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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SUKYO MAHIKARI v. FRANCE - 41729/092 - Admissibility Decision [2012] ECHR 550 (French Text) (08 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/550.html
Cite as: [2012] ECHR 550 (French Text)

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CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 41729/09
SUKYO MAHIKARI FRANCE
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 8 janvier 2013 en une chambre composée de :

       Mark Villiger, président,

       Ann Power-Forde,

       Ganna Yudkivska

       André Potocki,

       Paul Lemmens,

       Helena Jäderblom,

       Aleš Pejchal, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 9 juillet 2009,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  La requérante, l’association Sukyo Mahikari France, est représentée devant la Cour par Me J.-H. Meylan, retraité, résidant à Ecublens (Suisse), autorisé par le président de la chambre à assurer sa représentation.

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

3.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

4.  La requérante est une association soumise aux dispositions de la loi du 1er juillet 1901. Elle fut créée le 20 septembre 1973 et enregistrée le 18 septembre 1978 à la préfecture de Paris.

Selon l’article 2 de ses statuts, elle a pour objet :

« De vénérer Dieu, créateur de l’univers et de l’humanité. »

« De faire connaître aux hommes les enseignements spirituels de Kotama Okada. »

« De guider les hommes selon ces enseignements, afin de préparer la prochaine civilisation. »

« Pour atteindre le but qu’elle s’est assigné, l’association procède, tant en métropole que dans les Départements et Territoires d’Outre-mer, à l’ouverture d’établissements ou de salles de réunion nécessaires pour la pratique de la purification spirituelle (art sacré de Mahikari). »

5.  Dans le rapport parlementaire intitulé « les sectes en France » rendu public le 22 décembre 1995, la requérante fut qualifiée de mouvement sectaire.

6.  Le 23 novembre 1998, la Direction générale des impôts adressa à la requérante un avis de vérification comptable concernant les exercices 1995 à 1997 au motif qu’elle disposait d’indices sérieux selon lesquels l’association se livrait à des activités à but lucratif susceptibles d’entraîner son assujettissement à l’impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée. Au cours de l’opération de vérification de comptabilité, l’association présenta sa comptabilité et l’administration fiscale constata la perception par celle-ci de dons manuels importants taxables au titre des droits d’enregistrement.

7.  Suite à ce contrôle, considéré comme une « révélation » des dons manuels au sens de l’article 757 du code général des impôts (CGI ; voir paragraphe 13 ci-dessous), l’administration fiscale adressa à la requérante, le 13 octobre 1999, une notification de redressements au taux de 60 % en vertu de l’article L. 55 du livre des procédures fiscales. Ainsi, le montant de la taxation des dons manuels s’éleva à 2 851 592 euros (EUR) (18 705 222 francs français (FRF)) auquel s’ajoutèrent 477 641 EUR (3 133 124 FRF) de pénalités dont les intérêts de retard et les majorations.

8.  Selon les informations données par le Gouvernement, l’administration fiscale accorda une réduction de 30 % sur la totalité des droits liquidés et le redressement fut confirmé le 15 décembre 1999 pour un montant global de 1 917 639 EUR.

9.  A la suite d’un avis de mise en recouvrement du 7 février 2001, la requérante adressa une réclamation à la Direction générale des impôts le 22 février 2001. Le 31 mai 2002, l’administration fiscale rejeta la requête. La requérante contesta cette décision devant le tribunal de grande instance de Paris. Par un jugement du 24 janvier 2005, celui-ci confirma la régularité de la procédure de redressement, après avoir souligné le patrimoine immobilier important de la requérante (5 183 266 EUR), car « l’importance des activités économiques de la requérante présumée par l’importance de son patrimoine immobilier suffisait à justifier le contrôle litigieux ». Il constata que l’association n’avait pas reçu l’agrément administratif l’autorisant à percevoir des libéralités et ne pouvait donc être considérée comme une association cultuelle pouvant bénéficier de l’exonération fiscale prévue à l’article 795-10o du CGI (paragraphe 13 ci-dessous). Il décida qu’en l’absence d’autorisation, les dons et legs perçus ne pouvaient faire l’objet d’une exonération d’impôt.

10.  Par un arrêt du 19 octobre 2007, la cour d’appel de Paris confirma le jugement au motif notamment que :

« Considérant que l’association Sukyo Mahikari, qui se présente comme une association dont l’objet est de pratiquer une religion, estime que les impositions mises à sa charge représentant plus de la moitié de ses ressources, portent une atteinte manifeste et injustifiée à l’exercice du culte Mahikari, au principe d’égalité devant la loi et à la liberté d’association, violant ainsi les dispositions des articles 9, 11 et 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Considérant, le juge n’étant pas tenu par l’autoqualification cultuelle que se donne une association, qu’il y a lieu d’observer que le droit commun des libertés du droit interne français, par les lois de 1905 et 1901, assure à l’association Sukyio Mahikari le bénéfice de la liberté de conscience individuelle, de la liberté d’expression des convictions religieuses et de la liberté de réunion et d’association, notamment d’association cultuelle qui n’est pas lié à l’existence d’une association du même nom, et de ce fait n’est pas contraire aux dispositions précitées de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; (...)

Qu’il ne saurait y avoir discrimination en droit que si des situations étant comparables, un statut juridique différent est appliqué, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la situation d’une association déclarée selon la loi 1901 n’étant en rien comparable à celle d’une association cultuelle dont le statut particulier résulte de la loi 1905. (...)

Que l’association Sukyo Mahikari ne justifie pas qu’elle participe à une œuvre de bienfaisance et d’assistance ou d’intérêt général, dont la détermination ultime appartient à l’État, susceptible de lui permettre de bénéficier d’une déduction fiscale de ses dons, cet avantage fiscal n’étant pas, en tout état de cause, nécessaire à l’exercice de sa liberté de conviction.

Qu’enfin, étant observé qu’elle a bénéficié des dégrèvements de droit commun applicables en la matière, l’association requérante n’établit pas que le paiement des impositions fixées selon les règles de droit commun en matière de dons manuels porte atteinte, notamment au regard de l’importance de son patrimoine, à son fonctionnement, son développement et son existence (...) ».

11.  La requérante se pourvut en cassation. Dans son mémoire ampliatif, s’appuyant sur l’article 9 de la Convention, elle soutint dans son second moyen que l’imposition, à hauteur de 60 %, des dons manuels consentis à une association cultuelle dont le but non lucratif a été reconnu constituait une restriction à la liberté de religion en raison du caractère excessif de la taxation. Dans son mémoire en réplique, à propos du deuxième moyen de cassation, la requérante précise qu’il « invoque la méconnaissance des dispositions des articles 9, 11 et 14 de la Convention ». Elle y développe une argumentation concluant qu’il « n’est ni raisonnable, ni proportionné aux buts poursuivis de taxer à 60 % un type d’association et à 0 % un autre type au seul motif que l’une a sollicité et obtenu une autorisation et l’autre pas » et que « seules les associations accusées d’avoir un caractère sectaire ont fait l’objet de la procédure de taxation de leurs dons aux taux de 60 % ». Par la suite, dans des observations complémentaires, la requérante réitéra « que la taxation à hauteur de 60 % des dons manuels constitue une mesure discriminatoire frappant l’association dans sa jouissance du droit à la liberté de religion et ajouta « qu’elle était également une atteinte injustifiée et discriminatoire au droit au respect des biens ».

12.  Par un arrêt du 13 janvier 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi :

« (...) Et sur le second moyen :

[L]’arrêt retient justement que les lois de 1905 et 1901 assurent à l’association le bénéfice de la liberté de conscience individuelle, de la liberté d’expression des convictions religieuses et de la liberté de réunion et d’association, et par motifs adoptés, que l’association ne contestait pas ne pas avoir fait l’objet d’une reconnaissance en tant qu’association cultuelle par l’autorité administrative compétente, ce qui lui aurait permis d’être exonérée des droits auxquels elle a été assujettie. »

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

13.  Il est renvoyé à l’arrêt Association Les Témoins de Jéhovah c. France (no 8916/05, §§ 29 à 42, 30 juin 2011) qui expose le contexte de l’affaire et les dispositions pertinentes. Il est rappelé, pour l’essentiel, que les articles 757 et 795-10o du code général des impôts (CGI) étaient ainsi libellés :

Article 757 (tel que modifié par la loi no 91-1322 du 30 décembre 1991, art 15 II finances pour 1992, Journal Officiel du 31 décembre 1991)

« Les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d’un don manuel, sont sujets au droit de donation.

La même règle s’applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l’administration fiscale. »

Article 795

« Sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit :

(...)

10º  Les dons et legs faits aux associations cultuelles, aux unions d’associations cultuelles et aux congrégations autorisées ; »

14.  L’article 978 du code de procédure civile (CPC), dans sa version en vigueur à l’époque des faits, se lisait ainsi :

« A peine de déchéance constatée par ordonnance du premier président ou de son délégué, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée (...) »

GRIEFS

15.  La requérante allègue que la taxation des dons manuels porte atteinte à son droit à manifester et exercer sa liberté de religion, tel que prévu par l’article 9 de la Convention. Elle se plaint de ce que, à l’occasion de la taxation litigieuse, elle a subi une discrimination fondée sur la religion dans la jouissance de ses droits garantis par l’article 9 et allègue une violation de l’article 14 de la Convention. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément, puis combiné avec l’article 14, la requérante explique que la taxation à hauteur de 60 % équivaut à une confiscation discriminatoire de ses biens. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de l’iniquité de la procédure à son égard. Elle conteste en particulier l’absence de motivation et le fait que la Cour de cassation n’ait pas répondu à tous les moyens invoqués devant elle, l’arrêt statuant uniquement sur le grief tiré de l’article 9 de la Convention.

EN DROIT

A.  Sur le grief tiré de l’article 9 de la Convention

16.  La requérante allègue une violation de l’article 9 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

17.  La requérante soutient que la taxation litigieuse constitue une ingérence au sens du premier paragraphe de l’article 9. Elle estime que l’impact de l’imposition doit être apprécié par rapport à la matière imposable qui en constitue l’assiette, en l’occurrence uniquement les dons manuels, à l’exclusion d’éventuelles autres sources de recettes. Elle rappelle qu’elle a dû procéder à la vente de valeurs mobilières pour équilibrer les comptes de ses ressources régulières. Au surplus, concernant les trois exercices sur lesquels a porté le redressement, la requérante, présentation des comptes à l’appui, relève ce qui suit : le montant des offrandes ne suffit pas à couvrir les charges d’exploitation même abstraction faite des droits réclamés et des pénalités ; l’ensemble des produits d’exploitation n’y suffit pas non plus ; il a été nécessaire de procéder à des cessions, pour un montant important, de valeurs mobilières de placement afin de rétablir un certain équilibre des comptes.

18.  Le Gouvernement considère que la requérante n’a pas subi d’ingérence. Faisant un état des lieux de la situation de la requérante, il explique que l’impact fiscal supporté par la requérante représentait entre 24 % et 26 % de l’ensemble de ses ressources (pour 1995, le montant des dons était de 1 791 007 EUR – représentant 60 % des ressources – et le total réclamé par l’administration fiscale était de 722 649 EUR tandis que le total des ressources de l’association était de 2 985 506 EUR ; pour 1996, ces chiffres étaient respectivement de 1 477 906 EUR pour les dons – représentant 63% des ressources –, 596 317 EUR pour le redressement et 2 350 038 EUR pour les ressources ; en 1997, le montant des dons était de 1 483 741 EUR – représentant 64 % des ressources –, celui du redressement de 598 671 EUR et celui du total des ressources de 2 317 617 EUR). Le Gouvernement souligne encore que la requérante a bénéficié d’une réduction d’impôt liée à l’âge des donateurs et qu’elle n’a pas subi, comme l’Association les Témoins de Jéhovah une majoration de 80 % appliquée à l’imposition due par elle (Association les Témoins de Jéhovah c. France, no 8916/05, § 30 juin 2011). Le Gouvernement se réfère à l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui précise que l’association requérante n’établit pas que le paiement des impositions porte atteinte, notamment au regard de l’importance de son patrimoine, à son fonctionnement, son développement et son existence. Il souligne enfin que les sommes dues ont été payées sans que d’hypothèque ne soit prise sur les lieux de culte.

19.  La Cour rappelle que les dons manuels sont une source de financement importante d’une association et, qu’à ce titre, leur taxation peut avoir un impact sur sa capacité à mener son activité religieuse. Dans son arrêt Association les Témoins de Jéhovah, précité, pour constater l’existence d’une ingérence dans le droit à manifester et exercer sa liberté de religion, la Cour s’est fondée sur le montant des sommes dues par la requérante à l’administration fiscale, sur le fait que ce redressement avait eu pour effet de couper les ressources vitales de l’association, « laquelle n’était plus en mesure d’assurer concrètement à ses fidèles le libre exercice de leur culte », et que « les lieux de culte étaient eux-mêmes visés » (§ 53).

20.  La Cour observe que la taxation litigieuse a porté sur la totalité des dons manuels reçus pour la période considérée et que ceux-ci représentaient à peu près 60 % des ressources de l’association requérante selon les indications données par le Gouvernement et non contredite par elle. Si cette dernière fonctionnait en partie à l’aide des dons manuels, force est de constater toutefois que, à la différence de l’affaire de l’Association les Témoins de Jéhovah précitée, leur taxation n’a pas eu pour effet de couper ses ressources vitales ni d’entraver son activité religieuse. La Cour se réfère à cet égard aux chiffres donnés par le Gouvernement sur l’impact fiscal de la taxation (paragraphe 18 ci-dessus) – soit entre 24 et 26 % de l’ensemble des ressources de l’association requérante – et à l’absence de conséquences de celle-ci sur les lieux de culte.

21.  Partant, la Cour ne trouve pas que les conséquences de la taxation dénoncées par la requérante soient suffisantes pour poser une question de manquement au respect de l’exercice de la liberté de religion sous l’angle du paragraphe 1 de l’article 9. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 3a) et 4 de la Convention.

B.  Sur le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9

22.  La requérante se plaint d’avoir subi une discrimination fondée sur la religion dans la jouissance de ses droits garantis par l’article 9 de la Convention. Elle allègue une violation de l’article 14, libellé en ces termes :

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

23.  Le Gouvernement soutient que le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 9 de la Convention ne peut être examiné par la Cour, en raison du défaut d’épuisement par la requérante des voies de recours internes. Il fait valoir que seul le grief tiré de l’article 9 de la Convention pris isolément a été soulevé dans le mémoire ampliatif devant la Cour de cassation. Celui tiré de l’article 14 de la Convention l’a été dans le mémoire en réplique puis dans les observations complémentaires. Or, le Gouvernement rappelle que la date d’expiration du délai légal dans lequel doit être déposé le mémoire ampliatif constitue la date limite de présentation des moyens de cassation. Ainsi, aux termes de l’article 978 du code de procédure civile, tout moyen présenté dans un mémoire additionnel déposé au-delà du délai prévu par cet article est irrecevable (Civ. 3, 20 mai 1985, Bull. no 82). Sauf existence d’un moyen d’ordre public devant être soulevé d’office, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la Cour de cassation n’est saisie que des seuls moyens de cassation soulevés dans les temps.

24.  La requérante s’oppose à cette thèse. Elle estime que si elle a la possibilité de répliquer devant la Cour de cassation, ce droit serait vidé de sa substance et de son utilité si, dans l’hypothèse où le défendeur au pourvoi développe de nouveaux arguments, le demandeur se trouve privé de la possibilité de soulever de nouveaux moyens en réponse. Elle fait valoir que le défendeur au pourvoi s’est placé dans son mémoire en défense sur le terrain de l’article 14 de la Convention, en démontrant que le privilège fiscal accordé aux seules associations cultuelles constituait une différence de traitement justifiée. Dès lors, il importait qu’elle puisse répliquer sur ce même terrain au stade du mémoire en réplique. Elle conclut que la Cour de cassation aurait dû, nonobstant l’article 978 du CPC, examiner le moyen pris des articles 14 et 9 combinés.

25.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. A cet égard, elle souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 de la Convention a pour finalité de ménager aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Cette disposition doit s’appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » ; il suffit que l’intéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu’il entend formuler par la suite à Strasbourg (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999‑I).

26.  En l’espèce, la Cour relève que la requérante s’est plainte devant la cour d’appel de la discrimination religieuse dont elle a fait l’objet du fait de la taxation litigieuse en invoquant expressément l’article 14 de la Convention. Toutefois, dans le mémoire ampliatif devant la Cour de cassation, la requérante n’a pas repris ce moyen, ni expressément, ni en substance. Elle ne l’a fait que dans son mémoire en réplique, suivant celui du défendeur, et dans des observations complémentaires, alors que le délai de dépôt des moyens de cassation fixé par l’article 978 du CPC était expiré. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation s’est prononcée uniquement sur le moyen de cassation tiré de l’article 9 de la Convention pris isolément. La Cour observe encore que la requérante n’a donné aucune explication convaincante sur les raisons qui auraient pu justifier que le moyen tiré de la discrimination n’a pas été soumis à la Cour de cassation dans le mémoire ampliatif (a contrario, Merger et Cros c. France (déc.), no 68864/01, 11 mars 2004).

27.  Dans ces conditions, la Cour estime que la requérante, par son propre fait, n’a pas donné l’occasion au juge de cassation de redresser la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9. Il convient dès lors d’accueillir l’exception soulevée par le Gouvernement et de déclarer cette partie de la requête irrecevable conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

C.  Sur les autres griefs

28.  La requérante allègue également une violation de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément, puis combiné avec l’article 14, ainsi qu’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait du défaut de motivation de l’arrêt de la Cour de cassation.

29.  La Cour observe que le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 n’a pas été invoqué devant la Cour de cassation (paragraphe 12 ci-dessus) et considère dès lors qu’il doit être rejeté pour défaut d’épuisement des voies de recours internes conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

30.  Quant à la violation alléguée de l’article 6 § 1, et le défaut de réponse de la Cour de cassation aux moyens de cassation, la Cour renvoie à sa conclusion ci-dessus selon laquelle la requérante, par son propre fait, n’a pas soumis de moyens de cassation autres que celui tiré de l’article 9 de la Convention. Dans ces conditions, elle considère que le grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek                                                                Mark Villiger
      
Greffière                                                                              Président


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