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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ABDULLAH YASA AND OTHERS v. TURKEY - 44827/08 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 686 (16 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/686.html
Cite as: [2013] ECHR 686

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ABDULLAH YAŞA ET AUTRES c. TURQUIE

     

    (Requête no 44827/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    16 juillet 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Abdullah Yaşa et autres c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 44827/08) dirigée contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet Etat, MM. Abdullah et Eşref Yaşa et Mme Sahile Yaşa (« les requérants »), ont saisi la Cour le 10 septembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant Abdullah Yaşa (« A.Y. ») est le fils de M. Eşref Yaşa et Mme Sahile Yaşa.

  2. .  Les requérants ont été représentés par Me R. Yalçındağ Baydemir, avocate à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Les requérants se plaignaient en particulier du traumatisme infligé à Abdullah Yaşa par le tir d’une grenade lacrymogène, et de l’absence d’une enquête effective à l’encontre des policiers responsables.

  4. .  Le 20 septembre 2011, la Requête a été déclarée partiellement irrecevable en ce qui concerne les deuxième et troisième requérants. En outre, les griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention, pour autant qu’ils concernent le requérant Abdullah Yaşa (« le requérant »), ont été communiqués au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant, M. Abdullah Yaşa (« A.Y. »), est un ressortissant turc né en 1993 et résidant à Diyarbakır. Il avait treize ans à l’époque des faits.
  7. A.  L’incident du 29 mars 2006


  8. .  A la suite du décès de quatorze membres du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) lors d’une confrontation armée ayant eu lieu le 24 mars 2006, de nombreuses manifestations illégales furent organisées à Diyarbakır entre le 28 et le 31 mars 2006, au cours desquelles onze manifestants trouvèrent la mort. En particulier, au cours de ces événements, deux personnes, à savoir T. Atakkaya et M. Mızrak, furent tuées par des tirs de grenades lacrymogènes.

  9. .  Le 29 mars 2006, A.Y., se trouvant sur les lieux de la manifestation, fut blessé au nez par une grenade lacrymogène tirée par les policiers, alors qu’il se rendait, selon ses dires, chez sa tante. Le même jour, A.Y. fut transféré à l’hôpital public de Diyarbakır.

  10. .  Le 5 avril 2006, A.Y. quitta l’hôpital, où il avait subi le jour de son arrivée une opération pour un traumatisme maxillo-facial, selon le rapport de sortie.

  11. .  Le 14 avril 2006, le requérant porta plainte devant le parquet de Diyarbakır (ci-après « le parquet ») à l’encontre des policiers de la direction de la sûreté de Diyarbakır, pour abus de pouvoir et coups et blessures volontaires. Il déclara notamment avoir reçu une grenade lacrymogène directement dans le nez.

  12. .  Le 2 août 2006, le parquet auditionna le requérant, son père et sa mère. Le père d’A.Y. déclara qu’il était au travail lors de l’incident et qu’il souhaitait la condamnation des policiers responsables des coups et blessures de son fils.

  13. .  Dans ses dépositions du même jour, la mère d’A.Y. déclara qu’elle était à la maison lors de l’incident et qu’elle demandait que les policiers responsables des coups et blessures de son fils soient condamnés.

  14. .  Quant au jeune A.Y. lui-même, il déposa en substance comme suit. Lorsqu’il se rendait chez sa tante, il avait reçu un objet dans le nez alors qu’il regardait les policiers. Au moment de l’incident, il avait vu les policiers, portant des casques, tirer un projectile dans sa direction au moyen d’un objet porté sur l’épaule. Il n’avait pu identifier sa position exacte au moment de l’incident et n’avait auparavant vu personne lancer un quelconque objet vers les policiers. Il ne pensait pas que les policiers aient pu tirer sur lui sans avoir remarqué sa présence, dans la mesure où ceux-ci l’avaient vu quand il était dans la rue. Il ne connaissait pas le policier qui avait tiré sur lui. Il demandait que celui-ci soit identifié et puni. Il avait été conduit à l’hôpital par une personne qu’il ne connaissait pas.

  15. .  Son avocat, après avoir confirmé les dépositions de l’intéressé, demanda l’établissement d’un rapport médicolégal ainsi que la présentation des rapports médicaux établis par l’hôpital public de Diyarbakır. Il demanda également l’identification des policiers intervenus le jour de l’incident.

  16. .  Le 6 novembre 2007, le parquet rendit un non-lieu rédigé en ces termes :
  17. « (...) Selon les recherches faites à partir de la plainte (...) il a été déterminé que ce n’est pas en se rendant chez sa tante que A.Y. a été blessé. Selon les enregistrements vidéo (...) et certaines photographies (...) le plaignant a été blessé lors d’une manifestation à laquelle il avait participé activement en scandant des slogans en faveur de l’organisation terroriste PKK et de son leader Abdullah Öcalan, jetant des pierres, des bâtons et des cocktails Molotov en direction des policiers.

    Par conséquent, la responsabilité pénale des policiers ne pouvait être engagée, dans la mesure où ceux-ci avaient agi en légitime défense au sens de l’article 25 § 1 du code pénal et dans le cadre de leurs fonctions prévues à l’article 24 du même code. [En effet, ceux-ci] avaient tiré des grenades lacrymogènes afin de disperser les manifestants qui étaient réunis illégalement et qui attaquaient les policiers en jetant des pierres, des bâtons et des cocktails Molotov.

    A la lumière de ce qui précède (...) il n’y a pas lieu de poursuivre les policiers accusés pour dépassement des limites de l’usage de la force (...) »


  18. .  Le 13 novembre 2006, la direction de la médecine légale de Diyarbakır rendit un rapport médical en ces termes :
  19. « (...) A.Y. a été opéré d’une hémorragie, d’un œdème sur le visage, d’une fracture de l’os nasal ainsi que d’incisions concaves.

    Conclusion :

    Le patient ne peut pas être soigné par une intervention simple,

    Le pronostic vital n’est pas engagé,

    Les fractures des os représentent pour les fonctions vitales du requérant un dommage de gravité moyenne. »


  20. .  Le 3 décembre 2007, le requérant A.Y. forma opposition à cette décision de non-lieu devant la cour d’assises de Siverek (ci-après  « la cour d’assises »). Il contesta notamment sa prétendue participation à la manifestation en question et soutint que les enregistrements vidéo et les photos sur lesquelles le non-lieu était fondé étaient loin de constituer une preuve susceptible d’étayer une telle participation.

  21. .  Par une décision du 31 décembre 2007, notifiée à l’intéressé le 10 mars 2008, le président de la cour d’assises rejeta l’opposition. Il considéra que les actes des policiers restaient dans le cadre de la loi, dans la mesure où ces derniers n’avaient pas agi intentionnellement et où ils étaient uniquement intervenus dans l’exercice de leur fonctions.
  22. B.  La procédure pénale engagée à l’encontre du requérant devant la cour d’assises des mineurs


  23. .  Il ressort du dossier qu’une enquête fut engagée d’office contre le requérant pour sa prétendue participation à une manifestation illégale. Dans le cadre de cette enquête, le 28 novembre 2007, il fut interrogé par le parquet. Les parties pertinentes de ses déclarations peuvent se lire comme suit :
  24. « Je n’accepte aucunement l’accusation portée à mon encontre. [Le jour de l’incident], j’étais sorti de chez moi pour me rendre chez ma tante résidant à Bağlar, lorsque j’ai vu un groupe de policiers près de la rue du dispensaire, lesquels ont lancé une grenade lacrymogène qui a atteint mon nez. J’ai suivi un traitement médical de huit jours à l’hôpital, j’étais seul lors de cet incident, je n’avais pas jeté de pierres, de bâtons ou de cocktails Molotov contre les policiers, je n’avais pas scandé de slogans en faveur de l’organisation terroriste, je n’accepte pas les photos prises ni les enregistrements vidéo et les procès-verbaux. Je consens à ce qu’on me fasse un contrôle médical. »


  25. .  Le 25 février 2008, une action pénale fut engagée contre le requérant pour appartenance à une organisation terroriste et pour propagande en faveur de celle-ci ainsi que pour résistance aux policiers.

  26. .  Dans ses conclusions sur le fond de l’affaire, le procureur de la République demanda l’acquittement du requérant pour absence de preuves suffisantes. Pour ce faire, il souligna notamment que, selon l’examen des enregistrements d’images effectués par la direction des laboratoires de la police criminelle d’Ankara, il n’était pas possible d’établir la participation du requérant à la manifestation en question.

  27. .  Le 10 juillet 2008, la cour d’assises fit siennes les thèses du procureur de la République et acquitta A.Y. Selon les éléments du dossier, faute de pourvoi en cassation, cet arrêt devint définitif.
  28. C.  Le matériel audiovisuel produit par les parties


  29. .  Au cours de la procédure devant la Cour, le Gouvernement a produit un cédérom. Il s’agit d’un enregistrement vidéo réalisé par les forces de l’ordre. Ce cédérom montre plusieurs phases des manifestations ayant eu lieu à Diyarbakır le 29 mars 2006, et contiennent les images des instants ayant précédé et suivi le tir de la grenade lacrymogène qui a blessé le requérant à la tête. On voit également que les manifestants étaient majoritairement composés de jeunes adolescents, dont certains avaient le visage couvert, qui lançaient des pierres. En outre, on voit que l’événement se déroulait sur un boulevard très passant. Dans certaines séquences, on voit le requérant apparaître parmi les manifestants sans toutefois pouvoir établir avec certitude que celui-ci en faisait partie. Au cours de l’événement, on constate que le requérant a été touché par une grenade lacrymogène. Même s’il n’est pas possible de voir précisément comment le policier avait tiré la grenade lacrymogène, compte tenu de son impact, il semble qu’il s’agissait d’un tir direct et tendu (c’est-à-dire horizontal, ou avec une inclinaison inférieure à 45o) et non un tir en cloche (auquel cas le lanceur est relevé vers le haut pour que les grenades lacrymogènes éclatent en l’air et se fragmentent avant leur retombée au sol, afin d’éviter que les manifestants soient blessés en cas d’impact).
  30. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  31. .  La partie pertinente en l’espèce de l’article 16 de la loi no 2559 sur les attributions et obligations de la police, adoptée le 4 juillet 1934 et publiée au Journal officiel le 14 juillet 1934, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellée :
  32. « (...) Les agents de police ne peuvent utiliser leurs armes que

    a)  en cas de légitime défense ;

    (...)

    h)  ou si une personne ou un groupe résiste à la police et l’empêche de s’acquitter de ses fonctions ou s’il y a une attaque contre la police. (...) »


  33. .  Par une loi no 5681, publiée au Journal officiel le 14 juin 2007, l’article 16 de la loi no 2559 a été amendé. Cette disposition est depuis lors libellée comme suit :
  34. « La police

    (...)

    c)  peut faire usage d’armes à feu afin d’arrêter une personne faisant l’objet d’un mandat de détention ou d’arrestation (...) ou un suspect en flagrant délit, dans la mesure nécessaire à cet effet.

    Avant de faire usage d’armes à feu, la police (...) doit d’abord dire « halte ! » (...) Si la personne continue à fuir, la police peut faire un coup de semonce. Si, nonobstant ces avertissements, la personne continue à fuir et si aucun autre moyen de l’arrêter n’est envisageable, la police peut faire usage d’armes à feu dans le but de l’arrêter, dans la mesure nécessaire à cet effet (kişinin yakalanmasını sağlamak amacıyla ve sağlayacak ölçüde silahla ateş edilebilir) (...) »


  35. .  Aux termes de l’article 24 de la loi no 2911 sur les réunions et manifestations :
  36. « Si une réunion ou une manifestation débutée dans le respect de la loi (...) se transforme en une réunion ou manifestation contraire à la loi :

    (...)

    b)  La plus haute autorité civile locale (...) envoie les commandants locaux de la sûreté ou l’un d’eux sur les lieux des événements.

    Ce commandant avertit la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion, il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force (...)

    Dans les situations décrites (...) en cas d’attaque ou de résistance effective contre les forces de l’ordre ou les lieux et personnes qu’elles protègent, il sera recouru à la force sans qu’il soit besoin [d’émettre] un avertissement.

    (...)

    Si une réunion ou une manifestation débutent de façon contraire à la loi (...) les forces de l’ordre (...) prennent les précautions nécessaires. Le commandant des forces de l’ordre avertit la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion, il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force. »


  37. .  A l’époque des faits, en vertu de l’article 6 annexé à la loi n2559 sur les fonctions et compétences de la police :
  38. « L’usage de la force signifie le recours à la force physique, à la force matérielle et aux armes pour immobiliser les contrevenants, d’une manière graduelle et proportionnée aux caractéristiques et au degré de résistance et d’agressivité [de ceux-ci]. »


  39. .  L’article 25 de la directive relative aux forces d’intervention rapide (Polis Çevik Kuvvet Yönetmeliği) du 30 décembre 1982 fixe les principes régissant la surveillance, le contrôle et l’intervention des forces d’intervention rapide en présence de manifestations.
  40. Aux termes de cet article, dans une situation de réunion ou de manifestation contraire à la loi et nécessitant l’intervention des forces d’intervention rapide, l’autorité civile locale ou le commandant de police le plus élevé en grade ou l’un des commandants de police auquel cette mission est confiée doit tout d’abord se présenter à la foule en utilisant un haut-parleur ou tout autre moyen de communication. Ensuite, il doit avertir la foule « qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion, il sera fait usage de la force. » L’ordre doit impérativement être réitéré deux ou trois fois et un procès-verbal indiquant qu’il a été entendu du point le plus éloigné doit être établi. L’avertissement n’est pas nécessaire lorsqu’il y a attaque effective et résistance contre les forces de l’ordre ou lorsqu’il y a attaque effective contre des lieux protégés par les forces de l’ordre.

    En cas de non-dispersion de la foule malgré l’avertissement, il est fait usage, d’une manière graduelle, de la force physique, de la force matérielle et des armes, en fonction de la nature des mouvements de foule ou du degré des coups et violences, des menaces, des attaques ou de la résistance des contrevenants.

    Lorsque la dispersion est planifiée et qu’elle s’effectue par le recours à la force, plusieurs voies doivent être réservées à la foule pour lui permettre de se disperser. Il ne peut être tenté de disperser la foule sans que de telles voies soient disponibles.

    28.  Le 15 février 2008, une circulaire fixant les conditions d’utilisation du gaz lacrymogène (E.G.M. Genelge No : 19) fut adressée par le directeur de la sûreté générale (Emniyet Genel Müdürü) à l’ensemble des services de la sûreté. Cette circulaire se référait à une directive portant sur l’usage des armes et des munitions du gaz lacrymogène (Göz Yaşartıcı Gaz Silahları ve Mühimmatları Kullanım Talimatı) préparée en février 2008.

    Cette directive explique les caractéristiques des armes à base de gaz lacrymogène, ainsi que les effets physiologiques du gaz utilisé. Les parties pertinentes de cette directive peuvent se lire comme suit :

    « (...)

    2)  Méthode d’utilisation des armes et des munitions de gaz lacrymogène

    ü  les armes à gaz lacrymogène et leurs munitions ne doivent pas être utilisées pour des fins autres que celles prévues par les règles et sans que les mesures nécessaires ne soient prises (telles que la présence de personnel médical) ;

    ü  Avant toute utilisation des gaz lacrymogènes, la foule doit être avertie à haute voix qu’en cas de non-dispersion, il sera recouru au gaz lacrymogène ;

    ü  Le gaz est utilisé selon des tactiques et à des doses déterminées par le chef responsable de l’équipe d’intervention au gaz lacrymogène après évaluation de la situation par ce dernier ;

    ü  Les unités qui ne disposent pas de personnel ayant suivi une formation adéquate ne peuvent pas demander de gaz lacrymogène ;

    ü  Pour augmenter l’efficacité des effets du gaz lacrymogène, il convient de tenir compte de la direction et de la vitesse du vent, ainsi que de la température et d’autres facteurs météorologiques ;

    ü   Le dosage du gaz lacrymogène peut être augmenté d’une manière graduelle et proportionnée aux caractéristiques et au degré de résistance de la foule ou de la personne [visée] ;

    ü  Aucun projectile à gaz lacrymogène ne peut être tiré en prenant le corps humain pour cible ;

    ü  Les couvercles supérieur et inférieur des filtres (...) à gaz ne peuvent être ouverts et les filtres ne peuvent être mis en place sur les masques à gaz sans que la consigne en ait été donnée ;

    ü  Les sprays au gaz peuvent être utilisés d’une manière graduelle et proportionnée au degré de résistance ; il convient d’éviter de les utiliser à une distance inférieure à 1 mètre ;

    ü  Le gaz lacrymogène ne peut en aucun cas être utilisé contre des personnes ayant cessé toute résistance ou agression ;

    ü  Le personnel appelé à utiliser des munitions [de ce type] est informé de leur mode d’emploi et des avertissements émis par leur fabricant.

    3.  Méthode d’utilisation des armes et munitions dans les espaces ouvert et confinés

    a)  Espace ouvert

    Le gaz lacrymogène peut être utilisé pour disperser la foule en la morcelant et pour affaiblir la communication en vue d’isoler les provocateurs du reste de la foule. Dans l’hypothèse de l’usage de gaz lacrymogène pendant des événements sociaux, les points suivants doivent être pris en compte.

    ü  Il convient de déterminer la direction du vent et de préciser les points de cible pour que la foule soit affectée par le gaz lacrymogène (...)

    ü  Des masques à gaz doivent être fournis aux forces de l’ordre, compte tenu du fait que le gaz peut affecter les forces de l’ordre à la suite d’un éventuel changement de la direction du vent ;

    ü  Les voies d’évacuation des personnes affectées par le gaz ne doivent pas être bloquées. Si les voies d’évacuation sont bloquées, la foule risque d’être plus agressive. En outre, les voies d’évacuation doivent être correctement déterminées. La foule pourrait endommager le quartier des affaires et des zones résidentielles. Dans ce cas de figure, les zones déterminées peuvent être bloquées (...)

    ü  Il convient de connaître la portée des munitions et d’effectuer le tir à une distance appropriée pour atteindre le point cible. En outre, eu égard aux caractéristiques de l’événement social, il faut user des munitions appropriées, dans la mesure celles-ci peuvent être rejetées [par les manifestants vers les forces de l’ordre].

    ü  Il échet de tenir compte des caractéristiques de la foule et de son ampleur. Lorsqu’une munition a été lancée au milieu d’une grande foule, il ne faut pas oublier que les manifestants qui se trouvent au milieu de la foule risquent d’être piétinés (...)

    4.  Niveaux d’usage du gaz lacrymogène

    Les munitions de gaz lacrymogène à choisir en fonction de la distance qui sépare la foule de la police sont décrites ci-dessous :

    a)  Niveau 1 : Courte distance (1-15 mètres). Intervention avec des gaz sous forme de spray et des bouteilles de gaz modèle 5. (...)

    b)  Niveau 2 : Moyenne distance (15-30 mètres). Intervention à l’aide de grenades lacrymogènes à main. A envisager lorsque le groupe s’obstine à ne pas se disperser et garde son caractère agressif, en dépit de l’intervention de niveau 1. Une grenade lacrymogène à main peut agir à plus de 50 mètres, selon les conditions météorologiques.

    c)  Niveau 3 : Longue distance (30-150 mètres) 37/38 mm. Intervention au moyen d’un lance-grenade. Cette intervention s’effectue dans le but de disperser les rassemblements survenus à la suite de l’intervention décrite au niveau 2. Un tir réalisé avec un angle de 45o par rapport au corps du tireur dans des conditions météorologiques appropriées peut porter à plus de 150 mètres (...) »

    III.  UTILISATION DE GAZ LACRYMOGENE : PRINCIPES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS


  41. .  Le gaz lacrymogène est utilisé depuis de nombreuses années par les forces de l’ordre en Europe. Le cadre d’emploi du gaz lacrymogène varie en fonction de la forme sous laquelle il est utilisé. Le gaz lacrymogène est utilisé soit en projections avec aérosols (un spray), soit en grenades projetées au moyen d’un lanceur. Si le lance-grenade est utilisé de manière inadéquate, la grenade peut causer de graves blessures ou tuer.

  42. .  Selon l’article I § 5 de la Convention du 13 janvier 1993 des Nations unies sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction (« la CAC »), chaque Etat partie s’engage à ne pas employer d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre. La CAC est entrée en vigueur en Turquie le 11 juin 1997.
  43. D’après ce texte, le gaz lacrymogène ou ce que l’on nomme le « spray au poivre » ne sont pas considérés comme des armes chimiques. Toutefois, il est connu que l’utilisation de ce produit peut causer des désagréments passagers, tels que problèmes respiratoires, nausées, vomissements, irritation des voies respiratoires, irritation des voies lacrymales et des yeux, spasmes, douleurs thoraciques, dermatites ou allergies. À forte dose, il peut causer une nécrose des tissus dans les voies respiratoires ou dans l’appareil digestif, des œdèmes pulmonaires ou des hémorragies internes (hémorragies des glandes surrénales).

    D’après la CAC, l’engagement de tels moyens est autorisé à des fins de maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur (article II § 9, d) - voir, aussi, Çiloğlu et autres c. Turquie, no 73333/01, §§ 18-19, 6 mars 2007, et Oya Ataman c. Turquie, no 74552/01, §§ 17-18, CEDH 2006-XIII).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION


  44. .  Le requérant, A.Y., se plaint d’un usage de la force injustifié de la part des policiers, ainsi que de l’absence d’une enquête effective à l’égard de ces derniers. Il invoque les articles 3 et 13 de la Convention.
  45. La Cour estime que les griefs dont il s’agit n’appellent aucun examen sous l’angle de l’article 13, dans la mesure où l’intéressé ne se plaint pas de l’impossibilité pour lui de se prévaloir du système de réparation pécuniaire qui doit être mis en place au titre de cette disposition, combinée avec l’article 3 (Keser et Kömürcü c. Turquie, no 5981/03, § 37, 23 juin 2009).

    L’article 3 de la Convention est ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »


  46. .  Le Gouvernement s’oppose à la thèse du requérant.
  47. A.  Sur la recevabilité


  48. .  La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  49. B.  Sur le fond


  50. .  Le requérant réitère ses allégations.

  51. .  Le Gouvernement ne conteste pas l’usage de grenades lacrymogènes en l’espèce, mais estime que les forces de l’ordre ont agi conformément à la loi, à savoir l’article 16 de la loi no 2559 sur les attributions et obligations de la police, afin de calmer les manifestants, qui avaient un comportement violent.

  52. .  Selon le Gouvernement, l’intervention des forces de l’ordre était proportionnée et tendait à la dispersion d’un groupe réuni pour une manifestation illégale et ayant attaqué les policiers. A ses yeux, le recours à la force était nécessaire et la dispersion visait à protéger l’ensemble de la foule d’incidents qui se seraient révélés bien plus préjudiciables que ceux qui ont découlé de l’usage de la force. Par ailleurs, les blessures dénoncées auraient été une simple conséquence de ce recours à la force, légitimé aux yeux du Gouvernement par la nécessité de contenir la foule présente dans la rue principale et d’éviter ainsi tout débordement.

  53. .  La Cour rappelle que l’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. L’article 3 ne prévoit pas de restrictions, ce en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1 et 4 et, aux termes de l’article 15 § 2, il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V).

  54. .  En l’occurrence, les parties ne contestent pas que, le 29 mars 2006, le requérant a été blessé au nez par une grenade lacrymogène à la suite d’un tir effectué par un policier et que les blessures du requérant, à savoir un œdème sur le visage, une fracture de l’os nasal, ainsi que des incisions concaves, ont causé à ses fonctions vitales un dommage reconnu comme d’ampleur moyenne. Ses blessures présentaient ainsi un degré de gravité certain. La Cour n’aperçoit pas de circonstances susceptibles de l’amener à douter de l’origine de ces blessures, qui peuvent donc être considérées comme consécutives au tir d’une grenade lacrymogène par les policiers au moyen d’un lanceur. Elle est donc d’avis que le traitement infligé au requérant a atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention, que nul ne le conteste.
  55. Il incombe donc à la Cour de rechercher si l’usage qu’ont fait les policiers de la grenade lacrymogène était une réponse adéquate à la situation, compte tenu des exigences de l’article 3 de la Convention en la matière.


  56. .  La Cour observe que les instants ayant précédé et suivi l’utilisation de la grenade lacrymogène par les policiers pour disperser les manifestants ont été filmés (paragraphe 22 ci-dessus). La Cour a eu l’occasion de visionner ces enregistrements vidéo, dont l’authenticité n’a pas été mise en doute.

  57. .  La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion d’examiner la question de l’utilisation du « gaz lacrymogène » ou du « spray au poivre » dans un contexte de maintien de l’ordre public et a admis que l’utilisation d’un tel spray peut produire des effets dérangeants (Oya Ataman, no 74552/01, §§ 17-18, CEDH 2006-XIII, Ali Güneş c. Turquie, no 9829/07, § 37, 10 avril 2012, et Petruş Iacob c. Roumanie, no 13524/05, § 33, 4 décembre 2012). En outre, la Cour a entériné les recommandations faites par le Comité européen pour la prévention de la torture ou des peines et traitements inhumains ou dégradants (CPT) quant à l’usage du spray au poivre (Ali Güneş, précité, § 40). Elle a également précisé que ce gaz, utilisé dans un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe pour contenir les manifestations, voire les disperser en cas de risque de débordement, ne figure pas parmi les gaz toxiques énumérés en annexe de la Convention du 13 janvier 1993 des Nations unies sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction (« la CAC »). Par ailleurs, d’après la CAC, l’engagement de tels moyens est autorisé à des fins de maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur (article II § 9, d) (Çiloğlu et autres, no 73333/01, §§ 18-19, 6 mars 2007 et Oya Ataman, précité, §§ 17-18).

  58. .  A cet égard, ayant visionné les enregistrements vidéo et examiné l’ensemble des pièces versées au dossier, la Cour observe qu’il ne s’agissait pas d’une manifestation pacifique. On constate notamment que les manifestants, majoritairement composés de jeunes adolescents dont certains avaient le visage couvert, lançaient des pierres en direction des forces de l’ordre (paragraphe 22 ci-dessus). Dans les circonstances de l’espèce, la Cour est d’avis qu’aucun problème particulier ne se pose au regard de l’article 3 de la Convention du fait de la seule utilisation du gaz lacrymogène pour disperser ce rassemblement, ce que le requérant ne conteste pas.

  59. .  Toutefois, la présente affaire se distingue sensiblement des affaires où la Cour a précédemment examiné les effets de l’utilisation de gaz lacrymogène ou de spray irritant contre des manifestants (Çiloğlu et autres, et Oya Ataman, arrêts précités) ou contre les personnes immobilisées par les forces de l’ordre (Ali Güneş et Petruş Iacob, arrêts précités). En effet, il ne s’agit pas en l’espèce de la seule question de l’utilisation de « gaz lacrymogène » mais du lancement d’une grenade lacrymogène en direction des manifestants. Or, le tir d’une grenade au moyen d’un lanceur fait naître le risque de causer de graves blessures, comme en l’espèce, voire de tuer, si le lance-grenade est utilisé de manière inadéquate.

  60. .  Par conséquent, compte tenu de la dangerosité du matériel utilisé, la Cour est d’avis que sa jurisprudence concernant le recours à une force potentiellement meurtrière doit mutatis mutandis s’appliquer en l’espèce. Il convient à cet égard de rappeler que, dans le cadre de l’article 2 de la Convention, la Cour a toujours précisé que le non-encadrement par des règles et l’abandon à l’arbitraire de l’action des agents de l’Etat sont incompatibles avec un respect effectif des droits de l’homme (Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, § 58, CEDH 2004-XI). Il en va de même quant à l’article 3 de la Convention. Cela signifie que les opérations de police - y compris le lancement de grenades lacrymogènes - doivent non seulement être autorisées par le droit national mais aussi être suffisamment délimitées par ce droit, dans le cadre d’un système de garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire, l’abus de la force et les accidents évitables.
  61. C’est pourquoi la Cour doit à présent examiner la question de savoir si l’action des policiers était entourée de garanties suffisantes et si le lancement d’une grenade lacrymogène en direction du requérant peut passer pour compatible avec les exigences de l’article 3.


  62. .  La Cour observe que, selon le Gouvernement et le parquet ayant mené l’enquête sur la plainte du requérant, ce dernier participait activement à la manifestation en question en scandant des slogans en faveur d’une organisation terroriste et jetant des pierres, des bâtons et des cocktails Molotov sur les policiers. Le requérant conteste cette thèse.

  63. .  La Cour relève que, même si on aperçoit l’intéressé parmi les manifestants dans les enregistrements vidéo, il n’est pas possible - et le procureur près la cour d’assises l’a admis (paragraphe 20 ci-dessus) - d’établir avec certitude que celui-ci participait à la manifestation. De toute manière, aux yeux de la Cour, cet élément n’est pas déterminant dans les circonstances de la présente espèce, dans la mesure où il n’est pas contesté que le requérant se trouvait sur les lieux de l’événement et qu’il a bien été touché par une grenade lacrymogène tirée par un policier en direction des manifestants au cours de l’événement.

  64. .  Devant le parquet, le requérant avait dit qu’il s’agissait d’un tir « direct » (paragraphe 10 ci-dessus), en précisant notamment que les policiers ont tiré un projectile dans sa direction par l’intermédiaire d’un objet porté sur l’épaule (paragraphes 10 et 13 ci-dessus).

  65. .  La Cour relève que, dans son non-lieu, le procureur de la République s’est borné à constater que le requérant a été blessé lors d’une manifestation à laquelle il participait activement. Il a noté que les policiers avaient tiré des grenades lacrymogènes afin de disperser les manifestants sans se soucier d’examiner la manière dont le tir de la grenade avait eu lieu. Pour la Cour, indépendamment de la question de savoir si le requérant participait activement ou non à la manifestation, une telle approche apparaît clairement insuffisante face à l’allégation de l’intéressé selon laquelle il avait reçu une grenade directement dans le nez ; et cela d’autant plus que l’événement se déroulait sur un boulevard avec de nombreux passants (paragraphe 22 ci-dessus), qui risquaient d’être les cibles potentielles d’un tel tir.

  66. .  A cet égard, même, à partir des enregistrements vidéo, s’il n’est pas possible de voir précisément comment la grenade lacrymogène a été tirée, compte tenu de son impact et des blessures occasionnées, la Cour observe qu’il semble qu’il s’agissait, comme l’affirme le requérant, d’un tir direct et tendu et non d’un tir en cloche. En effet, il incombait au Gouvernement d’effectuer les recherches nécessaires afin d’établir la manière dont le tir avait été effectué, notamment par le recours à une expertise. Faute pour le Gouvernement d’avoir soumis un quelconque élément permettant d’infirmer la thèse du requérant, la Cour accepte que ce tir était direct et tendu. Pour la Cour, le tir direct et tendu d’une grenade lacrymogène au moyen d’un lanceur ne saurait être considéré comme une action policière adéquate, dans la mesure où un tel tir peut causer des blessures graves, voire mortelles, alors que le tir en cloche constitue en général le mode adéquat, dans la mesure où il évite que les personnes soient blessées ou tuées en cas d’impact.

  67. .  De surcroît, la Cour observe qu’à l’époque des faits, le droit turc ne contenait aucune disposition spécifique réglementant l’utilisation des grenades lacrymogènes pendant les manifestations, et qu’il n’énonçait aucune directive concernant son mode d’emploi. Compte tenu du fait qu’au cours des événements ayant eu lieu à Diyarbakır entre les 28 et 31 mars 2006, deux personnes ont été tuées par des tirs de grenades lacrymogènes et que le requérant a été blessé à cette occasion, on peut inférer que les policiers ont pu agir avec une grande autonomie et prendre des initiatives inconsidérées, ce qui n’eût probablement pas été le cas s’ils avaient bénéficié d’une formation et d’instructions adéquates. Pour la Cour, une telle situation ne permet pas d’offrir le niveau de protection de l’intégrité physique des personnes qui est requis dans les sociétés démocratiques contemporaines en Europe.

  68. .  Eu égard aux considérations qui précèdent, force est de constater qu’il n’est pas établi que l’usage de la force dont le requérant a été victime dans les conditions décrites ci-dessus était une réponse adéquate à la situation, au regard des exigences de l’article 3 de la Convention et proportionné au but recherché, à savoir disperser un rassemblement non pacifique. De fait, la gravité des blessures relevées sur la tête du requérant ne pouvait correspondre au strict usage par les policiers d’une force rendue nécessaire par son comportement (voir, mutatis mutandis, Zülcihan Şahin et autres c. Turquie, no 53147/99, § 54, 3 février 2005).

  69. .  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

  70. .  La Cour observe que le requérant se plaint également de l’insuffisance de l’enquête. A cet égard, elle observe que dans son analyse portant sur la nécessité et la proportionnalité de la force employée, elle a suffisamment tenu compte de l’attitude manifestement défaillante du parquet face aux allégations du requérant (paragraphe 47 ci-dessus). Par conséquent, il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle du volet procédural de l’article 3 de la Convention.
  71. II.  SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION


  72. .  Les articles 41 et 46 de la Convention disposent comme suit :
  73. Article 41

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    Article 46

    « 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

    2.  L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

    A.  Dommage


  74. .  Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il estime avoir subi. A cet égard, il fait valoir qu’il avait treize ans au moment des faits et que les blessures qu’il a subies représentaient pour ses fonctions vitales un dommage de gravité moyenne. Il explique qu’il a été opéré au niveau du nez et qu’il est toujours sous traitement médical. Il produit deux cédéroms contenant des images et rapports médicaux pertinents.

  75. .  Le Gouvernement conteste les montants réclamés par le requérant.

  76. .  Prenant en compte les éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour considère qu’il y a lieu d’allouer au requérant une somme globale de 15 000 EUR, tous dommages confondus.
  77. B.  Frais et dépens


  78. .  Le requérant demande également 9 723 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il fournit un décompte du travail effectué par son avocat.

  79. .  Le Gouvernement conteste cette demande.

  80. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais confondus.
  81. C.  Intérêts moratoires


  82. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  83. D.  Article 46


  84. .  La Cour observe par ailleurs qu’elle a, en l’espèce, constaté une violation de la Convention à raison du fait qu’il n’avait pas été établi que l’usage de la force dont le requérant a été victime fût une réponse adéquate à la situation, au regard des exigences de l’article 3 de la Convention. En outre, elle a constaté qu’à l’époque des faits, le droit turc ne contenait aucune disposition spécifique réglementant l’utilisation des grenades lacrymogènes lors de manifestations, et qu’aucune directive n’existait à l’intention des forces de maintien de l’ordre concernant leur mode d’emploi (paragraphe 48 ci-dessus). La Cour note que le 15 février 2008 (paragraphe 28 ci-dessus), une circulaire fixant les conditions d’utilisation du gaz lacrymogène a été adressée à l’ensemble des services de sûreté. Néanmoins, la Cour estime nécessaire un renforcement des garanties d’une bonne utilisation des grenades lacrymogènes afin de minimiser les risques de mort et de blessures liés à leur utilisation, par l’adoption d’instruments législatifs et/ou réglementaires plus détaillés, conformément aux principes énoncés au paragraphe 48 ci-dessus.
  85. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle du volet procédural de l’article 3 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livre turque, au taux applicable à la date du règlement :

    i)  15 000 EUR (quinze mille euros), tous dommages confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    ii)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président


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