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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DINC AND CAKIR v. TURKEY - 66066/09 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 649 (09 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/649.html
Cite as: [2013] ECHR 649

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DİNÇ ET ÇAKIR c. TURQUIE

     

    (Requête no 66066/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    9 juillet 2013

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Dinç et Çakır c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 66066/09) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Hakkı Dinç et Zinar Çakır (« les requérants »), ont saisi la Cour le 17 novembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérants ont été représentés par Mes M. Beştaş et M. Danış Beştaş, avocats à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 30 août 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Les requérants, Hakkı Dinç et Zinar Çakır, sont nés respectivement le 1er avril 1992 et le 1er juillet 1992.

  6. .  Le 7 févier 2009, vers 20 h 30, la police de Nusaybin reçut un appel anonyme l’informant de la préparation de cocktails Molotov par cinq personnes, dont les requérants qui étaient alors âgés respectivement de seize ans et dix mois et de seize ans et sept mois.

  7. .  Le même jour, vers 22 h 20, deux attaques au cocktail Molotov furent perpétrées, l’une contre un commerce et l’autre contre un véhicule. La police procéda à des relevés sur les lieux des incidents et prit des clichés. L’expertise réalisée plus tard sur les prélèvements conclut à l’absence d’empreintes digitales.

  8. .  Entendu dans la soirée par la police, le propriétaire du commerce déclara avoir vu sur les caméras de surveillance quatre jeunes individus au visage couvert lancer des cocktails Molotov contre le volet de son magasin. Il se serait refugié avec le personnel dans l’entrepôt du magasin avant d’appeler la police. Quant au propriétaire du véhicule incendié, il déclara n’avoir pas vu qui avait mis le feu.

  9. .  Le 8 février 2009 à 5 heures, le procureur de la République de Nusaybin ordonna la réalisation de perquisitions aux domiciles des suspects.
  10. Au terme des perquisitions menées à leur domicile vers 5 h 30, la police procéda à l’arrestation de quatre personnes, dont les requérants.

    La perquisition au domicile du requérant Hakkı Dinç fut menée en présence de son père. Le procès-verbal de perquisition porte la signature du requérant et de son père, et indique que la police notifia verbalement au requérant ses droits.


  11. .  Vers 6 heures, le procureur de la République de Nusaybin ordonna, pour les nécessités de l’enquête, le placement en garde à vue des suspects au motif qu’il y avait des indices permettant de croire qu’ils avaient commis l’infraction reprochée. Il ordonna que les intéressés fussent présentés au parquet au plus tard vingt-quatre heures après l’arrestation.
  12. Le procureur demanda également aux policiers de notifier aux suspects leurs droits, à savoir le droit de former opposition contre leur arrestation et leur placement en garde à vue et le droit d’informer un proche.


  13. .  Vers 7 h 35, les intéressés furent soumis à examen médical qui ne révéla aucune trace de coups et blessures sur leur corps.

  14. .  Ils furent ensuite conduits dans les locaux de la police aux fins de la vérification de leur identité. Selon le procès-verbal de constatation d’identité, rédigé à 8 h 40, la police ne pouvait recueillir les déclarations des requérants du fait qu’ils étaient mineurs.

  15. .  Vers 11 h 30, les suspects furent à nouveau soumis à un examen médical. Selon les rapports, les poignets des requérants présentaient des traces de menottes.

  16. .  Alors que les intéressés se trouvaient dans les locaux de la police, les déclarations du requérant Hakkı Dinç et du suspect F.G. furent recueillies sous la forme d’« entretiens ». Le requérant Hakkı Dinç reconnut les faits qui lui étaient reprochés. Il innocenta le suspect F.G., précisant qu’il n’était pas avec eux. F.G. déclara que les requérants lui avaient proposé de se joindre à eux pour lancer des cocktails Molotov, ce qu’il aurait refusé. La police rédigea des procès-verbaux relatant le contenu de ces entretiens et les joignit au dossier d’enquête.

  17. .  Les requérants furent ensuite entendus par le procureur de la République de Nusaybin avant d’être traduits devant le juge près le tribunal d’instance pénal de cette ville. Devant le procureur et le juge, les requérants nièrent les faits qui leur étaient reprochés. Interrogé sur le procès-verbal de l’entretien qui avait été réalisé lors de la garde à vue, le requérant Hakkı Dinç en contesta le contenu.
  18. Devant le juge, l’avocat plaida l’absence d’éléments probants quant à la commission par ses clients de l’infraction reprochée. Indiquant que ses clients disposaient d’une adresse fixe, qu’ils étaient mineurs et que les preuves étaient réunies, il demanda la libération des requérants, assortie au besoin d’une mesure de contrôle judicaire.

    Au terme de leur audition, le juge ordonna le placement en détention provisoire des requérants compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée, de l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction et de l’état des preuves.


  19. .  Le suspect F.G. confirma devant le procureur de la République le contenu du procès-verbal d’entretien mettant en cause les requérants. Il précisa qu’il avait identifié le requérant Zinar Çakır sur les enregistrements vidéo montrés par la police. F.G. fut libéré sans être déféré devant le juge et bénéficia par la suite d’un non-lieu.

  20. .  Le 10 mars 2009, dans le cadre de l’examen d’office de la détention, le juge près la cour d’assises spéciale de Diyarbakır (« la cour d’assises ») ordonna le maintien de cette mesure compte tenu de la peine encourue, du risque de fuite et d’altération des preuves, et de lacunes dans le recueil des éléments de preuve.

  21. .  Le 16 mars 2009, le procureur de la République près la cour d’assises inculpa les requérants pour les faits qui leur étaient reprochés. Il considéra que les agissements des requérants s’inscrivaient dans le cadre d’actions coordonnées menées à l’occasion du 10e anniversaire de l’arrestation d’Abdullah Öcalan, ancien chef de l’organisation armée illégale PKK.

  22. .  Le procès des requérants débuta devant la cour d’assises.

  23. .  Le 30 mars 2009, la cour d’assises ordonna le maintien en détention des requérants compte tenu de l’existence de raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis une infraction visée par l’article 100 § 3 a) du code de procédure pénale ainsi que de l’existence d’un risque de fuite, d’altération des preuves et de pression sur les témoins.

  24. .  Lors de la première audience tenue le 2 juin 2009, la cour d’assises entendit tous les accusés en leur défense. Au terme de cette audience, elle rejeta la demande d’élargissement des requérants et ordonna leur maintien en détention provisoire compte tenu de l’existence de forts soupçons à leur égard quant à la commission de l’infraction reprochée et du fait que celle-ci était prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Le requérant Hakkı Dinç déclara avoir signé le procès-verbal d’entretien parce qu’il aurait été insulté, frappé et privé d’eau.

  25. .  Le 17 juin 2009, le propriétaire du commerce, entendu sur commission rogatoire par la cour d’assises de Mardin, précisa qu’il souhaitait retirer sa plainte.

  26. .  Le 8 juillet 2009, F.G. fut entendu sur commission rogatoire en qualité de témoin. Il revint sur ses déclarations précédentes qui mettaient en cause les requérants.

  27. .  Au terme de l’audience du 16 juillet 2009, la cour d’assises rejeta les demandes d’élargissement des requérants et ordonna leur maintien en détention pour les motifs indiqués lors de l’audience antérieure.

  28. .  Le 20 juillet 2009, l’avocat des requérants forma opposition. Il soutint qu’il n’existait pas de raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis l’infraction reprochée. A ce sujet, il précisa que l’entretien réalisé dans les locaux de la police avec le requérant Hakkı Dinç était contraire au droit interne et qu’il ne pouvait pas être admis comme preuve à charge. Il dénonça également le port des menottes, contraire selon lui aux dispositions du droit interne, et contesta la qualité des enregistrements à partir desquels le témoin F.G. avait identifié le requérant Zinar Çakır. Enfin, il exposa que, s’agissant de mineurs, la détention provisoire ne devait être envisagée qu’en dernier recours, ce qui n’aurait pas été fait pour ses clients.

  29. .  Le 2 septembre 2009, la cour d’assises de Malatya rejeta l’opposition au vu de la nature de l’infraction reprochée et de l’état des preuves.

  30. .  Au terme de l’audience du 29 septembre 2009, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement pour les motifs indiqués lors des audiences antérieures - l’existence de forts soupçons de commission de l’infraction et la prévision de l’infraction en cause à l’article 100 § 3 du CPP - et ordonna la prolongation de la détention.

  31. .  Le 5 octobre 2009, l’avocat forma opposition contre cette décision. Il reprit les arguments précédemment présentés dans le cadre de son opposition et dénonça l’absence de motifs de détention, réitérant que le risque de fuite et le risque d’altération des preuves n’étaient pas établis. Il souligna en outre que les témoins avaient déjà été entendus.

  32. .  Le 26 octobre 2009, la 4e cour d’assises de Diyarbakır rejeta cette opposition.

  33. .  Lors des audiences tenues le 1er décembre 2009 et le 19 janvier et le 9 mars 2010, la cour rejeta les demandes d’élargissement des requérants et ordonna leur maintien en détention compte tenu de la nature de l’infraction, de l’état des preuves et du fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du CPP.

  34. .  Le 13 avril 2010, la cour d’assises reconnut les requérants coupables des faits qui leur étaient reprochés et les condamna chacun à sept ans, quatre mois et vingt jours d’emprisonnement. Prenant en compte le laps de temps passé en détention, elle ordonna leur libération.

  35. .  Pendant toute la période durant laquelle les requérants étaient détenus, la détention provisoire des requérants fit d’office l’objet d’examens réguliers (le 28 avril, le 2 juillet, le 13 août, le 8 septembre et le 29 décembre 2009, et le 16 février et le 6 avril 2010). A chaque fois, le juge appelé à se prononcer sur la détention provisoire ordonna la prolongation de cette mesure compte tenu de l’existence de forts soupçons et du fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du CPP.

  36. .  A ce jour, le pourvoi en cassation est toujours pendant.
  37. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  38. .  L’article 91 § 2 du code de procédure pénale dispose :
  39. « La décision de placement en garde à vue se fonde sur la nécessité de cette mesure pour l’enquête et sur l’existence d’indices donnant à penser que l’intéressé a commis une infraction. »


  40. .  D’après l’article 100 du code de procédure pénale, une personne peut être mise en détention provisoire lorsqu’il existe des faits nourrissant à son égard de forts soupçons de commission d’une infraction et que la détention provisoire est justifiée par l’un des motifs prévus dans cette disposition. La détention provisoire est considérée comme justifiée en cas de fuite et de risque de fuite, ou lorsque le suspect ou l’accusé risquent de détruire, de dissimuler ou d’altérer les preuves ou qu’ils risquent de faire pression sur les témoins, les victimes ou toute autre personne. Pour certains crimes, notamment contre la sécurité de l’Etat et l’ordre constitutionnel, l’article 100 § 3 de ce code indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention susmentionnés lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction en cause.

  41. .  Selon l’article 18 de la loi no 5395 relative à la protection de l’enfant, il est interdit d’entraver ou de menotter les mineurs. Les forces de l’ordre peuvent toutefois - lorsque cela est nécessaire - prendre les dispositions qui s’imposent pour éviter la fuite du mineur et pour parer les dangers susceptibles de peser sur sa vie ou sur son intégrité physique ou bien sur celles de tiers.

  42. .  Selon l’article 15 de cette même loi, l’enquête concernant un suspect mineur est menée par le procureur de la République en personne.
  43. 37.  L’article 19 du règlement relatif à l’arrestation, à la garde à vue et à l’interrogatoire prévoit un régime spécial pour les mineurs et reprend les dispositions de la loi sur la protection de l’enfant. Les parties pertinentes de cette disposition se traduisent comme suit :

    « S’agissant des mineurs, les pouvoirs d’arrestation et d’interrogatoire sont limités comme indiqué ci-dessous :

    (...)

    b)  [Tout mineur] qui a douze ans révolus mais qui n’a pas encore dix-huit ans peut être arrêté en raison d’une infraction. Il est immédiatement présenté au parquet après que ses proches et son avocat ont été informés. L’enquête le concernant est conduite par le procureur de la République en personne ou par les procureurs adjoints qu’il désignera et selon les dispositions figurant ci-dessous :

    1)  Le placement en garde à vue du mineur est notifié à ses parents ou à son tuteur.

    2)  Même s’il ne le sollicite pas, [le mineur] doit bénéficier de l’assistance d’un avocat (...)

    3)  Les déclarations du mineur suspect ne peuvent être recueillies qu’en présence de l’avocat.

    (...)

    5)  [Le mineur] est détenu séparément des adultes.

    (...)

    10)  Les menottes ou objets similaires ne peuvent pas être utilisés pour les mineurs. Cependant, lorsque cela est nécessaire, les forces de l’ordre peuvent prendre les dispositions qui s’imposent pour éviter la fuite du mineur et pour parer les dangers susceptibles de peser sur sa vie ou sur son intégrité physique ou bien sur celles de tiers. »


  44. .  L’article 20 de la loi relative à la protection de l’enfant prévoit pour les mineurs des mesures de contrôle judiciaire en sus de celles qui sont déjà prévues par l’article 109 du code de procédure pénale. L’article indique que, s’agissant des mineurs, la décision de placement en détention provisoire ne peut être prise que si la mesure de contrôle judiciaire s’avère ineffective ou bien si elle n’a pas été respectée.
  45. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION


  46. .  Les requérants se plaignent d’avoir été arrêtés et placés en détention provisoire en l’absence de raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis l’infraction reprochée. Ils dénoncent également la durée de leur détention provisoire. Ils reprochent de plus aux autorités judicaires de n’avoir pas dûment tenu compte de leur âge ni envisagé la détention provisoire uniquement comme ultime solution.
  47. Les requérants se plaignent en outre de n’avoir pas été conduits devant le procureur de la République immédiatement après leur arrestation. Le requérant Hakkı Dinç se plaint d’avoir été entendu par la police, ce qui a méconnu, selon lui, les dispositions du droit interne.

    Les intéressés invoquent l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

    (...)

    3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

    A.  Article 5 § 1


  48. .  Le Gouvernement soutient que la privation de liberté subie par les requérants tombe sous le coup de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention. Il indique que les requérants se sont vu notifier leurs droits et qu’ils ont subi un examen médical avant d’être remis à des agents de la brigade des mineurs. Ces agents auraient alors procédé à des vérifications d’identité et recueilli les déclarations du requérant Hakkı Dinç lors d’un entretien. Selon le Gouvernement, pendant la phase de garde à vue, la police peut collecter des preuves sur ordre du procureur de la République et procéder à la vérification de l’identité des suspects mineurs.

  49. .  Les requérants réitèrent leurs allégations.

  50. .  La Cour rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale. Dans tous les cas, la Convention consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 30, CEDH 2006-X, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 76, 9 juillet 2009, et Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 79, CEDH 2010).

  51. .  La Cour a déjà admis que tout manquement constaté ultérieurement dans une ordonnance de placement en détention provisoire ne rend pas la détention elle-même irrégulière aux fins de l’article 5 § 1 (Mooren, précité, § 74). Pour l’appréciation du respect ou non de l’article 5 § 1 de la Convention, une distinction fondamentale doit être établie entre les titres de placement en détention manifestement invalides et les titres de détention qui sont prima facie valides et efficaces tant qu’ils n’ont pas été annulés par une juridiction supérieure. Une décision de placement en détention doit être considérée comme étant ex facie invalide si le vice y ayant été décelé s’analyse en une « irrégularité grave et manifeste », au sens exceptionnel indiqué dans la jurisprudence de la Cour (Liu c. Russie, no 42086/05, § 81, 6 décembre 2007, Garabayev c. Russie, no 38411/02, § 89, 7 juin 2007, Marturana c. Italie, no 63154/00, § 79, 4 mars 2008, et Mooren, précité, § 75).

  52. .  La Cour rappelle en outre que l’article 5 § 1 c) n’autorise à placer une personne en détention que dans le cadre d’une procédure pénale, en vue de la traduire devant l’autorité judiciaire compétente lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction (Ječius c. Lituanie, no 34578/97, § 50, CEDH 2000-IX, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 108, CEDH 2000-XI). La « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder l’arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l’article 5 § 1 c). L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir commis l’infraction. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l’ensemble des circonstances (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 32, série A no 182, et O’Hara c. Royaume-Uni [GC], n37555/97, § 34, CEDH 2001-X).
  53. 45.  Par ailleurs, l’alinéa c) de l’article 5 § 1 ne présuppose pas que la police ait rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations au moment de l’arrestation. L’objet d’un interrogatoire pendant une détention au titre de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 est de compléter l’enquête pénale en confirmant ou en écartant les soupçons concrets fondant l’arrestation. Ainsi, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux qui sont nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procédure de l’enquête pénale (Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, § 55, série A no 300-A).


  54. .  Il ne faut certes pas appliquer l’article 5 § 1 c) d’une manière qui causerait aux autorités de police des Etats contractants des difficultés excessives pour combattre par des mesures adéquates la criminalité, en particulier la criminalité organisée (voir, mutatis mutandis, Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 58-60, série A no 28). La tâche de la Cour consiste à déterminer si les conditions fixées à l’alinéa c) de l’article 5 § 1, y compris la poursuite du but légitime prescrit, ont été remplies. Dans ce contexte, il ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (Murray, précité, § 66).

  55. .  En l’espèce, la Cour note que les requérants ont été arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir commis, au nom d’une organisation illégale, des attaques au cocktail Molotov. Les autorités d’enquête se sont appuyées sur des éléments de preuve concrets donnant à penser, comme l’exige l’article 91 § 2 du code de procédure pénale, que les intéressés avaient commis une infraction. Un appel téléphonique anonyme avait dénoncé la préparation, par plusieurs individus dont les requérants, de cocktails Molotov. Quelques heures après cet appel, des attaques au cocktail Molotov ont effectivement été commises contre un commerce et un véhicule. Au cours de la garde à vue, F.G. - qui figurait initialement parmi les suspects - a identifié l’un des requérants sur les images de vidéosurveillance et il a livré, devant le procureur, des déclarations mettant en cause les requérants. Au terme de leur garde à vue, les requérants ont été placés en détention provisoire puis poursuivis et reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés.

  56. .  En conséquence, la Cour estime que les requérants peuvent être considérés comme ayant été arrêtés et placés en détention sur la base de raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis une infraction pénale, au sens de l’article 5 § 1 de la Convention (Murray, précité, § 63, Korkmaz et autres c. Turquie, no 35979/97, § 26, 21 mars 2006, et Süleyman Erdem c. Turquie, no 49574/99, §§ 39-40, 19 septembre 2006).

  57. .  Quant à l’audition du requérant Hakkı Dinç, à laquelle il a été procédé au cours de sa garde à vue, les requérants se plaignent de l’irrégularité de cet acte d’enquête au regard du droit interne. Le Gouvernement soutient que la police peut, sur ordre du procureur de la République, collecter des preuves pendant la phase de la garde à vue. Toutefois, force est de constater que tant l’article 15 de la loi relative à la protection de l’enfant que l’article 19 du règlement relatif à l’arrestation, à la garde à vue et à l’interrogatoire énoncent de manière claire que l’enquête doit être conduite par le procureur en personne (paragraphes 36-37 ci-dessus). En tout état de cause, la Cour observe qu’il n’est pas établi dans les circonstances de l’espèce que la police ait agi sur ordre du procureur lorsqu’elle a recueilli les déclarations du requérant Hakkı Dinç. Aussi, la Cour considère-t-elle que la police a commis une irrégularité, au sens du droit interne.

  58. .  La Cour observe d’emblée que, étant intervenue postérieurement à l’arrestation du requérant, cette irrégularité ne remet pas en question l’existence des raisons plausibles qui ont conduit à son arrestation et à son placement en garde à vue. Reste donc à rechercher si cette irrégularité a entaché l’ordonnance de placement en détention provisoire des requérants, adoptée quelques heures après leur arrestation. Pour déterminer si l’ordonnance en question souffrait d’une « irrégularité grave et manifeste » qui la rendrait ex facie invalide, emportant ainsi irrégularité de la détention fondée sur cette ordonnance, la Cour aura égard à l’ensemble des circonstances de la cause.

  59. .  Il convient d’abord de relever que la présente affaire se distingue de celles relatives à des irrégularités affectant directement l’adoption d’une décision de placement en détention provisoire (voir, entre autres, Mooren, précité, § 83). En effet, le juge ayant délivré l’ordonnance de placement en détention provisoire des requérants avait compétence pour ce faire. De plus, au terme de l’audition des intéressés, qui étaient d’ailleurs assistés par un avocat, le juge a décidé de les placer en détention provisoire sur le fondement de l’article 100 du code de procédure pénale et il a indiqué les motifs de la détention. Sur la base des éléments dont il disposait, il a considéré que la condition de fond à laquelle la détention provisoire devait répondre - à savoir l’existence de raisons plausibles de soupçonner les requérants de s’être livrés aux attaques au cocktail Molotov en cause - était remplie.

  60.   S’agissant des éléments de preuve sur lesquels le juge s’est fondé pour ordonner le placement en détention provisoire des requérants, la Cour note que le procès-verbal d’entretien du requérant Hakkı Dinç figure parmi les éléments du dossier d’enquête. En outre, lors de l’audition, le juge a interrogé l’intéressé sur le contenu de ce procès-verbal d’entretien. L’on peut donc considérer que le juge s’est aussi fondé sur l’entretien réalisé au cours de la garde à vue lorsqu’il a décidé le placement en détention provisoire des requérants. Cela étant, la Cour observe que le juge disposait d’autres éléments de preuve, sur la foi desquels il y avait lieu de soupçonner les requérants d’avoir commis l’infraction reprochée. Elle se réfère ici à ses constats exposés aux paragraphes 47-48 ci-dessus. Elle observe que les requérants n’ont pas soutenu que le procès-verbal d’entretien a constitué un élément de preuve déterminant lors de l’adoption de la décision de placement en détention provisoire. Aussi, la Cour estime-t-elle que l’ordonnance de placement en détention des requérants ne souffrait pas d’une irrégularité grave et manifeste qui l’eût rendue nulle et non avenue.

  61. .  Enfin, la Cour estime que la garde à vue des intéressés n’a pas été arbitraire. A l’exception de l’audition par la police, toutes les règles procédurales relatives à l’arrestation et à la garde à vue ont été respectées. Les policiers ont agi sur ordre du procureur lorsqu’ils ont effectué des perquisitions aux domiciles des suspects et procédé à leur arrestation et placement en garde à vue. L’arrestation et le placement en garde à vue des requérants ont été consignés dans les procès-verbaux, les intéressés ont été informés des accusations portées contre eux, ils se sont vu notifier leurs droits en qualité de suspect et ont subi des examens médicaux. Au terme de leur garde à vue - qui n’a duré que quelques heures -, les requérants ont été présentés au parquet puis traduits devant le juge qui a décidé leur placement en détention provisoire (comparer avec les graves irrégularités observées lors de l’arrestation et de la garde à vue de la requérante dans l’affaire Venskutė c. Lituanie, no 10645/08, §§ 75-81, 11 décembre 2012).

  62. .  Il s’ensuit que cette partie de la Requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
  63. B.  Article 5 § 3


  64. .  Les requérants réitèrent leurs allégations relatives à la durée de leur détention provisoire.

  65. .  Le Gouvernement expose que l’infraction reprochée aux requérants était sanctionnée par de longues peines. Après avoir rappelé les motifs avancés par les juges pour le placement et le maintien en détention des requérants, il affirme que cette mesure visait à recueillir et conserver les preuves et à empêcher la répétition des infractions.

  66. .  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  67. .  La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas une durée raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou à écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil 1998-VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000-IV).

  68. .  La Cour rappelle avoir, dans plusieurs affaires contre la Turquie dans lesquelles elle a exprimé son inquiétude face à la pratique consistant à placer des mineurs en détention provisoire, conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Selçuk c. Turquie, no 21768/02, §§ 26-37, 10 janvier 2006, Güveç c. Turquie, no 70337/01, §§ 106-110, CEDH 2009 (extraits), et Nart c. Turquie, no 20817/04, §§ 28-35, 6 mai 2008). Dans l’arrêt Nart, prenant en considération la richesse des textes internationaux pertinents en matière de protection de l’enfance, la Cour a énoncé que la détention provisoire des mineurs devait être envisagée comme une solution de dernier ressort, qu’elle devait être la moins longue possible et enfin que, lorsque cette mesure était inévitable, les mineurs devaient être détenus séparément des adultes (Nart, précité, § 31).

  69. .  La Cour note que la période à considérer a débuté le 8 février 2009 avec l’arrestation des requérants et qu’elle a pris fin le 13 avril 2010 avec leur libération. La détention provisoire des intéressés a donc duré environ un an et deux mois.

  70. .  Pendant cette période, la question du maintien en détention provisoire des requérants a été régulièrement examinée (paragraphes 6, 8-10, 12 et 13 ci-dessus).

  71. .  En ce qui concerne les motifs avancés par les autorités judiciaires pour le maintien en détention provisoire des requérants, la Cour note que le risque de fuite ainsi que le risque d’altération des preuves et de pression sur les témoins ne sont expressément évoqués que dans les décisions relatives à la prolongation de la détention, adoptées le 10 et le 30 mars 2009. Par la suite, la cour d’assises n’a plus évoqué ces motifs et a ordonné, au terme de chaque audience, le maintien en détention du requérant, en se fondant sur des formules presque toujours identiques, pour ne pas dire stéréotypées, telles que la nature et la qualification de l’infraction reprochée, l’état des preuves et l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée, et en se fondant sur le fait que l’infraction en cause était prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

  72. .  Or la Cour observe que les motivations avancées par la cour d’assises dans ses décisions de maintien en détention provisoire ne permettent pas de penser que cette mesure n’ait été utilisée - au regard de l’âge du requérant - qu’en dernier recours, comme l’exigent tant le droit interne que plusieurs conventions internationales (voir, par exemple, Nart, précité, § 22, ou, plus récemment, Güveç, précité, § 108). A la lecture des décisions relatives au maintien en détention provisoire, il n’apparaît aucunement que les juges appelés à se prononcer sur cette question aient d’abord envisagé des méthodes autres que la détention. A cet égard, bien que l’avocat des requérants ait, lors des oppositions formées contre les décisions de maintien en détention provisoire prises à l’issue des audiences du 16 juillet 2009 et du 29 septembre 2009, attiré l’attention du juge sur le fait que ses clients étaient mineurs et que leur détention ne devait être envisagée qu’en dernier recours, et qu’il ait demandé leur remise en liberté, au besoin sous caution, les juges n’ont pas répondu à cette demande et n’ont pas fourni d’explication quant au caractère insuffisant de cette mesure pour assurer la comparution des intéressés au procès.

  73. .  La Cour estime dès lors que les motifs invoqués dans les décisions des juridictions internes n’étaient pas suffisants ni pertinents pour justifier le maintien en détention des requérants.

  74. .  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de rechercher de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure.

  75. .  Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
  76. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  77. .  Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir eu à subir le port de menottes, mesure contraire selon eux aux dispositions du droit interne.

  78. .  La Cour rappelle qu’elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, comme le veut l’article 35 § 1 de la Convention, et qu’en conséquence elle ne peut pas examiner un grief qui n’aurait pas été invoqué devant les autorités internes.

  79. .  En l’espèce, la Cour note que les requérants n’ont pas soulevé devant les autorités nationales, même en substance, le grief qu’ils entendent soulever devant la Cour. La seule fois où l’avocat des requérants a dénoncé le port de menottes, il l’a fait brièvement dans le cadre de l’opposition formée le 20 juillet 2009 contre le maintien en détention provisoire de ses clients. Les requérants n’ont déposé aucune plainte devant les juridictions nationales pour dénoncer ces traitements alors même qu’ils dénoncent l’illégalité de ceux-ci au regard du droit interne. Aussi ne saurait-on considérer que les requérants ont dûment présenté leur grief devant les autorités internes. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  80. III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  81. .  Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été jugés devant une cour d’assises spéciale. Ils mettent en doute l’indépendance et l’impartialité de pareille cour et affirment que le jugement de mineurs devant elles se heurte à l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (règles de Beijing). Le requérant Hakkı Dinç se plaint d’avoir été entendu par la police en l’absence d’un avocat.
  82. Invoquant ensuite l’article 13 de la Convention, ils se plaignent de ne pas disposer d’un recours effectif qui leur permettrait de contester leur placement et leur maintien en détention provisoire. Ils dénoncent en effet l’ineffectivité du recours en opposition, soutenant que celui-ci a peu de chances d’aboutir.

    Les requérants se plaignent en outre d’une violation de l’article 8 de la Convention en raison de leur détention.

    Ils soutiennent enfin que leur droit à l’instruction, garanti par l’article 2 du Protocole no 2, a été atteint dans la mesure où ils étaient scolarisés à la date de leur arrestation.


  83. .  S’agissant du grief tiré de l’article 6 de la Convention, la Cour note que la procédure pénale engagée contre les requérants est toujours pendante devant la Cour de cassation. Or elle estime nécessaire de prendre en considération l’ensemble de la procédure pénale engagée afin de statuer sur sa conformité aux prescriptions de l’article 6 de la Convention. Il s’ensuit que, au stade actuel de la procédure devant les juridictions internes, la présentation de ce grief apparaît prématurée. Les requérants ne sauraient donc, en l’état, se plaindre d’une violation de la Convention sur ce point. Il leur est loisible de saisir à nouveau la Cour s’ils estiment toujours, à l’issue de la procédure pénale engagée contre eux, être victimes des violations alléguées. Partant, cette partie de la Requête est prématurée et doit donc être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

  84.   S’agissant du grief tiré de l’article 13 de la Convention, la Cour estime opportun de l’examiner sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle note toutefois que les requérants formulent leur allégation de manière très générale, sans l’étayer. Quant aux autres griefs présentés par les requérants, la Cour, compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la Requête doit être rejetée, en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
  85. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    73.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  86. .  Les requérants réclament la réparation du préjudice matériel qu’ils estiment avoir subi. Pour le montant, ils s’en remettent à la sagesse de la Cour.
  87. Ils réclament en outre 50 000 euros (EUR) pour préjudice moral.


  88. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  89. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande.
  90. En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer 1 200 EUR à chacun des requérants pour dommage moral.

    B.  Frais et dépens


  91. .  Les requérants demandent également 9 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour. A titre de justificatif, ils fournissent un décompte horaire.

  92. .  Le Gouvernement conteste le montant réclamé.

  93. .  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l’accorde conjointement aux requérants.
  94. C.  Intérêts moratoires


  95. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  96. PAR CES MOTIFS, LA COUR,

    1.  Déclare, à la majorité, le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention irrecevable ;

     

    2.  Déclare, à la majorité, le grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention recevable ;

     

    3.  Déclare, à l’unanimité, irrecevable le surplus de la Requête ;

     

    4.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    5.  Dit, à l’unanimité,

    a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i.  1 200 EUR (mille deux cents euros) chacun, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii.   1 000 EUR (mille euros) conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président

     


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