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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TUR v. TURKEY - 13692/03 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 523 (11 June 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/523.html
Cite as: [2013] ECHR 523

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE TUR c. TURQUIE

     

    (Requête no 13692/03)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    11 juin 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Tur c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mai 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 13692/03) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Şinasi Tur (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 juin 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Mes M.S. Tanrıkulu et S. Yavuz, avocats à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
  3. 3.  Le 1er avril 2008, la Requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs tirés de l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa correspondance (articles 8, 9, 10, 13 et 14 de la Convention) ont été communiqués au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  4. .  Le requérant, M. Şinasi Tur, est né en 1971. Lors de l’introduction de la Requête, il était détenu à la prison de type H de Gaziantep.

  5. .  A une date non précisée, il remit une lettre à l’administration pénitentiaire, adressée à la section turque de l’organisation Amnesty International.

  6. .  Par une décision du 12 novembre 2003, la commission disciplinaire de l’administration pénitentiaire refusa d’acheminer cette lettre, ainsi que les courriers de neuf autres détenus à leurs destinataires, au motif qu’ils tendaient à faire accepter à l’Etat des revendications pour un cessez-le-feu bilatéral émanant de l’organisation terroriste KADEK[1] (PKK). Elle les considéra comme étant « gênants » en vertu de l’article 147 du règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines.

  7.   A une date non précisée, le requérant forma opposition contre cette décision et demanda l’envoi de sa lettre à son destinataire.

  8. .  Par une décision du 2 décembre 2003, le juge de l’exécution de Gaziantep rejeta l’opposition ainsi formée.

  9.   Le 26 décembre 2003, le requérant saisit la cour d’assises d’un recours contre cette décision. Il affirma que sa lettre ne contenait aucun élément de nature infractionnelle et que la décision de non-acheminement constituait une limitation de son droit à la correspondance.

  10. .  Le 9 janvier 2004, la cour d’assises de Gaziantep rejeta ce recours.

  11. .  Le 21 janvier 2004, le requérant fit à nouveau opposition contre la décision de la commission disciplinaire alléguant une atteinte à la liberté de correspondance.

  12. .  Le 11 février 2004, la cour d’assises rejeta ce recours au motif qu’il n’y avait pas lieu de statuer à nouveau sur la question.
  13. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  14. .  Le droit et la pratique internes pertinents, tels qu’en vigueur à l’époque des faits, sont décrits dans l’arrêt Tan c. Turquie no 9460/03, §§ 13-14, 3 juillet 2007.
  15. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION


  16. .  Le requérant se plaint de l’ingérence des autorités pénitentiaires dans son droit au respect de la correspondance. Il invoque les articles 8, 9 et 10 de la Convention. A la lumière de sa jurisprudence (Fazıl Ahmet Tamer c. Turquie, no 6289/02, § 33, 5 décembre 2006, et Nakçi c. Turquie, n25886/04, § 13, 30 septembre 2008), la Cour estime que ce grief doit être examiné sous l’angle de l’article 8, ainsi libellé en ses parties pertinentes :
  17. « 1.  Toute personne a droit au respect de sa (...) de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique (...) à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales (...) »


  18. .  Le Gouvernement conteste cette thèse.
  19. A.  Sur la recevabilité


  20. .  Le Gouvernement affirme que le requérant a omis d’épuiser les voies de recours internes. Se référant à l’affaire Cardot c. France (19 mars 1991, § 34, série A no 200), il soutient que le requérant n’a pas soulevé devant les instances nationales, même en substance, ses doléances concernant son droit au respect de la correspondance.

  21. .  Au vu des pièces du dossier, la Cour constate que le requérant exerça plusieurs recours contre la décision litigieuse de la commission disciplinaire et allégua qu’elle constituait une limitation de son droit à la correspondance lors de son recours devant la cour d’assises de Gaziantep (voir paragraphes 7-9 ci-dessus). Partant, il convient de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.

  22. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  23. B.  Sur le fond


  24. .  La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que le refus d’envoyer le courrier du requérant a constitué une ingérence dans son droit au respect de sa correspondance au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

  25. .  La Cour souscrit à cette appréciation.

  26. .  Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

  27. .  Pour le Gouvernement, l’ingérence était « prévue par la loi » à savoir l’article 147 du règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines, poursuivait un but légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, à savoir la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales et était nécessaire dans une société démocratique. Selon le Gouvernement, l’acheminement de cette lettre risquait notamment de légitimer les actes terroristes du PKK et encourager la poursuite de ces actes.

  28. .  La Cour note que le contrôle de la correspondance des détenus reposait à l’époque des faits sur les articles 144 et 147 du règlement no 647 relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines. Elle rappelle avoir déjà eu l’occasion de constater que l’article 147 de ce règlement, sur lequel repose le contrôle de la correspondance du requérant, n’indiquait pas avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré. Elle a de même relevé que son application pratique n’apparaissait pas pallier cette carence (voir Tan, précité, §§ 22-24). En l’occurrence, elle ne voit aucune raison de s’écarter de l’approche ainsi adoptée.

  29. .  Dès lors, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’était pas « prévue par la loi » au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. Eu égard à cette conclusion, elle n’estime pas nécessaire de vérifier en l’espèce le respect des autres exigences du paragraphe 2 de l’article 8.

  30.   Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
  31. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  32. .  Se fondant sur les mêmes faits, le requérant dénonce également une violation des articles 13 et 14 de la Convention. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue pour l’article 8 de la Convention (paragraphe 25 ci-dessus), la Cour estime avoir examiné la principale question juridique posée par la présente Requête. En conséquence, elle considère qu’il ne s’impose plus de statuer séparément sur le restant des griefs (Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007 et, pour une approche similaire dans des affaires relatives au droit au respect de la correspondance des détenus, voir notamment Kapçak c. Turquie, no 22190/05, § 32, 22 septembre 2009, et Mehmet Nuri Özen et autres c. Turquie, nos 15672/08, 24462/08, 27559/08, 28302/08, 28312/08, 34823/08, 40738/08, 41124/08, 43197/08, 51938/08 et 58170/08, § 64, 11 janvier 2011).
  33. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  34. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  35. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  36. .  Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi. Il demande également 2 288 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il fournit à l’appui de ses prétentions un décompte horaire de travail de ses représentants.

  37. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  38.   La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 300 EUR au titre du préjudice moral (voir Akar c. Turquie, no 28505/04, § 21, 21 juin 2011).

  39. .  Quant aux frais et dépens, compte tenu des éléments dont elle dispose, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR et l’accorde au requérant.
  40. B.  Intérêts moratoires


  41. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  42. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a lieu d’examiner séparément ni la recevabilité ni le bien-fondé des autres griefs tirés de la Convention ;

     

    4.  Dit,

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i.  300 EUR (trois cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    ii.  500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président



    [1].  Congrès pour la liberté et la démocratie au Kurdistan.


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