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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> HASANBASIC v. SWITZERLAND - 52166/09 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 520 (11 June 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/520.html
Cite as: [2013] ECHR 520

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE HASANBASIC c. SUISSE

     

    (Requête no 52166/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    11 juin 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Hasanbasic c. Suisse,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 février 2013 et 21 mai 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 52166/09) dirigée contre la Confédération suisse et dont deux ressortissants de la Bosnie-Herzégovine, M. Nusret Hasanbasic (« le requérant ») et Mme Blazenka Hasanbasic-Zucko (« la requérante ») ont saisi la Cour le 16 septembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .   Les requérants sont représentés par Me C. Flückiger, avocat à Berne. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’unité Droit européen et protection internationale des droits de l’homme de l’Office fédéral de la Justice.

  3. .  Les requérants allèguent que le refus des autorités d’octroyer au premier requérant un permis d’établissement n’était pas nécessaire dans une société démocratique et, dès lors, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

  4. .  Le 7 décembre 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine ne s’est pas prévalu de son droit de présenter des observations écrites en vertu de l’article 36 § 1 de la Convention.

  5. .  Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La Requête a été attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
  6. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .  Le requérant est né en 1956 et réside en Bosnie ; la requérante est née en 1951 et réside à Berne.

  8. .  La requérante arriva en Suisse en 1969. En 1979, elle obtint un permis d’établissement pour la Suisse.

  9. .  En 1979 et 1982, le premier requérant eut deux enfants issus d’un mariage avec X, dont l’un réside en Bosnie-Herzégovine. Ce mariage fut dissout ultérieurement. Toujours en 1982, le requérant eut un enfant avec la requérante, qu’il épousa à une date non indiquée.

  10. .  Le requérant entra en Suisse en janvier 1983 et y séjourna avec son épouse jusqu’en août 2004. Il disposa d’abord d’un permis de séjour, puis, à partir de 1993, d’un permis d’établissement.

  11. .  En 1984, naquit le deuxième enfant des requérants.

  12. .  En 1991, l’un des enfants du requérant issu de son premier mariage entra en Suisse au titre du regroupement familial.

  13. .  En août 2004, le requérant s’adressa à la police des étrangers (Fremdenpolizei) de la commune de Berne et annonça son départ définitif pour son pays d’origine, où il avait fait construire une maison. Par conséquent, son permis d’établissement prit fin. En outre, il se fit verser les droits de sa caisse de pension.

  14. .  En décembre 2004, le requérant revint en Suisse avec un visa de touriste et résida chez son épouse jusqu’au moment, non précisé exactement, où il quitta la Suisse à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral du 6 mars 2009 (paragraphe 20 ci-dessous ; voir également le paragraphe 23 ci-dessous).

  15. .  Le 10 juin 2005, la requérante, qui possède un titre d’établissement pour la Suisse depuis 1979, avait soumis une demande de regroupement familial en faveur de son époux auprès de la commune de Berne.

  16. .  Le 17 juillet 2005, le requérant eut un infarctus.

  17. .  Par une décision du 23 novembre 2006, cette demande fut rejetée et un délai de départ fut imparti au requérant. La commune estima que le refus était justifié en raison de la dépendance de la famille de l’assistance publique et de l’existence de dettes accumulées à hauteur d’environ 160 000 francs suisses (CHF), soit environ 133 300 euros (EUR). Par ailleurs, le requérant aurait été condamné pénalement à 9 reprises entre 1995 et 2002 (des amendes pouvant s’élever jusqu’à 400 CHF, ainsi qu’une peine d’emprisonnement de 17 jours (au total) pour plusieurs infractions à la législation sur la circulation routière et violation du domicile).

  18. .  La requérante recourut contre la décision de la commune de Berne. Le recours fut rejeté le 26 juin 2007 par la direction de la police et des affaires militaires du canton de Berne.

  19. .  Par un arrêt du Tribunal fédéral du 9 octobre 2008 (ATF 9C_395/2008), le requérant se vit octroyer une rente d’invalidité de 25 %. Cette rente ne lui serait pas versée en cas de retour en Bosnie-Herzégovine puisque seules les rentes à partir de 50 % sont versées à des personnes résidant à l’étranger (voir paragraphe 26 ci-dessous).

  20. .  Le 13 octobre 2008, un recours contre la décision de la police et des affaires militaires fut rejeté par le tribunal administratif du canton de Berne.

  21. .  Un autre recours des requérants fut rejeté en dernière instance par le Tribunal fédéral le 6 mars 2009. Cet arrêt fut notifié aux requérants le 16 mars 2009.
  22. Le Tribunal fédéral estima que, dans la mesure où les requérants faisaient valoir que le premier requérant n’était pas conscient des conséquences de sa déclaration de départ et qu’il ne s’agissait pas à vrai dire de l’octroi d’un nouveau titre de séjour, mais du non-renouvellement d’un permis dont il avait bénéficié pendant de longues années, celui-ci avait clairement exprimé son intention de quitter la Suisse de manière définitive. Il rappela également que le requérant avait commis plusieurs infractions, qui devaient être prises en compte, même si le requérant n’avait pas récidivé depuis 2002. Le Tribunal fédéral considéra également comme pertinent le fait que les requérants avaient accumulé des dettes importantes (215 actes de défaut de biens pour un montant total de 219 056,55 CHF, soit environ 182 550 EUR). Par ailleurs, ils ont touché de l’argent de l’assistance publique pour un montant de presque 150 000 CHF, soit environ 125 000 EUR pour la période entre 1994 et 2001 et de 183 000 CHF (environ 152 500 EUR) pour la période entre octobre 2003 et mars 2008. En outre, il présuma que les requérants seraient également dépendants de l’assistance à l’avenir.

    Le Tribunal fédéral ne mit pas en question le fait que les requérants avaient séjourné durant une longue période en Suisse et qu’ils y possèdent un réseau social important. Un retour dans leur pays les placerait sans doute devant des difficultés. En même temps, il releva que le requérant avait fait construire une maison dans son pays d’origine et que sa fille issue de son premier mariage et sa sœur y vivaient. En ce qui concerne ses problèmes de santé, le Tribunal fédéral estima que l’infrastructure médicale de la Bosnie-Herzégovine était susceptible de mettre à sa disposition les médicaments et traitements nécessaires. Enfin, l’argument selon lequel la requérante, d’origine croate, ne pourrait pas suivre son mari en Bosnie-Herzégovine pour des raisons ethniques et politiques, n’était pas étayé. Le Tribunal fédéral estima à cet égard que les requérants n’auraient pas fait construire une maison en Bosnie-Herzégovine si la requérante ne pourrait pas y séjourner à cause de son origine.


  23. .  Il ressort d’un certificat médical établi le 12 mai 2009 par les docteurs B.M. et F.A., spécialisés en endocrinologie et diabétologie, que le requérant souffre de diabète grave et qu’il a subi une opération cardiaque (by-pass) à la suite de l’infarctus en juillet 2005 (paragraphe 15 ci-dessus). Son mauvais état de santé l’obligerait à prendre notamment 18 médicaments différents et deux types d’insuline. Ces médecins estiment que ces médicaments ne sont pas disponibles en Bosnie-Herzégovine. En outre, il découle du certificat que le requérant souffre de dépression et que s’il ne prend pas les médicaments prescrits, un suicide ne serait pas à exclure. Grâce au traitement, son état de santé se serait stabilisé, mais dans l’hypothèse de son retour dans son pays d’origine, une menace grave pèserait sur son état de santé, pouvant aller jusqu’à la mort.

  24. .  Sur demande de la Cour, le requérant lui fit parvenir des certificats médicaux plus récents. Il en ressort notamment que le requérant a subi une insuffisance cardiaque décompensée, une infiltration pulmonaire, une crise d’hyperglycémie et des douleurs thoraciques atypiques, qui ont nécessité son hospitalisation entre les 11 et 16 août 2011. L’état dépressif, y inclus le risque de suicide du requérant ainsi que sa dépendance d’une multitude de médicaments y sont également confirmés. Par contre, les résultats de l’électrocardiographie se sont avérés assez positifs.

  25. .  Par une lettre du 21 décembre 2012, l’avocat des requérants a informé la Cour que le requérant avait donné suite au verdict du Tribunal fédéral en quittant la Suisse vers la Bosnie à une date non précisée. Il y a également précisé que, sur la base des visas de touristes, il peut se rendre sporadiquement en Suisse pour une durée maximale de trois mois.
  26. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  27. .  Le droit de séjour du conjoint d’un ressortissant suisse ainsi que les conditions auxquelles devait répondre le renouvellement de son permis de séjour étaient réglés par l’ancienne loi sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931 (ci-après : « LSEE »), dont les dispositions pertinentes étaient libellées comme il suit :
  28. Article 10, alinéa premier

    « L’étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d’un canton que pour les motifs suivants :

    a.  S’il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit ;

    (...)

    d. si lui-même, ou une personne aux besoins de laquelle il est tenu de pourvoir, tombe d’une manière continue et dans une large mesure à la charge de l’assistance publique. »

    Article 11, alinéa 3

    « L’expulsion ne sera prononcée que si elle paraît appropriée à l’ensemble des circonstances (...). »

    Article 17, alinéa 2

    « Si (...) l’étranger possède l’autorisation d’établissement, son conjoint a droit à l’autorisation de séjour aussi longtemps que les époux vivent ensemble. Après un séjour ininterrompu de cinq ans, le conjoint a lui aussi droit à l’autorisation d’établissement (...). Ces droits s’éteignent si l’ayant droit a enfreint l’ordre public. »


  29. .  L’article 11, alinéa 3, de la LSEE était concrétisé par l’article 16, alinéa 3, de l’ancien Règlement de la LSEE du 1er mars 1949 :
  30. « Pour apprécier ce qui est équitable (article 11, alinéa 3, de la loi), l’autorité tiendra notamment compte de la gravité de la faute commise par l’étranger, de la durée de son séjour en Suisse et du préjudice qu’il aurait à subir avec sa famille du fait de l’expulsion. Si une expulsion paraît, à la vérité, fondée en droit selon l’article 10, alinéa premier, lettre a) ou b) de la loi, mais qu’en raison des circonstances elle ne soit pas opportune, l’étranger sera menacé d’expulsion. La menace sera notifiée sous forme de décision écrite et motivée qui précisera ce que l’on attend de l’étranger. »


  31. .  L’article 29 de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI) du 19 juin 1959 règle la naissance du droit et le versement de la rente en vertu de cette loi. Son alinéa 4 est libellé comme il suit :
  32. « Les rentes correspondant à un taux d’invalidité inférieur à 50 % ne sont versées qu’aux assurés qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales) en Suisse. Cette condition doit également être remplie par les proches pour lesquels une prestation est réclamée. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION


  33. .  Les requérants allèguent que le refus des autorités d’octroyer au premier requérant un permis d’établissement, après avoir vécu plus de vingt ans en Suisse et avoir quitté ce pays seulement pour quatre mois, est disproportionné et par conséquent pas « nécessaire dans une société démocratique ». Il y aurait dès lors eu violation de l’article 8, ainsi libellé :
  34. « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »


  35. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  36. A.  Sur la recevabilité


  37. .  La Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  38. B.  Sur le fond

    1.  Les thèses des parties

    a.  Le requérant


  39. .  Dans leurs observations du 16 mai 2011, les requérants se limitent à constater que le Gouvernement a entièrement confirmé les positions des tribunaux internes. Dès lors, ils se restreignent à contester intégralement les observations du Gouvernement, tout en confirmant les arguments exposés dans leur Requête.

  40. .  Dans leur Requête, les requérants ont soulevé que, contrairement à l’argumentation des tribunaux suisses, il est justement dans l’intérêt public et dans le bien-être économique de ce pays que le requérant puisse rester en Suisse pour essayer de diminuer ses dettes envers les autorités. Ils précisent à cet égard que le requérant n’aurait pas droit à la rente d’invalidité s’il ne réside plus en Suisse, puisque son taux d’invalidité n’atteint pas 50 %. En outre, ils n’auraient aucune perspective de pouvoir y trouver une activité rémunérée régulière compte tenu de la situation économique désastreuse et le taux de chômage élevé en Bosnie-Herzégovine.

  41. .  Les requérants soutiennent en outre que, comparés à l’affaire Emre c. Suisse, no 42034/04, 22 mai 2008, dans laquelle la Cour avait prononcé une violation de l’article 8 sur la base de l’expulsion du requérant turc du territoire suisse, qui avait été condamné à des peines privatives de liberté s’élevant à plus de 18 mois, les délits commis par le requérant ne pèsent pas lourdement.

  42. .  Dans la mesure où le Tribunal fédéral était d’avis que la requérante pourrait sans difficultés suivre son mari en Bosnie-Herzégovine, les requérants exposent que, bien qu’en possession de la nationalité de la Bosnie-Herzégovine, elle est d’origine croate et, de surcroît, elle était arrivée en Suisse en 1968, à l’âge de 18 ans. Elle y a donc résidé plus de 40 ans et serait ainsi parfaitement familiarisée avec la culture, la langue et les coutumes de ce pays.

  43. .  Certes, les requérants avaient l’intention, en 2004, de retourner dans leur pays d’origine pour y passer la retraite. Entre-temps, les circonstances auraient pourtant subitement changé. L’état de santé du requérant se serait considérablement détérioré après avoir subi un infarctus du myocarde en 2005. Ils allèguent que, dans l’hypothèse de leur retour forcé en Bosnie-Herzégovine, ils se trouveraient dans l’impossibilité d’acheter les médicaments dont a besoin le requérant, compte tenu de l’arrêt du versement de la rente d’invalidité en sa faveur et de la situation économique difficile dans ce pays.

  44. .  Pour ces raisons, ils considèrent que le refus de renouveler le permis de séjour du premier requérant s’avère disproportionné et qu’il y aurait eu violation de l’article 8.
  45. b.  Le Gouvernement


  46. .  Le Gouvernement, renvoyant aux dispositions citées ci-dessus, soutient que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi au sens de l’article 8 § 2.

  47. .  Il estime que les requérants, lors de leur séjour en Suisse, ont démontré qu’ils ne parvenaient pas à subvenir durablement à leurs besoins. Ils ont ainsi bénéficié des prestations de l’assistance publique depuis au moins 1994. Les requérants auraient également fait l’objet de nombreuses poursuites et accumulé des dettes importantes, dont 205 actes de défaut de biens s’élevant à environ 220 000 CHF entre 1987 et 2008. En outre, le requérant aurait fait l’objet de plusieurs condamnations pénales. Dès lors, la mesure litigieuse poursuit plusieurs des buts énoncés à l’article 8 § 2, à savoir le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention d’infractions pénales ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui.

  48. .  En ce qui concerne la nécessité de la mesure litigieuse, le Gouvernement relève que les activités criminelles du requérant se sont étalées sur une période de plusieurs années. Ces actes constituaient des délits au sens de l’article 10 LSEE (paragraphe 24 ci-dessus) et enfreignaient l’ordre public.

  49. .  Le Gouvernement concède que la durée du séjour en Suisse des requérants est considérable, le requérant y ayant vécu entre 1983 et 2004 et la requérante y étant entrée à l’âge de 18 ans et y ayant résidé plus de 40 ans. En revanche, la requérante se serait rendue en Bosnie-Herzégovine vers la fin des années 1980 et serait rentrée en Suisse quelques mois plus tard en raison du déclenchement des hostilités. En plus, elle aurait démontré sa ferme volonté de rentrer en Bosnie-Herzégovine afin de vivre avec son époux dans une maison récemment construite à Tesanj, au plus tard lorsqu’elle aurait l’âge de la retraite et, de ce fait, droit à une rente de l’assurance-vieillesse suisse. Le Gouvernement expose également à cet égard que le requérant s’est présenté au guichet pour annoncer son départ définitif de Suisse, renonçant ainsi au maintien de son titre d’établissement.

  50. .  Le Gouvernement rappelle également que les requérants sont mariés et ont deux enfants communs qui sont majeurs et que les deux enfants issus du premier mariage du requérant, dont l’un vit en Bosnie-Herzégovine, sont également majeurs. Le requérant n’étant pas frappé d’une mesure d’interdiction d’entrée en Suisse, il peut rendre régulièrement des visites prolongées à son épouse si cette dernière ne devait pas le suivre en Bosnie-Herzégovine.

  51. .  De l’avis du Gouvernement suisse, l’on ne saurait surestimer les difficultés que la requérante rencontrerait en cas de retour en Bosnie-Herzégovine. D’une part, les risques mentionnés, soit le chômage, la situation précaire, etc., ne sont pas de phénomènes récents que le requérant aurait ignoré lorsqu’il a décidé de quitter définitivement la Suisse. En outre, si la requérante avait vraiment eu de telles craintes, elle n’aurait probablement pas été d’accord avec la construction d’une nouvelle maison à Tesanj.

  52. .  Le Gouvernement soutient en outre que les requérants ont conservé des liens forts avec leur pays d’origine, où vivent la sœur ainsi qu’une fille du requérant. Par ailleurs, il observe que les liens prétendument faibles avec leur pays d’origine ne les a apparemment pas empêchés de se faire construire une maison ni de prendre la décision, en août 2004, de quitter définitivement la Suisse.

  53. .  Le Gouvernement estime également que les requérants ont clairement démontré, par leur comportement, qu’ils n’ont même pas essayé de s’intégrer ni dans la société suisse ni sur le marché de travail. La requérante ne poursuivait pas d’activité lucrative en Suisse et le requérant se serait trouvé au chômage entre 1995 et 1997, ainsi qu’entre 2002 et août 2004, quand il est retourné en Bosnie-Herzégovine. Ils auraient ainsi bénéficié de prestations considérables de l’assistance publique depuis 1994 et auraient accumulé des dettes importantes. Ils n’auraient à aucun moment entrepris de tentatives sérieuses visant une amélioration de leur situation financière en Suisse.

  54. .  Enfin, de l’avis du Gouvernement, les problèmes de santé du requérant ne sauraient être qualifiés de déterminants puisque le système de santé publique dans leur pays d’origine offrait des possibilités adéquates de traitement. En tant que propriétaire d’une maison, le requérant devrait en outre pouvoir disposer de moyens financiers lui permettant de subir les frais de traitement en Bosnie-Herzégovine.

  55. .  Compte tenu de ce qui précède, le refus d’accorder au requérant une nouvelle autorisation de séjour était nécessaire dans une société démocratique. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
  56. 2.  L’appréciation de la Cour

    a.  Ingérence dans le droit protégé par l’article 8


  57. . La Cour rappelle que la Convention ne garantit aucun droit pour un étranger d’entrer ou de résider sur le territoire d’un Etat. Toutefois, exclure une personne d’un pays où vivent ses proches parents peut constituer une ingérence dans le droit au respect de sa vie familiale, tel que protégé par l’article 8 § 1 de la Convention (Moustaquim c. Belgique, arrêt du 18 février 1991, § 16, série A no 193).

  58. .  La Cour observe en outre que, dans sa jurisprudence, elle a envisagé l’expulsion de résidents de longue date aussi bien sous le volet de la « vie privée » que sous celui de la « vie familiale », une certaine importance étant accordée sur ce plan au degré d’intégration sociale des intéressés (voir, par exemple, l’arrêt Dalia c. France, 19 février 1998, §§ 42-45, Recueil des arrêts et décisions 1998-I).

  59. .  En outre, la Cour rappelle que tous les immigrés établis, indépendamment de la durée de leur résidence dans le pays dont ils sont censés être expulsés, n’ont pas nécessairement une « vie familiale » au sens de l’article 8. Toutefois, dès lors que l’article 8 protège également le droit de nouer et d’entretenir des liens avec ses semblables et avec le monde extérieur et qu’il englobe parfois des aspects de l’identité sociale d’un individu, il faut accepter que l’ensemble des liens sociaux entre les immigrés établis et la communauté dans laquelle ils vivent fait partie intégrante de la notion de « vie privée » au sens de l’article 8. Indépendamment de l’existence ou non d’une « vie familiale », l’expulsion d’un étranger établi s’analyse en une atteinte à son droit au respect de sa vie privée. C’est en fonction des circonstances de l’affaire portée devant elle que la Cour décidera s’il convient de mettre l’accent sur l’aspect « vie familiale » plutôt que sur l’aspect « vie privée » (Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 59, CEDH 2006-XII).

  60. .  Pour ce qui est des circonstances de l’espèce, la Cour estime que, en raison de la très longue durée du séjour des requérants en Suisse, le refus de renouveler le permis de séjour du requérant constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie « privée » (voir, mutatis mutandis, Gezginci c. Suisse, no 16327/05, § 57, 9 décembre 2010). Dans la mesure où ce refus peut entraîner la séparation de son épouse ainsi que de leurs enfants communs résidant en Suisse, qui sont tous titulaires de permis de séjour pour ledit pays, la Cour est d’avis que les requérants ont également subi une ingérence dans leur droit au respect de leur vie « familiale ».
  61. b.  Justification de l’ingérence


  62. .  Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », justifiée par un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et « nécessaire, dans une société démocratique ».
  63. i.  « Prévue par la loi »


  64. .  Il n’est pas contesté entre les parties que la mesure litigieuse était fondée sur les dispositions pertinentes de la LSEE (voir le paragraphe 24 ci-dessus).
  65. ii.  But légitime


  66. .  A l’instar du Gouvernement, la Cour estime que l’ingérence en cause visait a priori des fins pleinement en conformité avec l’article 8 § 2 de la Convention, à savoir le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention d’infractions pénales ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui (voir, mutatis mutandis, Berrehab c. Pays-Bas, 21 juin 1988, série A no 138, § 26).
  67. iii.  Nécessité de la mesure dans une société démocratique

    α)  Principes généraux


  68.  La question essentielle à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ». Les principes fondamentaux en ce qui concerne l’expulsion d’une personne ayant passé une durée considérable dans un pays hôte dont elle devrait être expulsée à la suite de la commission des infractions pénales sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour et ont été récemment récapitulés, notamment dans les affaires Üner (précitée, §§ 54-55 et 57-58), Maslov c. Autriche ([GC], no 1638/03, §§ 68-76, CEDH 2008), et Emre, précité, §§ 65-71. Dans l’affaire Üner, la Cour a eu l’occasion de résumer les critères devant guider les instances nationales dans de telles affaires (§§ 57 et suiv.) :
  69.  

    -  la nature et la gravité de l’infraction commise par le requérant ;

    -  la durée du séjour de l’intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;

    -  le laps de temps qui s’est écoulé depuis l’infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ;

    -  la nationalité des diverses personnes concernées ;

    -  la situation familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d’autres facteurs témoignant de l’effectivité d’une vie familiale au sein d’un couple ;

    -  la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l’infraction à l’époque de la création de la relation familiale ;

    -  la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ;

    -  la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé ;

    -  l’intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l’intéressé doit être expulsé ; et

    -  la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.


  70.   Doivent également être prises en compte, le cas échéant, les circonstances particulières entourant le cas d’espèce, comme par exemple les éléments d’ordre médical (Emre, précité, §§ 71, 81-83).

  71.   La Cour ne méconnaît pas que la présente affaire se distingue des affaires précitées dans la mesure où les requérants se plaignent du refus des autorités suisses de renouveler le permis d’établissement du requérant en faisant valoir en premier lieu leur intégration profonde dans la société de ce pays après y avoir passé un laps de temps considérable. Par ailleurs, le comportement délictuel du premier requérant ne semble avoir joué qu’un rôle secondaire dans l’appréciation des autorités internes. En tout état de cause, la Cour est d’avis qu’il y a lieu d’appliquer les critères susmentionnés mutatis mutandis à une telle situation.

  72.   La Cour rappelle également que les autorités nationales jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour se prononcer sur la nécessité, dans une société démocratique, d’une ingérence dans l’exercice d’un droit protégé par l’article 8 et sur la proportionnalité de la mesure en question au but légitime poursuivi (Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 113, CEDH 2003-X ; et Berrehab, précité, § 28). Toutefois, selon la jurisprudence constante de la Cour, sa tâche consiste à déterminer si les mesures litigieuses ont respecté un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d’une part, les droits de l’intéressé protégés par la Convention et, d’autre part, les intérêts de la société (voir, parmi maints autres, Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 47, CEDH 2001-IX). Cette marge d’appréciation va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante (voir, mutatis mutandis, Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 47, CEDH 2002-III). La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une mesure d’éloignement d’une personne se concilie avec l’article 8, et en particulier si elle était nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire être justifiée par un besoin social impérieux et proportionnée au but légitime poursuivi (Mehemi c. France, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, § 34 ; Dalia, précité, § 52 ; Boultif c. Suisse, précité, § 46 ; et Slivenko, précité, § 113).
  73. β)  Application des principes susmentionnés au cas d’espèce


  74.   La Cour observe d’emblée que les deux requérants ont régulièrement résidé en Suisse durant une période considérable. Le requérant est y arrivé en 1986, la requérante dès 1969. La durée de leurs séjours s’élevait donc, au moment de l’arrêt du Tribunal fédéral rendu en 2009, respectivement à 23 et 40 ans. En outre, la requérante possède depuis 1979 un permis d’établissement pour la Suisse, donc un titre dont la nature est plus stable qu’une simple autorisation de séjour. Par ailleurs, il n’est pas contesté que depuis un temps important, la Suisse constitue le centre de vie privée et familiale des requérants.
  75. La Cour constate également que les requérants séjournèrent en Suisse de façon ininterrompue, abstraction faite de la période de quatre mois, entre août et décembre 2004, à la suite de laquelle les autorités internes ont rejeté la demande de regroupement familial de la requérante (paragraphe 14 ci-dessus). La présente affaire se distingue sur ce point sensiblement de l’affaire Gezginci (précitée, §§ 69 et 70), dans laquelle le requérant s’est rendu à l’étranger à plusieurs reprises pour des périodes prolongées.

    Dans ces circonstances, la Cour est d’avis qu’il incombe aux autorités internes de démontrer, de manière convaincante et par des motifs pertinents et suffisants, qu’il existait un besoin social impérieux d’éloigner la personne, et en particulier que la mesure était proportionnée au but légitime poursuivi.


  76. .  En ce qui concerne d’abord le comportement délictuel du requérant, la Cour rappelle que celui-ci a été condamné à plusieurs reprises entre 1995 et 2002, à savoir à des amendes ne dépassant pas des montants de 400 CHF et à une peine d’emprisonnement de 17 jours (au total) pour des infractions à la législation sur la circulation routière et pour violation du domicile. La Cour observe, à l’instar des requérants, que ces infractions ne pèsent pas très lourdement et en conclut qu’il convient de les apprécier à leur juste mesure. Par ailleurs, elle juge important le fait que le requérant n’a plus récidivé depuis 2002. Compte tenu de ce qui précède, l’on ne saurait considérer le requérant comme un danger ou une menace pour la sécurité ou l’ordre public suisse.

  77.   Ce qui semble avoir joué un rôle important dans la pesée des intérêts opérée par les instances internes est le cumul des dettes importantes ainsi que les sommes considérables que les requérants avaient touchées de l’assistance publique entre 1994 et 2001, ainsi qu’entre 2003 et 2008 (voir, mutatis mutandis, Gezginci, précité, § 73). Le montant total s’élève à 333 000 CHF (environ 277 500 EUR). Rappelant que le bien-être économique du pays a expressément été prévu par les auteurs de la Convention en tant que but légitime pour justifier une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale (voir, par ex., Miailhe c. France (no 1), 25 février 1993, § 33, série A no 256-C ; Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 121, CEDH 2003-VIII ; Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 79, CEDH 2006-XI ; Mengesha Kimfe c. Suisse, no 24404/05, § 66, 29 juillet 2010 ; Agraw c. Suisse, no 3295/06, § 49, 29 juillet 2010, et Orlić c. Croatie, no 48833/07, § 62, 21 juin 2011), contrairement aux droits protégés en vertu des articles 9-11 de la Convention, la Cour est d’avis que les autorités suisses pouvaient prendre en compte l’endettement et la dépendance de l’assistance publique des requérants dans la mesure où cette dépendance avait une incidence sur le bien-être économique du pays. Elle estime néanmoins que ces éléments ne constituent qu’un aspect parmi d’autres à prendre en compte par la Cour.

  78.   Quant à la nationalité des diverses personnes concernées, les deux requérants sont des ressortissants de la Bosnie-Herzégovine. La Cour rappelle aussi que le couple a deux enfants communs, nés en 1982 et 1984, qui vivent en Suisse et qui possèdent un permis de séjour pour ce pays ; en outre, l’un des enfants issus du premier mariage du requérant, né en 1979, y vit également. Certes, dans la mesure où les requérants n’ont pas démontré devant la Cour qu’il existe entre eux et leurs enfants des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux (Ezzouhdi c. France, no 47160/99, § 34, 13 février 2001 ; et Kwakie-Nti et Dufie c. Pays-Bas (déc.), no 31519/96, 7 novembre 2000), ils ne peuvent pas invoquer ces rapports familiaux au regard de l’article 8, eu égard à l’âge adulte des enfants. La Cour estime néanmoins qu’ils ne sont pas complètement dépourvus de pertinence pour l’appréciation de la situation familiale des requérants.

  79.   De surcroît, la Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant, qui n’est pas frappé d’une interdiction d’entrée en Suisse, peut rendre régulièrement visite à ses enfants et, le cas échéant, à son épouse si cette dernière ne devait pas le suivre en Bosnie-Herzégovine. Par ailleurs, la Cour a été informée que le requérant peut se rendre sporadiquement en Suisse pour une durée maximale de trois mois (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour estime à cet égard que, même dans l’hypothèse où les autorités compétentes accueilleraient favorablement de telles demandes à l’avenir, ces mesures temporaires, qui sont octroyées, le cas échéant, seulement sur demande, ne sauraient en aucun cas être considérées comme pouvant remplacer le droit des requérants de jouir de leur droit de vivre ensemble, qui constitue l’un des aspects fondamentaux du droit au respect la vie familiale (voir, mutatis mutandis, les arrêts Agraw c. Suisse, no 3295/06, § 51, et Mengesha Kimfe c. Suisse, n24404/05, §§ 69-72, tous deux du 29 juillet 2010).

  80. .  Un autre critère qui doit être pris en compte dans la pesée des intérêts est la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec la Suisse et avec la Bosnie-Herzégovine. En l’espèce, le Tribunal fédéral a reconnu lui-même que les requérants possèdent un réseau social important en Suisse et qu’eu égard à la durée considérable de leur séjour en Suisse, leur retour dans leur pays les placerait sans doute devant certaines difficultés (paragraphe 20 ci-dessus).

  81. .  Certes, les autorités suisses ont également relevé que les requérants avaient fait construire une maison dans leur pays d’origine et que l’un des enfants issus du premier mariage du requérant ainsi que la sœur de celui-ci y vivaient. La Cour prend également note du fait que le requérant a annoncé son retour définitif en Bosnie-Herzégovine auprès des autorités suisses, le 24 août 2004, fait qui constitue l’un des arguments principaux des autorités internes pour refuser le renouvellement du permis de séjour. La Cour estime qu’il convient d’apprécier cet argument à la lumière des développements intervenus ultérieurement, soit après l’arrêt du Tribunal fédéral du 6 mars 2009.

  82. .  Compte tenu des nouvelles informations contenues dans les certificats médicaux mentionnés ci-dessus (paragraphes 21 et 22), et rappelant qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation des faits par les instances internes (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, §§ 45-46, série A no 140 ; et García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I), la Cour relève que l’état de santé du requérant s’est sérieusement affaibli et nécessite un suivi constant. Bien qu’elle ait des doutes à propos de la crédibilité de l’argument selon lequel le traitement nécessaire ne serait pas disponible en Bosnie-Herzégovine, Etat membre du Conseil de l’Europe, la Cour n’exclut néanmoins pas qu’un déracinement du requérant de son environnement habituel en Suisse ait des effets déstabilisants sur sa santé déjà fragilisée et provoque de nouvelles complications médicales (voir, mutatis mutandis, Emre, précité, §§ 81-83). Par conséquent, si l’état de santé du requérant ne fût pas suffisant, en lui-même, pour obliger les autorités suisses à renouveler son permis de séjour, la Cour ne saurait totalement l’ignorer dans la pesée des intérêts.

  83. .  La Cour n’exclut pas que le fait selon lequel le requérant ne bénéficierait pas de sa rente d’invalidité s’il devait rentrer dans son pays d’origine - puisqu’une telle rente est seulement versée à l’étranger si elle atteint 50 % (paragraphe 26 ci-dessus) - soit susceptible d’aggraver sa situation. La Cour constate que les requérants n’ont pas explicitement invoqué cet argument devant les instances internes, mais le Gouvernement ne l’a pas non plus contesté dans ses observations adressées à la Cour.

  84. .  Compte tenu de ce qui précède, la Cour admet que le bien-être économique du pays peut certes servir de but légitime pour un refus de renouveler un titre de séjour. Ce motif doit néanmoins être apprécié à sa juste mesure et à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Or, eu égard notamment à la durée considérable du séjour des requérants en Suisse et à leur intégration sociale incontestée dans ledit pays, la Cour estime que la mesure litigieuse n’était pas justifiée par un besoin social impérieux et n’était pas proportionnée aux buts légitimes invoqués. Partant, l’Etat défendeur a dépassé sa marge d’appréciation dont il bénéficiait en l’espèce.

  85. .  Par conséquent, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
  86. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    68.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  87. .  Les requérants ne réclament aucun montant au titre de préjudice qu’ils auraient subi.
  88. B.  Frais et dépens


  89. .  En revanche, les requérants demandent le remboursement de la somme de 15 418,80 francs suisses (CHF), soit environ 12 850 euros (EUR) pour les frais et dépens, soit 7 418,80 CHF engagés devant les juridictions internes et 8 000 CHF pour ceux engagés devant la Cour.

  90. .  Le Gouvernement estime que la somme de 6 000 CHF couvrirait l’ensemble des frais et dépens pour les procédures engagées devant le Tribunal fédéral et à Strasbourg.

  91. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 9 000 EUR au titre des frais et dépens de la procédure nationale et pour la procédure devant la Cour, et l’accorde aux requérants.
  92. C.  Intérêts moratoires


  93. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  94. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 9 000 EUR (neuf mille euros), pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt :

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président

     


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