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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ISMAIL YILMAZ v. TURKEY - 58231/09 - Committee Judgment (French text) [2013] ECHR 867 (24 September 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/867.html
Cite as: [2013] ECHR 867

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE İSMAİL YILMAZ c. TURQUIE

     

    (Requête no 58231/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    24 septembre 2013

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire İsmail Yılmaz c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Atilla Nalbant, greffier adjoint de section f.f.,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 septembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 58231/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. İsmail Yılmaz (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Mes H. Karakuş et G. Altay, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 12 avril 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1954 et détenu à la prison de Tekirdağ.

  6. .  Le 28 décembre 2004, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans le cadre d’opérations menées contre une organisation illégale d’extrême gauche.

  7. .  Le 1er janvier 2005, il fut placé en détention provisoire.

  8. .  Par un acte d’accusation établi le 24 mars 2005, le procureur de la République l’inculpa pour appartenance à une organisation illégale.

  9. .  Le 4 octobre 2005, la 10e cour d’assises décida de son incompétence en faveur de la 14e cour d’assises. Le procès se poursuivit devant cette juridiction.

  10. .  Tout au long de la procédure, les juges appelés à se prononcer sur la détention provisoire du requérant décidèrent de la prolongation de cette mesure en se fondant sur la nature et la qualification de l’infraction reprochée, le risque de fuite, la peine encourue et l’existence de forts soupçons à l’encontre de l’intéressé.

  11. .  Le 21 novembre 2011, la cour d’assises condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité.

  12. .  Le 7 janvier 2013, la procédure était toujours pendante devant la Cour de cassation.
  13. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  14. .  Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie (noo 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011).
  15. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION


  16. .  Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :
  17. « 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »


  18. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  19. .  La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000-IV).

  20. .  En l’espèce, la période à considérer a débuté le 28 décembre 2004 avec l’arrestation du requérant et s’est terminée le 21 novembre 2011 avec sa condamnation par la cour d’assises. Elle a donc déjà duré plus de six ans et dix mois.

  21. .  La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné des cas similaires et a conclu à maintes reprises à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Cahit Demirel c. Turquie, no 18623/03, §§ 21-28, 7 juillet 2009, Dereci c. Turquie, no 77845/01, §§ 34-41, 24 mai 2005, et Taciroğlu c. Turquie, n25324/02, §§ 18-24, 2 février 2006). Le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument qui permettrait de se départir en l’espèce de ses conclusions.

  22. .  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
  23. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION


  24. .  Invoquant l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant se plaint que la cour d’assises n’a pas tenu d’audience lorsqu’elle a examiné d’office la question de la détention provisoire et lorsqu’elle a examiné ses demandes d’élargissement.

  25. .  S’agissant du grief tiré de l’absence d’audience lors de l’examen d’office de la détention, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, au regard de l’article 5 § 4, sur les décisions adoptées ex officio et relatives à la prolongation de la détention (Altınok, précité, § 40, 29 novembre 2011). Par conséquent, l’article 5 § 4 n’est pas applicable en l’espèce.

  26. .   Il s’ensuit que cette partie de ce grief est incompatible rationae materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

  27. .  Pour autant que le requérant se plaint que la cour d’assises n’a pas tenu d’audience lorsqu’elle a examiné les demandes d’élargissement, la Cour observe que le dossier ne contient aucun document relatif à une demande d’élargissement formulée par le requérant, à l’exception de celles présentées par l’intéressé au cours des audiences sur le fond de l’affaire.

  28. .  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  29. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION


  30. .  Le requérant se plaint de l’absence d’un recours qui lui aurait permis de demander réparation. Il invoque l’article 5 § 5 de la Convention, ainsi libellé :
  31. « 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »


  32.   La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  33. .  La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X). En l’espèce, la Cour ayant conclu à la violation de l’article 5 § 3, reste à déterminer si le requérant disposait de la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi.

  34. .  La Cour relève que l’article 141 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour une personne ayant fait l’objet d’une mesure de détention préventive de demander une indemnisation en cas de détention provisoire excessive. Toutefois, la Cour observe que cette disposition ne permet pas au justiciable d’intenter le recours indemnitaire au cours de la procédure engagée à son encontre, puisqu’au niveau interne le recours en question n’est recevable qu’après l’obtention d’une décision définitive (Kürüm c. Turquie, no 56493/07, § 20, 26 janvier 2010). En l’espèce, la procédure étant toujours pendante devant les juridictions nationales, le requérant n’a pas la possibilité d’exercer le recours en question pour le moment (voir Altınok, précité, § 68).

  35.   Partant, la Cour conclut donc à la violation de l’article 5 § 5 de la Convention.
  36. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  37. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  38. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  39. .  Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

  40. .  Le Gouvernement conteste ce montant.

  41. .  Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 9 100 EUR au titre du préjudice moral.
  42. B.  Frais et dépens


  43. .  Le requérant demande également 4 300 euros (EUR) pour les frais et dépens engagés devant la Cour. A titre de justificatifs, il fournit un décompte horaire et décompte des dépenses.

  44. .  Le Gouvernement conteste ce montant.

  45. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
  46. C.  Intérêts moratoires


  47. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  48. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 3 et 5 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i)  9 100 EUR (neuf mille cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  500 EUR (cinq cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

            Atilla Nalbant                                                             Dragoljub Popovic
        Greffier adjoint f.f.                                                                
    Président

     


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