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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> Hasan Uzun v. Turkey (dec.) - 10755/13 - Second Section (French Text) [2013] ECHR 642 (30 April 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/642.html
Cite as: [2013] ECHR 642

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DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 10755/13
Hasan UZUN
contre la Turquie

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 30 avril 2013 en une Chambre composée de :

          Guido Raimondi, président,
          Danutė Jočienė,
          Peer Lorenzen,
          András Sajó,
          Işıl Karakaş,
          Nebojša Vučinić,
          Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 3 janvier 2013,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour.

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Hasan Uzun, est un ressortissant turc né en 1937 et résidant à Muğla.

I.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le 1er juin 2009, I.U. introduisit un recours en rectification du registre foncier à l’encontre du requérant, à la suite d’un litige sur les limites de propriété de deux terrains voisins.

4.  Le 22 septembre 2011, le tribunal d’instance de Muğla, se référant à une expertise, une visite des lieux et différents témoignages, ordonna l’inscription d’une partie de terrain d’environ 75 m2, que le requérant utilisait jusqu’alors, au nom de cette tierce personne.

5.  Le requérant forma pourvoi en s’appuyant notamment sur certaines irrégularités commises lors de la convocation à la visite sur les lieux des différentes parties à la procédure.

6.  Le 25 septembre 2012, la Cour de cassation confirma la décision contestée.

II.  Le droit interne pertinent

A.  La Constitution de la République de Turquie

1.  Introduction

7.  A la suite des amendements constitutionnels introduits par la loi no 5982 publiée au Journal officiel le 13 mai 2010 et entrée en vigueur le 23 septembre 2010 à la suite d’un référendum, le nombre de juges de la Cour constitutionnelle turque (« la CCT ») est passé de onze à dix-sept : en vertu de l’article 18 provisoire de cette loi, les quatre juges suppléants sont devenus, à cette dernière date, des membres permanents et l’élection de deux nouveaux juges a eu lieu dans le délai d’un mois prévu par la loi no 5982.

8.  Afin que la Cour constitutionnelle puisse faire face efficacement à l’accroissement de sa charge de travail, deux chambres ont été créées. Certaines attributions ressortissent exclusivement à l’assemblée plénière.

9.  Les deux chambres, constituées de cinq juges chacune, sont présidées par les deux vice-présidents de la CCT. Les recours individuels relèvent de la compétence des chambres qui sont constituées au sein des deux sections, de huit juges chacune.

2.  Les dispositions pertinentes de la Constitution

10.  L’article 90 § 5 de la Constitution est ainsi libellé :

« Les conventions internationales dûment mises en vigueur ont force de loi. Elles ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle. En cas de conflit entre les conventions internationales relatives aux droits et libertés fondamentaux dûment mises en vigueur et les lois, les dispositions pertinentes des conventions internationales prévalent. »

11.  L’article 148 de la Constitution, tel que modifié par la loi no 5982, se lit ainsi :

« 1.  La Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution, quant à la forme et quant au fond, des lois, des décrets-lois et du règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale de Turquie, et statue sur les recours individuels. En ce qui concerne les amendements constitutionnels, l’examen et le contrôle de la Cour constitutionnelle portent exclusivement sur la forme (...)

3.  Toute personne estimant avoir été lésée par la puissance publique dans l’une de ses libertés fondamentales ou dans l’un de ses droits garantis par la Constitution et protégés par la Convention européenne des droits de l’homme peut former un recours devant la Cour constitutionnelle. Ce recours ne peut être introduit qu’après l’épuisement des voies de recours ordinaires (...)

5.  Les moyens de cassation ne peuvent être examinés par la Cour constitutionnelle dans le cadre d’un recours individuel (...) »

12.  L’article 149, tel que modifié par la loi no 5982, est libellé comme suit :

« 1.  Pour l’examen des affaires portées devant elle, la Cour constitutionnelle siège en deux chambres et en une assemblée plénière. Les chambres sont composées de quatre juges qui se réunissent sous la présidence d’un vice-président de la cour. L’assemblée plénière est composée de douze juges au moins qui se réunissent sous la présidence du président de la cour ou du vice-président désigné par celui-ci. L’assemblée plénière se réunit sous la présidence du président de la cour ou du vice-président désigné par lui et avec au moins douze membres. Les chambres et l’assemblée plénière statuent à la majorité absolue. Des commissions peuvent être constituées pour l’examen de la recevabilité des recours individuels.

2.  Les recours et les assignations en justice concernant les partis politiques, les recours en annulation et les procès conduits par la cour en qualité de Haute Cour sont examinés par l’assemblée plénière, tandis que les recours individuels sont traités par les chambres (...)

4.  Hormis les cas où elle est saisie en qualité de Haute Cour, la Cour constitutionnelle examine les affaires sur dossier. Toutefois, elle peut décider de tenir une audience dans le cadre d’un recours individuel (...) »

13.  L’article 153 § 6 de la Constitution se lit ainsi :

« Les décisions de la Cour constitutionnelle sont immédiatement publiées au Journal officiel et lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ainsi que les autorités administratives et les personnes physiques et morales. »

B.  La loi no 6216 établissant la Cour constitutionnelle et ses règles de procédure

1.  Introduction

14.  La loi no 6216 sur la Cour constitutionnelle et ses règles de procédure, et remplaçant l’ancienne loi de 1983, a été publiée au Journal officiel le 3 avril 2011.

15.  Les dispositions relatives au droit de recours individuel devant la CCT de cette loi sont entrées en vigueur le 23 septembre 2012. Tout individu peut introduire un tel recours contre les décisions qui sont devenues définitives après le 23 septembre 2012 en invoquant les droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme.

16.  La Constitution de la République de Turquie distingue trois catégories de droits : les droits individuels, les droits économiques et sociaux, et les droits politiques. Dans le cadre du recours constitutionnel ne peuvent être examinées que les violations alléguées des droits et libertés énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme. Il en résulte que la portée de cette protection est limitée par rapport aux droits énoncés dans la Constitution (pour plus de détails, voir l’avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« Commission de Venise ») des 18 et 19 juin 2004).

17.  Le rapport explicatif relatif aux amendements constitutionnels indique que le recours individuel devant la CCT est un recours différent du recours en inconstitutionnalité des lois, du recours permettant de contester la légalité d’actes administratifs, du recours en cassation et du recours en révision de jugement. D’après le rapport, ce nouveau recours interne est analogue au recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme.

18.  Quelques-uns des aspects principaux de ce recours peuvent se résumer comme suit.

19.  Le recours peut être déposé au greffe de la CCT ou des tribunaux nationaux ou aux représentations à l’étranger en vue d’une transmission à la CCT, dans un délai de trente jours après l’épuisement des voies de recours ordinaires ; si aucune voie de recours n’est disponible, le délai commence à courir à la date à laquelle l’intéressé a pris connaissance de la violation. Le recours est soumis au paiement de frais judiciaires (172,50 livres turques pour 2012, soit environ 74 euros ; 198,35 livres turques pour 2013, soit environ 84 euros) ; une demande d’assistance judiciaire peut être introduite selon les règles générales (pour plus de détails, voir les paragraphes 25 et suivants ci-dessous).

20.  Aux termes de l’article 48 §§ 3 et 4 de la loi no 6216, une commission, constituée au minimum de deux juges, statue sur la recevabilité du recours. Elle ne peut déclarer un recours irrecevable qu’à l’unanimité.

21.  Selon l’article 27 § 1 du règlement de la CCT, deux sections de huit juges chacune sont constituées. Les recours qui ne sont pas déclarés irrecevables sont examinés par une chambre de cinq juges, constituée au sein d’une des sections, et le ministre de la Justice peut être invité à soumettre des observations (article 149 § 1 de la Constitution, article 49 §§ 1 et 2 de la loi et article 29 § 1 du règlement).

22.  Les divergences de jurisprudence entre les commissions sont arbitrées par les sections auxquelles elles sont rattachées ; celles entre les sections sont tranchées par l’assemblée plénière (article 50 § 4).

23.  La CCT peut indiquer des mesures provisoires (article 49 § 5). Lorsqu’elle a conclu à l’existence d’une violation, elle peut accorder une indemnité, ordonner la réouverture de la procédure et indiquer les moyens d’effacer les conséquences de la violation (article 50 § 2 de la loi et article 79 § 1 a) du règlement).

24.  Quant aux mesures pratiques de mise en œuvre du recours individuel, les dernières dispositions de la loi accordent à la CCT des ressources budgétaires lui permettant de pourvoir son greffe d’effectifs supplémentaires (160 juristes, et 439 agents administratifs et autres).

2.  Le texte des dispositions pertinentes de la loi no 6216

25.  Dans la loi no 6216, les parties sur le recours individuel pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

Le droit de recours individuel

Article 45

« 1)  Toute personne s’estimant lésée par la puissance publique dans l’un de ses droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution et garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et les Protocoles que la Turquie a ratifiés peut former un recours devant la Cour constitutionnelle.

2)  Le recours individuel ne peut être introduit qu’après l’épuisement des voies de recours administratives et judiciaires prévues par la loi pour l’acte, la voie de fait ou la négligence dénoncés.

3)  Un recours individuel ne peut être introduit directement contre les actes législatifs et les actes administratifs à caractère général ; les décisions de la Cour constitutionnelle et les actes exclus du contrôle judiciaire au regard de la Constitution ne peuvent pas non plus faire l’objet d’un recours individuel. »

Les titulaires du droit de recours individuel

Article 46

« 1)  Seule une personne dont un droit actuel et individuel s’est trouvé directement affecté par l’acte, la voie de fait ou la négligence à l’origine de la violation alléguée peut introduire un recours individuel.

2)  Une personne morale de droit public ne peut pas introduire de recours individuel. Une personne morale de droit privé ne peut introduire un recours individuel que dans la mesure où la violation alléguée concerne les droits de la personne morale.

3)  Un étranger ne peut pas introduire un recours individuel se rapportant aux droits reconnus aux seuls ressortissants turcs. »

La procédure de recours individuel

Article 47

« 1)  Les recours individuels peuvent être introduits directement ou par le biais des tribunaux nationaux ou des représentations à l’étranger, conformément aux dispositions de la loi et du règlement. Les conditions de forme et de fond d’autres moyens de former un recours individuel sont fixées par le règlement de la Cour constitutionnelle.

2)  Les recours individuels sont soumis au paiement de frais judiciaires.

3)  Le recours doit comporter les éléments suivants : les informations relatives à l’identité et l’adresse de l’auteur du recours et éventuellement de son représentant ; les droits et libertés dont l’auteur du recours allègue qu’ils ont été violés par un acte, une voie de fait ou une négligence ; les dispositions de la Constitution sur lesquelles s’appuie l’auteur du recours ; les arguments à l’appui de la violation ; les étapes concernant l’épuisement des voies de recours ordinaires ; la date à laquelle les recours ont été épuisés ; si aucune voie de recours n’est prévue, la date à laquelle il a été pris connaissance de la violation alléguée et, s’il y a lieu, l’indication du préjudice subi. La demande doit être assortie des éléments de preuve sur lesquels s’appuie l’auteur du recours, de l’original ou d’une copie de l’acte ou de la décision indiqué comme étant à l’origine de la violation et du justificatif de paiement des frais judiciaires.

4)  Si l’auteur du recours est représenté par un avocat, il doit produire une procuration.

5)  Le recours individuel doit être introduit dans un délai de trente jours à partir de l’épuisement des voies de recours ordinaires ; si aucune voie de recours n’est prévue, le délai commence à courir à la date à laquelle l’intéressé a pris connaissance de la violation. Si une personne peut justifier d’un motif l’ayant empêchée d’introduire le recours dans ce délai, elle dispose de quinze jours à partir de la date à laquelle l’empêchement a pris fin, pour introduire le recours, en l’accompagnant des pièces justifiant cet empêchement. La cour vérifie la validité de la raison présentée par l’auteur du recours avant d’accueillir ou de rejeter le recours.

6)  Si les documents fournis lors de l’introduction du recours sont incomplets, le greffe de la cour accorde un délai maximal de quinze jours à l’auteur du recours ou éventuellement à son représentant pour qu’il soit remédié à cette irrégularité. L’intéressé est informé du fait que son recours sera rejeté s’il n’a pas, sans motif valable, complété le dossier dans ce délai. »

Les conditions de recevabilité des recours individuels et leur examen

Article 48

« 1)  Pour être déclaré recevable, le recours individuel doit remplir les conditions prévues aux articles 45 à 47.

2)  La cour peut déclarer irrecevables les recours ne présentant pas d’intérêt pour l’interprétation et l’application de la Constitution ou pour l’établissement du champ d’application et des limites des droits fondamentaux, les recours concernant des cas dans lesquels l’auteur du recours n’a subi aucun préjudice important et les recours qu’elle considère comme étant manifestement mal fondés.

3)  Une commission statue sur la recevabilité du recours. Elle ne peut le déclarer irrecevable qu’à l’unanimité. A défaut d’unanimité, l’affaire est transférée aux sections.

4)  La décision d’irrecevabilité est définitive et est communiquée aux personnes concernées.

5)  Les autres conditions de forme et de fond relatives à la procédure sur la recevabilité sont fixées par le règlement. »

L’examen au fond des recours

Article 49

« 1)  L’examen au fond des recours individuels déclarés recevables est effectué par les chambres. Le président prend les mesures nécessaires pour assurer une répartition équitable des tâches entre les sections.

2)  Lorsqu’un recours individuel est déclaré recevable, une copie en est envoyée au ministère de la Justice pour information. Le ministère de la Justice peut soumettre des observations s’il l’estime nécessaire.

3)  Les commissions et les chambres peuvent faire toutes recherches et investigations utiles dans le cadre de l’examen des recours individuels pour établir s’il y a eu ou non violation d’un droit fondamental.

4)  La cour effectue son examen sur dossier ; toutefois, elle peut décider de tenir une audience si elle l’estime nécessaire.

5)  Lors de l’examen au fond, les chambres peuvent ordonner d’office ou sur demande de l’auteur du recours toutes les mesures provisoires qu’elles estiment nécessaires pour la protection des droits fondamentaux de l’intéressé. Dans le cas où une mesure provisoire est indiquée, une décision doit être rendue dans un délai de six mois, sans quoi la mesure provisoire est levée d’office.

6)  L’examen au fond des recours individuels introduits contre une décision judiciaire, effectué par les chambres, consiste à établir s’il y a eu ou non violation des droits fondamentaux et à définir les mesures appropriées pour mettre fin à la violation. Les moyens de cassation ne peuvent pas être examinés.

7)  En cas d’absence, dans la présente loi et dans le règlement, de règles pertinentes relativement à la procédure à suivre lors de l’examen des recours individuels, ce sont les dispositions adéquates des codes de procédure qui s’appliquent.

8)  Les autres questions concernant la procédure relative à l’examen au fond sont régies par le règlement. »

Les décisions

Article 50

« 1)  Au terme de l’examen au fond, une décision est rendue sur la violation ou la non-violation d’un droit de l’auteur du recours. Si une décision de violation a été rendue, les mesures à prendre pour mettre fin à la violation et en effacer les conséquences sont précisées dans le dispositif. Il ne peut être procédé à un examen d’opportunité d’un acte administratif et une décision de nature à constituer un tel acte ne peut être rendue.

2)  Lorsque la violation constatée découle d’une décision judiciaire, le dossier est renvoyé au tribunal compétent pour une réouverture de la procédure en vue de mettre fin à la violation et d’en effacer les conséquences. Dans les cas où il n’y a pas d’intérêt juridique à rouvrir la procédure, l’auteur du recours peut se voir octroyer une indemnité ou être invité à entamer une procédure devant les tribunaux compétents. Le tribunal chargé de rouvrir la procédure rend sa décision, dans la mesure du possible sur dossier, en vue de remédier à la violation constatée par la Cour constitutionnelle dans sa décision et d’effacer les conséquences de ladite violation.

3)  Les décisions rendues par les chambres sont notifiées aux personnes concernées et au ministère de la Justice, et sont publiées sur le site Internet de la cour. Les critères de publication au Journal officiel sont énoncés dans le règlement.

4)  Les divergences de jurisprudence entre les commissions sont tranchées par les sections auxquelles elles sont rattachées ; celles entre les sections sont tranchées par l’assemblée plénière. Les autres dispositions régissant cette question sont exposées dans le règlement de la Cour constitutionnelle.

5)  En cas de renonciation, le recours est rayé du rôle. »

L’abus du droit de recours individuel

Article 51

« Les personnes ayant manifestement abusé du droit de recours individuel peuvent se voir infliger une amende disciplinaire d’un montant maximal de 2 000 livres turques, hors frais de justice. »

Les dispositions transitoires

Article 1 provisoire

« 8)  La cour est compétente pour examiner les recours individuels introduits contre les actes et décisions devenus définitifs après le 23 septembre 2012. »

C.  Le règlement de la CCT

26.  Le règlement de la CCT a été publié au Journal officiel du 12 juillet 2012 et est entré en vigueur le même jour, annulant le précédent règlement de 1986.

27.  Les dispositions relatives au recours individuel régissent, entre autres, l’introduction du recours, la représentation de l’auteur du recours, l’assistance judiciaire (article 62 § 2), l’organisation du greffe, la répartition des tâches, la correspondance avec l’auteur du recours et les autorités, les modalités concernant la composition et la constitution des commissions et des chambres (articles 22, 27, 29, 32 et 34), la procédure concernant les prises de décision et les votes (article 72), la notification d’une mesure provisoire aux autorités concernées dans les cas où un danger imminent menace la vie ou l’intégrité physique et morale de la personne (article 73), la procédure relative aux audiences et la procédure de l’arrêt pilote, la préparation de projets de décisions ainsi que leurs formes, la procédure à suivre pour l’octroi d’une indemnité ou la réouverture de la procédure, la saisine du tribunal compétent lorsque le calcul de l’indemnité à accorder est considéré comme complexe (article 79 § 1 c)), l’indication des mesures nécessaires pour effacer les conséquences de la violation constatée (article 79 § 2) et, enfin, la rectification des décisions (article 82).

III.  Documents internationaux pertinents

A.  La Recommandation du Comité des Ministres sur l’amélioration des recours internes

28.  La Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’amélioration des recours internes (CM/Rec(2004)6), adoptée par le Comité des Ministres le 12 mai 2004, lors de sa 114e session, indique les carences existant dans de nombreux Etats membres concernant la disponibilité de recours internes et/ou leur effectivité, avec comme conséquence une charge de travail supplémentaire pour la Cour (paragraphe 12 de la recommandation). Elle charge le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de déployer les moyens nécessaires pour donner une assistance appropriée aux Etats membres qui le demanderaient, afin de les aider à mettre en place les recours effectifs – spécifiques ou généraux – exigés par la Convention.

B.  La Déclaration de Brighton

29.  La déclaration adoptée à l’issue de la Conférence à haut niveau réunie à Brighton les 19 et 20 avril 2012 à l’initiative de la présidence britannique du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe reprend les grandes lignes de la Déclaration d’Interlaken et de la Déclaration d’İzmir, et souligne à plusieurs reprises le caractère subsidiaire du mécanisme de la Convention ; elle invite les Etats membres à établir, si elles ne l’ont pas encore fait, une institution nationale indépendante chargée des droits de l’homme et de la mise en œuvre de la Convention au plan national.

C.  Les rapports et avis de la Commission de Venise

30.  Lors de sa 85e session plénière des 17 et 18 décembre 2010, la Commission de Venise a adopté l’« Etude sur l’accès individuel à la justice constitutionnelle », dans laquelle elle annonçait qu’un recours individuel effectif devant une Cour constitutionnelle pouvait être considéré comme un filtre national applicable aux affaires avant que celles-ci ne fassent l’objet d’une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme (paragraphes 82-94 de l’étude).

31.  Auparavant, lors de sa 59e session plénière des 18 et 19 juin 2004, la Commission avait déjà adopté un avis sur le projet d’amendements constitutionnels relatifs à la Cour constitutionnelle turque, dans lequel elle avait conclu notamment que les amendements constitutionnels (paragraphes 7-13 ci-dessus) étaient justifiés, s’inspiraient de solutions déjà mises en œuvre dans d’autres pays européens, satisfaisaient aux normes européennes et préconisaient des solutions et des modifications allant dans le sens de l’efficacité de la CCT, notamment en matière de protection des droits fondamentaux.

32.  Enfin, la Commission de Venise a aussi, lors de sa 88e session plénière des 14 et 15 octobre 2011, adopté un avis sur la nouvelle loi no 6216. Dans la partie consacrée au recours individuel, la Commission a exprimé, entre autres, sa préoccupation quant au libellé de l’article 46 § 3, qui risquait à ses yeux de permettre une interprétation restrictive à l’endroit des étrangers.

GRIEFS

33.  Invoquant les articles 6 et 14 de la Convention, le requérant allègue essentiellement que la visite des lieux en présence des experts et témoins a eu lieu un jour avant la date à laquelle elle avait été fixée et que ses deux témoins n’ont pas été dûment informés de ce changement.

EN DROIT

34.  Le requérant se plaint que la procédure civile en cause, qui est devenue définitive le 25 septembre 2012 par la décision de la Cour de cassation, est entachée d’irrégularité. Il y voit une violation des articles 6 et 14 de la Convention.

En procédant à l’examen de la recevabilité de la présente requête, la Cour se penchera d’emblée sur l’épuisement des voies de recours internes et plus particulièrement sur le recours individuel devant la CCT, qu’il est possible de former, en vertu de la loi no 6216, dans les cas où la procédure a abouti après le 23 septembre 2012.

I.  Principes généraux sur l’épuisement des voies de recours internes

35.  Aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention :

« La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. »

36.  La Cour a souligné maintes fois l’importance de l’épuisement des voies de recours internes et le caractère subsidiaire du mécanisme de la Convention.

37.  En vertu de l’article 1 de la Convention, aux termes duquel « [l]es Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention », la mise en œuvre et la sanction des droits et libertés garantis par la Convention reviennent au premier chef aux autorités nationales. Le mécanisme de plainte devant la Cour revêt donc un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 38, CEDH 2006‑V).

38.  La Cour rappelle ensuite que l’obligation de faire valoir les griefs devant les instances nationales se limite à l’usage des recours vraisemblablement effectifs, suffisants, accessibles, relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Lorsqu’un Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, il doit convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement approprié de ses griefs, et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès. Toutefois, si certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes qui s’offrent à lui, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné, qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec, ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, §§ 68-71, 17 septembre 2009).

39.  La Cour rappelle enfin qu’il est primordial que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. Elle a la charge de surveiller le respect par les Etats contractants de leurs obligations au titre de la Convention. Elle ne peut ni ne doit se substituer aux Etats contractants, auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l’épuisement des voies de recours internes est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection. Les Etats n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour en ce qui concerne les griefs dirigés contre un Etat ont dès lors l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de leur pays (Demopolous c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 69, CEDH–2010).

A.  Un recours spécifique

40.  La Cour s’est déjà prononcée sur des cas dans lesquels il était question d’une voie de recours spécifique instaurée par l’Etat contractant, notamment après un arrêt de principe qui constatait un problème à grande échelle donnant lieu à une multitude de requêtes devant elle.

Ainsi, elle a déclaré irrecevables des requêtes répétitives une fois qu’un recours susceptible de remédier à un problème structurel avait été mis en place en droit interne, par exemple dans le cas de durée excessive des procédures (Turgut et autres c. Turquie (déc.), no 4860/09, 26 mars 2013, Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001‑IX, Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01, CEDH 2002‑VIII, et Andrasik et autres c. Slovaquie (déc.), no 57984/00, 22 octobre 2002), dans le cas d’atteinte au droit au respect des biens (İçyer c. Turquie (déc.), no 18888/02, CEDH 2006‑I), ou encore lorsqu’il s’agissait de problèmes liés à la restitution de biens (Demopolous, précité, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, CEDH 2004‑V, et Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 31443/96, CEDH 2005‑IX, et les affaires qui ont été rayées du rôle par la suite, par exemple Genowefa Witkowska-Toboła c. Pologne (déc.) no 11208/02, 4 décembre 2007 ; pour plus de détails sur différents points concernant l’épuisement des voies de recours internes, voir aussi Cocchiarella, précité, §§ 65-107, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 145-213, CEDH 2006-V, et Vasile Balan c. Moldova (déc.), no 44746/08, 24 janvier 2012).

41.  Récemment, dans l’arrêt Reinhold Taron c. Allemagne ((déc.), no 53126/07, 29 mai 2012), la Cour a déclaré des requêtes irrecevables en raison de l’entrée en vigueur de la loi prévoyant l’octroi d’une indemnité pour la durée excessive d’une procédure. Pour ce faire, elle a pris en considération notamment le fait que la loi prévoyait l’application des critères de la Convention. Se référant à la marge d’appréciation accordée aux Etats contractants en matière d’octroi d’une indemnité pour la durée excessive d’une procédure, la Cour a annoncé qu’il n’était pas approprié de se livrer à un examen abstrait de la loi concernée puisqu’il n’y avait aucune raison de douter que celle-ci atteigne les buts pour lesquels elle avait été promulguée. Elle n’a toutefois pas manqué de rappeler qu’elle pouvait modifier sa position à l’avenir au vu de la capacité des tribunaux nationaux à établir une jurisprudence en cohérence avec les exigences de la Convention (voir aussi Garcia Cancio c. Allemagne (déc.), no 19488/09, §§ 45-50, 29 mai 2012, et Krasuski c. Pologne, no 61444/00, §§ 70-71, CEDH 2005-V).

B.  Un recours de caractère général

42.  Quand il s’agit d’un système juridique prévu pour la protection des droits et libertés fondamentaux, il incombe à l’individu qui se considère comme victime de tester les limites de cette protection (Mirazović c. Bosnie‑Herzégovine (déc.), no 13628/03, 16 mai 2006, et Independent News and Media and Independent Newspapers Ireland Limited c. Irlande (déc.), no 55120/00, 19 juin 2003).

43.  S’agissant par exemple de l’Allemagne, la Cour a généralement qualifié la voie du recours constitutionnel d’accessible et d’effective (Müller c. Allemagne (déc.), no 36395/07, 11 mars 2008, et Schädlich c. Allemagne (déc.), no 21423/07, 3 février 2009). Elle a aussi pris en considération l’état de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande pour décider si le requérant devait ou non épuiser cette voie, mais elle a estimé que de simples doutes quant à l’effectivité de celle-ci ne dispensaient pas le requérant de l’exercer, notamment dans le cas où il n’était pas en mesure de présenter des décisions à l’appui de sa thèse (Allaoui et autres c. Allemagne (déc.), no 44911/98, 19 janvier 1999). La Cour a également exigé l’épuisement de la voie de recours devant la Cour constitutionnelle fédérale même dans des affaires que l’on peut qualifier de plus importantes, par exemple lorsque, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, le requérant avait contesté le refus par le tribunal administratif de l’octroi de mesures provisoires contre son expulsion (Djilali c. Allemagne (déc.), no 48437/99, 22 juin 1999, voir aussi Mogos et Krifka c. Allemagne (déc.), no 78084/01, 27 mars 2003).

44.  La Cour a aussi indiqué qu’elle n’était pas en mesure d’exclure que la Cour constitutionnelle fédérale pût admettre un recours constitutionnel après avoir estimé que la cour d’appel s’était montrée trop formaliste dans son appréciation des critères de recevabilité (Marchitan c. Allemagne (déc.), no 22448/07, 19 janvier 2010).

45.  Bien entendu, le fait de qualifier cette voie de recours d’accessible et d’effective n’a pas empêché la Cour de faire une exception concernant des griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et relatifs à la durée excessive de procédures civiles (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, §§ 103 et suivants, CEDH 2006-VII), ainsi que concernant la durée de certaines procédures pénales. Si, en effet, la Cour constitutionnelle fédérale peut admettre un recours constitutionnel lorsque les juridictions pénales n’ont pas suffisamment tenu compte de la durée excessive de la procédure (en accordant l’atténuation de la peine ou le classement de l’affaire), elle ne peut intervenir lorsque l’affaire a été classée pour d’autres motifs ou lorsque l’accusé a été acquitté (voir les arrêts Ommer c. Allemagne (no 1) et Ommer c. Allemagne (no 2), no 10597/03 et no 26073/03, 13 novembre 2008, §§ 71-76 et §§ 56-64, respectivement).

46.  S’agissant de l’Espagne, la Cour a indiqué que les griefs doivent impérativement faire l’objet d’un recours d’amparo avant de pouvoir être soumis à la Cour, à l’exception de ceux qui sont relatifs au droit de propriété, lequel n’est pas couvert par le recours en question (Arcadio Fernandez-Molina Gonzalez c. Espagne (déc.), no 64359/01, 8 octobre 2002).

47.  S’agissant de la République tchèque, les organes de la Convention ont exigé qu’un requérant ait épuisé la voie du recours constitutionnel avant de porter devant eux un grief tiré de la violation des droits ou des libertés fondamentaux (J.A. c. République tchèque, no 22926/93, décision de la Commission du 7 avril 1994, p. 118, Décisions et rapports (DR) 77, et Karel Hava c. République tchèque, no 23256/94, décision de la Commission du 29 juin 1994, p. 139, DR 78). La Cour a fait là aussi une exception pour un grief portant sur la durée d’une procédure, la Cour constitutionnelle tchèque ne pouvant ni accorder une indemnité ni convier les tribunaux à prendre des mesures d’accélération de la procédure, tout en admettant bien entendu la règle plus générale selon laquelle, lorsque le requérant s’appuie sur une jurisprudence de la Cour constitutionnelle bien établie et défavorable pour lui, il est dispensé d’épuiser cette voie de recours (Eremiášová et Pechová c. République tchèque, no 23944/04, §§ 98-101, 16 février 2012).

48.  Pour ces trois Etats, la Cour a pris en considération notamment :

a)  l’existence d’un recours constitutionnel spécifique qui permet à la juridiction constitutionnelle

i.  de remédier à des violations de droits et libertés commises par une autorité publique,

ii.  ou, lorsque la violation d’un droit garanti par la Constitution résulte d’une ingérence autre qu’une décision, d’interdire à l’autorité concernée de poursuivre la violation de ce droit,

iii.  et de lui ordonner de rétablir, autant que faire se peut, le statu quo ante,

b)  le fait que le recours constitutionnel offre un remède aux violations trouvant leur origine immédiate et directe dans un acte ou une omission d’un organe judiciaire, indépendamment des faits qui ont donné lieu à la procédure (Apostol c. Géorgie, no 40765/02, § 42, CEDH 2006-XIV, et les références qui y figurent ; Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 49, CEDH 2003-VIII, Sürmeli, précité, § 62, Riera Blume et autres c. Espagne (déc.), no 37680/97, CEDH 1999-II, et Voggenreiter c. Allemagne, no 47169/99, § 23, CEDH 2004-I).

49.  Dans l’affaire Apostol précitée, la Cour a rejeté l’exception du gouvernement défendeur, considérant notamment :

–  que les dispositions pertinentes de la Constitution ne présentaient pas des garanties comparables à celles de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,

–  que le gouvernement défendeur n’avait pu présenter aucun exemple démentant ce constat, et,

–  que le recours constitutionnel individuel ne pouvait passer avec un degré suffisant de certitude pour un redressement approprié du grief tiré de l’inexécution d’un jugement, car la Cour constitutionnelle géorgienne n’avait pas compétence pour annuler les décisions individuelles prises par des autorités publiques ou des organes juridictionnels et affectant directement les droits des justiciables (Apostol, précité, §§ 36-46).

50.  Dans l’affaire Ismayilov c. Azerbaïdjan (no 4439/04, 17 janvier 2008), dans laquelle elle avait été appelée à examiner la nécessité pour le requérant d’introduire un recours devant la Cour constitutionnelle, la Cour a écarté l’exception du gouvernement défendeur au motif que le recours prévu par la Constitution n’avait pas été concrètement mis en place pendant environ un an et demi, période pendant laquelle la Cour constitutionnelle avait refusé d’examiner les recours pour absence de règles procédurales. Ayant introduit sa requête pendant cette période, le requérant n’avait donc pas disposé d’une voie de recours interne. La Cour a aussi tenu compte du fait que le recours prévu par la Constitution était subordonné à l’introduction d’un recours préalable visant la réouverture de la procédure par la Cour de cassation, recours extraordinaire qu’un requérant n’avait pas à exercer pour introduire une requête devant elle (s’agissant d’un « recours préalable », voir aussi Ištván et Ištvánová c. Slovaquie, no 30189/07, §§ 19 et 79-81, 12 juin 2012).

51.  Quant à la Serbie, la Cour a considéré dans l’affaire Vinčić et autres c. Serbie (nos 44698/06, 44700/06 (...) et 45249/07, 1er décembre 2009) que les requérants n’avaient pas à exercer la voie de recours prévue devant la Cour constitutionnelle et la commission d’indemnisation au motif qu’ils avaient introduit leur requête avant la date à laquelle cette voie de recours pouvait être considérée comme effective, à savoir le 7 août 2008, date de publication des premières décisions de la Cour constitutionnelle. Cette approche provient notamment de ce que, à deux semaines de l’entrée en vigueur de la loi instaurant ce recours, un certain nombre de juges de la Cour constitutionnelle serbe n’avaient toujours pas été nommés (Vinčić et autres, précité, § 29) et de ce que le règlement de la Cour constitutionnelle n’était entré en vigueur que trois mois plus tard (idem, §§ 30-31). A la lumière de cet arrêt, les requêtes introduites après la date susmentionnée, dans lesquelles les requérants n’avaient pas saisi la Cour constitutionnelle, ont été déclarées irrecevables pour non-épuisement des voies de recours internes (Živomir Jovanović c. Serbie (déc.), no 9560/09, 14 septembre 2010). S’agissant des requérants qui ont exercé cette voie de recours, la Cour examine bien entendu s’ils ont ou non qualité de victime (Nenad Vidaković c. Serbie (déc.), no 16231/07, § 34, 24 mai 2011, et Ljiljana Predić-Joksić c. Serbie (déc.), no 19424/07, §§ 23-31, 20 mars 2012).

II.  LE RECOURS CONSTITUTIONNEL EN JEU En l’espèce

52.  L’article 148 § 3 de la Constitution, tel que modifié le 13 mai 2010, donne compétence à la CCT pour examiner des recours individuels concernant les droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme et ses Protocoles, après l’épuisement des voies de recours ordinaires. Selon l’article provisoire 1 § 8 de la loi no 6216, seules les décisions devenues définitives après le 23 septembre 2012 peuvent faire l’objet d’un recours individuel.

53.  La Cour estime qu’il est nécessaire de se pencher en premier lieu sur les aspects pratiques de cette voie, tels que l’accessibilité à celle-ci et les modalités du recours individuel, et d’examiner ensuite la volonté du législateur concernant ce nouveau recours, à savoir le champ de compétence de la CCT, les moyens qui lui sont accordés, et l’étendue et les effets de ses décisions.

A.  L’accessibilité à la CCT

54.  La Cour doit examiner d’abord si ce nouveau recours est accessible. A cet égard, il y a lieu de prendre en considération les recours ordinaires à épuiser, et la facilité, le délai et les modalités de saisine de la CCT.

55.  La Cour note que, aux termes de la loi no 6216, l’acte d’appel peut être déposé au greffe de la CCT, auprès des tribunaux nationaux ou des représentations turques à l’étranger en vue d’une transmission à la CCT, dans un délai de trente jours après l’épuisement des voies de recours ordinaires ; si aucune voie de recours n’est prévue, le délai commence à courir à la date à laquelle l’intéressé a pris connaissance de la violation. Le recours est soumis au paiement de frais judiciaires se montant à 198,35 livres turques, soit environ 84 euros pour 2013 (paragraphes 19 et 25 ci-dessus).

56.  La Cour note d’emblée que le recours individuel devant la CCT n’est subordonné à l’exercice d’aucun recours ou d’aucune demande préalable autres que les recours ordinaires (comparer avec les arrêts Ismayilov et Ištván et Ištvánová, précités, dans lesquels il a été considéré que l’exigence d’un recours préalable posait un problème d’accessibilité).

57.  De fait, les modalités de saisine de la CCT dans le cadre de ce recours individuel sont semblables à celles prévues devant la Cour de cassation turque, pour lesquelles la Cour européenne n’a, à ce jour, relevé aucun problème particulier. Les demandeurs potentiels peuvent introduire leur recours notamment devant tous les tribunaux nationaux et n’ont donc pas besoin de se déplacer ou de suivre une procédure compliquée. Le délai de recours de trente jours est, a priori, raisonnable, et il existe un délai extraordinaire de quinze jours lorsque l’intéressé présente un motif valable l’ayant empêché d’introduire son recours dans le délai normal (article 47 § 5 de la loi).

58.  Enfin, aux yeux de la Cour, les frais judiciaires auxquels est soumise l’introduction d’un tel recours ne paraissent pas excessifs (pour les principes concernant les frais judiciaires, voir Kreuz c. Pologne, no 28249/95, §§ 58-67, CEDH 2001‑VI). Par ailleurs, étant donné que l’auteur d’un recours peut être admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, auquel cas il peut être dispensé du paiement des frais de procédure, l’exigence de paiement de frais judiciaires n’affecte en rien l’accessibilité de ce recours (article 62 § 2 du règlement ; pour la procédure interne pertinente, voir Bakan c. Turquie, no 50939/99, §§ 36-40, 12 juin 2007).

L’accessibilité à la CCT ne pose ainsi aucun problème apparent.

B.  Les modalités du recours individuel devant la CCT

59.  La Cour doit aussi rechercher si la CCT est dotée d’une procédure adéquate pour répondre aux griefs qui lui sont soumis.

Celle-ci est exposée en détail dans les textes présentés aux paragraphes 7 à 27 ci-dessus : en résumé, la composition des organes de la CCT, la procédure à suivre devant ceux-ci et les compétences qui sont les leurs figurent à l’article 149 de la Constitution, dans la loi no 6216 et dans le règlement de la CCT ; en cas d’absence de règles pertinentes, ce sont les dispositions adéquates des codes de procédures (en matière civile, pénale ou administrative) qui s’appliquent (article 49 §§ 7 et 8 de la loi). Ces textes régissent en détail la constitution des commissions et des chambres ainsi que leurs compétences.

60.  La Cour prend note des éléments suivants :

–  le 12 juillet 2012, le nouveau règlement de la CCT est entré en vigueur, bien avant l’entrée en vigueur des dispositions législatives relatives au recours individuel (comparer avec Ismayilov, précité, et Vinčić et autres, précité, §§ 30-31) ;

–  la CCT a compétence pour demander à toute autorité toute information et tout document utiles dans le cadre de l’examen du recours, et pour tenir une audience ;

–  des moyens sont prévus pour remédier aux divergences de jurisprudence éventuelles ;

–  la CCT a le pouvoir d’indiquer aux autorités des mesures provisoires, d’office ou à la demande de l’auteur du recours, lorsqu’elle l’estime nécessaire pour la protection des droits de l’intéressé (paragraphes 14 à 27 ci-dessus) ;

–  enfin, le champ de compétence ratione materiae de la CCT est indiqué par la loi no 6216 comme s’étendant à « la Convention européenne des droits de l’homme et les Protocoles que la Turquie a ratifiés » (paragraphes 16 et 25 ci-dessus).

61.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la procédure devant la CCT offre a priori des moyens adéquats en matière de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

C.  La volonté du législateur

1.  Le champ de compétence de la CCT

62.  La Cour ne voit aucune raison de douter de l’intention du législateur – manifestée dans le rapport explicatif des amendements constitutionnels (paragraphe 17 ci-dessus) – de fournir une protection identique à celle offerte par le mécanisme de la Convention : la loi no 6216 indique expressément comme champ de compétence ratione materiae de la CCT les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et ses Protocoles, droits et libertés qui figurent aussi dans la Constitution turque elle-même.

63.  Il est nécessaire de rechercher alors si la procédure devant la CCT offre un redressement adéquat des griefs tirés de ces droits. Selon les articles 49 § 6 et 50 § 1 de la loi no 6216 et l’article 79 § 1 d) du règlement de la CCT, l’examen au fond d’un recours individuel doit permettre d’établir s’il y a eu ou non violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, dans le premier cas, d’indiquer le redressement susceptible de mettre fin à la violation. Lorsque la violation découle d’une décision judiciaire, le dossier est renvoyé au tribunal compétent en vue d’une réouverture de la procédure visant à mettre fin à la violation et à effacer les conséquences de celle-ci. Dans les cas où il n’y a pas d’intérêt juridique à une réouverture de la procédure, l’auteur du recours peut se voir accorder une indemnité ou peut être invité à entamer une procédure devant les tribunaux compétents (articles 50 § 2 de la loi et 79 § 1 a) du règlement).

64.  Ces dispositions paraissent doter la CCT de moyens adéquats pour la mise en œuvre du recours individuel ; le Parlement turc affiche sa volonté de rendre la CCT spécifiquement compétente pour établir la violation des dispositions de la Convention et de l’investir de pouvoirs appropriés au redressement des violations par l’octroi d’une indemnité et/ou par l’indication des moyens de réparation, ce qui pourrait et devrait permettre à la CCT, si nécessaire, d’interdire à l’autorité concernée de poursuivre la violation de ce droit et de lui ordonner de rétablir, autant que faire se peut, le statu quo ante (voir le paragraphe 48 ci-dessus et les références qui y figurent).

2.  Les moyens accordés à la CCT

65.  La Cour note également que le nombre de juges en fonction à la CCT a été porté à dix-sept et que tous ont pris leurs fonctions bien avant l’entrée en vigueur des dispositions relatives au recours individuel (paragraphe 7 ci-dessus ; comparer avec Vinčić et autres, précité, paragraphe 51 ci-dessus) et que la loi a prévu pour le fonctionnement du greffe des ressources suffisamment importantes (paragraphe 24 ci-dessus).

3.  L’étendue et les effets des décisions de la CCT

66.  Enfin, la Cour estime qu’il est essentiel de rechercher si les décisions de la CCT revêtent un caractère contraignant (voir les critères dégagés dans l’arrêt Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, §§ 299-304, 26 juin 2012).

La Cour prend acte tout d’abord de l’article 153 § 6 de la Constitution énonçant que les décisions de la CCT lient tous les organes de l’Etat et toute personne physique et morale.

Elle considère ensuite que la question du respect, dans la pratique, des décisions de la CCT concernant un recours individuel ne devrait a priori pas se poser en Turquie. En effet, il suffit d’observer que, dans le passé, même la décision de dissoudre un parti politique qui était au pouvoir dans le cadre d’un gouvernement de coalition, avait trouvé exécution (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 134, CEDH 2003‑II).

67.  A la lumière des éléments qui précèdent, la Cour estime que le Parlement turc a doté la Cour constitutionnelle de pouvoirs lui permettant d’offrir en principe un redressement direct et rapide des violations des droits et libertés protégés par la Convention.

III.  Conclusion

68.  La Cour réaffirme que la règle de l’épuisement des voies de recours internes est une partie indispensable du fonctionnement du mécanisme de la Convention. Les Etats n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser dans leur ordre juridique interne les manquements dénoncés (paragraphes 35 et suivants ci-dessus).

69.  Ayant examiné ci-dessus les aspects principaux de la nouvelle voie de recours individuel devant la CCT et les ressources dont celle-ci a été dotée, la Cour estime qu’elle ne dispose d’aucun élément qui lui permettrait de dire que le recours en question ne présente pas, en principe, des perspectives de redressement approprié des griefs tirés de la Convention.

Par conséquent, il incombe à l’individu qui se considère comme victime de tester les limites de cette protection (Mirazović, précité).

70.  En l’espèce, eu égard à ce qui précède et au fait que la procédure interne a pris fin le 25 septembre 2012, la Cour considère que le requérant aurait dû saisir la Cour constitutionnelle d’un recours individuel.

Les voies de recours internes n’ayant pas été épuisées, la présente requête doit être déclarée irrecevable, en application de l’article 35 § 1 de la Convention.

71.  La Cour précise qu’elle se réserve la possibilité d’examiner la cohérence de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle avec sa propre jurisprudence. Par conséquent, il appartiendra au gouvernement défendeur de prouver que la voie de recours est effective, tant en théorie qu’en pratique (Taron, précité, § 43). La Cour conserve sa compétence de contrôle ultime pour tout grief présenté par des requérants qui, comme le veut le principe de subsidiarité, ont épuisé les voies de recours internes disponibles (Radoljub Marinković c. Serbie (déc.), no 5353/11, §§ 49-61, 29 janvier 2013).

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
       
Greffier                                                                               Président


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