TROISIÈME
SECTION
AFFAIRE ASSOCIATION DES PERSONNES
VICTIMES DU SYSTÈME S.C. ROMPETROL S.A. ET S.C. GEOMIN S.A.
ET
AUTRES c. ROUMANIE
(Requête
no 24133/03)
ARRÊT
STRASBOURG
25 juin
2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions
définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Association des personnes victimes
du système S.C. Rompetrol S.A. et S.C. Geomin S.A. et autres c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième
section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le
4 juin 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une Requête (no 24133/03) dirigée contre la
Roumanie et dont une association de droit roumain, l’Association des personnes
victimes du système S.C. Rompetrol S.A. et S.C. Geomin S.A. (Asociatia
pagubitilor din sistemul S.C. Rompetrol S.A. si S.C. Geomin S.A. ci-après
« l’association requérante »), et les personnes individuelles Mihai
Cristea, Ana Cristea, Gabriel Dioanca, Ioan Guseila, Valeriu Frigescu, Cristina
Folea, Maria Simion, Pompiliu Simion, Pompiliu Dinca, Maria Gaman, Constantin
Ionita, Gheorghe Tichie, Victoria Tian, Dumitru Stefan, Ioana Carasel, Nicolae Scarneci et Elena Stefan (« les requérants individuels ») ont saisi
la Cour respectivement les 16 mai et 2 juin 2003 en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(« la Convention »).
. Tous les
requérants sont représentés devant la Cour par M. Ioan Guseila,
vice-président de l’association requérante. Le gouvernement roumain (« le
Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents, M. Razvan-Horatiu
Radu et Mme Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.
. Les requérants
allèguent en particulier une atteinte à leur droit d’accès à un tribunal et de
voir juger leur action dans un délai raisonnable.
. Le 16 juin
2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article
29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en
même temps sur la recevabilité et le fond.
. A la suite du
déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du
règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina
Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la
Convention et article 29 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
. L’association
requérante a été créée en 1993 sous le nom de « Association
des personnes victimes du système de
dépôt de devises avec des intérêts au S.C. Rompetrol
S.A. » et elle a son siège à Bucarest. Le requérant Ioan Guseila réside à
Făget (Roumanie). Les autres requérants individuels n’ont pas indiqué à la
Cour leurs dates de naissance et leur adresse.
A. La genèse de l’affaire
. En mars 1992,
C.I., économiste de la société S.C. Rompetrol S.A. aurait informé les employés
de la société qu’ils pouvaient placer de l’argent dans des opérations que les
sociétés S.C. Rompetrol S.A. et S.C. Geomin S.A. effectuaient à l’étranger.
Après une certaine période, dont la durée dépendait du montant des sommes
investies, l’investisseur percevait un gain.
. Plusieurs
milliers de personnes, y compris les requérants individuels, investirent de l’argent
dans cette opération. En février 1993, le paiement des intérêts ainsi que la
restitution des sommes investies cessa, sans que les requérants aient récupéré
leurs investissements.
B. La plainte pénale avec constitution
de partie civile
. En mars 1993,
les requérants individuels et plusieurs autres personnes déposèrent des
plaintes pénales contre C.I. et seize autres personnes du chef de tromperie,
faux et usage de faux. Ils demandèrent également réparation de leur préjudice
matériel subi. Dans sa plainte pénale formulée le 10 mars 1993, le requérant
Ioan Guseila indiqua qu’il entendait se constituer partie civile dans la
procédure pour voir réparé le préjudice subi.
. Au total vingt-six
plaintes pénales furent déposées contre C.I. au nom de cent trente-trois
personnes lésées. La police interrogea plus de cent personnes et estima que d’autres
actes d’enquête complémentaires tels que des perquisitions à domicile et l’interrogatoire
d’autres témoins étaient nécessaires pour établir la qualification juridique
des faits reprochés à C.I. et S.E.
. Par une
ordonnance du 21 mai 1993, la police entama des poursuites pénales contre C.I.
du chef de tromperie. Il lui était reproché d’avoir organisé une opération
financière en devises étrangères, qu’elle avait présenté
comme un investissement réalisé par la société S.C. Rompetrol S.A. à l’étranger
sans que cette dernière soit au prime abord impliquée.
. Afin de mieux
défendre leurs droits, le 20 août 1993, une partie des victimes décidèrent de
se constituer dans une association à but non-lucratif. Par un jugement du
18 octobre 1993, le tribunal de première instance de Bucarest accueillit
la demande d’enregistrement de l’association requérante.
. L’association
requérante ne déposa pas de plainte pénale et ne se constitua pas partie civile
dans la procédure pénale engagée contre C.I.
. Par une
ordonnance du 12 octobre 1994, toutes les plaintes pénales formulées contre
C.I. furent réunies dans un dossier unique.
. Les 26
juillet, 12 septembre et 10 novembre 1994, les poursuites pénales furent
élargies contre L.M., N.V. et S.E. pour complicité de tromperie.
. Une expertise
comptable ordonnée par les autorités de poursuite fut réalisée pour établir les
règles régissant l’opération financière organisée par les mis en cause. Selon
ses conclusions, les règles de l’investissement n’étaient pas écrites mais
étaient transmises oralement d’un participant à l’autre et soixante-six
personnes auraient reçu des paiements indus et excessifs pendant la période de son
fonctionnement.
. Par une
ordonnance du 16 mai 1996, se fondant sur le rapport d’expertise susmentionné,
le parquet près la cour d’appel de Bucarest cessa les poursuites contre C.I.,
L.M., N.V. et S.E des chefs de tromperie et de complicité de tromperie.
Toutefois, il estima que les faits reprochés devaient recevoir la qualification
juridique d’abus de confiance et de complicité d’abus de confiance et ordonna
leur renvoi en jugement devant le tribunal de première instance de Bucarest du
chef de ces délits.
. Devant ce
tribunal, pendant les années 1996 et 1997, les requérants se constituèrent
parties civiles dans la procédure. Ils demandèrent la requalification juridique
des faits en tromperie et relevèrent la durée excessive de la procédure. Au
total, soixante-seize personnes s’étaient constituées parties civiles dans la
procédure.
. De septembre
1996 à juin 1999, vingt-et-une audiences furent tenues par le tribunal de
première instance : à dix reprises, les audiences furent ajournées à la
demande des défenseurs des inculpés et trois autres pour obtenir les dossiers
du parquet. Pendant huit audiences les parties civiles furent interrogées. Le 6
mars 1997, les sociétés S.C. Geomin S.A. et S.C. Rompetrol S.A. furent
introduites dans la procédure en tant que parties civilement responsables. Le
26 juin 1997, la société S.C. Rompetrol S.A. se constitua partie civile dans la
procédure.
. L’association
requérante adressa régulièrement des courriers au tribunal de première instance
pour soutenir la cause des parties civiles. En mai 1998, l’association
requérante demanda que les soixante-six personnes ayant reçu des sommes indues selon
l’expertise comptable soient intégrées dans la procédure. Elle demanda
également que des actes de procédure soient réalisés dans l’affaire.
. Du 1er
juillet 1999 au 8 juin 2000, l’affaire fut ajournée neuf fois pour interroger
les inculpés et pour assurer la citation correcte de certaines parties civiles
et inculpés.
. Le 30
septembre 1999, l’avocat de l’un des inculpés demanda que les poursuites soient
étendues à treize autres personnes. Interrogés sur ce dernier point, les
parties civiles et le parquet s’y opposèrent. A une date non précisée, l’affaire
fut étendue à quatorze autres personnes qui furent par la suite interrogées
dans la procédure.
. Par un
jugement du 15 juin 2000, se fondant sur l’article 10 b) du code de procédure
pénale (CPP), le tribunal de première instance de Bucarest acquitta tous les
inculpés, au motif que les faits n’étaient pas sanctionnés par la loi pénale.
Citant l’article 346 (4) du CPP, le tribunal ne trancha pas l’action civile.
. Les
requérants individuels à l’exception des requérants Dioanca Gabriel et Stefan
Elena formèrent un recours contre ce jugement.
. Par un arrêt
définitif du 19 décembre 2000, le tribunal départemental de Bucarest fit droit
au recours, cassa le jugement contesté et, après avoir requalifié juridiquement
les faits, renvoya l’affaire au parquet afin d’entamer des poursuites pénales
pour le délit de tromperie.
. Le 20 février
2001, le dossier de l’affaire fut transféré au parquet près le tribunal
départemental de Bucarest. Le 28 février 2001, ce parquet renvoya le dossier
auprès de la direction générale de la police afin de poursuivre l’enquête pour
le délit de tromperie.
. Par une
décision du 11 mai 2001, la police proposa au parquet de mettre fin aux
poursuites, au motif que la responsabilité pénale était prescrite. La police
nota que la peine maximale prévue par le code pénal pour le délit de tromperie
était de trois ans et que pour ce type de délit le délai de prescription était
de cinq ans. Elle ajouta que, bien que le délai de prescription avait été
interrompu à plusieurs reprises, il devait être mis fin aux poursuites pénales
en raison de la prescription spéciale, laquelle intervenait, en l’occurrence,
sept ans et demi après l’accomplissement des faits.
. Par une
ordonnance du 12 juin 2001, le parquet près le tribunal départemental de
Bucarest mit fin aux poursuites pénales en raison de la prescription de l’action
publique. Le requérant Ioan Guseila, en sa qualité de partie civile et de
représentant de l’association requérante, forma une plainte contre cette
ordonnance. Par une décision du 25 juin 2001, le procureur en chef du parquet près
le tribunal départemental de Bucarest confirma l’ordonnance du 12 juin
2001 précitée.
. Le 3 juillet
2002, le requérant Ioan Guseila, en sa qualité de représentant de l’association
requérante déposa une plainte auprès du tribunal départemental de Bucarest
contre l’ordonnance du 12 juin 2001, en contestant la prescription de l’infraction
et critiquant le fait que l’action civile n’avait pas été examinée.
. Par un
jugement du 22 octobre 2002, le tribunal départemental rejeta ce recours et confirma la clôture des poursuites pénales pour prescription. Sur recours du requérant Ioan Guseila agissant en sa qualité de
représentant de l’association requérante, par un arrêt définitif du 20 décembre
2002, la cour d’appel de Bucarest confirma le bien-fondé du jugement rendu en
première instance.
C. La procédure devant la Cour
. Le 16 mai
2003, l’association requérante, par le biais de M. Ioan Guseila, a envoyé une
lettre à la Cour dans laquelle elle exposait les faits de l’affaire. Elle
indiquait que les droits civils qu’elle revendiquait au niveau national
appartenaient à ses membres.
. La Cour a reçu
ensuite un formulaire de Requête daté du 29 mai 2003. Sur ce formulaire, à
l’emplacement réservé à la présentation du requérant sont mentionnés les
renseignements concernant l’association requérante. Ce formulaire de Requête était
accompagné d’une page séparée datée du 25 mai 2003 sur laquelle le titre
« Délégation » est noté. Sur cette page figurent les noms des
requérants individuels, y compris celui de M. Ioan Guseila, accompagnés de
leurs signatures, à l’exception de Mme Folea Cristina. Le texte
suivant figure également sur cette feuille :
« Nous les soussignés, membres de l’Association
des personnes victimes du système Rompetrol et Geomin, confirmons par
signature, être représentés par M. Guseila Ioan, pour la présentation devant la
CEDH de nos demandes tendant à récupérer notre préjudice. »
. Le
11 février 2011, M. Ioan Guseila a transmis à la Cour une lettre accompagnée de
plusieurs documents : une déclaration signée par Mme Folea
Cristina par laquelle elle donne pouvoir à M. Ioan Guseila pour la représenter
dans la procédure devant la Cour, une déclaration olographe signée par Blaga
Dana Carmen par laquelle elle se déclare être l’héritière des feux Cristea
Mihai et Cristea Ana et vouloir continuer la procédure devant la Cour, et une
déclaration olographe signée par Dinca Maria Elena dans laquelle elle indique
être l’épouse de feu Dinca Pompiliu et vouloir continuer la procédure devant la
Cour au nom de son époux.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Les dispositions légales pertinentes
concernant l’exercice de l’action civile
. En vertu de l’article
24 du code de procédure pénale (« CPP »), la partie lésée est la
personne qui, à cause d’un fait pénal, a subi un préjudice corporel, moral ou
matériel et qui participe au procès pénal. La partie civile est la partie lésée
qui exerce l’action civile dans le procès pénal. La plainte pénale doit être
présentée par écrit (article 222 du CPP).
. En vertu de l’article
15 alinéa 1 du CPP, tel qu’applicable au moment des faits, la victime d’une
infraction pénale a la faculté d’introduire une action en réparation du
préjudice résultant d’une infraction en se constituant partie civile dans le
cadre de la procédure pénale. Par ailleurs, l’article 347 du CPP dispose que l’examen
de l’action civile ne doit pas avoir pour effet de retarder la procédure
pénale ; en pareil cas, la juridiction pénale peut refuser l’examen
conjoint de l’action civile.
. La
victime peut aussi introduire directement sa demande en réparation devant les
juridictions civiles (article 19 du CPP) dès le moment des faits. Dans ce cas,
étant donné que les juridictions
civiles sont liées par les jugements définitifs des juridictions pénales en ce
qui concerne la commission des faits et la culpabilité du prévenu (article 22
du CPP), la procédure est en règle générale suspendue dans
l’attente de l’issue de la procédure pénale (article 19 alinéa 2 du CPC).
. Lorsque
le parquet met fin à l’enquête pénale, il n’est pas compétent pour trancher l’action
civile (article 14 du CPP). La plainte formulée contre l’acte du procureur permet
à la juridiction d’examiner la légalité et le bien-fondé de l’acte du
procureur, sans qu’elle ait, en cas de rejet de la plainte, à trancher l’action
civile (article 278 du CPP).
. Lorsque
le tribunal prononce la relaxe en raison de l’existence d’éléments qui écartent
le caractère pénal des faits, il peut statuer sur l’action civile (article 346
(2) du CPP). Tel peut être le cas, par exemple, lorsque la prescription est
intervenue.
B. La prescription des infractions
pénales
. En vertu de l’article
121 du code pénal (CP), l’action pénale est prescrite si des poursuites n’ont
pas été engagées dans un délai déterminé. Ce délai varie en fonction de la
peine dont l’infraction est passible et peut aller de trois à quinze ans (article
122 du CP). Il est interrompu par tout acte de poursuite (article 123 alinéa 2
du CP).
. Indépendamment
des actes de poursuite effectués et des interruptions et suspensions de la
prescription, l’action pénale s’éteint avec l’écoulement du délai de la
prescription dite « spéciale », qui correspond à une fois et demi le
délai de prescription normal (123 alinéa 3 du CP). Dans pareil cas, les
poursuites doivent être clôturées.
C. La prescription en matière civile
41. Aux termes de l’article 3 alinéa 1
du décret no 167/1958 sur la prescription extinctive, la
responsabilité civile délictuelle prescrit à l’expiration d’un délai de trois
ans à compter de la commission du fait délictueux. Le délai de prescription est
interrompu et ne court pas pendant la durée d’une action civile introduite dans
le cadre d’une procédure pénale. Cependant, la prescription n’est pas
interrompue lorsqu’il y a eu cessation du procès (article 16 § 3 du décret no
167/1958).
EN DROIT
. Invoquant l’article
6 de la Convention, tous les requérants se plaignent d’une atteinte au droit d’accès
à un tribunal, que leur cause n’a pas été jugée dans un délai raisonnable et de
la violation du droit à un double degré de juridiction. Ils se plaignent
également d’une atteinte à leur droit au respect de leurs biens, en raison de l’impossibilité
de récupérer les sommes investies dans les opérations financières ainsi que les
intérêts y afférents.
I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA
Requête
A. Sur l’exception du Gouvernement tiré
de l’absence de la qualité de victime des requérants
1. Sur la qualité de victime de l’association
requérante
. Le
Gouvernement estime que l’association requérante ne peut pas se prétendre
victime de la violation des droits qu’elle revendique devant la Cour. Elle n’a
jamais été partie dans la procédure interne et aucun transfert des droits civil
du patrimoine des parties civiles dans le patrimoine de l’association
requérante n’a été réalisé.
. L’association
requérante réplique que le fait pour ses membres de déposer des plaintes
pénales et de se constituer partie civile dans la procédure était suffisant.
Cela rendait, selon elle, inopportun et caduc le dépôt d’une plainte séparée en
son propre nom.
. La Cour
rappelle que peut valablement se prétendre victime d’une ingérence dans l’exercice
de ses droits garantis par la Convention notamment la personne directement
touchée par les faits prétendument constitutifs de l’ingérence. Faute de
pouvoir se prétendre elle-même victime, une association n’a donc pas qualité
pour introduire une Requête dirigée contre une mesure qui frappe ses membres (Mişcarea Producătorilor Agricoli pentru Drepturile Omului c.
Roumanie, no 34461/02, § 32, 22 juillet 2008).
. En l’espèce,
l’association requérante se prévaut des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du
Protocole no 1 à la Convention. Or, la Cour constate que l’association
requérante n’a pas été partie à la procédure interne dans la mesure où elle n’a
pas déposé de plainte pénale et ne s’est pas constituée partie civile. Le
simple fait qu’elle ait soutenu devant les juridictions nationales l’action de
ses membres ne lui permet pas de se plaindre devant la Cour en son propre nom
des aspects soulevés sous l’angle de l’article 6 de la Convention (Mişcarea Producătorilor Agricoli pentru Drepturile Omului, précité, § 33). S’agissant
du grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1
à la Convention, la Cour note que, bien qu’elle ait introduit la présente
Requête en son nom propre, l’association requérante n’a jamais été reconnue en
tant que titulaire des créances litigieuses qui sont restées la propriété de
ses membres (Mişcarea Producătorilor
Agricoli pentru Drepturile Omului, précité, § 34). Il s’ensuit que cette partie de la Requête est incompatible ratione
personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35
§ 3 (a) et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.
2. Sur la qualité de victime des
requérants individuels
. Le
Gouvernement fait valoir que les requérants individuels n’ont pas rempli un
formulaire de Requête et n’ont pas précisé qu’elles étaient leurs propres
prétentions devant la Cour, de sorte que leur volonté de saisir la Cour ne peut
pas être établie. Il indique également que ces requérants n’ont pas prouvé être
tous membres de l’association requérante.
. Le Gouvernement
relève que la requérante Folea Cristina n’a pas signé la
« délégation » donnée en faveur de M. Ioan Guseila le 25 mai 2003. Il
ajoute que les requérants Cristea Mihai, Cristea Ana et Dinca Pompiliu sont
décédés et que les personnes qui ont manifesté leur intention de poursuivre la
procédure devant la Cour n’ont pas fourni des documents pertinents pour
justifier leur qualité d’héritiers des requérants décédés.
. Le requérant Ioan
Guseila fait valoir que la Cour a été saisie par les requérants individuels,
étant donné leur qualité de membres de l’association requérante. Il admet que
la requérante Folea Cristina n’a pas signé la « délégation » rédigée
le 25 mai 2003, mais elle a transmis sa déclaration signée le 11 février 2011
(paragraphe 33 ci-dessus). Pour ce
qui est des requérants décédés, il estime que leurs héritiers peuvent
poursuivre la procédure.
. La Cour
examinera cette exception successivement pour les différents requérants
individuels.
a) Quant à la requérante Folea Cristina
. La Cour note
avec le Gouvernement que la requérante Folea Cristina n’a pas signé le pouvoir
du 25 mai 2003 pour que M. Ioan Guseila la représente devant la Cour. Ce n’est
que le 11 février 2011 qu’elle a donné valablement pouvoir à M. Ioan Guseila
pour la représenter dans la procédure. Dès lors, ce n’est qu’à cette dernière
date que la requérante a saisi la Cour de sa Requête (Post c. Pays Bas,
(déc.), no 21727/08, 20 janvier 2009) et la date de son introduction
serait le 11 février 2011. A supposer même que la décision interne définitive à
l’égard de cette requérante soit l’arrêt définitif du 20 décembre 2002 de la
cour d’appel de Bucarest, il s’ensuit que sa Requête est tardive et doit être
rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la
Convention.
b) Quant aux requérants décédés Mihai
Cristea, Ana Cristea et Dinca Pompiliu
. La Cour
constate que ces requérants sont décédés respectivement en 2005, 2009 et 2006.
Les personnes qui ont demandé à poursuivre la procédure au nom de ces
requérants n’ont pas présenté un certificat d’héritier attestant de leur
qualité d’héritiers des requérants décédés (Gavrileanu
c. Roumanie (radiation), no 18037/02, § 12, 5 mai 2009). Dès lors, la
Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la Requête à l’égard
de ces requérants au sens de l’article 37 § 1 c) de la Convention. Par
ailleurs, conformément à l’article 37 § 1 in fine, la Cour estime qu’aucune circonstance particulière touchant
au respect des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles n’exige la
poursuite de l’examen de la Requête.
c) Quant aux autres requérants
individuels
. La Cour
relève que le formulaire de Requête a été accompagné d’un pouvoir intitulé
« délégation » dans lequel les requérants individuels ont indiqué
leurs noms et apposé leurs signatures, en soulignant qu’ils entendaient être
représentés dans la procédure devant la Cour « engagée afin d’obtenir la
réparation de leur préjudice», par M. Ioan Guseila. Ils ont précisé
ultérieurement vouloir saisir la Cour tant au nom de l’association requérante
qu’en leur nom propre. Partant, la Cour considère qu’elle
dispose d’éléments suffisants pour établir sans équivoque l’intention de ces
requérants individuels de la saisir en leur nom propre (voir,
a contrario, Pana et autres c. Roumanie (déc.), no 3240/03, § 69, 15 novembre 2011). Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement pour cette
partie de la Requête.
B. Sur les exceptions du Gouvernement
tirées du non-épuisement des voies de recours internes et du non-respect du
délai de six mois
. Le
Gouvernement considère que les requérants individuels, à l’exception de M. Ioan
Guseila, n’ont pas saisi la Cour dans le délai de six mois. A cet égard, il
indique qu’aucun des requérants individuels, à l’exception de M. Ioan Guseila,
n’a contesté l’ordonnance du 12 juin 2001 par laquelle le parquet a clôturé
la poursuite pénale pour prescription. Il plaide également qu’il ne ressort pas
du dossier que les requérants individuels aient donné mandat à M. Ioan Guseila
ou à l’association requérante pour former une plainte en leur nom contre cette
ordonnance.
. Le
Gouvernement note également que les requérants Dioanca Gabriel et Stefan Elena
n’ont pas formé de recours contre le jugement du 15 juin 2000 du tribunal
de première instance de Bucarest, et que pour eux la procédure a été donc
finalisée à cette dernière date.
. M. Ioan Guseila
réplique que tous les membres de l’association requérante, qui étaient très
âgés, lui avaient donné un mandat de représentation générale pour qu’il les
représente dans la procédure interne.
. La Cour note
que ces exceptions ne concernent plus les requérants mentionnés aux paragraphes
50 et 51 ci-dessus. Elle rappelle ensuite que, aux termes
de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après
épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux
juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 a pour finalité de
ménager en principe aux États contractants, à savoir éviter ou redresser les violations
alléguées contre lui (Ben Salah Adraqui et
Dhaime c. Espagne (déc.), no
45023/98, CEDH 2000-IV, et Merger et Cros
c. France (déc.), no 68864/01,
11 mars 2004).
. D’après les documents à la
disposition de la Cour, seul M. Ioan Guseila a poursuivi la procédure interne
après que l’ordonnance du parquet du 12 juin 2001 a été rendue. Il ne ressort
pas du dossier et les juridictions nationales n’ont pas retenu dans leurs
jugements que M. Ioan Guseila ait agi également en tant que représentant des
autres requérants individuels. Dès lors, il convient de conclure que ces
derniers n’ont pas valablement épuisé les voies de recours internes. Il s’ensuit que la partie de la Requête concernant les requérants
individuels, à l’exception de M. Ioan Guseila, doit être rejetée pour
non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article
35 §§ 1 et 4 de la Convention.
C. Sur les autres motifs d’irrecevabilité
. Invoquant l’article
6 de la Convention, M. Ioan Guseila se plaint de ce qu’il n’a
pas eu accès à un tribunal et de ce qu’il n’a pas bénéficié au niveau national
d’un double degré de juridiction. Invoquant l’article 1 du Protocole no
1, il se plaint de l’impossibilité de récupérer les sommes
investies ainsi que les intérêts y afférents.
1. Quant au droit d’accès à un tribunal
. Le requérant
considère que les autorités internes ont ajourné délibérément la procédure pour
qu’elle aboutisse à la prescription et leur reproche d’avoir omis de trancher
son action civile.
. Le
Gouvernement souligne qu’en l’espèce l’action pénale a été conclue par le
constat de la prescription devant les organes de poursuite pénale et que selon
le droit interne le parquet n’était pas compétent de trancher l’action civile (paragraphe
37 ci-dessus). Il indique que l’intéressé
avait eu la possibilité de saisir dès le début les juridictions civiles, d’une
action civile séparée (paragraphe 36
ci-dessus), possibilité qu’il gardait également après la clôture des poursuites
pénales. L’obligation pour le requérant d’introduire une action civile séparée
devant les juridictions civiles ne peut être considéré excessive, compte tenu
des compétences limitées du procureur, de la nature juridique de la plainte
formulée contre l’ordonnance de non-lieu et de la nécessité d’assurer la
cohérence du système judiciaire.
. La Cour rappelle
d’emblée que, dans la mesure où le requérant invoque une atteinte de son droit
d’accès à un tribunal en vue de l’établissement de la responsabilité pénale de
C.I. et des autres personnes mises en cause, l’article 6 ne garantit pas
le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers (voir, parmi d’autres,
Perez c. France [GC], no
47287/99, § 70, CEDH 2004-I). La question qui se
pose dès lors dans la présente espèce est de savoir si le fait que les
juridictions pénales n’ont pas examiné l’action civile du requérant, a porté
atteinte au droit de l’intéressé d’avoir accès à un tribunal en matière civile.
. La Cour
rappelle à cet égard que l’article 6 § 1 consacre le droit à un tribunal, dont
le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile,
constitue un aspect. Ce droit n’est toutefois pas absolu : il se prête à
des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une
réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une
certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en
dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention (Atanasova c.
Bulgarie, no 72001/01, § 37, 2 octobre
2008).
. Elle note qu’en
droit roumain, lorsque le tribunal est saisi du bien-fondé d’une plainte pénale
avec constitution de partie civile et qu’il est amené à constater la
prescription de la responsabilité pénale, il peut toutefois décider d’examiner
l’action civile (paragraphe 38 ci-dessus et voir, a contrario, Atanasova
précité, § 23 et Anagnostopoulos c. Grèce, no 54589/00,
§ 19, 3 avril 2003). Dans la présente affaire, toutefois, ce n’est pas le
tribunal qui a clôturé les poursuites pénales pour cause de prescription mais
le parquet. Or, ce dernier n’est pas compétent pour trancher le volet civil d’une
affaire. En conséquence, le tribunal qui a rejeté la plainte du requérant
contre l’ordonnance constatant la cessation de l’affaire n’était compétent que
pour vérifier la légalité et le bien-fondé de la décision du parquet.
. La Cour
relève également que dans d’autres affaires où était en cause l’absence d’examen
d’une action civile en raison de l’irrecevabilité ou de la clôture des
poursuites pénales dans le cadre desquelles celle-ci avait été introduite, elle
a tenu compte de l’existence d’autres voies ouvertes aux requérants pour faire
valoir leurs prétentions. Dans les cas où les requérants disposaient de recours
accessibles et efficaces, elle a conclu à l’absence de violation du droit d’accès
à un tribunal (Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, §§ 53-55, 15 juillet 2003 et Forum Maritime S.A. c. Roumanie, nos 63610/00 et 38692/05, §§ 91-93, 4 octobre 2007).
. En l’espèce, le
droit interne pertinent permettait au requérant de saisir les juridictions
civiles d’une demande en réparation dès le moment des faits, la condamnation au pénal n’étant pas une condition sine qua non
pour une demande en compensation. En effet, il avait le
choix entre l’action civile devant les juridictions de droit civil et la
constitution de partie civile dans le cadre de sa plainte pénale. Cela étant,
le requérant n’a fait aucune démarche devant les juridictions civiles. Il a choisi de son plein gré, alors que l’action civile séparée était
déjà prescrite (paragraphe 41
ci-dessus), de se constituer partie civile dans la cadre de sa plainte pénale,
une voie probablement plus simple et moins onéreuse mais encourant le risque que
les autorités saisies ne puissent pas examiner son action civile.
. Dans les
circonstances de l’espèce, la Cour estime que le défaut d’examen de l’action
civile du requérant dans la cadre de sa plainte pénale n’a pas porté atteinte à
la substance même de son droit d’accès à un tribunal. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal
fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la
Convention.
2. Quant au droit à un double degré de
juridiction
. La Cour
rappelle que l’article 6 de la Convention ne garantit pas le droit de
faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers (voir, parmi d’autres, Perez c. France [GC], no 47287/99,
§ 70, CEDH 2004-I). Dès lors, cet article n’est pas
applicable au volet pénal de la plainte de l’intéressé. En outre, la Convention
ne garantit pas comme tel un double degré de juridiction en matière civile (Iorga c. Roumanie, no 4227/02,
§ 44, 25 janvier 2007). Il s’ensuit que ce grief
est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention
au sens de l’article 35 § 3 (a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
3. Quant au droit du requérant au
respect de ses biens
. Invoquant l’article
1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaint de l’impossibilité
de récupérer les sommes investies dans les actions de la société S.A. Rompetrol
S.A. ainsi que les intérêts y afférents. Cependant, la Cour vient de constater
que le requérant aurait pu saisir les juridictions nationales d’une action
civile séparée pour récupérer son préjudice et que son droit d’accès à un
tribunal n’a pas été méconnu. Dès lors, le requérant n’a pas fait usage d’une
voie de recours qui lui était disponible en droit interne (voir, mutatis
mutandis, Forum Maritime S.A. c. Roumanie, nos 63610/00 et 38692/05, §§ 91-93, 4 octobre 2007). Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies
de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de
la Convention.
D. Sur le bien-fondé du grief tiré de la
durée de la procédure
. Pour ce qui
est du grief du requérant tiré de l’articles 6 de la Convention et portant sur
la durée de la procédure, la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal
fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs
qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le
déclarer recevable.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION
. Le requérant allègue
que son droit à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable a été méconnu, en
violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie
pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui
décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil (...) »
. Il estime que
la durée de la procédure est due exclusivement au comportement des autorités
qui ont accepté facilement l’ajournement de la procédure pour qu’elle aboutisse
à la prescription de l’action pénale.
. Le
Gouvernement fait valoir que la durée de la procédure est justifiée en l’espèce
par la complexité particulière de l’affaire. A cet égard, il relève le nombre
très élevé des parties dans la procédure et la qualification juridique
difficile des faits. Il souligne l’absence de périodes d’inactivité imputables
aux autorités.
. Le requérant
ayant porté plainte avec constitution de partie civile, il ne fait pas de doute
pour la Cour que l’article 6 § 1 sous son volet civil est applicable à la
procédure, dans la mesure où l’action civile en cause ne vise pas des fins
purement répressives (Perez,
précité, §§ 70- 71 et Gorou c. Grèce (no 2)
[GC], no 12686/03, § 26 in
fine, 20 mars 2009).
. La Cour note ensuite
que la période à prendre en considération a débuté le 20
juin 1994, date de la prise d’effet de la reconnaissance
du droit de recours individuel par la Roumanie, date à laquelle le requérant s’était
déjà constitué partie civile dans le cadre de la procédure pénale. La procédure a pris fin par l’arrêt définitif du 20 décembre
2002 de la cour d’appel de Bucarest. Dès lors, la durée de
la procédure à prendre en compte est de huit ans et six mois pour deux degrés
de juridiction.
. Le caractère raisonnable de la durée d’une
procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux
critères consacrés par la jurisprudence de la Cour en la matière, en
particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui
des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés
(voir, parmi d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
. L’affaire en
cause portait sur l’action civile engagée par le requérant dans le cadre d’une
plainte pénale afin d’obtenir la réparation de son préjudice subi à la suite d’une
prétendue infraction reprochée à des tiers.
. Tout en
prenant en compte la complexité de l’affaire, la Cour estime un certain nombre
de délais imputables aux autorités dans le cours de la procédure. En premier
lieu, quatre ans se sont écoulés
entre le 16 mai 1996, date du
renvoi de l’affaire devant le tribunal départemental de Bucarest, et le 15 juin
2000, date du premier jugement portant sur le fond rendu par ce tribunal. Ce premier jugement ayant été cassé en raison de la qualification
juridique incorrecte des faits, l’enquête pénale a redémarré plus de sept ans
après les événements en cause. Après ce renvoi du dossier à la police, la
procédure s’est terminée en vertu de la prescription, empêchant ainsi le
requérant d’obtenir une décision sur le bien-fondé de la demande qu’il avait
formulée dans le cadre de la procédure pénale (Textile
Traders, Ltd c. Portugal, no
52657/99, § 27, 27 février 2003).
. Quant à l’attitude
du requérant, elle ne semble pas avoir été à l’origine de retards injustifiés.
. En conclusion, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont
été soumis et à la lumière des critères établis par sa jurisprudence, la Cour
estime que la durée de la procédure en l’espèce n’a pas répondu à l’exigence du
« délai raisonnable », en violation de l’article 6 § 1.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE
41 DE LA CONVENTION
81. Aux termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
. Le requérant
réclame 140 424 dollars américains (USD) au titre du préjudice matériel,
somme qui représente l’investissement de tous les requérants individuels dans l’opération
menée par C.I., réactualisée de 1993 à 2011. Il réclame également 380 000
USD au titre du préjudice moral subi par tous les requérants individuels dans
la procédure.
. Le
Gouvernement indique qu’aucune instance nationale n’a confirmé que les
requérants aient subi un préjudice. Il estime que la somme sollicitée au titre
du préjudice moral est excessive.
. Concernant le
préjudice matériel allégué, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité avec la
violation constatée et rejette par conséquent cette partie de la demande. En
revanche, elle considère que le requérant a supporté un dommage moral du fait
de la violation constatée de l’article 6 § 1 de la Convention et qu’il
y a lieu de lui octroyer 2 250 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
. Le requérant
demande également 200 USD pour les frais et dépens engagés devant les
juridictions internes et devant la Cour. Il fournit des justificatifs pour une
partie de ces frais. Il demande également à la Cour le remboursement des frais
qu’il aurait engagés pour des consultations juridiques, somme qu’il laisse à l’appréciation
de la Cour.
. Le
Gouvernement estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les violations
alléguées et les frais et dépens dont la restitution est demandée. Il invite la
Cour à octroyer au requérant uniquement les frais encourus dans la procédure
devant la Cour.
. Selon la
jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis
c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no
31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En l’espèce et
compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour
estime raisonnable la somme de 50 EUR tous frais confondus et l’accorde au
requérant.
C. Intérêts moratoires
. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer la Requête
du rôle pour ce qui est des requérants Mihai Cristea, Ana Cristea et Dinca
Pompiliu ;
2. Déclare la Requête recevable
pour ce qui est du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention relatif à la durée
de la procédure soulevé par le requérant M. Ioan Guseila, et irrecevable pour
le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au
requérant, M. Ioan Guseila, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt
sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la
Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable
à la date du règlement) :
i) 2 250 EUR (deux mille deux
cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour
dommage moral ;
ii) 50 EUR (cinquante euros), plus
tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et
dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
5. Rejette la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 25 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago
Quesada Josep
Casadevall
Greffier Président