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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> M.E. v. FRANCE - 50094/10 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 514 (06 June 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/514.html
Cite as: [2013] ECHR 514

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    CINQUIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE M.E. c. FRANCE

     

    (Requête no 50094/10)

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    6 juin 2013

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire M.E. c. France,

    La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

              Mark Villiger, président,
              Ann Power-Forde,
              Ganna Yudkivska,
              André Potocki,
              Paul Lemmens,
              Helena Jäderblom,
              Aleš Pejchal, juges,

    et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 mai 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50094/10) dirigée contre la République française et dont un ressortissant égyptien, M. M.E. (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 août 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

  2. .  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me O. Andreini, avocat à Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant allègue que la mise à exécution de la décision des autorités françaises de l’éloigner vers l’Egypte l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Invoquant les articles 13 et 3 combinés, il soutient ne pas avoir disposé d’un recours effectif en France en raison de l’examen de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire.

  4. .  Le 1er février 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
  7. A.  Quant aux faits survenus en Egypte


  8. .  Le requérant est né en 1973 et réside à Metz-Queuleu.

  9. .  Le requérant est un ressortissant égyptien, chrétien copte, originaire de la ville d’Assiout. Il fut baptisé lorsqu’il était nourrisson et grandit au sein de la communauté chrétienne copte d’Assiout. Il y reçut son éducation religieuse, et était enfant de chœur. Il assistait tous les vendredis soirs à la célébration, tous les dimanches à la messe et pratiquait tous les ans le jeûne appelé « la vierge » au mois d’août. A l’intérieur du poignet droit, il porte un tatouage en forme de croix, depuis l’âge de treize ans, pratique répandue chez les chrétiens coptes d’Egypte. Il garde toujours avec lui une médaille de la vierge. Il devint rapidement un membre très actif de la communauté copte d’Assiout, et animait notamment le chant à la messe tous les dimanches. Il vivait avec ses parents et ses deux jeunes sœurs et travaillait dans une station-service.

  10. .  A partir du mois de mai 2007, sa famille et lui-même furent la cible d’attaques en raison de leurs croyances religieuses. Sa famille vivait dans une maison louée à un propriétaire de confession musulmane. Durant le mois de mai, en fin d’après-midi, alors que sa mère, ses sœurs et lui-même étaient à leur domicile, un groupe d’une dizaine de personnes musulmanes entra dans la maison et des hommes le frappèrent.

  11. .  Près d’un mois plus tard, le propriétaire de leur domicile découvrit que la famille du requérant était copte en entendant le requérant chanter des chants religieux. Il expulsa immédiatement le requérant et sa famille, sans aucune compensation ni préavis, les exposant ainsi à l’ensemble du voisinage. Sa famille trouva un nouveau logement dans un petit studio loué à un propriétaire copte de la ville. Le requérant tenta de porter plainte contre cette expulsion locative, mais la police refusa d’enregistrer sa plainte.

  12. .  Après la première attaque contre sa famille, le requérant, considéré comme le représentant de la famille, son père étant âgé et lui-même étant fils unique, fut directement visé par les agressions.

  13. .  A la même période, en mai 2007, deux jeunes personnes récemment converties au christianisme sollicitèrent du requérant un enregistrement de ses chants. Il enregistra un CD, inscrivit son nom à l’intérieur et le donna à ces deux jeunes hommes. Dans les jours qui suivirent, trois hommes de confession musulmane commencèrent à le suivre dans la rue quand il se rendait à l’Eglise. Ils le prirent à partie à plusieurs reprises, l’insultèrent et le battirent à deux occasions.

  14. .  La première fois, le 25 mai 2007, le requérant n’eut aucune trace des coups portés. Il déposa cependant une plainte le jour même auprès du commissariat de police d’Assiout, sans qu’aucune suite n’y ait été donnée.

  15. .  La seconde fois, le 15 juin 2007, il dut se rendre à l’hôpital pour se faire soigner. Un certificat médical fut établi, constatant des traces d’hématomes au dos et à la poitrine, ainsi qu’un début de commotion cérébrale. Un « rapport d’information » fut rédigé le jour même par le centre de police de l’hôpital, mentionnant l’attaque du requérant en raison de ses activités chrétiennes. Aucune suite ne fut apportée à cette plainte.

  16. .  Ses agresseurs l’assimilèrent à un prédicateur, lui reprochant de faire du prosélytisme et d’avoir converti plusieurs jeunes musulmans. Aux attaques verbales et physiques des mois de mai et juin 2007 s’ajoutèrent des menaces de mort, laissées à son domicile, qui se firent de plus en plus pressantes.

  17. .  Ses agresseurs, membres de la famille des deux jeunes hommes récemment convertis au christianisme, déposèrent une plainte à l’encontre du requérant pour prosélytisme.

  18. .  Au mois d’août 2007, le requérant reçut une convocation émanant d’un enquêteur de la branche criminelle, traduite par un interprète d’une association présente en centre de rétention, laquelle énonce comme suit :
  19. « Des rapports ont été reçus disant que Monsieur M. E. domicilié au (...) menait des campagnes missionnaires régulières, qui avaient pour objectif la conversion au christianisme de jeunes qui avaient besoin d’argent et d’enfants. Il utilisait des ouvrages et des vidéos qui offensent l’Islam et les musulmans.

    Selon ces rapports, il aurait été exposé à des violences perpétrées par des groupes islamiques, qui lui auraient causé des blessures. Ces informations ont été données au doyen, président de la branche criminelle qui a ordonné d’exécuter les enquêtes nécessaires pour fixer la vérité.

    Un groupe a été créé à l’aide de nos sources secrètes pour exécuter les enquêtes nécessaires. Avec le temps nécessaire, les enquêtes ont démontré la véracité de ces rapports. Elles ont prouvé le fait que M. E. persévère dans ces campagnes missionnaires et dans le développement de celles-ci, et qu’il a participé à la conversion de deux jeunes musulmans ce qui a causé des tensions négatives dans le village. Nos sources secrètes ont certifié qu’il distribue des livres religieux et qu’il participe à la publication de tracts et de cassettes qui offensent l’Islam et les musulmans. De plus, nos sources secrètes ont certifié que la population qu’il vise principalement concerne de jeunes musulmans. Il organisait des rencontres individuelles secrètes avec eux et les emmenait devant un ministère (religieux) pour montrer qu’ils étaient devenus chrétiens. Toutes ces activités ont causé des tensions entre les représentants des différentes religions et une situation d’insécurité générale.

    Ces rapports ont été remis au doyen, président de la branche criminelle qui a décidé de les présenter à l’agent de la sécurité générale pour obtenir auprès du procureur général, l’autorisation de procéder à l’arrestation de Monsieur M. E. Ces rapports ont ensuite été montrés au procureur d’Assiout qui a obtenu de la part du procureur général l’autorisation d’arrestation. »


  20. .  Le 20 août 2007, le requérant fut convoqué au commissariat d’Assiout et placé en garde à vue. Il réussit à être libéré sous caution grâce à l’intervention d’un avocat copte, Me A.H.

  21. .  Un procès fut ouvert à son encontre, mais le requérant ne se présenta pas au tribunal et quitta l’Egypte le 21 septembre 2007 par avion.

  22. .  Depuis son départ d’Assiout en août 2007, sa famille ne subit plus de persécutions aussi graves que celles dont lui-même avait fait l’objet auparavant.

  23. .  La procédure pénale engagée à l’encontre du requérant fin août 2007 s’acheva par une condamnation par contumace à trois années de prison pour prosélytisme, rendue le 21 juillet 2009 par le tribunal d’Assiout. Le 16 juin 2010, la police se présenta à son domicile à Assiout pour lui remettre une convocation.
  24. B.  Quant aux faits survenus en France


  25. .  A son arrivée en France en septembre 2007, le requérant n’entreprit aucune démarche auprès des autorités françaises pour en obtenir la protection car il ignorait qu’il existait une procédure telle que la procédure d’asile. Il dit n’avoir pris connaissance de cette procédure qu’après son placement au centre de rétention de Metz lors de son entretien avec l’association présente dans ledit centre.

  26. .  Interpellé le 13 août 2010 par les autorités allemandes alors qu’il rendait visite à un ami en Allemagne, le requérant fut remis aux autorités françaises.

  27. .  Placé en garde à vue, il fit l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière délivré par le préfet de la Moselle le 14 août 2010. Il fut ensuite placé en centre de rétention.

  28. .  Il contesta, d’une part, l’arrêté préfectoral devant le tribunal administratif de Strasbourg, lequel rejeta son recours le 17 août 2010. Sous l’angle de l’article 3 de la Convention, le tribunal statua par ces motifs :
  29. « Considérant que si [M.E.] invoque qu’il courrait des risques en cas de retour en Egypte en raison de son appartenance à la communauté copte, l’intéressé, qui n’a d’ailleurs jamais sollicité son admission au statut de réfugié, n’apporte aucun élément probant de nature à établir la réalité des risques personnels que comporterait pour lui le retour dans son pays ; que le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut dès lors être accueilli. »


  30. .  Le requérant interjeta appel de cette décision.

  31. .  D’autre part, il déposa, dès son arrivée au centre de rétention, une demande d’asile, qui fut traitée en procédure prioritaire. Il explique que sa demande fut enregistrée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 23 août 2010, date à laquelle il n’avait pas encore récupéré la traduction des documents qui lui avaient été transmis d’Egypte. Il explique avoir été soumis, lors de l’entretien, à la pression de l’interprète, lequel lui enjoignait de faire des réponses rapides et très courtes. Le compte rendu de l’OFPRA précise qu’il peut être tenu pour établi que le requérant appartient à la communauté copte mais que les déclarations du requérant sur les raisons pour lesquelles il aurait été accusé de prosélytisme sont insuffisamment étayées et que les documents joints à la demande ne sont pas traduits.

  32. .  Par une décision en date du 27 août 2010, l’OFPRA rejeta la demande d’asile aux motifs notamment que les déclarations manquaient de précisions. L’OFPRA énonce ainsi :
  33. « Toutefois, si les déclarations de l’intéressé, entendu à l’Office le 26 août 2010, permettent d’établir son appartenance à la communauté copte, elles sont peu convaincantes concernant les persécutions dont il fait état.

    Il apporte peu de précisions sur les circonstances dans lesquelles une personne d’origine musulmane lui aurait demandé la copie de l’un de ses enregistrements et il n’explique pas pourquoi il aurait été accusé de prosélytisme de ce fait.

    Par ailleurs, il évoque de manière peu détaillée et peu personnalisée les deux agressions dont il aurait été victime.

    (...)

    Enfin, les documents joints à sa demande ne peuvent à eux seuls suffire pour établir les faits invoqués en l’absence de déclarations convaincantes.

    Dès lors, l’ensemble de ses déclarations ne permet pas de tenir pour établie la réalité des faits allégués et de conclure au bien-fondé de ses craintes actuelles et personnelles d’être exposé à des persécutions ou des menaces graves en cas de retour dans son pays. »


  34. .  Le requérant estime cependant avoir été contraint à la concision par l’interprète fourni par l’OFPRA.

  35. .  Le 31 août 2010, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 1er septembre suivant, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers l’Egypte pour la durée de la procédure devant la Cour.

  36. .  Par un arrêt en date du 24 mars 2011, la cour administrative d’appel de Nancy rejeta la requête du requérant tendant à l’annulation du jugement du 17 août 2010, aux motifs qu’il n’apportait aucun élément probant de nature à établir la réalité des risques personnels que comporterait pour lui le retour dans son pays et que, d’ailleurs, sa demande d’asile avait été rejetée par l’OFPRA. Estimant un tel recours dénué de toute effectivité, le requérant ne forma pas de pourvoi en cassation contre cette décision.

  37. .  Saisie par le requérant, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le 3 juin 2011, confirma la décision de l’OFPRA. Elle considéra, en effet, que le récit du requérant, notamment concernant les circonstances dans lesquelles il aurait communiqué un disque de musique religieuse à des musulmans, l’identité des plaignants et le motif de sa condamnation, manquait de précisions, que les documents judiciaires versés au dossier ne présentaient pas de garanties d’authenticité suffisantes et que le rapport d’Amnesty International sur la situation en Egypte de la communauté copte n’étayait pas utilement le récit. Le requérant ne forma pas de pourvoi en cassation contre cette décision pour les mêmes raisons que précédemment exposées.
  38. II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

    A.  Le droit français


  39. .  Les principes généraux régissant la procédure d’asile dite prioritaire appliquée aux demandeurs en rétention et le recours devant le tribunal administratif contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sont résumés dans l’arrêt I.M. c. France (no 9152/09, §§ 49-63 et §§ 64-74, 2 février 2012).
  40. B.  Texte de l’Union Européenne

    33.  La directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres prévoit en son article 23 :

    Article 23
    Procédure d
    examen

    « 1.  Les États membres traitent les demandes dasile dans le cadre dune procédure dexamen conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II.

    (...)

    3.  Les États membres peuvent donner la priorité à une demande ou en accélérer lexamen dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, y compris lorsque la demande est susceptible dêtre fondée ou dans les cas où le demandeur a des besoins particuliers.

    4.  Les États membres peuvent également décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, quune procédure dexamen est prioritaire ou est accélérée lorsque :

    a)  le demandeur na soulevé, en déposant sa demande et en exposant les faits, que des questions sans pertinence ou dune pertinence insignifiante au regard de lexamen visant à déterminer sil remplit les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE; ou

    b)  le demandeur qui manifestement ne peut être considéré comme un réfugié ou ne remplit pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié dans un État membre en vertu de la directive 2004/83/CE; ou

    c)  la demande dasile est considérée comme infondée

    i)  parce que le demandeur provient dun pays dorigine sûr au sens des articles 29, 30 et 31, ou

    ii)  parce que le pays qui nest pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur sans préjudice de larticle 28, paragraphe 1, ou

    d)  le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité et/ou sa nationalité et/ou lauthenticité de ses documents, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable, ou

    e)  le demandeur a introduit une autre demande dasile mentionnant dautres données personnelles, ou

    f)  le demandeur na produit aucune information permettant détablir, avec une certitude suffisante, son identité ou sa nationalité, ou sil est probable que, de mauvaise foi, il a procédé à la destruction ou sest défait de pièces didentité ou de titres de voyage qui auraient aidé à établir son identité ou sa nationalité, ou

    g)  la demande formulée par le demandeur est manifestement peu convaincante en raison des déclarations incohérentes, contradictoires, peu plausibles ou insuffisantes quil a faites sur les persécutions dont il prétend avoir fait lobjet, visées dans la directive 2004/83/CE, ou

    h)  le demandeur a introduit une demande ultérieure dans laquelle il ninvoque aucun élément nouveau pertinent par rapport à sa situation personnelle ou à la situation dans son pays dorigine, ou

    i)  le demandeur na pas introduit plus tôt sa demande, sans motif valable, alors quil avait la possibilité de le faire, ou

    j)  le demandeur ne dépose une demande quafin de retarder ou dempêcher lexécution dune décision antérieure ou imminente qui entraînerait son expulsion, ou

    k)  sans motif valable, le demandeur na pas rempli les obligations qui lui incombent en vertu de larticle 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/83/CE, ou de larticle 11, paragraphe 2, points a) et b), et de larticle 20, paragraphe 1, de la présente directive, ou

    l)  le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire de lÉtat membre et, sans motif valable, ne sest pas présenté aux autorités et/ou na pas introduit sa demande dasile dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée sur le territoire, ou

    m)  le demandeur représente un danger pour la sécurité nationale ou lordre public de lÉtat membre; ou le demandeur a fait lobjet dune décision déloignement forcé pour des motifs graves de sécurité nationale ou dordre public au regard du droit national, ou

    n)  le demandeur refuse de se conformer à lobligation de donner ses empreintes digitales conformément à la législation communautaire et/ou nationale pertinente, ou

    o)  la demande a été introduite par un mineur non marié auquel larticle 6, paragraphe 4, point c), sapplique après que la demande déposée par le ou les parents responsables du mineur a été rejetée et aucun élément nouveau pertinent na été apporté en ce qui concerne la situation personnelle du demandeur ou la situation dans son pays dorigine. »

    III.  TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX


  41. .  Amnesty International formule une déclaration publique, publiée le 12 janvier 2010, dans laquelle il est fait part des préoccupations quant à l’absence de protection des minorités religieuses par les autorités égyptiennes. La déclaration est formulée en ces termes :
  42. « Amnesty International a condamné ce mardi 12 janvier la fusillade qui a fait six morts et blessé des dizaines de personnes le 6 janvier dans le sud du pays au cours d’une attaque dirigée contre la minorité copte d’Égypte. Au vu des menaces répétées contre les coptes d’Égypte, l’organisation demande aux autorités égyptiennes d’ouvrir une enquête crédible sur la fusillade et de prendre des mesures pour protéger les minorités religieuses de telles attaques.

    (...)

    Bien que des menaces de nouvelles violences contre les coptes aient été proférées à Nagaa Hammadi, après les troubles survenus dans la région en novembre 2009, les autorités égyptiennes n’ont, semble-t-il, pas pris de mesures pour leur assurer une protection adéquate en accroissant les mesures de sécurité. Les forces de sécurité, habituellement déployées lors des fêtes pour protéger les églises et les quartiers adjacents et restreindre la circulation dans les rues voisines, étaient absentes.

    La fusillade de la semaine dernière est l’attaque la plus meurtrière jamais perpétrée contre des coptes depuis l’attaque de 2000 qui avait fait plus d’une vingtaine de morts dans le village de Kosheh, dans le gouvernorat de Sohag, à quelque 500 kilomètres au sud du Caire.

    (...)

    La violence intercommunautaire entre chrétiens et musulmans éclate souvent à la suite de querelles de familles ou de personnes. Amnesty International et les organisations égyptiennes de défense des droits humains ont noté une augmentation du nombre d’attaques pour des motifs confessionnels contre la communauté copte d’Égypte, qui représente entre 6 et 8 millions de personnes dans ce pays.

    Amnesty International demande instamment aux autorités égyptiennes de prendre des mesures positives pour faire en sorte que le droit à la sécurité et l’intégrité des personnes appartenant à la minorité copte ou aux autres minorités religieuses soit respecté et que les personnes soupçonnées d’actes de violence soient jugées lors de procès conformes aux normes internationales d’équité des procès, excluant le recours à la peine de mort. (...) »


  43. .  Le 2010 Report on International Religious Freedom - Egypt, publié le 17 novembre 2010 par le Département d’Etat américain, rapporte notamment :
  44. « (...) The government failed to prosecute perpetrators of violence against Coptic Christians in a number of cases, including in Baghoura, Farshout, and Marsa Matruh. Despite statements from President Mubarak and other senior government officials condemning sectarian incitement and violence, on November 24, 2009, the governor of Minya publicly denied any sectarian violence occurred in his governorate although such incidents were documented. The government again failed to redress laws - particularly laws relating to church construction and renovation - and governmental practices, especially government hiring, that discriminate against Christians, effectively allowing their discriminatory effects and their modelling effect on society to become further entrenched. The government continued to sponsor informal reconciliation sessions following sectarian attacks. This practice generally prevented the criminal prosecution of perpetrators of crimes against Copts, precluded their recourse to the judicial system for restitution, and contributed to a climate of impunity that encouraged further assaults. In positive steps, the government issued identification documents to some unmarried members of the Baha’i community; it arrested and began prosecuting four alleged perpetrators of a sectarian attack against Copts in Naga Hammadi; and a court in Qena sentenced five Muslims to life imprisonment for murdering two Christians.

    There continued to be religious discrimination and sectarian tension in society during the period covered by this report, and some religious groups and activists reported an increase in sectarian tensions. For example, on January 6, 2010, in the city of Naga Hammadi, six Copts and one Muslim were killed in an attack on worshippers following Coptic Christmas Mass.

    The ambassador, senior administration officials, and members of Congress continued to raise U.S. concerns about religious discrimination with senior government officials and directly with the public. Specifically, embassy officers and other U.S. Department of State officials raised concerns with the government about ongoing discrimination that Christians face in building and maintaining church properties, sectarian violence, the government’s use of informal reconciliation instead of criminal prosecutions, and the state’s treatment of Muslim citizens who hold heterodox beliefs or convert to other religions. (...) »


  45. .  Dans son 2011 Report on International Religious Freedom - Egypt, publié le 30 juillet 2012, le Département d’Etat américain fait encore état des nombreuses violences exercées à l’encontre des chrétiens coptes d’Egypte par des personnes privées mais également par l’Etat lui-même. Il répertorie ainsi les différentes attaques subies par les membres de la communauté copte au cours de l’année 2011 ; il évoque notamment l’attentat perpétré, le 1er janvier 2011, devant une église chrétienne copte à Alexandrie, ayant fait vingt-trois morts et de nombreux blessés parmi les fidèles qui sortaient de la messe de minuit célébrée le jour de l’an, et la violente répression, par les forces de l’ordre, en octobre 2011, d’une manifestation de coptes au cours de laquelle vingt-cinq personnes ont été tuées et près de trois cent trente blessées. Le rapport souligne la réticence des autorités égyptiennes à poursuivre les agresseurs. A ce jour en effet, aucune enquête impartiale et indépendante sur les circonstances de ces violences n’a été menée et les responsables n’ont pas été poursuivis.
  46. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  47. .  Le requérant se plaint de ce qu’il serait soumis à des traitements contraires à l’article 3 en cas d’exécution de la mesure de renvoi vers l’Egypte, son pays d’origine. L’article 3 de la Convention se lit comme suit :
  48. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    38.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties


  49. .  Le requérant expose, tout d’abord, que les coptes font l’objet de nombreuses persécutions qui augmentent avec la montée du radicalisme et qui sont particulièrement fortes à Assiout, berceau de l’islamisme radical en Egypte. Il s’appuie notamment sur un rapport d’Amnesty International de 2009, lequel fait état de l’augmentation des attaques, pour des motifs confessionnels, à l’encontre de la communauté copte d’Egypte et recense divers incidents intervenus entre octobre 2005 et janvier 2010 (attaques d’églises coptes par des musulmans, agressions de coptes, saccages de maisons appartenant à des coptes, fusillade dirigée contre des coptes, ...). Le requérant fait valoir que le printemps arabe et la chute du président Hosni Moubarak n’ont pas mis un terme à ces violences interreligieuses. Il soutient, en outre, que les mesures prises par les autorités égyptiennes pour protéger la minorité copte sont insuffisantes, et que les poursuites contre les auteurs des persécutions sont rares et se terminent fréquemment par des condamnations très légères.

  50. .  S’agissant plus précisément des persécutions qu’il a personnellement subies, le requérant explique avoir été agressé à plusieurs reprises au cours de l’année 2007, l’une des agressions l’ayant contraint à se faire hospitaliser. Les autorités égyptiennes n’auraient rien fait pour le protéger et, au contraire, elles auraient même ouvert une enquête pénale à son encontre. Le requérant rappelle, par ailleurs, avoir été poursuivi et condamné, après son départ du pays, à trois ans d’emprisonnement pour prosélytisme après avoir vendu à des jeunes musulmans des CDs de chants liturgiques. Alléguant être toujours recherché, il produit une convocation le concernant, reçue par sa famille en janvier 2010, afin qu’il exécute la peine de prison à laquelle il a été condamné.

  51. .  Le requérant en conclut qu’il reste exposé à un risque réel et sérieux de mauvais traitements en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi vers l’Egypte

  52. .  Le Gouvernement soutient, à titre principal, qu’il ne ressort pas des rapports internationaux que les coptes sont systématiquement exposés à des mauvais traitements en Egypte et que le requérant n’est pas parvenu à apporter la preuve contraire tant devant les autorités administratives que dans le cadre de la procédure d’asile.

  53. .  Le Gouvernement dénonce ensuite les contradictions et les imprécisions dont le récit du requérant serait truffé. Le requérant aurait ainsi expliqué à la Cour avoir été persécuté pour avoir donné copie d’un enregistrement de chants religieux à deux jeunes chrétiens récemment convertis alors qu’il aurait affirmé, devant les autorités en charge de l’asile, avoir donné cet enregistrement à un jeune musulman. De même, alors qu’il n’aurait fourni, devant l’OFPRA, aucun élément concernant ses agresseurs, le requérant aurait affirmé, devant la Cour, que ceux-ci étaient les frères des deux jeunes chrétiens convertis et, devant la cour administrative d’appel, qu’ils étaient un groupe de musulmans d’une dizaine d’hommes.
  54. 44.  Le Gouvernement souligne enfin que l’existence d’un risque de mauvais traitements à l’encontre du requérant a été examinée tant par les juridictions administratives que par l’OFPRA. Ces examens successifs n’ont, selon lui, pas permis de conduire à l’existence d’un tel risque.


  55. .  Au vu de ces éléments, le Gouvernement conclut au caractère infondé du grief.
  56. 2.  Appréciation de la Cour


  57. .  Sur le fond, la Cour se réfère aux principes applicables en la matière (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124-125, CEDH 2008, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, CEDH 2011).

  58. .  En particulier, la Cour considère qu’il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé à un risque de traitements contraires à l’article 3, à charge ensuite pour le Gouvernement de dissiper les doutes éventuels au sujet de ces éléments (Saadi, précité, § 129). Elle rappelle également qu’il ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 29, série A no 269, à propos de l’article 3) (art. 3).

  59. .  En outre, l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de renvoi et des circonstances propres au cas de l’intéressé. Lorsque les sources dont la Cour dispose décrivent une situation générale, les allégations spécifiques du requérant doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve (Saadi, précité, §§ 130-131).

  60. .  Enfin, s’il convient de se référer en priorité aux circonstances dont l’Etat en cause avait connaissance au moment de l’expulsion, la date à prendre en compte pour l’examen du risque encouru est celle de la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1996-V).

  61. .  Sur la situation générale en Egypte, les rapports consultés dénoncent les nombreuses violences et persécutions subies par les chrétiens coptes d’Egypte au cours des années 2010 et 2011, mais également la réticence des autorités égyptiennes à poursuivre les agresseurs. Les parties ne fournissent aucun élément permettant de penser que la situation des coptes s’est améliorée au cours de l’année 2012. Malgré cela, la Cour, en l’état des informations dont elle dispose, est d’avis que l’on ne peut conclure à un risque généralisé, pour tous les coptes, suffisant à entraîner une violation de l’article 3 en cas de retour vers l’Egypte.

  62. .  Sur les risques personnels encourus en cas de renvoi dans son pays d’origine, le requérant rappelle les persécutions déjà subies en raison de son appartenance à la minorité copte et fait valoir qu’il risque d’en subir à nouveau notamment en raison de sa condamnation par contumace pour des faits de prosélytisme. La Cour note que le requérant produit de nombreux documents dont l’authenticité n’est pas contestée par le Gouvernement et notamment deux convocations, l’une devant un tribunal datant de 2007 et l’autre du 16 juin 2010 émanant de la police d’Assiout, démontrant qu’il est encore aujourd’hui activement recherché. Certes, le requérant encourt trois ans de prison ferme, peine a priori à elle seule insuffisante au regard du seuil de gravité exigé s’agissant de l’article 3 de la Convention. Tout porte à croire cependant que le requérant pourrait, en tant que prosélyte reconnu et condamné, être une cible privilégiée de persécutions et de violences de la part d’intégristes musulmans, qu’il soit libre ou incarcéré. Même si ces risques proviennent de personnes privées et non pas directement de l’Etat, l’absence de réaction de la part des autorités de police face aux plaintes déposées par les chrétiens coptes, dénoncées par les rapports internationaux, instaure un doute sérieux quant à la possibilité pour le requérant de recevoir une protection adéquate de la part des autorités égyptiennes.

  63. .  Ainsi, la Cour estime, au vu du profil du requérant et de la situation des chrétiens coptes en Egypte, qu’il existe, dans les circonstances particulières de l’espèce, un risque réel qu’il soit soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de la part des autorités égyptiennes en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi.

  64. .  Par conséquent, la décision de renvoyer le requérant vers l’Egypte emporterait violation de cette disposition si elle était mise à exécution.
  65. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION


  66. .  Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié en droit français d’un recours effectif pour faire valoir son grief sous l’article 3, au mépris de l’article 13 de la Convention, en raison du traitement de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire. La seconde de ces dispositions se lit comme suit :
  67. « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    A.  Sur la recevabilité

    55.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties


  68. .  Le requérant estime que la procédure d’examen de sa demande d’asile n’était pas effective dans la mesure où elle a été traitée par voie prioritaire, c’est-à-dire dans des délais raccourcis et avec un recours devant la CNDA ne bénéficiant pas d’un effet suspensif. Sa demande d’asile, introduite le 20 août 2010, a été examinée par l’OFPRA, en quarante-cinq minutes, le 26 août 2010 et la décision de l’OFPRA a été prise le lendemain matin. Le requérant fait ainsi valoir qu’il a dû faire sa demande d’asile en urgence, grâce à un interprète avec lequel il communiquait par téléphone, sans pouvoir fournir de traduction assermentée de ses documents et sans pouvoir réunir l’ensemble des documents corroborant ses dires. Le requérant expose que c’est parce qu’il ne disposait pas d’un recours suspensif de l’éloignement contre la décision de l’OFPRA qu’il a été obligé de saisir la Cour d’une demande de mesure provisoire.

  69. .  Après avoir décrit les motifs pour lesquels la procédure prioritaire peut s’appliquer, le Gouvernement explique que la demande d’asile du requérant a été placée en procédure prioritaire car elle a été considérée comme reposant sur une « fraude délibérée » ou constituant « un recours abusif à l’asile » sur la base du 4o de l’article L. 741-4 du CESEDA. L’objectif de ce dispositif est de pouvoir faire face à des demandes s’analysant comme un détournement de la procédure d’asile dans le seul but d’échapper à un éloignement et qui paraissent étrangères à une problématique de protection. Tel a, selon le Gouvernement, été le cas du requérant qui n’a jamais introduit de demande d’asile avant son arrestation et sa rétention administrative.

  70. .  Le Gouvernement expose ensuite que l’application de la procédure prioritaire et ses modalités d’application ne remettent pas en cause l’effectivité du recours devant l’OFPRA. Il souligne, en premier lieu, l’indépendance selon lui incontestable de l’OFPRA, garantie par son statut. Se référant aux modalités de la procédure prioritaire, il expose ensuite que les garanties d’examen restent les mêmes que la procédure soit « normale » ou « prioritaire ». La procédure prioritaire n’est qu’une procédure dérogatoire en vue d’obtenir plus rapidement une décision. De plus, si l’OFPRA doit se prononcer dans un délai réduit, celui-ci n’est pas impératif et la décision peut être différée si des investigations particulières sont nécessaires.

  71. .  Le Gouvernement allègue, par ailleurs, que l’absence de caractère suspensif du recours devant la CNDA n’a pas privé le requérant d’un recours effectif. Il explique que seule la mesure d’éloignement ou d’expulsion était susceptible de faire grief au regard de l’article 3 de la Convention, puisqu’il faut en France une décision prise par l’autorité administrative pour éloigner l’étranger. La décision de rejet de l’OFPRA à elle seule, pas plus d’ailleurs que celle de la CNDA, ne peut entraîner l’éloignement de l’étranger. Il s’ensuit, selon le Gouvernement, que seule la saisine du juge administratif, autorité compétente pour annuler une mesure d’éloignement prise par le préfet, est pertinente au regard de l’article 13.

  72. .  Le Gouvernement soutient, enfin, que le recours devant le juge administratif dont a bénéficié le requérant satisfaisait aux exigences de l’article 13 combiné avec l’article 3. Informé sur les voies de recours disponibles lors de la notification de la mesure d’éloignement, le requérant a pu contester devant une juridiction l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière alors qu’il se trouvait en centre de rétention. Il a bénéficié d’une procédure contradictoire et de l’assistance d’un avocat. Le Gouvernement insiste, par ailleurs, sur le caractère suspensif du recours devant le tribunal administratif.
  73. 2.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes généraux

    61.  Les principes généraux relatifs à l’effectivité des recours et des garanties fournies par les Etats contractants en cas d’expulsion d’un demandeur d’asile en vertu des articles 13 et 3 combinés de la Convention sont résumés dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce précité, §§ 286 - 293. Dans cet arrêt, la Cour a d’abord rappelé le caractère subsidiaire que revêt, par rapport aux systèmes nationaux, le mécanisme de plainte devant elle, puisqu’elle se garde d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire vers le pays qu’il a fui (§§ 286 - 287).

    62.  Ensuite, la Cour a réitéré les principes inhérents à l’article 13 de la Convention, qui « garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils y sont consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit » (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 288).


  74. .  La Cour reconnaît une marge d’appréciation aux Etats contractants puisque « l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul » (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 53, CEDH 2007-II, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 289).

  75. .  L’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005-III), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 50, CEDH 2000-VIII) ainsi qu’une célérité particulière (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004-IV (extraits)) ; il requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002-I ; Gebremedhin, précité, § 66, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 290 - 293).
  76. b)  Application de ces principes au cas d’espèce


  77. .  Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié en droit français d’un recours effectif pour faire valoir son grief sous l’article 3, au mépris de l’article 13 de la Convention, en raison du traitement de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire

  78. .  La Cour est consciente de la nécessité pour les Etats confrontés à un grand nombre de demandeurs d’asile de disposer des moyens nécessaires pour faire face à un tel contentieux. Elle ne remet pas en cause l’intérêt et la légitimité de l’existence d’une procédure prioritaire, en plus de la procédure normale de traitement des demandes d’asile, pour les demandes dont tout porte à croire qu’elles sont infondées ou abusives. Elle note d’ailleurs que la directive européenne 2005/85 du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres donne à ces derniers la possibilité d’appliquer une procédure accélérée notamment lorsque des éléments clairs et évidents permettent aux autorités de considérer que le demandeur ne pourra pas bénéficier d’une protection internationale, lorsque la demande paraît frauduleuse ou lorsque, sans motif valable, elle n’a pas été présentée dans les délais les plus brefs suivant la date d’entrée sur le territoire.

  79. .  La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné la compatibilité de la procédure d’asile dite prioritaire appliquée aux demandeurs en rétention et le recours devant le tribunal administratif contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Dans l’arrêt I.M. c. France précité, §§ 49-63 et §§ 64-74, la Cour a jugé, quant à l’effectivité du système de droit interne pris dans son ensemble, que si les recours exercés par le requérant étaient théoriquement disponibles, leur accessibilité en pratique avait été limitée par plusieurs facteurs, liés pour l’essentiel au classement automatique de sa demande en procédure prioritaire, à la brièveté des délais de recours à sa disposition et aux difficultés matérielles et procédurales d’apporter des preuves alors que le requérant se trouvait en détention ou en rétention (ibid., § 154). La Cour a conclu à la violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 après avoir constaté qu’il s’agissait d’une première demande d’asile et que le requérant, gardé à vue puis détenu, n’avait pas eu la possibilité de se rendre en personne à la préfecture pour introduire une demande d’asile comme l’exige le droit français (ibid., §§ 141 et 143). Dans l’arrêt Sultani c. France (no 45223/05, §§ 64-65, CEDH 2007-IV (extraits)), la Cour a, au contraire, estimé que le réexamen d’une demande d’asile selon le mode prioritaire ne privait pas l’étranger en rétention d’un examen circonstancié dès lors qu’une première demande avait fait l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une procédure d’asile normale. Le simple fait qu’une demande d’asile soit traitée en procédure prioritaire et donc dans un délai restreint ne saurait en conséquence, à lui seul, permettre à la Cour de conclure à l’ineffectivité de l’examen mené.

  80.   En l’espèce, la Cour observe que, comme dans l’arrêt I.M. précité, le requérant est un primo-demandeur d’asile et que, du fait du classement en procédure prioritaire, il a disposé de délais de recours réduits et, partant, très contraignants pour préparer, en rétention, une demande d’asile complète et documentée en langue française, soumise à des exigences identiques à celles prévues pour les demandes déposées hors rétention selon la procédure normale. La Cour relève cependant qu’à la différence de l’arrêt I.M., le requérant a particulièrement tardé à former sa demande, ce qui a d’ailleurs justifié le classement en procédure prioritaire. En effet, ce n’est qu’en août 2010, lors de son placement en centre de rétention, que le requérant, arrivé pourtant sur le territoire français en septembre 2007, a sollicité l’asile. La Cour n’est pas convaincue par la thèse du requérant selon laquelle ce retard serait dû à son ignorance de l’existence d’une procédure d’asile. Elle en déduit que le requérant a donc disposé de trois années pour présenter une demande d’asile, laquelle aurait bénéficié d’un examen complet dans le cadre de la procédure normale, ou, à tout le moins, pour se procurer les documents de nature à étayer une telle demande d’asile pour parer la mesure d’éloignement qui, en raison du caractère irrégulier de son séjour en France, risquait d’être prise à son encontre.

  81. .  La Cour souligne que lorsqu’il a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, le requérant a pu former un recours suspensif devant le tribunal administratif et une demande d’asile, également suspensive, devant l’OFPRA. Ces recours sont certes enfermés dans des délais brefs de, respectivement, quarante-huit heures et cinq jours. Eu égard au caractère particulièrement tardif de la demande d’asile du requérant et, partant, à la possibilité qu’il avait de rassembler, au préalable, toute pièce utile pour documenter une telle demande, celui-ci ne peut cependant valablement soutenir que l’accessibilité des recours disponibles a été affectée par la brièveté des délais dans lesquels ceux-ci devaient être exercés et par les difficultés matérielles, notamment linguistiques, qu’il a rencontrées pour obtenir les preuves qui lui étaient nécessaires.

  82. .  Ces considérations amènent la Cour à conclure à l’absence de violation de l’article 13 combiné avec l’article 3.
  83. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR


  84. .  La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a)  lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b)  trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c)  lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

  85. .  Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphes 3-4 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.
  86. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    73.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  87. .  Le requérant demande 3 000 euros (EUR) pour le préjudice moral subi en raison de son séjour en centre de rétention et de la durée de son assignation à résidence.

  88. .  Il réclame, en outre, une somme de 10,83 EUR par jour à compter du 14 août 2010 au titre du préjudice matériel. Cette somme correspond, selon lui, au montant journalier de l’allocation temporaire d’attente qu’il aurait perçue quotidiennement si sa demande avait été examinée selon la procédure d’asile de droit commun.

  89. .  Le Gouvernement considère que la constatation éventuelle par la Cour d’une violation suffirait à assurer la réparation du préjudice moral allégué. Il fait, ensuite, valoir que l’évaluation du préjudice matériel est, en l’espèce, totalement hypothétique.

  90. .  La Cour considère qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, le constat d’une violation potentielle de l’article 3 de la Convention constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant. La Cour n’aperçoit, par ailleurs, pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.
  91. B.  Frais et dépens


  92. .  Le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Cour. Il demande 700 EUR pour ses frais d’avocat devant la CNDA et produit la facture correspondante. Il réclame également 250 EUR pour ses frais de traduction assermentée.

  93. .  Le Gouvernement estime qu’une somme de 700 EUR serait suffisante pour couvrir les frais et dépens engagés par le requérant.

  94. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 700 EUR pour la défense du requérant devant les autorités nationales. En l’absence de note d’honoraires au dossier pour les traductions assermentées, la Cour décide de ne rien allouer à ce titre.
  95. C.  Intérêts moratoires


  96. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  97. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit que, dans l’éventualité de la mise à exécution de la décision de renvoyer le requérant vers l’Egypte, il y aurait violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 ;

     

    4.  Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 700 EUR (sept cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Claudia Westerdiek                                                                Mark Villiger
           Greffière                                                                              Président


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