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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VENTURA v. ITALIE - 24814/03 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 75 (22 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/75.html
Cite as: [2013] ECHR 75

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE VENTURA c. ITALIE

     

    (Requête no 24814/03)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    22 janvier 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Ventura c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 décembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 24814/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Ferdinando Ventura (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 mai 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me S. Ferrara, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora et son coagent M. N. Lettieri.

  3. .  Le 24 mai 2006, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

  4. .  En application du Protocole no 14, la Requête a été attribuée à un comité.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1936 et réside à Bénévent.

  7. .  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

  8. .  Le requérant était propriétaire d’un terrain sis à Bénévent et enregistré au cadastre, feuille 33, parcelle 149.

  9. .  Par un arrêté du 24 août 1987, l’administration provinciale de Bénévent approuva le projet de construction d’un ouvrage public sur le terrain du requérant.

  10. .  Par un arrêté du 12 janvier 1989, le maire de Bénévent autorisa les sociétés A. et P. à occuper d’urgence une partie de ce terrain, à savoir 3 104 mètres carrés, pour une période maximale de cinq ans en vue de son expropriation, afin de procéder à la construction de l’ouvrage public.

  11. .  Le 20 février 1989, le terrain fut matériellement occupé.
  12. 1.  La procédure principale


  13. .  Par un acte d’assignation du 18 octobre 1994, notifié le 21 octobre 1994, le requérant introduisit une action en dommages-intérêts à l’encontre des sociétés A. et P. devant le tribunal de Bénévent. Il faisait valoir que l’occupation du terrain était illégale au motif que celle-ci s’était poursuivie au-delà de la période autorisée, sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle et au paiement d’une indemnité. A la lumière de ces considérations, il demandait à titre principal la restitution du terrain et à titre subsidiaire un dédommagement pour la perte de celui-ci, ainsi qu’une indemnité d’occupation.

  14. .  Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la partie du terrain effectivement occupée avait une surface globale de 3 582 mètres carrés et sa valeur marchande en 1989 était de 38 864,70 EUR.

  15. .  Par un jugement notifié les 12 et 13 octobre 2004, le tribunal de Bénévent déclara que le requérant avait été privé de son terrain en raison de la transformation irréversible de celui-ci, en vertu du principe de l’expropriation indirecte. A la lumière de ces considérations, le tribunal condamna les sociétés A. et P. à verser au requérant un dédommagement de 38 864,70 EUR, égal à la valeur marchande en 1989 de la partie du terrain occupée, plus réévaluation et intérêts. En outre, le tribunal rejeta la demande d’indemnité d’occupation, au motif que seule la cour d’appel était compétente à cet égard.

  16. .  Par un acte notifié au requérant le 5 novembre 2004, la société A. interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples.

  17. .  Par un arrêt du 10 novembre 2006, la cour d’appel de Naples confirma le jugement de première instance quant au dédommagement et accorda au requérant 38 864,70 EUR, plus réévaluation et intérêts à partir du 12 janvier 1996, date de la fin de l’occupation légitime.
  18. 2.  La procédure « Pinto »


  19. .  Par un recours déposé au greffe le 5 avril 2002, le requérant saisit la cour d’appel de Rome au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure devant le tribunal de Bénévent décrite ci-dessus. Il demanda à la cour d’appel de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’État italien au versement de 6 584 EUR à titre de dédommagement des préjudices matériels et moraux subis.

  20. .  Par une décision du 24 mars 2003, déposée au greffe le 10 avril 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était pas étayée, accorda 1 000 EUR comme réparation du dommage moral et 700 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 22 mai 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 21 juillet 2003.
  21. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  22. .  Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009.

  23. .  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31).
  24. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION


  25. .  Le requérant allègue avoir été privé de son terrain de manière incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
  26. « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »


  27. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  28. A.  Sur la recevabilité


  29. .  Le Gouvernement avance que le requérant n’est plus « victime » de la violation alléguée puisqu’il a obtenu du tribunal de Bénévent un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié.

  30. .  Le requérant demande le rejet de cette exception.

  31. .  La Cour rappelle que l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se conçoit même en l’absence de préjudice ; celui-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 41. Partant, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de «victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53, 3 avril 2003 ; Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36). Il s’ensuit que cette exception ne saurait être retenue.

  32. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  33. B.  Sur le fond


  34. .  Le requérant rappelle qu’il a été privé de son bien en vertu du principe de l’expropriation indirecte, un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité, ce qui n’est pas admissible dans un État de droit.

  35. .  Selon le Gouvernement, en dépit de l’absence d’un arrêté légitime d’expropriation et de la transformation du terrain de manière irréversible par la construction d’un ouvrage d’utilité publique, rendant sa restitution impossible, l’occupation litigieuse a été faite dans le cadre d’une procédure administrative reposant sur une déclaration d’utilité publique. En l’espèce, le Gouvernement fait valoir que le requérant a obtenu du tribunal un dédommagement égal à la valeur vénale du terrain au moment de sa transformation irréversible.

  36. .  La Cour note tout d’abord que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu « privation de la propriété ».

  37. .  La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (voir, parmi d’autres, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005 ; Velocci c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour la récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence dans la matière.

  38. .  Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré le requérant privé de son bien à compter de la date de la réalisation de l’ouvrage public. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par conséquent, le requérant n’a eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain qu’au plus tôt le 23 janvier 2007, date à laquelle l’arrêt de la cour d’appel de Naples est devenu définitif.

  39. .  La Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens du requérant entraînant la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
  40. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION


  41. .  Le requérant se plaint de la durée de la procédure civile ainsi que de l’insuffisance du redressement obtenu dans le cadre du recours Pinto.

  42. .  Les dispositions pertinentes de l’article 6 § 1 sont ainsi libellés :
  43. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  44. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  45. A.  Sur la recevabilité


  46. .  Le Gouvernement avance que le requérant n’est plus « victime » de la violation allégué de l’article 6 § 1 puisqu’il a obtenu de la cour d’appel de Rome un constat de violation ainsi qu’un redressement approprié et suffisant au regard de l’enjeu du litige.

  47. .  Le requérant s’oppose à l’exception du Gouvernement et fait valoir que le montant accordé par la cour d’appel ne permet pas de considérer le redressement offert en l’occurrence comme suffisant à réparer la violation alléguée.

  48. .  La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, § 84) selon laquelle, dans ce genre d’affaires, il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant.

  49. .  La première condition, à savoir le constat de violation par les autorités nationales, ne prête pas à controverse puisque la cour d’appel de Rome l’a expressément constaté.

  50. .  Quant à la seconde condition, la Cour rappelle les caractéristiques que doit avoir un recours interne pour apporter un redressement approprié et suffisant; il s’agit tout particulièrement du fait que pour évaluer le montant de l’indemnisation allouée par la cour d’appel, la Cour examine, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu’elle aurait accordé dans la même situation pour la période prise en considération par la juridiction interne (Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 86-107).

  51. .  La Cour estime que, en se bornant à octroyer une somme de 1 000 EUR pour dommage moral, la cour d’appel de Rome n’a pas réparé la violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, entre autres Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-98), la Cour relève en effet que la somme en question ne représente guère plus de 9% du montant qu’elle octroie généralement dans les affaires similaires dirigés contre l’Italie.

  52. .  Au vu de ce qui précède et eu égard aux insuffisances du redressement opéré, la Cour considère que le requérant peut toujours se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

  53. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  54. B.  Sur le fond


  55. .  La Cour constate que la procédure principale a débuté le 21 octobre 1994 et qu’elle était encore pendante en première instance le 24 mars 2003, date à laquelle la cour d’appel « Pinto » s’est prononcée.

  56. .  La Cour relève que la cour d’appel de Rome a évalué la durée de la procédure à la date de sa décision, à savoir le 24 mars 2003, la procédure s’étant achevée le 23 novembre 2006, une période d’environ trois ans et huit mois n’a pas pu être prise en considération par la cour d’appel.

  57. .  La Cour relève qu’en ce qui concerne la phase postérieure au 23 mars 2003, le requérant aurait dû épuiser à nouveau les voies de recours internes en saisissant une nouvelle fois la cour d’appel au sens de la loi « Pinto ». Au vu de ce qui précède, l’examen de la Cour sera limité à la durée de la procédure ayant fait l’objet d’un examen par la cour d’appel « Pinto » (Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 116, CEDH 2006-V (extraits) ; Gattuso c. Italie (déc.), no 24715/04), soit une période d’environ huit années et six mois.

  58. .  La Cour a traité à maintes reprises des Requêtes soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a également lieu de constater une violation de l’article 6 § 1.
  59. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION


  60. .  Invoquant l’article 13, le requérant allègue l’insuffisance de l’indemnité reconnue par la cour d’appel de Rome et se plaint de l’inefficacité du remède « Pinto ».

  61. .  La Cour rappelle que, selon la jurisprudence Gagliano Giorgi (no 23563/07, § 79, 6 mars 2012) et Delle Cave et Corrado (nº 14626/03, §§ 43-46, 5 juin 2007), l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » ne remet pas en cause, pour l’instant, l’efficacité de cette voie de recours.

  62. .  En l’espèce, la cour d’appel de Rome avait bien compétence pour se prononcer sur le grief du requérant et elle a effectivement procédé à son examen. Aux yeux de la Cour, la simple insuffisance du montant de l’indemnisation ne constitue pas en soi un élément suffisant pour remettre en cause l’effectivité du recours « Pinto » (voir, mutatis mutandis, Zarb c. Malte, no 16631/04, § 51, 4 juillet 2006).

  63. .  Partant, il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  64. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    51.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel


  65. .  Le requérant réclame un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain à la date de l’arrêt de la Cour, estimée sur la base de la plus-value apportée au terrain par la construction de l’ouvrage d’utilité publique. Il chiffre ses prétentions à 179 900,77 EUR.

  66. .  Le Gouvernement s’y oppose et fait valoir que le requérant a obtenu un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain, en conformité aux critères élaborés par la jurisprudence de la Cour.

  67. .  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], nº 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

  68. .  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009, la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, elle a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’État sur les terrains.

  69. .  L’indemnisation doit donc correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains.

  70. .  La Cour observe que le requérant a reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale du terrain, réévaluée et assortie d’intérêts, à compter de la date de la fin de l’occupation légitime, à savoir le 12 janvier 1996. La Cour estime partant que l’intéressé a déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d’indemnisation suscités.

  71. .  Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie, satisfaction équitable) [GC], précité, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime (20 février 1989) jusqu’au moment de la perte de propriété (12 janvier 1996). Statuant en équité, la Cour alloue au requérant 30 100 EUR.
  72. B.  Dommage moral


  73. .  Le requérant demande 50 000 EUR à titre de préjudice moral.

  74. .  Le Gouvernement s’oppose à cette prétention.

  75. .  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de son bien ainsi que la durée excessive de la procédure ont causé au requérant un préjudice moral important qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

  76. .  Conformément à la jurisprudence Guiso-Gallisay c. Italie (précité) et Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142 et 146) et statuant en équité, la Cour alloue au requérant 9 100 EUR.
  77. C.  Frais et dépens


  78. .  Notes d’honoraires à l’appui, le requérant demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant la Cour, à hauteur de 53 585,53 EUR.

  79. .  Le Gouvernement s’oppose et fait valoir que les sommes réclamées sont excessives.

  80. .  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, du 24 janvier 2008, § 22).

  81. .  La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 15 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.
  82. E.  Intérêts moratoires


  83. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  84. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention et de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes:

    i)  30 100 EUR (trente mille cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

    ii)  9 100 EUR (neuf mille cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    iii)  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                       Dragoljub Popović
      Greffière adjointe                                                                    
    Président


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