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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> POLIDARIO v. SWITZERLAND - 33169/10 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 766 (30 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/766.html
Cite as: [2013] ECHR 766

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE POLIDARIO c. SUISSE

     

    (Requête no 33169/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

     

    30 juillet 2013

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Polidario c. Suisse,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Nebojša Vučinić,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juillet 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33169/10) dirigée contre la Confédération suisse et dont une ressortissante philippine, Mme Catherine Polidario (« la requérante »), a saisi la Cour le 14 juin 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été d’abord représentée par Me Arbex, puis par Me M. Rudermann, avocats à Genève. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par M. A. Scheidegger, agent suppléant du Gouvernement suisse.

  3. .  La requérante allègue avoir été privée de relations familiales effectives avec son fils mineur pendant plusieurs années, en violation de l’article 8 de la Convention.

  4. .  Le 7 septembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.
  5. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  La requérante est née en 1967 et réside à Genève.

  7. .  La requérante vint pour la première fois en Suisse en 1995 afin d’y travailler pour le compte d’un diplomate.

  8. .  Le 7 octobre 2001, un enfant naquit d’une relation hors mariage de la requérante avec un ressortissant d’origine libanaise, ayant acquis, entretemps, la nationalité suisse.

  9. .  Le père reconnut l’enfant le 28 mars 2002.

  10. .  Les relations entre les parents se détériorèrent rapidement. Un important conflit s’ensuivit entre les parents, dans le cadre duquel le service social international et le service de protection des mineurs suisse dressèrent plusieurs rapports afin d’évaluer les conditions de vie de l’enfant auprès de chacun des parents, tant en Suisse qu’aux Philippines.

  11. .  Le 26 juin 2002, les parents signèrent une convention alimentaire en faveur de l’enfant, qui résidait à ce moment avec la requérante en Suisse.

  12. .  Le 21 août 2002, le tribunal tutélaire du canton de Genève instaura une curatelle d’organisation et de surveillance des relations personnelles entre le père et l’enfant.

  13. .  L’office cantonal de la population ayant pris une mesure de renvoi à l’égard de la requérante le 21 juin 2002, celle-ci rentra aux Philippines avec l’enfant le 22 septembre 2002.

  14. .  Le 19 juin 2003, le tribunal tutélaire refusa une demande du père en vue d’obtenir la garde de l’enfant.

  15. .  Le père se rendit aux Philippines début juillet 2004. Le 5 juillet 2004, la requérante signa un affidavit qui autorisait le père à reprendre son fils « pour des vacances » auprès de lui. Elle indique qu’elle accomplissait cette démarche afin de maintenir un lien entre l’enfant et son père, ce dernier s’étant engagé oralement à ramener l’enfant chez sa mère en mars 2005.

  16. .  Le 15 octobre 2004, le père se rendit en Suisse avec l’enfant.

  17. .  Le père ne renvoyant pas l’enfant aux Philippines, la requérante entreprit, dès le mois de mars 2005, de multiples démarches, notamment par le biais des autorités philippines à Genève, aux fins de rapatrier l’enfant (qui disposait d’une autorisation d’établissement en Suisse à partir du 28 janvier 2005). Elle précise que la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ne fut d’aucun secours en la matière, l’Etat des Philippines n’y étant pas partie.

  18. .  Elle déposa également, le 14 juin 2006, une demande d’autorisation d’entrée et de séjour en Suisse afin de pouvoir vivre auprès de son fils en Suisse, sans qu’il ne soit privé de la présence de son père.

  19. .  Le 27 octobre 2006, le père déposa une requête tendant au retrait de l’autorité parentale de la requérante et au transfert de cette autorité à lui-même.

  20. .  Le 23 avril 2007, l’autorité de surveillance des tutelles refusa la demande. Elle rappela que l’autorité parentale appartient à la mère non mariée selon la législation concernée et qu’un retrait de cette autorité, qui équivalait à la perte d’un droit élémentaire de la personnalité, n’était admissible que si d’autres mesures pour éviter le danger que courait l’enfant - à savoir les mesures protectrices, la curatelle d’assistance et le retrait du droit de garde - étaient d’emblée insuffisantes. Elle considéra qu’il n’existait pas, en l’espèce, de motifs justifiant qu’un retrait de l’autorité parentale soit prononcé à l’encontre de la mère. Elle précisa qu’un document tel l’affidavit n’équivalait ni à une renonciation à l’autorité parentale, ni à un transfert définitif de la garde, la mère affirmant avoir voulu remettre l’enfant à son père uniquement pour les vacances.

  21. .  La décision du 23 avril 2007 étant entrée en force (faute d’un recours), l’autorité compétente du canton de Genève transmit, le 21 août 2007, à l’office fédéral des migrations (ci-après « l’ODM ») le dossier, afin qu’il se détermine sur la proposition cantonale d’octroyer une autorisation de séjour en Suisse à la requérante.

  22. .  En attendant, la requérante saisit, le 16 novembre 2007, le tribunal tutélaire d’une requête urgente en placement de l’enfant en foyer, soit dans l’attente de l’arrivée de la mère à Genève, soit en vue de son rapatriement.

  23. .  Le 7 décembre 2007, le tribunal tutélaire, considérant que la mère, titulaire de l’autorité parentale et de la garde de l’enfant, se trouvait empêchée d’agir, faute d’autorisation de venir à Genève, pour préparer et organiser le retour de son fils aux Philippines, désigna à ces fins une curatrice en la personne de Mme B., juriste titulaire auprès du service de protection des mineurs.
  24. Le 6 février 2008, l’autorité de surveillance confirma l’ordonnance du 7 décembre 2007 et fit en outre interdiction au père de déplacer l’enfant hors de Suisse, l’enjoignant de déposer sans délai les papiers d’identité de son fils auprès du tribunal tutélaire.


  25. .  Parallèlement à cette procédure, le père demanda au tribunal tutélaire, le 21 décembre 2007, d’ouvrir une nouvelle instruction en vue de lui attribuer le droit de garde sur l’enfant, au motif qu’il l’exerçait en fait depuis 2004.
  26. Le 7 février 2008, le tribunal tutélaire refusa d’examiner la demande d’instruction formulée par le père.

    Par une décision du 2 avril 2008, l’autorité de surveillance rejeta, pour autant qu’il était recevable, le recours déposé par le père contre la décision du 7 février 2008.


  27. .  Sur recours du père, le Tribunal fédéral annula, par un arrêt du 9 juillet 2008, les décisions des 6 février 2008 et 2 avril 2008 et renvoya la cause au tribunal tutélaire pour qu’il statue sur la demande du père d’ouvrir une instruction en vue du retrait du droit de garde à la mère et son attribution au père. En conséquence, l’autorité de surveillance des tutelles retourna, le 12 septembre 2008, la cause au tribunal tutélaire pour instruction, et celui-ci releva, le 22 septembre 2008, Mme B. de ses fonctions de curatrice.

  28. .  L’ODM ayant entre-temps refusé sa demande d’autorisation de séjour le 7 mars 2008, la requérante formula, le 17 septembre 2008, une demande de réexamen de cette décision ; elle allégua, à titre d’élément nouveau, l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008 en tant qu’il ordonnait une nouvelle instruction de la cause, laquelle prolongeait la séparation avec son fils et la plaçait de ce fait dans une situation d’extrême gravité au sens de la loi sur les étrangers.

  29. .  Le 11 novembre 2008, l’ODM refusa de donner une suite favorable à cette requête.

  30. .  Le 18 décembre 2008, la requérante, se prévalant de l’article 8 de la Convention, recourut contre cette décision. Elle allégua notamment que l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008, en tant qu’il suspendait le processus de retour de son fils aux Philippines, la privait de tout contact avec son enfant pour une période indéterminée ; elle réaffirma qu’elle devait être autorisée à séjourner en Suisse auprès de son enfant, du moins aussi longtemps que celui-ci y résiderait.

  31. .  Par un arrêt du 15 décembre 2009, le tribunal administratif fédéral rejeta le recours de la requérante contre la décision de l’ODM du 11 novembre 2008. Il précisa d’abord, entre autres, ceci :
  32.  

    « (...) les décisions de réexamen en matière d’exception aux mesures de limitation (actuellement : dérogation aux conditions d’admission) rendues par l’ODM sont susceptibles de recours au Tribunal [administratif fédéral], qui statue définitivement (...) ».

    Le tribunal administratif fédéral motiva sa décision notamment comme suit:

    «  (...) L’examen du dossier amène le Tribunal à la conclusion que le fait nouveau sur lequel [la requérante] a fondé sa demande de réexamen du 17 septembre 2008, soit l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008 concernant, d’une part, la nomination d’une curatrice à l’enfant, d’autre part, le réexamen du droit de garde sur cet enfant, n’est pas de nature à justifier la reconsidération de la décision de l’ODM du 7 mars 2008.

    Il s’impose de constater en effet que l’arrêt de la Haute Cour du 9 juillet 2008 a eu pour seul effet de rouvrir les procédures portant sur les questions précitées. Dans la mesure où ces procédures sont encore en suspens, comme l’atteste la convocation du Tribunal tutélaire à une comparution personnelle le 19 janvier 2010, la recourante ne peut se prévaloir, en l’état, d’aucune modification substantielle de la situation juridique liée au droit de garde de son fils qui serait susceptible de justifier le réexamen de sa situation personnelle sous l’angle du cas personnel d’extrême gravité.

    Il convient de rappeler à ce propos que, dans sa précédente décision du 7 mars 2008, l’ODM a déjà examiné de manière approfondie la situation de [la requérante] et qu’il est arrivé à la conclusion que celle-ci n’était pas constitutive d’un cas personnel d’extrême gravité justifiant l’octroi d’une exception aux mesures de limitation (...), compte tenu notamment de ses faibles attaches socioprofessionnelles avec la Suisse, ainsi que de son comportement dans ce pays.

    Dans ces circonstances, si la réouverture des procédures relatives à la garde de l’enfant, issue de l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008, prolonge certes la période durant laquelle [la requérante] se retrouve dans l’incertitude au sujet d’une éventuelle reprise des relations familiales avec son fils, cette situation, par essence de nature temporaire, ne saurait nullement justifier, en elle-même, le réexamen du prononcé du 7 mars 2008. (...) »


  33. .  En parallèle, la procédure quant aux droits parentaux se déroula devant le tribunal tutélaire, à la suite de l’arrêt du 9 juillet 2008 (paragraphe 24).

  34. .  Ainsi, dans ses observations du 8 octobre 2008, la requérante sollicita, entre autres, que le tribunal tutélaire ordonne toutes mesures d’exécution utiles aux fins de sa réunion avec l’enfant dans les meilleurs délais.

  35. .  Dans un rapport du 16 décembre 2008, établi sur requête du tribunal tutélaire, le service de protection des mineurs conclut au retrait de la garde de l’enfant à la mère et au placement du mineur chez le père. Le service indiqua que les conditions de vie de l’enfant chez son père à Genève étaient confortables, tant sur les plans matériel, affectif qu’éducatif. Un retour aux Philippines représenterait un déracinement profond pour le mineur, dans la mesure où il était scolarisé à Genève et avait ses attaches sociales dans cette ville, où il vivait auprès de son père, sa belle-mère et son demi-frère.

  36. .  La requérante obtint un visa pour comparaître le 25 janvier 2010 devant le tribunal tutélaire.
  37. Lors de cette audience, elle expliqua que ces dernières années elle avait eu des contacts téléphoniques, une fois par semaine, avec son fils. Elle indiqua être d’accord avec un retrait de garde provisoire, jusqu’à ce que soit réglé la question de son séjour en Suisse. Elle sollicita une expertise des parents et de l’enfant et demanda que son droit aux relations personnelles avec l’enfant soit réglé.


  38. .  La requérante explique n’avoir pu, depuis ce séjour d’une semaine à Genève dans le cadre de l’audience, se résoudre à s’éloigner de son fils pour regagner seule les Philippines.

  39. .  Dans ses conclusions du 5 mai 2010, la requérante demanda au tribunal tutélaire, sur mesures provisoires, de lui donner acte de son accord que la garde sur l’enfant lui soit retirée provisoirement, de lui réserver un droit de visite sur son fils dans un point rencontre en Suisse, avec une curatelle d’organisation et de surveillance dudit droit. Elle souligna être d’accord que la garde lui soit retirée, de manière temporaire, le temps pour elle de stabiliser sa situation personnelle et administrative et de trouver un logement pour accueillir l’enfant.

  40. .  Le 4 juin 2010, le tribunal tutélaire rendit une ordonnance sur mesures provisoires. La garde fut retirée à la mère et le mineur fut placé chez son père ; le tribunal précisa qu’il ne se justifiait pas de retirer l’autorité parentale à la requérante. La mère se vit confier un droit de visite devant s’exercer en Suisse. Mme B. fut désignée aux fonctions de curatrice de l’enfant aux fins d’organiser et de surveiller le droit de visite entre l’enfant et la mère, en fonction des périodes et dates auxquelles la requérante serait présente à Genève.
  41. Pour motiver sa décision, le tribunal précisa, notamment, qu’il était dans l’intérêt du mineur qu’il puisse voir ses deux parents et que la situation soit réglée, à tout le moins de manière provisoire, avant qu’une décision au fond ne soit rendue. Il tint compte du fait que le service de protection des mineurs avait confirmé, dans son rapport du 16 décembre 2008, ainsi qu’à l’audience du 25 janvier 2010 au tribunal tutélaire, qu’il était conforme à l’intérêt du mineur qu’il puisse continuer à vivre chez son père à Genève.

    Quant au fond, le tribunal ordonna l’ouverture d’enquêtes.


  42. . Selon sept procès-verbaux dressés entre les 16 juillet 2010 et 25 janvier 2011, le tribunal tutélaire procéda à l’audition de témoins.

  43. .  Par une lettre du 18 août 2010, le service de protection des mineurs avertit le tribunal tutélaire de ce qu’il ne pouvait organiser le droit de visite de la requérante, celle-ci faisant l’objet d’une interdiction d’entrer en Suisse.

  44. .  Le 20 août 2010, la requérante indiqua au tribunal tutélaire que le rendez-vous fixé avec le service de protection des mineurs avait été annulé, au motif qu’elle n’avait pas d’autorisation de séjour. Le 24 août 2010, le tribunal expliqua qu’il était certes dans l’intérêt de l’enfant d’entretenir des relations personnelles avec sa mère mais qu’il n’avait pas la possibilité de s’opposer à un autre corps du droit l’empêchant de venir en Suisse pour y exercer son droit de visite.

  45. .  Suite à une requête sur mesures provisoires du 19 octobre 2010 de la requérante et sur base d’un rapport du 18 novembre 2010 du service de protection des mineurs, le tribunal tutélaire rendit une ordonnance le 14 décembre 2010.
  46. Il précisa, entre autres, que le fait que la requérante n’était pas au bénéfice d’une autorisation de séjour en Suisse n’était pas constitutif d’une mise en danger concrète du bien de l’enfant au sens de la loi, justifiant de la priver de son droit de visite. Il releva qu’il ressortait du dossier que depuis octobre 2004, les contacts entre la requérante et son fils étaient très irréguliers et que, par conséquent, même s’il était indiscutable qu’il était dans l’intérêt de l’enfant qu’il puisse reconstruire un lien avec sa mère, il semblait être indiqué que le droit de visite soit rétabli progressivement. Suivant les conclusions du service de protection des mineurs, le tribunal fixa le droit de visite de la requérante à deux heures par semaine au sein d’un « Point Rencontre », ce droit comprenant la possibilité pour la requérante de téléphoner à son fils deux soirs par semaine pendant dix minutes.


  47. .  A partir du 12 février 2011, la requérante exerça ainsi son droit de visite au sein du Point Rencontre à Genève.
  48. Dans une lettre du 23 décembre 2011 adressée au tribunal titulaire, le service de protection des mineurs relata que la requérante était impatiente de pouvoir passer du temps à l’extérieur avec son fils (qui avait entretemps acquis la nationalité suisse) et préconisa l’instauration du droit de visite à raison de deux heures toutes les deux semaines, par le biais d’un simple passage au Point Rencontre. Le service expliqua toutefois qu’il avait été rappelé à la requérante qu’il fallait impérativement rester sur le sol suisse lorsqu’elle serait en compagnie de son fils, dans la mesure où elle était toujours sans autorisation de séjour.

    Le même jour, le tribunal tutélaire autorisa la mesure.


  49. .  Vu l’évolution positive de la relation mère-fils, le tribunal tutélaire autorisa, le 13 août 2012, la requérante à rencontrer son enfant un samedi sur deux de 9 heures à 18 heures sans passage au Point Rencontre.

  50. .  Le 25 octobre 2012, la requérante se vit octroyer une autorisation de séjour valable jusqu’au 24 octobre 2013. Dans sa lettre adressée à ce sujet au conseil de la requérante, l’ODM précisa qu’à cette dernière échéance, il vérifierait l’évolution de la situation familiale de la requérante, avant de prolonger le cas échéant son autorisation pour une année supplémentaire.

  51. .  Dans un rapport du 24 avril 2013, le service de protection des mineurs relata que les parents avaient réussi à se dégager des conflits qui les opposaient et à rétablir une confiance mutuelle et que le père était d’accord que la requérante emmène l’enfant aux Philippines durant les vacances d’été, « ceci depuis qu[‘elle] a obtenu un permis de séjour en Suisse ». Le service préconisa d’autoriser le voyage, de donner acte à la requérante de son engagement à ramener l’enfant en Suisse et d’élargir le droit de visite, afin qu’il s’exerce en accord des parties.
  52. Le 11 juin 2013, le tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (anciennement tribunal tutélaire) autorisa les mesures en question.


  53. . Selon les éléments fournis à la Cour, il n’apparaît pas qu’à l’heure actuelle, une décision ait été prise quant au fond de l’affaire, suite à l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008 (paragraphes 24, 35 et 36 ci-dessus).
  54. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION


  55. .  La requérante estime que le refus par les autorités suisses de lui délivrer une autorisation de séjour pendant plus de six ans a entravé son droit au respect de la vie familiale. Elle allègue avoir ainsi été privée de relations familiales effectives et sûres avec son enfant, quand bien même elle disposait de l’autorité parentale et du droit de garde, puis d’un droit de visite. Elle invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
  56. « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »


  57. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  58. A.  Sur la recevabilité

    1.  Épuisement des voies de recours internes


  59. . Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes. Il explique que le refus de l’ODM de reconnaître à une personne un droit à une autorisation de séjour pour « cas individuel d’une extrême gravité » (permis dit humanitaire) ne peut en principe pas faire l’objet d’un recours de droit public au Tribunal fédéral. Il poursuit que la situation est toutefois différente lorsqu’un requérant fait valoir le droit au respect de sa vie familiale au titre de l’article 8 de la Convention. Ainsi, se basant sur des arrêts du Tribunal fédéral datés respectivement des 6 avril 2011 et 19 mars 2012, le Gouvernement estime que les exceptions d’accès au Tribunal fédéral n’étaient pas applicables en l’espèce. La requérante - qui déjà n’avait pas recouru contre la décision de l’ODM du 7 mars 2008 - aurait dès lors pu saisir le Tribunal fédéral d’un recours de droit public contre l’arrêt du tribunal administratif fédéral du 15 décembre 2009. Le Gouvernement en conclut que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

  60. . La requérante réplique que sa requête ne vise pas la décision de l’ODM du 7 mars 2008, l’objet du litige étant circonscrit à l’arrêt du tribunal administratif fédéral du 15 décembre 2009. Elle en déduit qu’il est indifférent de savoir si un recours contre une décision antérieure, en l’occurrence celle du 7 mars 2008, aurait pu faire l’objet d’un recours interne. Quant à la possibilité de recourir contre l’arrêt du tribunal administratif fédéral du 15 décembre 2009, la requérante réplique que le recours invoqué par le Gouvernement ne saurait être considéré comme une voie de recours efficace qu’elle aurait dû épuiser. En effet, la loi ne prévoyant pas de recours au Tribunal fédéral en la matière, l’argumentation du Gouvernement repose uniquement sur une jurisprudence du Tribunal fédéral. Or, cette jurisprudence, qui n’a pas été publiée, est postérieure aux faits litigieux et ne se réfère à aucune jurisprudence antérieure. Ainsi, le Gouvernement ne prouve pas que l’avocate de la requérante aurait dû savoir à l’époque des faits, soit fin 2009/début 2010, qu’un recours au Tribunal fédéral contre l’arrêt du tribunal administratif était théoriquement possible.

  61.   La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette disposition est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie. La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée, ledit recours devant par ailleurs être « à la fois relatif aux violations incriminées, disponible et adéquat » (voir, parmi de nombreux autres, Claes c. Belgique, no 43418/09, § 77, 10 janvier 2013).

  62. .  Il est également rappelé qu’un requérant doit avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants et que, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (voir, parmi d’autres, Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 55, 24 janvier 2008).

  63. .  En l’espèce, la Cour relève qu’à la suite du refus par l’ODM de sa demande d’autorisation de séjour en date du 7 mars 2008, la requérante opta, le 17 septembre 2008, pour une demande de réexamen de la décision (paragraphe 25). Lorsque l’ODM refusa, le 11 novembre 2008, d’y réserver une suite favorable, la requérante recourut contre cette décision, se prévalant de l’article 8 de la Convention (paragraphe 27). Par un arrêt du 15 décembre 2009, le tribunal administratif fédéral rejeta le recours de la requérante et prit soin d’énoncer qu’il statuait définitivement (paragraphe 28). Au vu de cette dernière précision, la Cour estime que l’on ne saurait exiger de la requérante de faire un recours devant le Tribunal fédéral.

  64. .   De l’avis de la Cour, il lui suffit de constater, dans les circonstances particulières de l’espèce, que la requérante a porté son grief tiré de la violation de l’article 8 de la Convention devant les instances nationales et que la dernière décision interne définitive est l’arrêt du tribunal administratif fédéral du 15 décembre 2009. La requête ayant été introduite le 14 juin 2010, aucun problème ne se pose par ailleurs quant au respect de la règle des six mois (mutatis mutandis, Claes, précité, § 82).

  65. .  La Cour en conclut que la requérante a satisfait à la condition d’épuisement des voies de recours internes posée à l’article 35 § 1 de la Convention. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.
  66. 2.  Application de l’article 37 § 1 b) de la Convention


  67. . Le Gouvernement expose ensuite que, un titre de séjour ayant été accordé à la requérante le 25 octobre 2012, le litige à l’origine de la requête peut être considéré comme « résolu », au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention. Il estime que les faits dont l’intéressée se plaint directement ne persistent pas et les conséquences qui pourraient résulter d’une éventuelle violation de la Convention à raison de ces faits ont été effacées (Chevanova c. Lettonie (radiation) [GC], no 58822/00, §§ 45 et suivants, 7 décembre 2007).

  68. .  La requérante, rappelant la jurisprudence en la matière (Pisano c. Italie (radiation) [GC], no 36732/97, § 45, 24 octobre 2002 ; Tewolde c. Suisse (déc.), no 67808/10, 6 mars 2012) réplique que, si les faits dont elle se plaint ne persistent pas, en revanche ni les autorités ni le Gouvernement suisses n’ont reconnu qu’il y avait eu violation des droits de la requérante au titre de la Convention pendant la période du 14 juin 2006 (date de la première demande d’autorisation de séjour en Suisse) jusqu’au 25 octobre 2012 (date de la délivrance de l’autorisation en question). La situation administrative - illégale car contraire à l’article 8 de la Convention - n’a pas fait l’objet d’une réparation au sens de la jurisprudence en la matière. La requérante conclut qu’elle peut toujours se prétendre victime de la violation qui a duré plus de six ans, de sorte que la demande de radiation formulée par le Gouvernement n’est pas fondée.

  69. .  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 37 § 1 b) de la Convention, elle peut, « [à] tout moment de la procédure, (...) décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure (...) que le litige a été résolu (...) ». Pour pouvoir conclure à l’applicabilité dans le cas d’espèce de la disposition précitée, la Cour doit répondre à deux questions successives : d’abord celle de savoir si les faits dont l’intéressé se plaint persistent ou non, et ensuite celle de savoir si les conséquences ayant pu résulter d’une violation de la Convention à raison de ces faits ont été effacées (Pisano, précité, § 42, et Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 87, CEDH 2012 (extraits)).

  70. .  En l’espèce, la requérante a obtenu, le 25 octobre 2012, une autorisation de séjour valable jusqu’au 24 octobre 2013. Elle a depuis rétabli des relations effectives avec son fils, dans le cadre du droit de visite qu’elle peut dorénavant exercer de manière régulière et sans vivre dans la clandestinité. Les faits matériels dénoncés par la requérante ont dès lors cessé d’exister, en tout cas le temps de la validité de l’autorisation de séjour (voir paragraphe 42 ci-dessus).

  71. .  En revanche, la Cour estime que l’octroi de l’autorisation de séjour n’efface pas suffisamment les conséquences ayant pu résulter du fait que la requérante fut privée de relations effectives et sûres avec son enfant pendant plus de six ans (a contrario, Pisano, précité, § 42 et Tewolde (déc.), précitée).

  72. .  En conséquence, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête en application de l’article 37 § 1 b) de la Convention.

  73. . Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  74. B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties


  75. .  La requérante estime que les autorités suisses n’ont pas adopté toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour lui permettre l’exercice effectif de relations familiales avec son enfant. En effet, bien qu’elle ait soulevé le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention devant le tribunal administratif fédéral, celui-ci a uniquement examiné si les conditions du réexamen étaient remplies, sans discuter les arguments de fond tirés de l’article 8 de la Convention. Ensuite, se basant sur la jurisprudence de la Cour (Hamidovic c. Italie, no 31956/05, §§ 36 à 38, 4 décembre 2012, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas, n50435/99, § 39, CEDH 2006-I, Meirelles c. Bulgarie, no 66203/10, §§ 72 à 75, 18 décembre 2012 et Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, n76240/01, § 119, 28 juin 2007), la requérante estime que les faits démontrent que la Suisse n’a entrepris aucune démarche pour protéger sa vie familiale. Quand bien même elle disposait de l’autorité parentale et du droit de garde sur son enfant, puis d’un droit de visite, elle n’obtint aucune assistance des autorités administratives suisses pour lui permettre, en particulier par le biais d’une autorisation de séjour, de renouer des liens avec son enfant. L’attitude des autorités suisses contribua de manière significative à l’éloignement d’une mère de son enfant pendant des années. En effet, d’abord la requérante ne put voir son enfant du 14 juin 2006 au 25 janvier 2010, et à cette dernière date elle dut se résoudre à rester clandestinement en Suisse, dans la précarité, pour exercer, au risque d’une interpellation et d’un refoulement, ses légitimes prérogatives de mère. L’absence de délivrance d’une autorisation de séjour à la requérante pendant plus de six ans (du 14 juin 2006 au 25 octobre 2012) constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et familiale. Cette ingérence n’était pas justifiée par une base légale, ne poursuivait pas un but légitime et n’était pas nécessaire dans une société démocratique.

  76. .  Le Gouvernement invite la Cour à constater qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention et renvoie aux considérants de l’arrêt du 15 décembre 2009 du tribunal administratif fédéral (paragraphe 28).
  77. 2.  Appréciation de la Cour


  78. La Cour rappelle d’abord sa jurisprudence constante selon laquelle, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des autorités publiques, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 23, série A no 91 et M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, § 150, CEDH 2003-XII).

  79. .  La Cour réitère à cet égard le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel le but de la Convention consiste à protéger des droits concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37). Dans cette logique, elle rappelle qu’un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parents et enfants se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps (Mihailova c. Bulgarie, no 35978/02, § 82, 12 janvier 2006).

  80. .  La Cour rappelle ensuite qu’en matière de respect de la vie familiale, les obligations positives de l’Etat impliquent la mise en place d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer les droits légitimes des intéressés. Cet arsenal doit permettre à l’Etat d’adopter des mesures propres à réunir le parent et son enfant, y compris en cas de conflit opposant les deux parents (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 108, CEDH 2000-I, Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 68, 24 avril 2003, Zavřel c. République tchèque, no 14044/05, § 47, 18 janvier 2007, et Mihailova, précité, § 80). Elle rappelle aussi que les obligations positives ne se limitent pas à veiller à ce que l’enfant puisse rejoindre son parent ou avoir un contact avec lui, mais qu’elles englobent également l’ensemble des mesures préparatoires permettant de parvenir à ce résultat (voir, mutatis mutandis, Kosmopoulou c. Grèce, no 60457/00, § 45, 5 février 2004, Amanalachioai c. Roumanie, no 4023/04, § 95, 26 mai 2009, Ignaccolo-Zenide, précité, §§ 105 et 112, et Sylvester, précité, § 70).

  81. .  Pour être adéquates, les mesures visant à réunir le parent et son enfant doivent être mises en place rapidement, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre l’enfant et celui des parents qui ne vit pas avec lui (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide, précité, § 102, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003-VII, Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004-V (extraits), Bianchi c. Suisse, no 7548/04, § 85, 22 juin 2006, Mincheva c. Bulgarie, no 21558/03, § 84, 2 septembre 2010).

  82. .  La tâche de la Cour n’est pas de se substituer aux organes compétents pour réglementer les questions de garde et de visites, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A, et Meirelles, précité, §§ 72 à 76).

  83. .  En l’espèce, la Cour note qu’il ne peut y avoir aucun doute qu’il existe une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention entre la requérante et son enfant (voir, parmi d’autres, Özmen c. Turquie, n28110/08, § 82, 4 décembre 2012).

  84. .  La Cour estime que, devant les circonstances qui lui sont soumises, sa tâche consiste à examiner si la réponse des autorités suisses à la nécessité de prendre des mesures propres à maintenir les liens entre la requérante et son enfant au cours de la procédure sur l’exercice des droits parentaux a été conforme à leurs obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.

  85. .  La Cour observe que, tout au long de la procédure, la requérante accomplit des démarches depuis les Philippines - tant bien que mal, compte tenu du peu de moyens financiers dont elle disposait - afin de pouvoir maintenir les liens avec son enfant. Ainsi notamment, elle sollicita une autorisation de séjour en Suisse, du moins le temps que le mineur y résidait, et demanda au tribunal d’ordonner toutes mesures d’exécution utiles aux fins de sa réunion avec l’enfant dans les meilleurs délais.

  86. .  Notant que ces demandes furent intentées dans une situation où la requérante et le père de l’enfant étaient séparés et se trouvaient en litige concernant la garde de l’enfant, la Cour estime qu’il pesait sur les autorités judiciaires suisses une obligation de se prononcer d’urgence sur les mesures à prendre pour maintenir les liens entre la mère et son enfant, compte tenu notamment du bas âge de celui-ci.

  87. .  Certes, devant la situation conflictuelle régnant entre les parents, les autorités devaient prendre des précautions et procéder à des vérifications quant à la situation de l’enfant ; la preuve en est que les autorités suisses ont cherché à trouver, à travers des expertises réalisées en Suisse et aux Philippines, une solution respectueuse notamment de l’intérêt de l’enfant.

  88. .  Toutefois, la Cour attache beaucoup d’importance au fait que la requérante ne put maintenir aucun contact autre que téléphonique avec son enfant pendant plusieurs années (voir, a contrario, Diamante et Pelliccioni c. Saint-Marin, no 32250/08, § 185, 27 septembre 2011, et mutatis mutandis Cengiz Kılıç c. Turquie, n 16192/06, § 127, 6 décembre 2011).

  89. .  Ainsi, la requérante était, pendant une première période, séparée de son enfant en bas âge entre 2005 et 2010.
  90. En effet, le père - emmenant l’enfant en Suisse début octobre 2004 mais ne le ramenant pas, comme convenu oralement, aux Philippines en mars 2005 - vécut de facto avec l’enfant en Suisse, en dépit du fait que la requérante détenait l’autorité parentale et le droit de garde. Toutes les tentatives de la requérante afin de rapatrier l’enfant aux Philippines échouaient. Dans la mesure où elle s’était vu rejeter ses demandes d’autorisation de séjour (paragraphes 25 à 28), la requérante ne pouvait pas non plus se rendre en Suisse pour faire valoir ses droits au maintien d’une vie familiale avec son enfant. Ce n’était que dans le cadre de sa comparution à l’audience du 25 janvier 2010 devant le tribunal tutélaire que la requérante pouvait revoir son fils (paragraphe 32).

    Le Gouvernement n’avance aucune explication pour justifier ce long délai pendant lequel la requérante batailla sans succès en vue de rendre effectif le droit de garde dont elle disposait.


  91. .  Une deuxième période s’est ensuivie, pendant laquelle la requérante était toujours privée de relations familiales effectives et sûres avec son enfant.
  92. Ainsi, à partir du 4 juin 2010, la requérante s’est vu accorder un droit de visite (paragraphe 35), dont il était précisé qu’il devait impérativement s’exercer en Suisse, alors qu’elle ne bénéficiait pourtant pas d’autorisation de séjour. Ceci avait pour conséquence que la requérante - qui ne pouvait se résoudre à regagner seule les Philippines suite aux quelques contacts qu’elle avait eus avec son fils à partir de l’audience du 25 janvier 2010 (paragraphe 33) - exerçait son droit de visite en résidant clandestinement et illégalement en Suisse, et donc sans bénéficier d’un statut juridique. Elle se trouvait ainsi dans une situation précaire, qui ne s’est résolue que par l’octroi d’un titre de séjour en date du 25 octobre 2012. Les autorités suisses n’étaient d’ailleurs pas sans ignorer la situation inextricable dans laquelle se trouvait la requérante pendant plus de deux ans, ainsi qu’en témoignent les échanges entre le service de protection des mineurs et le tribunal tutélaire (paragraphes 37 et 40).


  93. .  La Cour prend note du fait que, grâce à l’octroi d’une autorisation de séjour à la suite de la communication de la présente requête, la situation de la requérante semble dorénavant régularisée, du moins le temps de la validité dudit document (paragraphe 42).

  94. .  Toutefois, cela n’enlève rien à son constat selon lequel la requérante fut privée de l’exercice effectif de sa vie familiale avec son enfant pendant plus de six ans. Les relations personnelles entre la requérante et son fils ont ainsi été sérieusement altérées, à une période pourtant cruciale. Aux yeux de la Cour, les autorités suisses n’ont de ce fait pas rempli leur obligation positive de prendre des mesures adéquates pour préserver les liens entre la requérante et son enfant.

  95. .  Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
  96. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    79.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  97. .  La requérante réclame 20 000 francs suisses (CHF) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi du fait du calvaire vécu pendant ses années de séparation de son enfant, puis de la clandestinité dans laquelle elle a dû se réfugier pour pouvoir exercer son droit de visite jusqu’à l’obtention de son autorisation de séjour.

  98. .  Le Gouvernement, qui conçoit que la rupture prolongée des contacts personnels et réguliers entre la requérante et son fils a causé un tort moral qui ne serait pas réparé par le seul constat de violation de l’article 8 de la Convention, estime toutefois qu’un montant de 10 000 CHF constituerait une compensation adéquate, au vu des montants accordés dans des situations similaires (Agraw c. Suisse, no 3295/06, § 60, 29 juillet 2010 et Bianchi c. Suisse, no 7548/04, § 123, 22 juin 2006).

  99. .  La Cour estime qu’il est justifié d’accorder l’intégralité de la somme sollicitée par la requérante. En conséquence, le montant à accorder au titre de la réparation du préjudice moral s’élève à 16 223 EUR.
  100. B.  Frais et dépens


  101. .  La requérante demande également une somme globale de 27 084 CHF pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Elle fournit à cet égard :
  102. a)  une facture établie par sa première représentante, Me Arbex, à hauteur d’un montant total de 21 700 CHF, qui contient :

    -  une première rubrique « Honoraires », à hauteur de 21 300 CHF, pour un total de 47 h 30 d’activité, dans laquelle sont énumérées des démarches accomplies au niveau interne et devant la Cour,

    -  une deuxième rubrique « Frais d’étude », à hauteur de 400 CHF ;

    b)  une facture établie par son actuel représentant, Me Rudermann, à hauteur de 5 784 CHF (déduction étant déjà faite du montant de 850 EUR octroyé par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire), dans laquelle sont énumérées, décomptes horaires à l’appui, les différentes démarches accomplies devant la Cour.


  103. .  Le Gouvernement conteste cette demande, soulignant notamment que la note de frais et honoraires établie par Me Arbex ne respecte pas les exigences de l’article 60 alinéa 2 du Règlement de la Cour. Tenant compte des montants alloués par la Cour dans des affaires présentant un degré de difficulté comparable (Emre c. Suisse, no 42034/04, § 103, 22 mai 2008 et Agraw, précité, § 61), il estime que l’octroi d’une somme de 3 000 CHF pour les frais et dépens encourus devant la Cour serait adéquat.

  104. .  Suivant la jurisprudence bien établie de la Cour, les frais et dépens ne peuvent donner lieu à remboursement au titre de l’article 41 de la Convention que s’il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont raisonnables quant à leur taux. De surcroît, les frais de justice ne peuvent être recouvrés que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 109, 14 septembre 2010, Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 226, 9 avril 2009, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 134, 9 juillet 2009).

  105. . Se livrant à sa propre appréciation sur la base des éléments figurant au dossier, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante, pour frais et dépens, une somme de 13 000 EUR.
  106. C.  Intérêts moratoires


  107. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  108. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :

    i)  16 223 EUR (seize mille deux cent vingt-trois euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral;

    ii)  13 000 EUR (treize mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président


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