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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> AKTAS AND KIRTAY v. TURKEY - 36463/08 53948/09 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 699 (16 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/699.html
Cite as: [2013] ECHR 699

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE AKTAŞ et KIRTAY c. TURQUIE

     

    (Requêtes nos 36463/08 et 53948/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    16 juillet 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En les affaires Aktaş et Kırtay c. Turquie

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :

              Peer Lorenzen, président,

              András Sajó,

              Nebojša Vučinić, juges,

    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section f.f.,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine des affaires se trouvent deux Requêtes (nos 36463/08 et 53948/09) dirigées contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Abdulkadir Aktaş et Şafii Kırtay (« les requérants ») ont saisi la Cour respectivement le 17 juillet 2008 et 20 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérants sont représentés par Me M. Özbekli, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

  3. .  Le 17 mars 2010, les Requêtes ont été communiquées au Gouvernement. En application du Protocole no 14, les Requêtes ont été attribuées à un Comité.
  4. EN FAIT


  5. .  Les requérants, MM. Abdulkadir Aktaş et Şafii Kırtay, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1980 et 1978 et sont actuellement détenus à la prison de Diyarbakır. Ils sont représentés devant la Cour par Me M. Özbekli, avocat à Diyarbakır.

  6. .  Les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue dans le cadre d’opérations menées contre le Hizbullah, une organisation illégale armée, le 8 novembre 1999 (Şafii Kırtay) et le 6 octobre 2002 (Abdulkadir Aktaş). Ils furent ensuite placés en détention provisoire.

  7. .  Par des actes d’accusation établis à différentes dates, le parquet les inculpa notamment d’appartenance à une organisation illégale armée et/ou de tentative de renversement par la force de l’ordre constitutionnel turc.

  8. .  S’agissant de M. Şafii Kırtay, le 27 décembre 2002, celui-ci fut condamné en première instance. Le 12 mai 2003, la Cour de cassation infirma l’arrêt de condamnation. Le 20 mars 2007, la cour d’assises de Diyarbakır le condamna à seize ans et huit mois de réclusion criminelle et, l’arrêt en question fut confirmé par la Cour de cassation le 16 octobre 2008. L’acte de notification de l’arrêt de la Cour de cassation fut établi le 6 novembre 2008.

  9. .  Quant à M. Abdulkadir Aktaş, le 24 avril 2007, les juges du fond le condamnèrent à la réclusion criminelle à perpétuité et, cette condamnation fut confirmée par la Cour de cassation le 17 février 2009.
  10. EN DROIT

    I.  SUR LA JONCTION DES REQUETES


  11. .  La Cour décide, en application de l’article 42 § 1 de son règlement, de joindre les Requêtes, eu égard à leur similitude quant aux faits et aux questions juridiques qu’elles posent.
  12. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  13. .  Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  14. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »


  15. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  16. A.  Sur la recevabilité


  17. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer cette partie des Requêtes recevable.
  18. B.  Sur le fond


  19. .  Les périodes à considérer ont débuté le 6 octobre 2002 (Abdulkadir Aktaş) et le 8 novembre 1999 (Şafii Kırtay) et se sont terminées respectivement le 17 février 2009 et 16 octobre 2008. Elles ont donc duré respectivement environ six ans et quatre mois et neuf ans, pour deux instances.

  20. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II, Kaplan c. Turquie, no 24240/07, § 48, 20 mars 2012)

  21. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
  22. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION


  23. .  Les requérants se plaignent également du fait qu’en Turquie, il n’existe aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Ils invoquent l’article 13 de la Convention ainsi libellé :
  24. « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    17.  Le Gouvernement conteste cette thèse. Il soutient que, sur le fondement de la loi nationale, le requérant pouvait saisir les juridictions internes de son grief tiré de l’article 13.

    18.  Les requérants combattent la thèse du Gouvernement.

    A.  Sur la recevabilité

    19.  La Cour constate que l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief. Partant, elle décide de la joindre au fond. Elle relève en outre que le grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    20.  La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion de connaître de ce grief à l’occasion de nombreuses Requêtes précédentes et de constater que l’ordre juridique turc n’offrait pas aux justiciables un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention (Kaplan c. Turquie, précité, § 57, Daneshpayeh c. Turquie, no 21086/04, § 37, 16 juillet 2009) La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence, en l’espèce. Partant, l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement ne saurait être retenue.

    21.  Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

    IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  25. .  Les requérants se plaignent enfin de la durée de leur détention provisoire.

  26. .  La Cour observe qu’eu égard à la date de la condamnation en première instance des requérants (le 24 avril 2007 pour Şafii Kırtay et le 20 mars 2007 pour Abdulkadir Aktaş), les griefs tirés de la durée de la détention provisoire sont tardifs. Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  27. V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  28. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  29. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  30. .  Les requérants Abdulkadir Aktaş et Şafii Kırtay réclament respectivement 30 000 euros (EUR) et 40 000 EUR au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi.

  31. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  32. .  La Cour estime que les requérants ont subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle accorde 2 700 EUR à Abdulkadir Aktaş et 3 800 EUR à Şafii Kırtay à ce titre.
  33. B.  Frais et dépens


  34. .  Les requérants demandent également une somme appropriée pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes sans présenter aucun justificatif.

  35. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  36. .  Vu l’absence de justificatifs présentés par les requérants, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale.
  37. C.  Intérêts moratoires


  38. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  39. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les Requêtes ;

     

    2.  Déclare les Requêtes recevables quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure et de l’absence de recours effectif et irrecevables pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, la somme suivante, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :

    i)  2 700 EUR (deux mille sept cents euros) à Abdulkadir Aktaş et 3 800 EUR (trois mille huit cents euros) à Şafii Kırtay, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                          Peer Lorenzen
      Greffière adjointe f.f.                                                              
    Président


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