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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KARAMEHMET AND ELPE v. TURKEY - 35075/05 - Committee Judgment (French text) [2013] ECHR 878 (24 September 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/878.html
Cite as: [2013] ECHR 878

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE KARAMEHMET ET ELPE c. TURQUIE

     

    (Requête no 35075/05)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    24 septembre 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Karamehmet et Elpe c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Atilla Nalbant, greffier adjoint de section f.f.,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 septembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35075/05) dirigée contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet Etat, MM. Mehmet Hasan Karamehmet et Mehmet Reşat Karamehmet et Mme Vesile Alev Elpe (« les requérants »), ont saisi la Cour le 21 septembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérants sont représentés par Me D. Yarpuz, avocat à Mersin. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 11 décembre 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Les requérants sont nés respectivement en 1957, 1958 et 1965 résident à Tarsus.

  6. .  Le 26 juillet 1999, la préfecture de Mersin (« l’administration ») procéda à l’expropriation d’un terrain appartenant à M. Mehmet Karamehmet dont les requérants sont les héritiers. L’administration fixa une indemnité d’expropriation de 1 902 000 000 livres turques (TRL) (environ 4 190 euros (EUR) à l’époque).

  7. .  Le 30 décembre 1999, en désaccord avec le montant fixé, l’intéressé introduisit un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Tarsus (« le tribunal »). Le 19 décembre 2000, il saisit de nouveau le même tribunal d’une demande d’intérêts moratoires. Le 31 janvier 2001, le tribunal décida de joindre les deux actions en question.

  8. .  Par un jugement du 16 mars 2001, le tribunal fit partiellement droit à la demande du requérant. Le 8 octobre 2001, la Cour de cassation l’infirma.

  9. .  Par un jugement du 12 avril 2002, le tribunal accorda à M. Mehmet Karamehmet une indemnité complémentaire mais, le 24 septembre 2002, la Cour de cassation infirma à nouveau le jugement en question.

  10. .  Le 7 mai 2003, le tribunal lui donna partiellement gain de cause. Cependant, le 17 novembre 2003, la Haute juridiction infirma à nouveau le jugement rendu.

  11. .  Le 19 juin 2004, M. Mehmet Karamehmet décéda.

  12. .  Le 24 novembre 2004, le tribunal, saisi sur renvoi, se conforma à l’arrêt de la Cour de cassation et condamna l’administration à verser aux requérants une indemnité complémentaire de 17 246 250 000 TRL (environ 9 225 EUR à l’époque), assortie d’intérêts moratoires à compter du 19 décembre 2000.

  13. .  Par un arrêt du 14 février 2005, notifié le 25 février 2005, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.

  14. .  Le 28 mars 2005, les requérants entamèrent une procédure d’exécution forcée à l’encontre de l’administration en question.

  15. .  Le 17 août 2005, l’administration versa aux requérants la somme de 61 104,19 nouvelles livres turques (TRY)[1] (environ 36 500 EUR à l’époque) à titre d’indemnité complémentaire assortie d’intérêts moratoires.

  16. .  Le 5 mai 2005, en se fondant sur le fait que le taux d’intérêt avait été erronément appliqué à la créance, les requérants engagèrent une nouvelle procédure d’exécution forcée en réclamant une somme complémentaire de 7 840,11 TRY (environ 4 505 EUR à l’époque) à titre d’intérêts moratoires non payés. Cependant, le 12 mai 2005, l’administration forma une opposition contre cette demande devant le tribunal de l’exécution forcée.

  17. .  Le 7 février 2006, le tribunal saisi condamna l’administration à payer aux requérants un montant de 263,67 TRY (environ 165 EUR à l’époque) à titre d’intérêts moratoires non payés et 200 TRY (environ 125 EUR à l’époque) à titre d’honoraires d’avocat.

  18. .  Le 21 septembre 2006, l’administration paya au représentant des requérants la somme de 553,31 TRY (environ 295 EUR à l’époque).
  19. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  20. .  Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  21. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  22. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

  23. .  Les deux procédures étant étroitement liées entre elles, il y a lieu de les considérer comme une procédure unique. La période à prendre en compte a débuté le 30 décembre 1999 et a pris fin le 21 septembre 2006. Elle a donc duré près de six ans et neuf mois pour deux instances.
  24. A.  Sur la recevabilité


  25. .  La Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours interne, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.

  26. .  La Cour rappelle également que dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77) elle a précisé notamment qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que le Gouvernement n’a pas soulevé dans la présente affaire une exception portant sur ce nouveau recours.

  27. .  A lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente requête. Toutefois, elle rappelle que cette conclusion ne préjuge en rien l’examen d’une telle exception qui serait éventuellement soulevée par le Gouvernement dans le cadre d’autres requêtes communiquées.

  28. .  Constatant que le grief tiré de l’article 6 § 1 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
  29. B.  Sur le fond


  30. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII , Ümmühan Kaplan c. Turquie, précité, § 48).

  31. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse, à savoir six ans et neuf mois pour deux instances (paragraphe 20 ci-dessus), est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
  32. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

    II.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION


  33. .  Les requérants se plaignent également de ce que la longueur de la procédure litigieuse ainsi que l’insuffisance des intérêts moratoires ont porté atteinte au droit au respect de leurs biens tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1.

  34. .  Le Gouvernement conteste cette thèse.

  35. .  La Cour relève que le grief tiré de la longueur de la procédure est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

  36. .  Eu égard au constat relatif à l’article 6 § 1 (paragraphe 26 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir Zanghì c. Italie, 19 février 1991, § 23 série A no 194-C).

  37. .  Pour ce qui est du grief tiré de l’insuffisance des intérêts moratoires, au vu des éléments du dossier et du mode de calcul bien établi dans l’arrêt Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV), la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  38. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  39. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  40. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  41. .  Les requérants réclament 27 307 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 6 000 EUR pour le préjudice moral qu’ils auraient subis.

  42. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  43. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime que les requérants ont subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle leur accorde conjointement 3 000 EUR à ce titre.
  44. B.  Frais et dépens


  45. .  Les requérants demandent 708,54 EUR en remboursement des frais postaux et de traduction. A cet égard, ils présentent des justificatifs à l’appui de cette demande. Ils demandent également 3 000 EUR correspondant aux honoraires d’avocat sans fournir de justificatif.

  46. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  47. .  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 700 EUR tous frais confondus et l’accorde aux requérants. Compte tenu des circonstances de l’espèce et de l’absence de justificatif à l’appui de la demande formulée par les intéressés au titre d’honoraires d’avocat, la Cour rejette les prétentions des requérants à cet égard.
  48. C.  Intérêts moratoires


  49. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  50. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le grief relatif à l’insuffisance des intérêts moratoires ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 en ce qui concerne la durée excessive de la procédure ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :

    i)   3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  700 EUR (sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Atilla Nalbant                                                                  Dragoljub Popović
    Greffier adjoint f.f.                                                                   
    Président



    [1].  Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut un million TRL.


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