retient l’exception du Gouvernement. Il s’ensuit que la présentation de ce grief est tardive et que celui-ci doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION


  55. .  Bien que le grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention ait été initialement communiqué au Gouvernement, il ressort de l’examen du dossier qu’il n’a pas été valablement soulevé. En effet, le requérant n’a pas invoqué, pas même en substance, l’article 5 § 4 de la Convention.

  56. .  Il s’ensuit que cette partie de la Requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
  57. V.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  58. .  Le requérant se plaint que son épouse ait été placée en garde à vue pendant six jours, en même temps que lui.

  59. .  La Cour note que le fait dénoncé remonte au mois de décembre 2001. Il s’ensuit que ce grief est tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  60. VI.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    57.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  61. .  Le requérant réclame 40 000 euros (EUR) et 60 000 EUR respectivement pour le préjudice matériel et pour le préjudice moral qu’il aurait subis à raison de la violation des articles 5 § 3 et 6 § 1 de la Convention.

  62. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  63. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc cette demande.

  64. .  En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 9 000 EUR pour dommage moral.
  65. B.  Frais et dépens


  66. .  Le requérant n’a pas présenté de demande de remboursement de frais et dépens.

  67. .  Partant, il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
  68. C.  Intérêts moratoires


  69. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  70. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de la durée de la détention provisoire et de la durée de la procédure pénale ainsi que de l’absence en droit interne d’un recours permettant au requérant d’obtenir l’examen de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas lieu à examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 9 000 EUR (neuf mille euros), à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
    Greffier de section                                                                     Président


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