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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ABAD URKIXO v. FRANCE - 45087/10 - Committee Judgment (French text) [2013] ECHR 884 (26 September 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/884.html
Cite as: [2013] ECHR 884

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    CINQUIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ABAD URKIXO c. FRANCE

     

    (Requête no 45087/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    26 septembre 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     

     


    En l’affaire Abad Urkixo c. France,

    La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un comité composé de :

              Boštjan M. Zupančič, président,
              Ann Power-Forde,
              Helena Jäderblom, juges,
    et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 septembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45087/10) dirigée contre la République française et dont un ressortissant espagnol, M. Patxi Abad Urkixo (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me A. Recarte, avocat à Saint-Jean-de-Luz. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant allègue une violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
  4. 4.  Le 29 juin 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1975. Selon le Gouvernement, il a été extradé vers l’Espagne le 17 novembre 2010.

  6. .  Le requérant, membre de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna), fut interpellé le 4 décembre 2003 alors qu’il roulait dans un véhicule Peugeot 206 volé et faussement immatriculé. Au moment de son interpellation, le requérant était porteur d’un pistolet automatique STAR de calibre 9 mm. Par ailleurs, il était en compagnie d’un homme recherché en vertu de trois mandats d’arrêt délivrés pour des faits de nature criminelle.

  7. .  L’interpellation du requérant permit la localisation d’un appartement où furent trouvés de nombreux documents administratifs falsifiés, faux documents, un pistolet mitrailleur, un fusil d’assaut, plusieurs pistolets automatiques, des munitions de différents calibres, des douilles percutées, des systèmes de mise à feu temporisés, des détonateurs et une documentation opérationnelle de l’ETA. Suite à cette interpellation, d’autres membres de l’organisation furent arrêtés.

  8. .  Le 7 décembre 2003, le requérant fut placé en détention provisoire suite à sa mise en examen dans une procédure criminelle pour des faits d’association de malfaiteurs en vue de perpétrer des actes de terrorisme, et plusieurs infractions en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise terroriste :
  9. « Attendu que des investigations complémentaires seront nécessaires pour vérifier la matérialité des faits et les circonstances exactes dans lesquelles le mis en examen a commis les agissements reprochés ; qu’il y a lieu également d’éviter toute pression sur les témoins et victimes et éviter toute concertation avec les coauteurs ou complices ;

    Attendu qu’il n’offre aucune garantie de représentation, ayant pris la clandestinité en Espagne après l’arrestation de F.I., le 19 décembre 2002, et la découverte dans l’appartement qu’il occupait à Tarbes, de documents relatifs à l’appareils de recrutement d’E.T.A. permettant de caractériser son rôle de responsable du recrutement dans une région du pays basque espagnol (...).

    Attendu que les faits qui s’inscrivent dans un contexte d’organisation terroriste particulièrement dangereuse, sont ceux qui troublent d’une manière exceptionnelle et durable l’ordre public ;

    Attendu que les obligations du contrôle judiciaire seront insuffisantes au regard des fonctions définies à l’article 137 du Code de Procédure Pénale,

    (...) ».


  10. .  Durant l’instruction, la détention provisoire du requérant fut prolongée à six reprises en vertu d’ordonnances successives d’une durée de six mois chacune. Ces ordonnances sont datées des 30 novembre 2004, 30 mai 2005, 1er décembre 2005, 31 mai 2006, 24 novembre 2006 et 31 mai 2007. Les motifs de prolongation furent plus ou moins les mêmes tout au long de l’instruction : nombreuses investigations à effectuer, investigations d’autant plus longues que le mis en examen ne souhaite pas s’exprimer sur les faits qui lui sont reprochés, risque de concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices, garanties de représentation inexistantes sur le territoire national, trouble exceptionnel à l’ordre public et persistance de celui-ci malgré l’ancienneté des faits.

  11. .  Entre-temps, le 2 avril 2007, le requérant fit une demande de mise en liberté rejetée par une ordonnance du 12 avril 2007. Sur appel du requérant, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirma cette ordonnance.

  12. .  Le 5 août 2007, le requérant présenta une autre demande de mise en liberté, rejetée par une ordonnance du 12 août 2007. Par un arrêt du 4 septembre 2007, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance.

  13. .  Par une ordonnance du 6 décembre 2007 rendue par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, le requérant fut mis en accusation et renvoyé avec six coaccusés devant la cour d’assises de Paris spécialement composée, pour tentatives d’extorsion de fonds en bande organisée et en lien avec une entreprise terroriste.

  14. .  Le 10 mars 2008, le requérant présenta une demande de mise en liberté. Par un arrêt du 21 mars 2008, la chambre de l’instruction la rejeta pour les mêmes motifs que ceux précédemment invoqués.

  15. .  L’encombrement du rôle de la cour d’assises spéciale de Paris n’ayant pas permis de faire comparaître le requérant dans le délai d’un an fixé par l’article 181 alinéa 8 du code de procédure pénale, le procureur général près la cour d’appel de Paris saisit la chambre d’instruction le 14 octobre 2008 d’une requête afin de prolonger à titre exceptionnel la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois.

  16. .  Par un arrêt du 14 novembre 2008, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris accueillit la requête du procureur général en prolongeant la détention provisoire pour une durée de six mois à compter du 11 décembre 2008 en application de l’article 181 alinéa 9 du CPP.

  17. .  Par une requête du 14 mars 2009, le procureur général saisit la chambre de l’instruction afin de voir ordonner la prolongation des effets du mandat de dépôt pour une durée de six mois.

  18. .  Par un arrêt du 15 mai 2009, la cour d’appel de Paris ordonna la prolongation de la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois à compter du 11 juin 2009 :
  19. « (...) Considérant que la cour d’assises de Paris spécialement composée étant la seule compétente pour le jugement de crimes terroristes commis sur tout le territoire français, sa charge de travail a pour conséquence l’utilisation, dans certaines affaires, du délai maximal prévu par le code de procédure pénale ; que ce délai demeure dans les limites raisonnables prévues par les articles 5 et 6 de la CEDH ;

    Considérant que la durée de l’information a, quant à elle, été justifiée par la complexité des investigations, concernant plusieurs auteurs et plusieurs faits, alors que le choix du mutisme total des personnes mises en cause a nécessité la réalisation de nombreuses expertises successives qui ont entraîné des délais d’instruction importants ; (...)

    Que (...) l’accusé ne dispose d’aucune garantie de représentation alors qu’il vit dans la clandestinité et a tous moyens de s’y maintenir et que les risques de réitération sont, compte tenu du mode de vie qu’il a choisi, en compagnie de personnes recherchées pour plusieurs attentats, considérables ;

    (...) les obligations de contrôle judiciaire sont, dans ces conditions, totalement insuffisantes. »


  20. .  Le 22 juillet 2009, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté. Par un arrêt du 6 août 2009, la chambre de l’instruction la rejeta.

  21. .  Par un arrêt du 2 septembre 2009, rendu sur pourvoi du requérant, la chambre criminelle de la Cour de cassation annula l’arrêt du 15 mai 2009 au motif que la chambre de l’instruction ne pouvait justifier la mesure de prolongation de la détention à titre exceptionnel par les difficultés récurrentes de fonctionnement de la juridiction appelée à statuer au fond mais devait rechercher si les autorités compétentes avaient apporté une diligence particulière à la poursuite de la procédure. Elle renvoya l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris autrement composée.

  22. .  Le 28 septembre 2009, le requérant présenta une demande de mise en liberté. Par un arrêt du 12 octobre 2009 (2009/06770), celle-ci fut rejetée pour les mêmes motifs que ceux invoqués dès le début de la procédure.

  23. .  Auparavant, par une requête du 6 octobre 2009, le procureur général demanda la prolongation de la détention provisoire. Il fit valoir que, aux obstacles structurels et matériels inhérents au fonctionnement de la juridiction, des facteurs non maîtrisables par la cour d’appel de Paris s’étaient ajoutés, ce qui n’avait pas permis la comparution du requérant devant la cour d’assises.

  24. .  Par un autre arrêt du 12 octobre 2009 (2009/01757), statuant sur renvoi consécutivement à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 septembre 2009 et sur la requête du procureur du 6 octobre 2009, la cour d’appel de Paris prolongea la détention provisoire pour une durée de six mois à compter du 11 juin 2009. Elle releva qu’il résultait amplement des termes de la requête du procureur un réel encombrement devenu structurel du rôle de la Cour d’assises spéciale de Paris et rejeta la demande de mise en liberté du requérant pour les motifs déjà indiqués dans les décisions précédentes.

  25. .  Le requérant forma des pourvois en cassation contre les deux arrêts du 12 octobre 2009.

  26. .  Par un arrêt rendu le 26 novembre 2009, la cour d’assises spécialement composée condamna le requérant à dix ans de réclusion criminelle.

  27. .  Par deux arrêts du 2 février 2010, la Cour de cassation rejeta les pourvois du requérant, devenus sans objet du fait de sa condamnation le 26 novembre 2009.
  28. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  29. .  Le droit interne pertinent est relaté dans les arrêts Guimon Esparza c. France, no 29116/09, § 22, 26 janvier 2012 et Sagarzazu c. France, no 29109/09, § 21, 26 janvier 2012.
  30. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION


  31. .  Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire qu’il juge excessive. Il allègue une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
  32. « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

    A.  Sur la recevabilité


  33. .  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  34. B.  Sur le fond

    1.  Sur la période à prendre en considération


  35. .  La période à considérer a débuté le 4 décembre 2003, jour de l’interpellation de l’intéressé, pour s’achever le 26 novembre 2009, jour du prononcé de l’arrêt de la cour d’assises de Paris. Elle s’étend donc sur cinq ans, onze mois et vingt-trois jours.
  36. 2.  Sur le caractère raisonnable de la durée de la détention

    a)  Thèses des parties


  37. .  Le requérant se plaint du manque de diligence et de célérité des autorités judiciaires dans la poursuite de la procédure et, en particulier, du délai de deux ans entre l’ordonnance de mise en accusation et l’arrêt de la cour d’assises dû à l’encombrement du rôle de la cour d’assises de Paris. Cette période de latence, due à l’encombrement du rôle de cette cour d’assises, constitue selon lui une violation manifeste de l’article 5 § 3 de la Convention.

  38. .  Le Gouvernement considère que la durée de la détention provisoire n’était pas déraisonnable compte tenu des circonstances de l’espèce. Il fait valoir qu’il existait « des indices graves et concordants sur la culpabilité du requérant » et se réfère à la saisie ayant suivi son interpellation. En outre, il rappelle que le requérant était connu des services des policiers français et des magistrats puisqu’il avait été identifié dès 2002 comme occupant le « rôle de responsable du recrutement dans une région du pays basque espagnol » (paragraphe 8 ci-dessus). Le Gouvernement estime que les autorités nationales ont justifié le maintien en détention du requérant par des motifs pertinents, suffisants et circonstanciés, en raison « d’intérêts publics impérieux et persistants ». En particulier, le risque de fuite était tout à fait avéré compte tenu de la clandestinité dans laquelle le requérant vivait avant son arrestation et de sa nationalité étrangère. Les risques de réitération de l’infraction par le requérant au vu de son profil et son rôle actif dans le fonctionnement de l’appareil logistique de l’ETA d’une part, et d’altération des preuves et de concertation frauduleuse avec les co-auteurs de l’infraction d’autre part ont persisté, légitimant la privation de liberté. Enfin, le trouble exceptionnel à l’ordre public n’a pas cessé au jour du placement en détention provisoire du requérant.

  39. .  Le Gouvernement soutient également qu’en dépit de circonstances difficiles résultant pour une partie de l’attitude du requérant, qui a souhaité garder le silence, les juridictions nationales ont accompli des diligences importantes réelles afin de concilier la qualité et la diligence de la procédure. Quant à la célérité de l’instruction, il rappelle la gravité et la complexité de l’affaire, démontrées par le nombre et la nature des actes auxquels il a été procédé. Le Gouvernement communique un bordereau d’inventaire des pièces de fond correspondant à tous les actes de procédure effectués pendant l’instruction, soit trois mille cent soixante pièces. Quant au délai d’audiencement devant la cour d’assises spécialement composée, le Gouvernement reconnaît qu’il fut très important mais l’explique par la lourde charge de cette juridiction d’exception qui a vocation à connaître toutes les affaires criminelles à caractère terroriste, commises sur l’ensemble du territoire. Le Gouvernement précise que les autorités françaises s’efforcent constamment de respecter l’exigence de délai raisonnable alors que le jugement des affaires de terrorisme mobilise fortement les ressources humaines et que le nombre de jours consacrés au jugement de ces affaires a constamment crû depuis le début des années 2000 (vingt-deux jours en 2000, cent dix-huit en 2008, cent trente-neuf en 2009).
  40. b)  Appréciation de la Cour

    i.  Principes généraux


  41. .  La Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels que récemment rappelés dans les arrêts Guimon Esparza c. France, no 29116/09, §§ 33 et 34, 26 janvier 2012 et Sagarzazu c. France, no 29109/09, §§ 33 et 34, 26 janvier 2012.
  42. ii.  Application au cas d’espèce


  43. .  D’emblée, la Cour relève qu’une durée de détention de presque six ans apparaît prima facie déraisonnable et doit être accompagnée de justifications particulièrement fortes.

  44. .  La Cour constate que le requérant ne remet pas en cause devant elle les motifs du maintien en détention. En tout état de cause, elle reconnaît, eu égard au contexte de la présente affaire, que ces motifs, en particulier le risque de fuite, sont restés à la fois « pertinents » et suffisants tout au long de l’instruction.

  45. .  Il convient donc d’examiner si les autorités judiciaires ont apporté « une diligence particulière » à la conduite de la procédure. A cet égard, la complexité de l’affaire, dans un contexte de lutte contre le terrorisme (Debboub alias Husseini Ali c. France, no 37786/97, 9 novembre 1999 ; Chraidi, précité ; Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne, nos 25803/04 et 25817/04, § 89, 30 juin 2009 ; Leroy c. France, no 36109/03, § 45, 2 octobre 2008), peut expliquer en grande partie la longueur de la détention. La Cour rappelle que la célérité à laquelle un accusé a le droit dans l’examen de son cas ne doit pas nuire aux efforts des magistrats pour accomplir leur tâche avec le soin voulu (Pecheur c. Luxembourg, no 16308/02, § 62, 11 décembre 2007 ; Tinner c. Suisse, nos 59301/08 et 8439/09, § 62, 26 avril 2011). En l’espèce, la Cour ne discerne aucune période pendant laquelle les autorités n’ont pas procédé aux recherches ou à des actes d’instruction comme l’atteste l’inventaire des pièces de fond communiqué par le Gouvernement. La longueur de la détention incriminée se révèle imputable, pour l’essentiel, à la complexité de l’affaire. Celle-ci concernait des accusations graves portées contre le requérant et la poursuite des investigations confirma son rôle clé dans les faits reprochés. Elle impliquait plusieurs acteurs et nécessitait de nombreuses mesures d’instruction, ce dont témoigne le nombre important d’expertises réalisées (paragraphe 9 ci-dessus).

  46. .  La longueur de la détention est par ailleurs en partie due au comportement du requérant. Celui-ci n’avait certes pas l’obligation de coopérer avec les autorités, mais il doit supporter les conséquences que son attitude a pu entraîner dans la marche de l’instruction (Gérard Bernard c. France, no 27678/02, § 42, 26 septembre 2006 ; Guimon Esparza, précité, § 39).

  47. .  Enfin, quant au délai d’audiencement devant la cour d’assises spécialement composée, imputable aux autorités judiciaires entre l’ordonnance de mise en accusation du 6 décembre 2007 et l’arrêt de cette cour du 26 novembre 2009, soit un intervalle de près de deux ans, la Cour rappelle qu’elle a déjà constaté qu’il n’était pas raisonnable. Dans les arrêts Guimon Esparza et Sagarzazu précités, elle a considéré qu’un tel délai ne pouvait être justifié par l’encombrement de la cour d’assises et qu’il appartenait aux Etats d’agencer leur système judiciaire de manière à permettre à leurs tribunaux de répondre aux exigences de l’article 5 de la Convention (Gosselin c. France, no 66224/01, § 34, 13 septembre 2005 ; Guimon Esparza, § 40, Sagarzazu, précité, § 40). Elle est parvenue au même constat dans les arrêts Esparza Luri c. France (no 29119/09, 26 janvier 2012), Soria Valderrama c. France (no 29101/09, 26 janvier 2012) et Berasategi c. France (no 29095/09, 26 janvier 2012). En l’absence d’autre argument avancé par le Gouvernement que celui de l’engorgement du rôle de la cour d’assises spécialement composée, la Cour n’aperçoit aucune raison de conclure différemment en l’espèce.

  48. .  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les autorités judiciaires n’ont pas agi avec toute la promptitude nécessaire. Partant, elle conclut que, dans les circonstances particulières de la cause, par sa durée excessive, la détention du requérant a enfreint l’article 5 § 3 de la Convention.
  49. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    40.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  50. .  Le requérant réclame 40 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de l’attente de son procès, des extractions pour la présentation devant le juge d’instruction, des conditions de détention à Fleury-Merogis où il était détenu jusqu’en octobre 2010.

  51. .  Le Gouvernement considère que, si la Cour venait à constater une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, il serait raisonnable d’allouer 3 000 EUR au requérant.

  52. .  La Cour estime que le requérant a subi un dommage moral certain du fait de la durée déraisonnable de sa détention provisoire. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral (Guimon Esparza, précité, § 47).
  53. B.  Frais et dépens


  54. .  Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

  55. .  Le Gouvernement s’accorde avec la demande du requérant dans le cas où la Cour venait à constater une violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

  56. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR et l’accorde au requérant.
  57. C.  Intérêts moratoires


  58. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  59. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral et 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

      Stephen Phillips                                                               Boštjan M. Zupančič
      Greffier adjoint                                                                        Président


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