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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DOUET v. FRANCE - 16705/10 - Chamber Judgment (French text) [2013] ECHR 917 (03 October 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/917.html
Cite as: [2013] ECHR 917

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    CINQUIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DOUET c. FRANCE

     

    (Requête no 16705/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    3 octobre 2013

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Douet c. France,

    La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

              Mark Villiger, président,
              Ann Power-Forde,
              Ganna Yudkivska,
              André Potocki,
              Paul Lemmens,
              Helena Jäderblom,
              Aleš Pejchal, juges,
    et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 septembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 16705/10) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gilbert Douet (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 mars 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant est représenté par Me Jean-François Canis, avocat à Clermont-Ferrand. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant allègue en particulier avoir subi un traitement contraire à l’article 3 de la Convention dans le contexte de son arrestation par des gendarmes.

  4. .  Le 29 septembre 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1951 et réside à Nonette.
  7. A.  La genèse de l’affaire

    6.  Le 27 août 2005, à Nonette, un peu avant minuit, alors qu’il rentrait chez lui en voiture accompagné de son amie ainsi que d’un couple de connaissances et de leur fille âgée de huit ans, le requérant fit brusquement demi-tour à la vue d’un véhicule de gendarmerie. Celui-ci se trouvait en poste de surveillance devant une parcelle de maïs transgénique, une manifestation contre la culture d’organismes génétiquement modifiés ayant eu lieu ce jour-là sur le territoire de la commune. Actionnant leur avertisseur sonore et lumineux, les gendarmes - au nombre de quatre - se lancèrent à la poursuite du requérant qui, roulant à vive allure, omit de s’arrêter à un stop. Après environ deux kilomètres de course-poursuite, ils procédèrent à l’interception du véhicule et à l’arrestation du requérant.

    7.  Si les documents relatifs à la procédure interne figurant au dossier montrent que les protagonistes n’ont pas donné exactement la même version des circonstances et modalités de cette arrestation, il en ressort du moins ce qui suit.

    A l’issue de la poursuite, le gendarme B.P. s’était avancé arme au poing vers le requérant, auquel il avait ordonné de mettre les mains sur le volant puis de sortir de la voiture. Le requérant n’ayant pas immédiatement obtempéré, B.P. l’en avait extrait de force avec l’aide de son collègue L.P. La main droite du requérant avait été immédiatement menottée mais, plaqué au sol, il avait résisté et avait refusé de placer ses mains dans le dos afin d’être complètement menotté. Les deux gendarmes l’avaient alors maîtrisé en pratiquant une clé à bras et en frappant son bras gauche avec un bâton de protection télescopique, pendant que les deux autres gendarmes surveillaient les passagers du véhicule. Cela dura plusieurs minutes. Le requérant fut ensuite placé en garde à vue durant deux heures - un dépistage d’alcoolémie réalisé à cette occasion révéla un taux de 0,33 mg d’alcool par litre d’air expiré - puis, suite à l’intervention du Dr B. (paragraphe 9 ci-dessous), conduit à l’hôpital pour une radiographie.

    8.  Le requérant indique que les violences dont il fut victime lors de cette arrestation lui ont causé de nombreuses lésions, attestées par trois certificats médicaux.

    9.  Le premier, établi le 28 août 2005 par le Dr B., médecin consultant, alors que le requérant se trouvait en garde à vue, constate ce qui suit : une dermabrasion superficielle de 1,5 x 1,5 cm au niveau de l’angle externe de l’œil gauche ; un œdème du bord radial du poignet droit, ainsi qu’une dermabrasion superficielle de l’épicondyle droit ; de multiples hématomes du membre supérieur gauche avec une impotence fonctionnelle partielle du membre ; un hématome de 1 cm2 de la partie supéro-externe du muscle deltoïde gauche ; un hématome de 8 x 2,5 cm du muscle deltoïdien sous le précédent ; un hématome de 5 x 1 cm sous l’hématome précédent avec éraflure du 1/3 moyen de la face externe du bras externe sur 5 cm de long et 1 cm de large ; un œdème avec hématome de 7 x 5 cm au niveau épicondylien gauche entraînant une impotence fonctionnelle du coude par flexion normale impossible, ainsi qu’une dermabrasion saignotante sur 1 cm2 de la pointe externe du coude gauche. Le certificat conclut que l’ « état actuel [du requérant n’était] pas compatible avec une garde à vue sans examen complémentaire et soins adaptés ».

    10.  Le deuxième certificat médical, établi le 29 août 2005 par le Dr P., médecin du service de victimologie du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, relève « environ trente-cinq éléments contusionnels récents, dont [un] œdème de la styloïde radiale droite [et une] douleur de palpation de l’épicondyle du coude gauche associée à un hématome volumineux ». Le certificat précise que « les lésions des poignets, et notamment du poignet droit, sont très évocatrices de lésions de menottage », que « les ecchymoses linéaires dorsales gauches sont compatibles avec un choc avec un objet de forme correspondante », et que « l’érosion temporale gauche évoque un ripage vertical contre un plan irrégulier et dur ». Enfin, il établit une incapacité totale de travail de cinq jours, sous réserve de l’évolution favorable des lésions de la main droite et du coude gauche.

    11.  Le troisième certificat médical, établi le 10 avril 2006 par le Dr S., médecin expert désigné par le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand dans le cadre de l’information diligentée suite à la plainte du requérant (paragraphe 17 ci-dessous), constate que l’état de ce dernier n’était pas consolidé à cette date, confirme l’incapacité totale de travail de cinq jours, évalue le pretium doloris à 1,5/7 au minimum et indique que les autres préjudices seront fixés après consolidation.

    12.  Par ailleurs, un scanner réalisé le 8 septembre 2005 avait révélé une fracture non déplacée, transverse, du processus coronoïde du coude gauche, ainsi qu’un petit arrachement osseux de l’épicondyle médial de l’humérus.

    B.  Les poursuites diligentées contre le requérant

    13.  Par un jugement du 6 décembre 2005, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand condamna le requérant à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à la suspension de son permis de conduire durant cinq mois et à une amende de 300 euros pour avoir « résisté avec violence » aux gendarmes B.P. et L.P., « personnes chargées d’une mission de service public, dépositaires de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de leurs fonctions », « omis sciemment d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infraction et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité », conduit sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par un taux d’alcool pur de 0,33 mg/litre, et omis de s’arrêter à un stop. Le tribunal le condamna en sus au paiement de cent euros à B.P. et L.P. chacun, parties civiles, à titre de dommages et intérêts.

    14.  Saisie par le requérant et le ministère public, la cour d’appel de Riom, par un arrêt du 10 janvier 2007, relaxa le requérant du chef de rébellion. Elle rappela qu’aux termes de l’article 433-6 du code pénal, constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions et souligna que « la résistance violente s’oppose à la simple désobéissance aux ordres donnés ou à la résistance passive qui n’est pas constitutive de rébellion ». Elle constata ensuite que les éléments du dossier ne permettaient pas de considérer qu’il y avait eu résistance active de la part du requérant, après avoir souligné en particulier qu’à le supposer établi, le fait que le requérant s’était débattu lorsqu’il était au sol pouvait « s’expliquer par une attitude de protection d’un homme à terre ». Elle confirma en revanche la culpabilité du requérant des autres chefs, réduisit la peine d’emprisonnement à deux mois avec sursis et la durée de suspension du permis de conduire à deux mois, confirma le montant des amendes et débouta les deux gendarmes parties civiles de leurs demandes.

    15.  Le pourvoi formé par ces derniers fut rejeté par la Cour de cassation le 26 septembre 2007.

    C.  Les poursuites diligentées contre les gendarmes B.P. et L.P.

    16.  Le 5 septembre 2005, le requérant déposa plainte devant le procureur de la République de Clermont-Ferrand pour les violences dont il estimait avoir été victime lors de son interpellation. Après audition des différents protagonistes, la plainte fut classée sans suite.

    17.  Le 22 novembre 2005, le requérant déposa une plainte contre X avec constitution de partie civile, sur le fondement de l’article 222-13 7o du code pénal, du chef de violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique. Une information fut ouverte le 9 janvier 2006, dans le cadre de laquelle les protagonistes furent une nouvelle fois entendus.

    18.  Le 12 décembre 2007, eu égard à « la multiplicité et l’importance des blessures subies par la victime et non sérieusement contestées », le juge d’instruction ordonna le renvoi des gendarmes B.P. et L.P devant le tribunal correctionnel du chef susmentionné.

    19.  Ces derniers furent relaxés par un jugement du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand du 3 juillet 2008.

    20.  Saisie par le requérant, la cour d’appel de Riom confirma ce jugement par un arrêt du 1er avril 2009. Elle indiqua que, saisie par le seul appel de la partie civile, elle ne pouvait prononcer une peine, mais qu’il lui revenait de rechercher si les faits constituaient une infraction pénale pour se prononcer en conséquence sur l’action civile. Elle souligna ensuite qu’il existait certes « des éléments (...) qui pourraient justifier un usage disproportionné de la force utilisée » : le requérant était interpellé et déjà menotté à la main droite, et les occupants du véhicule ne présentant aucun risque particulier, la surveillance de deux gendarmes suffisait à les contenir si nécessaire ; le bras du requérant avait présenté une fracture non déplacée, et le gendarme L.P. avait déclaré devant le tribunal qu’une clé à bras telle que celle pratiquée en l’espèce ne pouvait causer une fracture, ce qui indiquait qu’au moins un coup de bâton de protection télescopique avait été porté sur le requérant et lui avait causé cette fracture ; un seul gendarme à genoux sur le dos du requérant suffisait à le maintenir au sol ; le gendarme L.P. avait déclaré dans un premier temps avoir frappé sur les tibias pour faire lâcher le requérant qui, au sol, faisait une manœuvre de tenaille sur ses jambes, puis avait déclaré dans le cours de l’instruction - les rapports médicaux ne mentionnant pas de coup sur les jambes du requérant - que des coups avaient en fait été portés sur le coude, ajoutant qu’aucun coup n’avait été porté sur le dos du requérant, l’hématome à cet endroit étant certainement dû au transport avec les menottes dans le dos ; il ressortait des certificats médicaux que le requérant avait présenté plusieurs hématomes sur le haut du bras gauche, un important œdème sur le coude gauche et des ecchymoses linéaires dorsales compatibles avec un choc avec un objet de forme correspondante. Cependant, « au vu du contexte particulier et du comportement [du requérant] », la cour d’appel considéra qu’il n’était pas établi que les prévenus avaient fait usage disproportionné de la force. Elle releva à cet égard que, « même si [l’intéressé] « a[vait] adopté une attitude de résistance passive, il n’a[vait] pas accepté de se laisser passer les menottes, a[vait] replié ses bras sous lui et a[vait] résisté de telle sorte qu’il a[vait] fallu user de la force pour le contraindre à se laisser passer les menottes au poignet gauche[, et que] la clé pratiquée n’était possible que si les gendarmes parvenaient à lui maîtriser le bras ».


  8. .  Le pourvoi en cassation formé par le requérant fut déclaré non admis par une décision du 8 juillet 2009, notifiée aux parties le 22 septembre 2009.
  9. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    22.  L’article 222-13 du code pénal est ainsi rédigé :

    « Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises : (...)

    7o Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ; (...) ».

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  10. .  Le requérant se plaint des blessures qui lui ont été infligées lors de son arrestation, dénonçant tout particulièrement le fait que les gendarmes qui ont procédé à celle-ci l’ont frappé à l’aide de leur bâton télescopique de protection. Il considère que l’usage de la force à son encontre n’était ni nécessaire ni proportionné, et se dit victime de mauvais traitements au sens de l’article 3 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
  11. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »


  12. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  13. A.  Sur la recevabilité


  14. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et relève qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  15. B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties


  16. .  Le requérant indique qu’il n’a pas résisté avec violence à son interpellation et qu’il n’était donc pas nécessaire de recourir à la force pour le maîtriser. Il précise à cet égard qu’il a été relaxé du chef de rébellion, que, dans leurs déclarations initiales, les gendarmes B.P. et L.P. ne lui ont pas attribué un comportement violent et qu’aucun des témoins ne lui a imputé une attitude de ce type. Il ajoute que les gendarmes ont utilisé un bâton télescopique, ce qui caractérise un usage de la force « armée », alors qu’il était déjà menotté de la main droite et couché face contre terre. Or il n’était ni « nécessaire » qu’ils usent de la force armée puisqu’ils n’étaient pas exposés à un « risque vital », ni, au vu des nombreuses blessures occasionnées, proportionné. Sur ce dernier point, il souligne que les lésions décrites dans les certificats médicaux qu’il produit témoignent de la multitude des coups portés contre lui et de la violence de l’intervention des gendarmes. Il évoque en particulier la fracture du coude par torsion, provoquée par le fait que son bras droit a été menotté dans le dos et « remonté jusque dans l’arrière du cou ». Selon lui, les gendarmes lui ont porté des coups à l’aide d’un bâton télescopique, sans nécessité ni proportionnalité, et même sans maîtrise ni discernement.

  17. .  Le Gouvernement admet que la réalité des blessures subies par le requérant est établie par les certificats médicaux des 28 et 29 août 2005 et du 10 avril 2006 et que ces blessures ont été causées lors de son arrestation. Il estime de plus qu’elles sont en nombre et d’une importance tels qu’elles atteignent le seuil de gravité requis pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. Il considère toutefois que la force utilisée par les gendarmes lors de l’arrestation du requérant avait pour seule fin son « menottage » et était nécessaire et proportionnée. Il observe à cet égard que les blessures en question n’ont été relevées que sur la partie supérieure du bras, sur le coude, sur le poignet et sur le dos du requérant, qu’il n’y avait en particulier aucune trace de coups sur son visage, et que le requérant ne prétend ni qu’il a été fait usage de la force une fois les menottes passées ni que les gendarmes étaient animés de l’intention de l’humilier ou de le rabaisser. Renvoyant à l’arrêt Raninen c. Finlande (16 décembre 1997, § 56, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII), le Gouvernement rappelle que le port de menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l’article 3 de la Convention. Il met en outre en exergue le fait que le requérant conduisait un véhicule dans lequel se trouvaient cinq personnes dont un enfant, à une vitesse excessive et sous l’emprise de l’alcool, et avait omis de s’arrêter à un « stop ». Il en déduit que les gendarmes étaient fondés à penser que le requérant était susceptible de fuir et de provoquer des blessures ou dommages à lui-même ou à autrui. Il ajoute que le requérant s’était rendu suspect en faisant demi-tour à la vue des gendarmes puis, lorsque son véhiculé avait été arrêté, en refusant de poser les mains sur le volant et en plongeant l’une d’elle entre les sièges. Il souligne ensuite que c’est à l’issu d’une analyse scrupuleuse des éléments susceptibles d’indiquer un usage disproportionné de la force que le juge interne a relaxé les gendarmes B.P. et L.P. et, rappelant que la Cour n’est pas une juridiction de « quatrième instance », qu’il n’existe en l’espèce aucun élément convaincant permettant à celle-ci de s’écarter des constatations de ce dernier.
  18. 2.  Appréciation de la Cour


  19. .  La Cour rappelle, d’une part, que lorsqu’un individu est privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 de la Convention (voir, notamment, Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 38, série A no 336, Mete et autres c. Turquie, no 294/08, § 106, 4 octobre 2011 et El-Masri c. ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 207, CEDH 2012). D’autre part, les allégations de mauvais traitements contraires à l’article 3 doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés. Pour l’établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (voir, notamment, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 161 in fine, série A no 25, Labita c. Italie [GC], n26772/95, § 121, CEDH 2000-IV, et Creanğa c. Roumanie [GC], n29226/03, § 88, 23 février 2012 ; pour un exemple d’arrêt s’inscrivant dans le contexte d’une interpellation, voir Matko c. Slovénie, no 43393/98, §§ 98-99, 2 novembre 2006).
  20. 29.  A cela il faut ajouter qu’il n’entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données qu’ils recueillent. En règle générale, seules des données convaincantes sont susceptibles de la conduire à s’écarter des constatations de fait des juridictions internes (Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, §§ 29-30, série A no 269). Elle n’est cependant pas liée par leurs conclusions et elle se doit de faire preuve d’une vigilance particulière en cas d’allégations de violation de l’article 3 de la Convention (voir Ribitsch, précité, § 32, et El-Masri, précité, § 155 ; voir aussi, notamment, Matko, précité, § 100).

    30.  S’agissant en particulier de l’usage de la force au cours d’une arrestation, la Cour doit rechercher si la force utilisée était strictement nécessaire et proportionnée et si l’Etat doit être tenu pour responsable des blessures infligées. Pour répondre à cette question, elle doit prendre en compte les blessures occasionnées et les circonstances dans lesquelles elles l’ont été. De plus, il incombe normalement au Gouvernement d’apporter des preuves pertinentes démontrant que le recours à la force était à la fois proportionné et nécessaire (voir, notamment, Petyo Popov c. Bulgarie, n75022/01, § 54, 22 janvier 2009).

    31.  La Cour relève que le Gouvernement admet que les lésions dont le requérant fait état ont été causées par les gendarmes qui ont procédé à son arrestation le 25 août 2005. Observant en outre que ces lésions sont établies par les certificats médicaux produits par l’intéressé (paragraphes 8-12 ci-dessus), la Cour juge avéré que les gendarmes ont usé de la force physique à son encontre.


  21. .  Se pose donc la question de savoir si, au vu notamment des constatations des juridictions internes, la force physique dont il a été fait usage à l’encontre du requérant était ou non rendue strictement nécessaire par son comportement.

  22. .  La Cour n’est pas convaincue par les explications fournies par le Gouvernement.

  23. .  Elle comprend, certes, que des agents des forces de l’ordre puissent juger suspect un automobiliste qui fait demi-tour à leur vue. Elle constate toutefois que le Gouvernement ne fournit aucun élément susceptible d’indiquer que, lorsque le requérant s’est comporté de la sorte, le contexte était de nature à conduire les gendarmes qui se sont lancés à sa poursuite à craindre qu’ils se trouvaient confrontés à un individu dangereux. Elle relève en particulier que le Gouvernement ne prétend pas que les gendarmes en cause étaient en train de participer à une opération risquée, mais confirme dans ses observations qu’ils étaient simplement en poste de surveillance devant une parcelle de maïs transgénique susceptible d’être endommagée par des militants anti-OGM.

  24. .  Elle note par ailleurs que, si l’arrêt de la cour d’appel de Riom du 1er avril 2009 confirme le jugement prononçant la relaxe des gendarmes en cause, il met en exergue plusieurs éléments susceptibles, selon ses propres termes, de caractériser un « usage disproportionné de la force ». La cour d’appel a en effet relevé que les gendarmes avaient pratiqué sur le requérant une clé à bras et utilisé un bâton télescopique alors qu’il était déjà interpellé et menotté à la main droite et que les occupants du véhicule ne constituaient pas une menace. Elle a en outre constaté que, bien qu’un seul gendarme à genou sur le dos du requérant suffisait à le maintenir sur le sol, plusieurs coups avaient été portés sur lui. Selon elle, la fracture dont le requérant avait souffert à la suite de son arrestation montrait qu’au moins un coup suffisant pour provoquer une fracture du coude lui avait été asséné à l’aide d’un bâton télescopique, et les hématomes sur le haut de son bras gauche, l’important œdème sur son coude gauche et les ecchymoses linéaires sur son dos indiquaient qu’il en avait reçu d’autres. La cour d’appel a de plus constaté que le requérant n’avait adopté qu’une « attitude de résistance passive ».

  25. .  La Cour accorde une importance particulière à ce dernier élément. Elle note en outre à cet égard que cette même cour d’appel avait déjà constaté le 10 janvier 2007 que les éléments du dossier ne permettaient pas de considérer qu’il y avait eu résistance active de la part du requérant, et avait retenu qu’à le supposer établi, le fait que le requérant s’était débattu lorsqu’il était au sol pouvait « s’expliquer par une attitude de protection d’un homme à terre ». Elle l’avait en conséquence relaxé du chef de rébellion, retenant ainsi qu’il n’avait pas « oppos[é] une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats de justice » (article 433-6 du code pénal).

  26. .  La Cour constate ensuite que les certificats médicaux produits par le requérant font état de nombreuses lésions, que le médecin qui a ausculté l’intéressé après son arrestation a déclaré son état incompatible avec une mesure de garde à vue sans examen complémentaire et soins adaptés, qu’une incapacité totale de travail de cinq jours a été retenue, et qu’une fracture du coude gauche et un arrachement osseux de l’épicondyle médial de l’humérus ont par la suite été diagnostiqués (paragraphes 8-10 et 12 ci-dessus). Par ailleurs, un certificat médical du 10 avril 2006 établit que, plus de sept mois après les faits, l’état du requérant n’était toujours pas consolidé. Ces éléments attestent de l’intensité de la force physique dont il a été fait usage contre le requérant alors qu’il n’opposait pas de résistance active à son interpellation.

  27. .  Dans ces circonstances, au vu tout particulièrement des faits relevés par le juge interne, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré que le recours à la force était à la fois proportionné et nécessaire.

  28. .  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
  29. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION


  30. .  Le requérant se plaint du fait que, partie civile, il n’avait pas la possiblité d’interjeter appel des dispositions pénales du jugement du 3 juillet 2008 prononçant la relaxe des gendarmes responsables de ses blessures. Il invoque l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :
  31. « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »


  32. .  La Cour rappelle que la Convention ne garantit pas le droit de faire poursuivre pénalement des tiers (voir, par exemple, Romo c. France (déc.), no 40402/98, 28 septembre 1999, Ribes c. France (déc.), nos 41946/98 et 50586/99, 11 juillet 2000, Anagnostopoulos c. Grèce, no 54589/00, § 28, 3 avril 2003, et Perez c. France [GC], no 7287/99, § 70, CEDH 2004-I). Le requérant ne saurait donc se plaindre devant elle de l’impossibilité d’interjeter appel des dispositions pénales du jugement prononçant la relaxe des gendarmes responsables de ses blessures. Elle en déduit que cette partie de la Requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
  33. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    42.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  34. .  Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) en réparation du préjudice corporel et moral résultant des mauvais traitements qu’il a subis. Il réclame en outre 10 000 EUR au titre de la violation de l’article 13 de la Convention.

  35. .  Le Gouvernement estime que, le grief tiré de l’article 13 de la Convention ne lui ayant pas été communiqué en application de l’article 54 § 2 b) du règlement de la Cour, ce montant de 10 000 EUR est sans objet. Il considère par ailleurs qu’une somme de 500 EUR réparerait adéquatement le préjudice causé par la violation de l’article 3 de la Convention.

  36. .  La Cour rappelle que seuls les préjudices causés par une violation de la Convention dont elle a fait le constat sont susceptibles de donner lieu à réparation. Il convient donc de rejeter les prétentions du requérant pour autant qu’elles se rattachent au grief qu’il a développé sur le terrain de l’article 13 de la Convention. Le requérant a en revanche indéniablement subi un tort moral du fait de la violation de l’article 3 de la Convention dont il est victime. Prenant en compte les divers éléments pertinents, et statuant en équité comme le veut l’article 41, la Cour lui alloue 15 000 EUR à ce titre.
  37. B.  Frais et dépens


  38. .  Le requérant demande 7 196,45 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 2 392 EUR pour ceux engagés devant la Cour, soit 9 588,45 EUR en tout. Il produit des factures d’honoraires et frais datées des 6 septembre 2005, 11 novembre 2005, 20 décembre 2006, 11 avril 2008, 9 mars 2009, 30 septembre 2009, 30 mars 2010 et 29 février 2012 et portant respectivement sur les montants suivants : 598 EUR, 598 EUR, 3 064,45 EUR, 1 500 EUR, 1 436 EUR, 64 EUR, 1196 EUR et 1196 EUR.

  39. .  Le Gouvernement admet qu’outre le remboursement des frais qu’ils ont exposés devant la Cour, les requérants peuvent obtenir le remboursement de ceux encourus devant les juridictions internes pour prévenir ou faire corriger les violations de la Convention. Il estime qu’en l’espèce, peuvent s’analyser comme tels les frais résultant de la plainte du chef de violences volontaires ainsi que ceux associés à la procédure de constitution de partie civile. Il propose en conséquence le remboursement de 8 358 EUR, dont 2 392 au titre de la procédure engagée devant la Cour et 5 966 au titre de la procédure interne.

  40. .  La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder au requérant le paiement non seulement des frais et dépens qu’il a engagés devant elles, mais aussi de ceux qu’il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, parmi d’autres, Lallement c. France, n46044/99, § 34, 11 avril 2002). Il ressort par ailleurs plus généralement de sa jurisprudence qu’un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour observe que les frais et dépens engagés par le requérant au plan interne se rattachent à la défense de ses intérêts dans le cadre de la procédure relative à sa plainte avec constitution de partie civile du chef de violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, d’une part, et dans le cadre des poursuites dirigées contre lui, d’autre part. Or il était poursuivi non seulement pour avoir résisté avec violence à des personnes chargées d’une mission de service publique, dépositaires de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de leurs fonctions, mais aussi pour avoir sciemment omis d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité, conduit sous l’empire d’un état alcoolique et omis de s’arrêter à un stop. La Cour en déduit qu’une partie des montants que le requérant réclame à ce titre ne visait pas à prévenir ou faire corriger la violation de la Convention dont elle a fait le constat. Cela pris en compte, elle juge raisonnable d’accorder 7 000 EUR au requérant pour frais et dépens.
  41. C.  Intérêts moratoires


  42. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  43. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Claudia Westerdiek                                                                Mark Villiger
           Greffière                                                                              Président

     


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