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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> WELSH AND SILVA CANHA v. PORTUGAL - 16812/11 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 826 (17 September 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/826.html
Cite as: [2013] ECHR 826

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE WELSH ET SILVA CANHA c. PORTUGAL

     

    (Requête no 16812/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    17 septembre 2013

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     

     


    En l’affaire Welsh et Silva Canha c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Nebojša Vučinić,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 août 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 16812/11) dirigée contre la République portugaise et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Eduardo Pedro Welsh et Gil da Silva Canha (« les requérants »), ont saisi la Cour le 4 mars 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérants ont été représentés par Me H. Teixeira Da Mota, avocat à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho, procureur général adjoint.

  3. .  Les requérants allèguent que la condamnation pour diffamation, dont ils ont fait l’objet, porte atteinte à leur droit à la liberté d’expression.

  4. .  Le 28 novembre 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Les requérants sont nés respectivement en 1967 et 1961 et résident à Funchal (Portugal). A l’époque des faits, ils étaient directeur adjoint et directeur du journal satirique bimensuel Garajau, publié dans la région de Madère.

    A.  Le contexte de l’affaire et l’article litigieux

    6.  Le Garajau avait publié, en 2004, un article concernant le vice-président du Gouvernement de la région de Madère, C.S. L’article concernait l’achat d’un terrain par C.S, la présence de ce dernier en tant que représentant du Gouvernement de la région aux réunions d’une entreprise publique ainsi que sa participation en tant qu’associé à un cabinet d’avocats. L’article précisait que le Garajau avait contacté les services de C.S. pour obtenir sa version des faits mais que ceux-ci n’avaient pas souhaité réagir.

    Un deuxième article fut publié le 13 janvier 2006 sur le même sujet et faisait état du fait que C.S. avait entre-temps déposé une plainte pénale contre le Garajau, utilisant, à cette fin, les services de l’avocat G.P., lequel aurait été payé par des fonds publics et non pas par C.S. Il y était précisé, une fois de plus, que les personnes citées dans l’article n’avaient pas souhaité s’exprimer.

    7.  Dans son édition du 23 février 2007, le Garajau publia en couverture la manchette « L’avocat du diable ». Dans le sous-titre, le journal énonça : « La police judiciaire enquête sur le vice-président [C.S.] à propos des « ruses » (maroscas) en vue de l’engagement millionnaire de [G.P.] ».

    8.  L’article auquel renvoyait la manchette en cause se lisait notamment ainsi :

    « La police judiciaire (PJ) a très récemment enquêté sur la manière dont les services de consultation juridique prêtés à [C.S.], vice-président du Gouvernement de la région, ont été adjugés. Selon des sources proches de la vice-présidence, la PJ a demandé à ce département tous les documents relatifs aux contrats avec le cabinet d’avocats [de G.P.]. Cette enquête eut lieu suite à la publication d’un reportage du Garajau, le 13 janvier 2006, dans lequel on a dénoncé une « ruse » de la vice-présidence afin de pouvoir intégrer dans le budget des années 2005/2006 les fonds nécessaires au paiement des honoraires « millionnaires » à l’égard de deux procédures judiciaires introduites par [C.S.] contre le Garajau ainsi qu’une autre procédure concernant une dénonciation anonyme adressée au Procureur général de la République. »

    9.  Suite à une dénonciation anonyme adressée au Procureur général de la République et à laquelle était jointe une copie de l’article du Garajau du 13 janvier 2006, des poursuites furent ouvertes contre X par le parquet de Lisbonne. Des fonctionnaires du Gouvernement de la région de Madère furent entendus. Le 1er février 2007, le procureur chargé de l’affaire rendit une ordonnance de classement sans suite, qui reconnut l’existence d’indices d’éléments objectifs constituant le délit de falsification de documents, sans qu’il fût possible d’établir les éléments subjectifs pertinents.

    B.  La procédure pénale

    10.  A une date non précisée, C.S. déposa une plainte pénale avec constitution d’assistente (auxiliaire du ministère public) contre les requérants devant le parquet de Funchal. Le ministère public accusa par la suite les requérants du chef de diffamation.

    11.  Par un jugement du 17 mars 2010, le tribunal de Funchal acquitta les requérants. Il considéra que ceux-ci avaient agi en vue d’un intérêt légitime et dans le respect de la déontologie journalistique. L’exceptio veritatis prévue à l’article 180 § 2 du code pénal était dès lors applicable, les requérants ayant exercé leur droit à la liberté d’expression.

    12.  C.S. fit appel devant la cour d’appel de Lisbonne. Celle-ci, par un arrêt du 13 octobre 2010, annula la décision de première instance et jugea les requérants coupables du chef de diffamation. Pour la cour d’appel, le droit à la liberté d’expression n’était pas absolu et, en l’espèce, le droit à la protection de la réputation de la personne lésée devait primer. La cour d’appel estima à cet égard que les requérants n’avaient pas réussi à prouver la véracité des faits sur lesquels se fondaient leurs accusations, l’exception de l’article 180 § 2 ne pouvant donc pas s’appliquer. La cour d’appel condamna ainsi le premier requérant à la peine de 140 jours-amende au taux journalier de 7 euros (EUR) et le deuxième requérant à celle de 220 jours-amende au taux journalier de 12 EUR. Elle condamna également les requérants au versement de 5 000 EUR à C.S. à titre de dommages et intérêts et au paiement des frais de justice.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  6. .  L’article 180 du Code pénal, qui concerne la diffamation, dispose notamment :
  7. « 1.  Celui qui, s’adressant à des tiers, accuse une autre personne d’un fait, même sous forme de soupçon, ou qui formule, à l’égard de cette personne, une opinion portant atteinte à son honneur et à sa considération, ou qui reproduit une telle accusation ou opinion, sera puni d’une peine d’emprisonnement jusqu’à six mois et d’une peine jusqu’à 240 jours-amende.

    2.  La conduite n’est pas punissable :

    a)  lorsque l’accusation est formulée en vue d’un intérêt légitime ; et

    b)  si l’auteur prouve la véracité d’une telle accusation ou s’il a des raisons sérieuses de la croire vraie de bonne foi.

    (...)

    4.  La bonne foi mentionnée à l’alinéa b) du paragraphe 2 est exclue lorsque l’auteur n’a pas respecté son obligation imposée par les circonstances de l’espèce de s’informer sur la véracité de l’accusation. »

    14.  Aux termes de l’article 183 § 2 du Code pénal, lorsque l’infraction est commise par l’intermédiaire d’un organe de presse, la peine encourue peut atteindre deux ans d’emprisonnement ou une sanction non inférieure à 120 jours-amende.

    15.  Par ailleurs, l’article 184 du même Code augmente les peines en cause de moitié si la victime est un élu du peuple.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION


  8. .  Les requérants considèrent que la condamnation pour diffamation, dont ils ont fait l’objet, porte atteinte à leur droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention, qui dispose :
  9. « 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

    2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...), à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...). »

     


  10. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse considérant que la condamnation était justifiée dans la mesure où elle visait à protéger les droits d’un tiers.
  11. A.  Sur la recevabilité


  12. .  La Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que la Requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  13. B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    19.  Les requérants soutiennent que leur condamnation au pénal ne saurait être considérée comme nécessaire dans une société démocratique. Selon eux, le jugement de première instance, qui s’était conclu par un acquittement, avait fait une application correcte du droit en admettant l’exceptio veritatis prévue à l’article 180 du Code pénal. Le juge de première instance avait en effet considéré, d’une part, que les faits auxquels avaient été consacrés les articles en question revêtaient un intérêt public et, d’autre part, que les requérants, après avoir mené une enquête exhaustive, étaient sincèrement convaincus de la véracité des faits qu’ils reportaient. Les requérants soulignent, comme le reconnut le jugement de première instance, le fait que des fonds publics avaient été engagés pour la défense de C.S. dans le cadre d’une procédure visant des faits antérieurs à sa prise de fonctions publiques.

    Par ailleurs, les requérants considèrent que la sanction pénale qui leur a été infligée et le montant élevé des dommages intérêts qu’ils ont été condamnés à verser à la partie civile constituent un moyen de pression évident sur les citoyens dans leurs rapports avec le pouvoir politique.

    20.  Le Gouvernement admet qu’il y a eu, en l’espèce, une ingérence dans le droit à la liberté d’expression des requérants, en tant que journalistes, mais il estime que cette ingérence était nécessaire, dans une société démocratique, au sens du paragraphe 2 de l’article 10, afin de préserver les droits constitutionnels de C.S. à la protection de son bon nom et de sa réputation. Le Gouvernement reconnaît que les faits reprochés aux requérants furent considérés comme justifiés par le tribunal de première instance au titre de l’exceptio veritatis mais rappelle que la Cour d’appel de Lisbonne renversa ce jugement estimant que les requérants n’avaient pas agi de bonne foi et avaient dépassé les limites de la critique raisonnable, même si les faits en question relevaient de l’intérêt public et qu’ils concernaient un homme politique C.S. bien connu. Le Gouvernement souligne que la décision de la Cour d’appel s’inscrivait dans le cadre d’une doctrine et d’une jurisprudence interne constantes, suivant lesquelles l’exceptio veritatis ne devait pas s’analyser en fonction de la conviction subjective des requérants mais uniquement en fonction d’éléments objectifs qui, en l’espèce, faisaient défaut. A cet égard, le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle la Cour n’a pas pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes pour ce qui est de l’appréciation de la preuve. Il conclut par conséquent à l’absence de violation de l’article 10 de la Convention.

    2.  Appréciation de la Cour

    21.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence bien établie, la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de toute société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle qu’elle se trouve consacrée par l’article 10 de la Convention, cette liberté est soumise à des exceptions, qu’il convient toutefois d’interpréter strictement, la nécessité de toute restriction devant être établie de manière convaincante. La condition de « nécessité dans une société démocratique » commande à la Cour de déterminer si l’ingérence litigieuse correspondait à un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante (voir, parmi beaucoup d’autres Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no 37698/97, § 30, CEDH 2000-X ; Colaço Mestre et SIC - Sociedade Independente de Comunicação, S.A. c. Portugal, nos 11182/03 et 11319/03, § 20, 26 avril 2007).

    22.  Par ailleurs, il convient de souligner que la presse joue un rôle éminent dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection des droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. A sa fonction qui consiste à diffuser de telles idées et informations, s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. S’il en allait autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de « chien de garde » (Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 45, CEDH 2001-III).

    En même temps, il y a lieu de rappeler que la garantie que l’article 10 offre aux journalistes, en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d’intérêt général, est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi sur la base de faits exacts et fournissent des informations « fiables et précises » dans le respect de la déontologie journalistique (voir, par exemple, Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, no 34147/06, § 43, 21 septembre 2010 ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 54, CEDH 1999-I, et Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 78, CEDH 2004-XI), dont le contrôle revêt une importance accrue (Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, § 104, CEDH 2007-XIV). Ainsi, il doit exister des motifs spécifiques pour pouvoir relever les médias de l’obligation qui leur incombe d’habitude de vérifier des déclarations factuelles diffamatoires à l’encontre de particuliers (voir Pedersen et Baadsgaard, précité, § 78). A cet égard, entrent spécialement en jeu la nature et le degré de la diffamation en cause et la question de savoir à quel point le média peut raisonnablement considérer ses sources comme crédibles pour ce qui est des allégations (voir, entre autres, McVicar c. Royaume-Uni, précité, § 84, et Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 66, CEDH 1999-III). Cette dernière question doit s’envisager sous l’angle de la situation telle qu’elle se présentait au journaliste à l’époque et non avec le recul (voir Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, précité, § 43 ; Flux c. Moldova (no 6), no 22824/04, § 26, 29 juillet 2008).

    23.  La Cour rappelle en outre que l’article 10 § 2 ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours et du débat politique - dans lequel la liberté d’expression revêt la plus haute importance - ou des questions d’intérêt général. Les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103 ; Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie, no 57829/00, § 40, 27 mai 2004 ; Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no 37698/97, § 30, CEDH 2000-X ; Eon v. France, no 26118/10, § 59, 14 mars 2013).

    24.  Par ailleurs, dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit examiner l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte dans lequel ceux-ci les ont tenus. En particulier, il lui incombe de déterminer si la restriction apportée à la liberté d’expression des requérants était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les juridictions nationales pour la justifier étaient « pertinents et suffisants » (voir, parmi beaucoup d’autres, Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V et Cumpǎnǎ et Mazǎre c. Roumanie [GC], no 33348/96, §§ 89-90, CEDH 2004-XI).

    25.  En l’espèce, les requérants ont été condamnés en raison d’un article sur des prétendues pratiques illégales imputées à C.S, publié dans un journal satirique et jugé diffamatoire par la Cour d’appel de Lisbonne.

    26.  La Cour relève d’emblée qu’il n’est pas contesté que la condamnation en cause s’analyse en une ingérence dans le droit à la liberté d’expression des requérants, qu’elle était prévue par la loi et visait un but légitime, à savoir la protection de la réputation d’autrui, au sens de l’article 10 § 2 de la Convention. En revanche, les parties ne s’accordent pas sur le point de savoir si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».


  14. .  Elle note ensuite que, comme l’a souligné à juste titre le Gouvernement et comme l’a admis la Cour d’appel de Lisbonne dans son arrêt du 13 octobre 2010, les faits relatés dans les articles litigieux relevaient manifestement de l’intérêt général (voir paragraphe 20 ci-dessus).

  15. .  Il convient en outre de relever que C.S. était un homme politique relativement connu et que par conséquent il s’était inévitablement et consciemment exposé à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par la presse que par l’opinion publique en général (voir paragraphe 23 ci-dessus).

  16. .  Par ailleurs, les requérants ont été condamnés en leur qualité de journalistes pour des articles publiés dans un journal satirique. Or, la Cour a souligné à plusieurs reprises que la satire est une forme d’expression artistique et de commentaire social qui, de par l’exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter. C’est pourquoi il faut examiner avec une attention particulière toute ingérence dans le droit d’un artiste - ou de toute autre personne - à s’exprimer par ce biais (Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, no 8354/01, § 33, 25 janvier 2007 ; Alves da Silva c. Portugal, no 41665/07, § 27, 20 octobre 2009, et mutatis mutandis, Tuşalp c. Turquie, nos 32131/08 et 41617/08, § 48, 21 février 2012 ; Eon v. France, précité, § 60).

  17. .  La marge d’appréciation de l’Etat dans la restriction du droit à la liberté d’expression des requérants s’en trouvait par conséquent réduite.
  18. 31.  Enfin, en ce qui concerne la teneur des articles litigieux, la Cour note qu’il n’est pas contesté que des fonds publics avaient été engagés pour la défense des intérêts de C.S. par G.P. et que les faits relatés dans les articles concernant les montants versés et les personnes bénéficiaires étaient vrais et avaient poussé le ministère public à engager des poursuites contre X. La Cour souligne aussi le fait que, au cours de l’enquête, des indices d’éléments objectifs constituant le délit de falsification de documents furent constatés (voir paragraphe 9 ci-dessus) et que, au moment de la publication des articles litigieux, il n’y avait pas encore eu de jugement  définitif d’acquittement d’aucun suspect. Il n’est pas non plus contesté que les requérants avaient consulté les documents de la procédure d’adjudication des services de défense légale et avaient donné à deux reprises à C.S. la possibilité de s’exprimer sur le sujet, sans obtenir de réponse. Cette dernière circonstance avait d’ailleurs été précisée dans les articles de 2004 et 2006.

    La Cour ne partage donc pas l’avis du Gouvernement selon lequel les requérants n’avaient pas agi de bonne foi et considère qu’au moment de la publication des articles litigieux, la manière dont les requérants avaient traité l’affaire n’était pas contraire aux normes d’un journalisme responsable (voir, a contrario, Flux c. Moldova (no 6), précité, §§ 31-34).


  19. .  Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la condamnation des requérants a rompu le juste équilibre entre la protection de leur droit à la liberté d’expression et de celui de C.S. à la protection de sa réputation. De surcroît, elle considère qu’indépendamment de la sévérité de la condamnation infligée, l’existence même d’une sanction pénale dans le cadre de cette affaire est de nature à provoquer un effet dissuasif sur la contribution de la presse aux débats d’intérêt général et ne saurait se concevoir sans raisons particulièrement sérieuses (Colaço Mestre et SIC - Sociedade Independente de Comunicação, S.A. c. Portugal, nos 11182/03 et 11319/03, § 31, 26 avril 2007).

  20. .  Il résulte de ce qui précède que la condamnation des requérants n’était pas nécessaire dans une société démocratique et que, par conséquent, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
  21. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    34.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  22. .  Les requérants réclament la somme de 10 123,48 euros (EUR). Cette somme se décompose en 5 123,48 EUR correspondant au montant de l’amende pénale à laquelle ils ont été condamnés plus les frais de justice relatifs à la procédure interne, et 5 000 EUR correspondant au montant des dommages et intérêts qu’ils ont été condamnés à verser à la partie civile. Ils précisent qu’ils ne se sont pas encore acquittés de ces sommes mais que les autorités nationales ont déjà demandé une saisie sur le salaire du premier requérant pour un total de 1 842,98 EUR.
  23. Ils ne réclament aucune somme au titre du dommage moral.


  24. .  Le Gouvernement estime qu’en l’absence de tout transfert patrimonial effectif, l’Etat portugais ne saurait être condamné à verser aux requérants les sommes qu’ils réclament.

  25. .  La Cour considère que toute réclamation concernant des sommes dont les requérants ne se sont pas encore acquittés est prématurée. Elle conclut donc qu’il n’y a lieu de leur octroyer aucune somme au titre du préjudice matériel.
  26. B.  Frais et dépens


  27. .  Les requérants demandent également 5 000 EUR pour les frais et dépens engagés au titre de la procédure devant la Cour.

  28. .  Le Gouvernement se réfère à la jurisprudence de la Cour en la matière.

  29. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour accorde aux requérants la somme de 5 000 EUR pour la procédure devant la Cour.
  30. C.  Intérêts moratoires


  31. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  32. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

     

    3.  Dit,

    a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président

     


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