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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DAMBEAN v. ROMANIA - 42009/04 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 724 (23 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/724.html
Cite as: [2013] ECHR 724

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DÂMBEAN c. ROUMANIE

     

    (Requête no 42009/04)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    23 juillet 2013

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Dâmbean c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Corneliu Bîrsan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juillet 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 42009/04) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Maria Dâmbean (« la requérante »), a saisi la Cour le 9 août 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  La requérante a été représentée par Me C. Bulgarea, avocat à Deva. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  La requérante allègue en particulier que l’enquête concernant le décès de son mari à la suite d’un accident de la route n’a pas été effective et a dépassé le délai raisonnable, la privant ainsi de la possibilité de demander des dommages et intérêts civils.

  4. .  Le 15 mars 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  La requérante est née en 1956 et réside à Deva.

  7. .  Le 28 juillet 1999, Gheorghe Dâmbean, le mari de la requérante, décéda à la suite d’un accident de la route. Il conduisait une camionnette qui entra en collision avec un camion venant en direction opposée et qui était conduit par V.M., ressortissant bulgare.
  8. 7.  Le même jour, la police procéda à une enquête sur place et rendit son rapport. Des photos furent prises et le contrôle technique des deux véhicules réalisé. Le tachymètre de la camionnette fut saisi, mais pas celui du camion.


  9. .  Les 29 juillet et 2 août 1999, V.M. ainsi que le deuxième chauffeur du camion furent entendus par la police. Les 30 juillet et 17 août 1999, la police entendit également deux témoins qui étaient à bord de la camionnette au moment de l’accident.

  10. .  Le 20 août 1999, la police entendit la requérante. Elle déclara ne pas avoir de prétentions civiles.

  11. .  Le 7 septembre 1999, le rapport d’autopsie fut versé au dossier. Il conclut que la mort du mari était due à un traumatisme cranio-cérébral.
  12. 11.  Les cinq autres témoins présents dans la camionnette lors de l’accident furent entendus les 1er, 3 et 7 octobre 1999.


  13. .  Le 5 octobre 1999, la requérante revint sur sa déclaration initiale et réclama la réparation du préjudice causé par la mort de son mari. Elle demanda notamment le remboursement des frais du service religieux de l’enterrement, les coûts de réparation de la camionnette, la pension alimentaire due à ses deux enfants mineurs et la réparation du dommage moral que ses enfants et elle-même avaient subi.
  14. 13.  Le 14 janvier 2000, le parquet entendit, à la demande de la requérante, deux témoins présents sur le lieu de l’accident.

    14.  Le 29 février 2000, la police entendit une deuxième fois, à la demande expresse de la requérante, quatre des témoins déjà entendus. L’avocat de la requérante était également présent lors de leur audition et put leur poser des questions.


  15. .  Le 14 mars 2000, la police demanda au service criminalistique de déterminer la position des deux véhicules avant l’accident en fonction des traces laissées sur la route. Le 20 mars 2000, le service criminalistique rendit son opinion et estima qu’il était impossible de déterminer la position des deux véhicules parce que les photos prises lors de l’enquête sur place avaient été réalisées en méconnaissance des normes méthodologiques.

  16. .  Le 31 mars 2000, un expert du Bureau local d’expertises judiciaires, que la requérante avait désigné et que la police avait approuvé, rendit son avis. Après avoir examiné l’épave de la camionnette et s’être rendu sur le lieu de l’accident en présence d’un officier de police, de la requérante et de son avocat ainsi que de deux témoins de l’accident, l’expert conclut que la camionnette conduite par le mari de la requérante roulait à 20 km/heure tandis que le camion roulait à 96 km/heure. Il se fonda sur le compteur de vitesse de la camionnette et, en l’absence du tachymètre du camion ou de toute mention à celui-ci dans le rapport d’enquête sur place, il estima la vitesse du camion en fonction d’un algorithme mathématique. Il conclut que le chauffeur du camion était responsable de l’accident.

  17. .  Les 17 mai et 12 juin 2000, l’expert compléta son rapport à la demande de la police et détailla ses conclusions.

  18. .  Le 19 mai 2000, la police ouvrit des poursuites pénales contre V.M. pour homicide involontaire.

  19. .  Le 22 mai 2000, la police entendit les six policiers qui avaient mené l’enquête sur place à la suite de l’accident (paragraphe 7 ci-dessus).

  20. .  Le 22 août 2000, le bureau Interpol du ministère de l’Intérieur informa les autorités de l’enquête que la société commerciale propriétaire du camion impliqué dans l’accident ne disposait plus du tachymètre du camion puisqu’il aurait été saisi lors de l’enquête sur le lieu de l’accident. Toutefois, en octobre 2000, cette société commerciale fournit à la police roumaine le tachymètre du camion.
  21. 21.  Par une ordonnance du 13 décembre 2000, le parquet près le tribunal départemental de Hunedoara décida la clôture des poursuites, estimant que la responsabilité de l’accident appartenait au mari de la requérante. Le parquet se fonda sur le rapport rédigé après l’enquête sur place et sur les déclarations des témoins et écarta comme erronées les conclusions du rapport d’expertise technique. Sur contestation de la requérante, le procureur en chef du parquet et le parquet près la cour d’appel d’Alba-Iulia confirmèrent cette ordonnance les 14 juin et 6 juillet 2001, respectivement.

    22.  La requérante contesta en justice la clôture des poursuites devant le tribunal de première instance de Deva. Après deux renvois pour des motifs de compétence matérielle du tribunal, ce dernier rejeta sa contestation par un jugement du 20 novembre 2002 et confirma la solution du parquet. Le tribunal se fonda principalement sur les dépositions des témoins qu’il avait entendus à nouveau.

    23.  La requérante interjeta appel. Par un arrêt du 19 mai 2003, le tribunal départemental de Hunedoara fit droit à son appel et renvoya l’affaire au parquet afin de poursuivre l’enquête contre V.M. Le tribunal constata que le parquet avait écarté les conclusions du rapport d’expertise sans s’appuyer sur une autre expertise scientifique, alors que certains témoins avaient confirmé ses conclusions. Le tribunal indiqua que l’avis de l’Institut national d’expertises criminalistiques (« l’institut ») à Bucarest était nécessaire en l’espèce.

    24.  Le 27 février 2004, l’institut rendit son rapport d’expertise et le compléta, le 7 septembre 2004, afin de répondre aux questions supplémentaires de la requérante. L’institut conclut que son mari était responsable de l’accident, puisqu’il avait emprunté à contresens avec sa camionnette la voie où V.M. circulait correctement.

    25.  Les 11 mai et 15 novembre 2004, la requérante saisit le parquet près le tribunal départemental de Hunedoara et contesta les conclusions du nouveau rapport d’expertise. Elle fit valoir que les experts qui l’avait rédigé n’avaient pas vu le lieu de l’accident et n’avaient pas expliqué pourquoi les conclusions du premier rapport devaient être écartées, alors que l’expert qui l’avait établi s’était rendu sur place.


  22. .  Par une ordonnance du 18 février 2005, le parquet près le tribunal départemental de Hunedoara décida à nouveau de clore les poursuites pénales contre V.M. Le parquet écarta les conclusions du premier rapport d’expertise pour manque de cohérence et se fonda plutôt sur les conclusions du rapport de l’institut et sur les déclarations des témoins. Le 22 mars 2005, cette ordonnance fut confirmée par le premier procureur du parquet.

  23. .  La requérante contesta devant les tribunaux internes l’ordonnance du parquet. Par un jugement du 13 mai 2005, le tribunal de première instance de Deva rejeta sa contestation, au motif que le parquet avait correctement établi la responsabilité de son mari.

  24. .  La requérante se pourvut en recours. Par un arrêt du 4 octobre 2005, le tribunal départemental de Hunedoara renvoya l’affaire au tribunal de première instance pour vice de procédure, au motif que V.M. n’avait pas été régulièrement cité à comparaître en Bulgarie.

  25. .  V.M. fut par la suite cité à comparaître, mais ne se présenta pas. Il choisit toutefois un avocat qui le représenta pendant la procédure ultérieure.
  26. 30.  La requérante s’adressa à plusieurs reprises aux tribunaux internes pour se plaindre de la durée de la procédure. Dans ses observations des 16 décembre 2005 et 6 avril 2006, elle fit notamment valoir qu’en raison de la durée excessive de la procédure, la responsabilité de V.M. risquait d’être prescrite.


  27. .  Par un jugement du 24 mars 2006, le tribunal de première instance de Deva rejeta, pour défaut de fondement, la contestation de la requérante contre l’ordonnance du 18 février 2005.

  28. .  La requérante se pourvut en recours, arguant que les deux rapports d’expertise rédigés en l’espèce étaient contradictoires et que ces contradictions devaient être expliquées. Elle demanda un nouveau rapport d’expertise.

  29. .  Par un arrêt définitif du 3 octobre 2006, le tribunal départemental de Hunedoara rejeta son pourvoi, au motif que les éléments de preuve versés au dossier soutenaient la thèse de la responsabilité de son mari et qu’un nouveau rapport d’expertise n’était pas nécessaire.
  30. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  31.   L’essentiel des dispositions pertinentes du Code pénal régissant les infractions contre la vie est décrit dans l’arrêt Pantea c. Roumanie, (no 33343/96, § 154, CEDH 2003-VI (extraits)).
  32. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION


  33. .  La requérante allègue que l’enquête concernant la mort de son mari à la suite d’un accident de la route n’a pas été effective. Elle invoque en substance l’article 2 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  34. « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. »

    A.  Sur la recevabilité


  35. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  36. B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties


  37. .  La requérante allègue que l’enquête relative à la mort de son mari a été entachée de plusieurs défaillances : elle n’a pas été conduite avec promptitude et professionnalisme ; l’enquête sur place à la suite de l’accident n’a pas été menée selon la règlementation en la matière et des éléments importants de preuve ont ainsi été perdus ; le premier rapport d’expertise technique a été écarté sans raison évidente.

  38. .  Elle dénonce particulièrement la durée excessive de la procédure. Elle fait valoir que si elle a usé de ses droits procéduraux, en demandant par exemple l’audition de certains témoins ou en produisant des éléments de preuve, elle l’a fait de manière raisonnable. Elle n’est intervenue dans la procédure que pour pallier la passivité des autorités. Elle conclut à la violation de l’article 2 de la Convention.

  39. .  Après avoir résumé en détail le déroulement de l’enquête pénale en cause, le Gouvernement affirme que les autorités nationales ont rempli toutes leurs obligations en l’espèce. Elles ont notamment examiné des éléments de preuve pertinents et suffisants et ont conclu, de manière adéquate et rapide, sur les causes du décès du mari de la requérante. De plus, cette dernière a été associée à la procédure et les autorités ont fait droit à ses demandes de preuve.

  40. .  À la différence de l’affaire Railean c. Moldova (no 23401/04, 5 janvier 2010), l’enquête dans la présente l’affaire a été complète, puisqu’elle a permis d’identifier toutes les personnes impliquées dans l’accident et de clarifier toutes les circonstances de fait. La réouverture de l’enquête en 2003 n’a pas été motivée par d’éventuelles défaillances, mais par le souci de faire droit aux demandes de preuves supplémentaires formées par la requérante elle-même.
  41. 2.  Appréciation de la Cour


  42. .  La Cour rappelle d’emblée que l’obligation de protéger le droit à la vie qui découle de l’article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l’État en vertu de l’article 1 de la Convention de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », requiert, par implication, que soit menée une forme d’enquête officielle et effective lorsqu’il y a eu mort d’homme (Voiculescu c. Roumanie, no 5325/03, § 30, 3 février 2009). La responsabilité de l’État de mener une enquête ne saurait être écartée si le décès n’est pas imputable aux agents de l’État, mais qu’il est survenu à la suite d’un accident de travail (Pereira Henriques c. Luxembourg, no 60255/00, § 55, 9 mai 2006 et Gina Ionescu c. Roumanie, no 15318/09, § 39, 11 décembre 2012) ou d’un accident de la route (Al Fayed c. France (déc.), no 38501/02, 27 septembre 2007 et Railean, précité, § 30).

  43. .  Ensuite, la Cour rappelle qu’il s’agit là d’une obligation non de résultat mais de moyens ; les autorités doivent avoir pris les mesures qui leur étaient raisonnablement accessibles pour que les preuves concernant l’incident soient recueillies. Toute déficience de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir la cause du décès ou les responsabilités risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à cette norme. Une exigence de promptitude et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte (Gina Ionescu, précité, § 38 et Yuriy Slyusar c. Ukraine, no 39797/05, § 82, 17 janvier 2013).

  44. .  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que les autorités nationales ont ouvert une enquête le jour même de l’accident qui a causé le décès du mari de la requérante et que cette dernière a été associée à la procédure. Les autorités ont pris un certain nombre de mesures destinées à clarifier les circonstances du décès du mari de la requérante, dont notamment l’enquête sur le lieu de l’accident, l’audition de plusieurs témoins et deux expertises techniques. Le fait que cette enquête n’a pas conclu à la responsabilité pénale de V.M., le chauffeur du camion impliqué dans l’accident, ne saurait en soi mener au constat de son ineffectivité (Prynda c. Ukraine, no 10904/05, § 55, 31 juillet 2012).

  45. .  Toutefois, la Cour constate que l’accident de la route est survenu le 28 juillet 1999, alors que la procédure ne s’est terminée que le 3 octobre 2006, soit sept ans et deux mois après.

  46. .  La Cour note ensuite que l’affaire a fait l’objet de plusieurs renvois entre différentes autorités judiciaires. Ainsi, en 2002, l’affaire a été renvoyée à deux reprises entre différentes juridictions pour des motifs liés à la compétence matérielle de ces dernières (paragraphe 22 ci-dessus). En 2003, l’affaire a de nouveau été renvoyée au parquet pour un complément d’enquête (paragraphe 23 ci-dessus). Finalement, en 2005, l’affaire a fait l’objet d’un renvoi devant le tribunal de première instance pour vice de procédure (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour est d’avis que les motifs qui ont justifiés ces renvois successifs sont imputables aux autorités nationales (mutatis mutandis, Cârstea et Grecu c. Roumanie, no 56326/00, § 42, 15 juin 2006).

  47. .  La Cour note également qu’alors que les autorités nationales ont émis des doutes quant à la fiabilité du premier rapport d’expertise scientifique (paragraphe 21 ci-dessus), un deuxième rapport d’expertise n’a été produit par l’Institut national d’expertises criminalistiques à Bucarest qu’en 2004, soit plus de quatre ans après l’accident.
  48. 47.  S’agissant du comportement de la requérante, la Cour note qu’elle a joué un rôle actif, en demandant, surtout au début de la procédure, l’examen supplémentaire de certains éléments de preuve (paragraphes 13 et 14 ci-dessus). Elle estime que, même si la requérante a fait usage des recours à sa disposition, en contestant les actes procéduraux (voir par exemple paragraphes 24 et 25 ci-dessus pour la contestation du deuxième rapport d’expertise) ainsi que les décisions du parquet, elle l’a fait de manière raisonnable (mutatis mutandis, Gina Ionescu, précité, §§ 41-42).

    48.  De plus, la requérante a attiré l’attention des autorités sur la durée de la procédure et sur les conséquences qu’une durée excessive pouvait avoir sur la responsabilité des personnes en cause (paragraphe 30 ci-dessus), démarche restée sans réponse. La Cour estime en conséquence que la requérante n’a pas contribué de manière significative à la durée globale de la procédure.


  49. .  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les autorités nationales n’ont pas agi avec la diligence requise par l’article 2 de la Convention. En conséquence, elle conclut à la violation de cette disposition sous son volet procédural.
  50. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  51. .  La requérante dénonce une violation de son droit à un procès équitable en raison de la durée de la procédure pénale en cause et du défaut d’accès à un tribunal qui statue sur sa demande de dommages et intérêts au civil dans le cadre de la procédure pénale. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  52. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  53. .  Le Gouvernement conteste cette thèse.

  54. .  Eu égard au constat relatif à l’article 2 de la Convention (paragraphe 49 ci-dessus), la Cour considère que ce grief est recevable, mais qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément son bien-fondé (mutatis mutandis, Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 121, 27 juin 2006 et Dimovi c. Bulgarie, no 52744/07, § 57, 6 novembre 2012).
  55. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    53.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  56. .  La requérante réclame, au titre du préjudice matériel, les sommes de 46 000 euros (EUR) représentant les revenus que son mari aurait pu percevoir pendant cinq ans, de 5 000 EUR représentant les coûts de réparation de la camionnette et de 3 500 EUR représentant les frais des funérailles de son mari. Elle réclame aussi la somme de 500 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle et ses enfants auraient subi et fait valoir que le stress et l’angoisse vécus auraient causé le décès de sa fille mineure en 2011.

  57. .  Le Gouvernement s’oppose aux demandes de la requérante. Il fait valoir qu’il n’y a aucun lien de causalité entre les violations alléguées et le préjudice matériel demandé. S’agissant du préjudice moral, il estime qu’un constat éventuel de violation pourrait constituer, par lui-même, une réparation satisfaisante et qu’en tout état de cause, la somme demandée n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour en la matière.

  58. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime que la violation de l’article 2 sous son volet procédural a causé à la requérante un préjudice moral en la plaçant dans une situation de détresse et de frustration. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères qui se dégagent de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 15 000 EUR pour dommage moral et l’accorde à la requérante.
  59. B.  Frais et dépens


  60. .  La requérante demande également 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Elle envoie des justificatifs pour un montant de 1 624,55 lei roumains, soit environ 390 EUR représentant des honoraires d’avocat, de notaire et d’expert et des frais postaux et de rédaction de documents.

  61. .  Le Gouvernement s’oppose au remboursement de la somme au motif que la requérante n’a pas prouvé, par des justificatifs, avoir effectivement encouru l’intégralité de la somme sollicitée.

  62. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 390 EUR tous frais confondus et l’accorde à la requérante.
  63. C.  Intérêts moratoires


  64. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  65. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

    i)  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  390 EUR (trois cent quatre-vingt-dix euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président


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