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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DOUET v. FRANCE - 16705/10 - Chamber Judgment (French text) [2013] ECHR 917 (03 October 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/917.html Cite as: [2013] ECHR 917 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE DOUET c. FRANCE
(Requête no 16705/10)
ARRÊT
STRASBOURG
3 octobre 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Douet c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 septembre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La genèse de l’affaire
6. Le 27 août 2005, à Nonette, un peu avant minuit, alors qu’il rentrait chez lui en voiture accompagné de son amie ainsi que d’un couple de connaissances et de leur fille âgée de huit ans, le requérant fit brusquement demi-tour à la vue d’un véhicule de gendarmerie. Celui-ci se trouvait en poste de surveillance devant une parcelle de maïs transgénique, une manifestation contre la culture d’organismes génétiquement modifiés ayant eu lieu ce jour-là sur le territoire de la commune. Actionnant leur avertisseur sonore et lumineux, les gendarmes - au nombre de quatre - se lancèrent à la poursuite du requérant qui, roulant à vive allure, omit de s’arrêter à un stop. Après environ deux kilomètres de course-poursuite, ils procédèrent à l’interception du véhicule et à l’arrestation du requérant.
7. Si les documents relatifs à la procédure interne figurant au dossier montrent que les protagonistes n’ont pas donné exactement la même version des circonstances et modalités de cette arrestation, il en ressort du moins ce qui suit.
A l’issue de la poursuite, le gendarme B.P. s’était avancé arme au poing vers le requérant, auquel il avait ordonné de mettre les mains sur le volant puis de sortir de la voiture. Le requérant n’ayant pas immédiatement obtempéré, B.P. l’en avait extrait de force avec l’aide de son collègue L.P. La main droite du requérant avait été immédiatement menottée mais, plaqué au sol, il avait résisté et avait refusé de placer ses mains dans le dos afin d’être complètement menotté. Les deux gendarmes l’avaient alors maîtrisé en pratiquant une clé à bras et en frappant son bras gauche avec un bâton de protection télescopique, pendant que les deux autres gendarmes surveillaient les passagers du véhicule. Cela dura plusieurs minutes. Le requérant fut ensuite placé en garde à vue durant deux heures - un dépistage d’alcoolémie réalisé à cette occasion révéla un taux de 0,33 mg d’alcool par litre d’air expiré - puis, suite à l’intervention du Dr B. (paragraphe 9 ci-dessous), conduit à l’hôpital pour une radiographie.
8. Le requérant indique que les violences dont il fut victime lors de cette arrestation lui ont causé de nombreuses lésions, attestées par trois certificats médicaux.
9. Le premier, établi le 28 août 2005 par le Dr B., médecin consultant, alors que le requérant se trouvait en garde à vue, constate ce qui suit : une dermabrasion superficielle de 1,5 x 1,5 cm au niveau de l’angle externe de l’œil gauche ; un œdème du bord radial du poignet droit, ainsi qu’une dermabrasion superficielle de l’épicondyle droit ; de multiples hématomes du membre supérieur gauche avec une impotence fonctionnelle partielle du membre ; un hématome de 1 cm2 de la partie supéro-externe du muscle deltoïde gauche ; un hématome de 8 x 2,5 cm du muscle deltoïdien sous le précédent ; un hématome de 5 x 1 cm sous l’hématome précédent avec éraflure du 1/3 moyen de la face externe du bras externe sur 5 cm de long et 1 cm de large ; un œdème avec hématome de 7 x 5 cm au niveau épicondylien gauche entraînant une impotence fonctionnelle du coude par flexion normale impossible, ainsi qu’une dermabrasion saignotante sur 1 cm2 de la pointe externe du coude gauche. Le certificat conclut que l’ « état actuel [du requérant n’était] pas compatible avec une garde à vue sans examen complémentaire et soins adaptés ».
10. Le deuxième certificat médical, établi le 29 août 2005 par le Dr P., médecin du service de victimologie du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, relève « environ trente-cinq éléments contusionnels récents, dont [un] œdème de la styloïde radiale droite [et une] douleur de palpation de l’épicondyle du coude gauche associée à un hématome volumineux ». Le certificat précise que « les lésions des poignets, et notamment du poignet droit, sont très évocatrices de lésions de menottage », que « les ecchymoses linéaires dorsales gauches sont compatibles avec un choc avec un objet de forme correspondante », et que « l’érosion temporale gauche évoque un ripage vertical contre un plan irrégulier et dur ». Enfin, il établit une incapacité totale de travail de cinq jours, sous réserve de l’évolution favorable des lésions de la main droite et du coude gauche.
11. Le troisième certificat médical, établi le 10 avril 2006 par le Dr S., médecin expert désigné par le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand dans le cadre de l’information diligentée suite à la plainte du requérant (paragraphe 17 ci-dessous), constate que l’état de ce dernier n’était pas consolidé à cette date, confirme l’incapacité totale de travail de cinq jours, évalue le pretium doloris à 1,5/7 au minimum et indique que les autres préjudices seront fixés après consolidation.
12. Par ailleurs, un scanner réalisé le 8 septembre 2005 avait révélé une fracture non déplacée, transverse, du processus coronoïde du coude gauche, ainsi qu’un petit arrachement osseux de l’épicondyle médial de l’humérus.
B. Les poursuites diligentées contre le requérant
13. Par un jugement du 6 décembre 2005, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand condamna le requérant à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à la suspension de son permis de conduire durant cinq mois et à une amende de 300 euros pour avoir « résisté avec violence » aux gendarmes B.P. et L.P., « personnes chargées d’une mission de service public, dépositaires de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de leurs fonctions », « omis sciemment d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infraction et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité », conduit sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par un taux d’alcool pur de 0,33 mg/litre, et omis de s’arrêter à un stop. Le tribunal le condamna en sus au paiement de cent euros à B.P. et L.P. chacun, parties civiles, à titre de dommages et intérêts.
14. Saisie par le requérant et le ministère public, la cour d’appel de Riom, par un arrêt du 10 janvier 2007, relaxa le requérant du chef de rébellion. Elle rappela qu’aux termes de l’article 433-6 du code pénal, constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions et souligna que « la résistance violente s’oppose à la simple désobéissance aux ordres donnés ou à la résistance passive qui n’est pas constitutive de rébellion ». Elle constata ensuite que les éléments du dossier ne permettaient pas de considérer qu’il y avait eu résistance active de la part du requérant, après avoir souligné en particulier qu’à le supposer établi, le fait que le requérant s’était débattu lorsqu’il était au sol pouvait « s’expliquer par une attitude de protection d’un homme à terre ». Elle confirma en revanche la culpabilité du requérant des autres chefs, réduisit la peine d’emprisonnement à deux mois avec sursis et la durée de suspension du permis de conduire à deux mois, confirma le montant des amendes et débouta les deux gendarmes parties civiles de leurs demandes.
15. Le pourvoi formé par ces derniers fut rejeté par la Cour de cassation le 26 septembre 2007.
C. Les poursuites diligentées contre les gendarmes B.P. et L.P.
16. Le 5 septembre 2005, le requérant déposa plainte devant le procureur de la République de Clermont-Ferrand pour les violences dont il estimait avoir été victime lors de son interpellation. Après audition des différents protagonistes, la plainte fut classée sans suite.
17. Le 22 novembre 2005, le requérant déposa une plainte contre X avec constitution de partie civile, sur le fondement de l’article 222-13 7o du code pénal, du chef de violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique. Une information fut ouverte le 9 janvier 2006, dans le cadre de laquelle les protagonistes furent une nouvelle fois entendus.
18. Le 12 décembre 2007, eu égard à « la multiplicité et l’importance des blessures subies par la victime et non sérieusement contestées », le juge d’instruction ordonna le renvoi des gendarmes B.P. et L.P devant le tribunal correctionnel du chef susmentionné.
19. Ces derniers furent relaxés par un jugement du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand du 3 juillet 2008.
20. Saisie par le requérant, la cour d’appel de Riom confirma ce jugement par un arrêt du 1er avril 2009. Elle indiqua que, saisie par le seul appel de la partie civile, elle ne pouvait prononcer une peine, mais qu’il lui revenait de rechercher si les faits constituaient une infraction pénale pour se prononcer en conséquence sur l’action civile. Elle souligna ensuite qu’il existait certes « des éléments (...) qui pourraient justifier un usage disproportionné de la force utilisée » : le requérant était interpellé et déjà menotté à la main droite, et les occupants du véhicule ne présentant aucun risque particulier, la surveillance de deux gendarmes suffisait à les contenir si nécessaire ; le bras du requérant avait présenté une fracture non déplacée, et le gendarme L.P. avait déclaré devant le tribunal qu’une clé à bras telle que celle pratiquée en l’espèce ne pouvait causer une fracture, ce qui indiquait qu’au moins un coup de bâton de protection télescopique avait été porté sur le requérant et lui avait causé cette fracture ; un seul gendarme à genoux sur le dos du requérant suffisait à le maintenir au sol ; le gendarme L.P. avait déclaré dans un premier temps avoir frappé sur les tibias pour faire lâcher le requérant qui, au sol, faisait une manœuvre de tenaille sur ses jambes, puis avait déclaré dans le cours de l’instruction - les rapports médicaux ne mentionnant pas de coup sur les jambes du requérant - que des coups avaient en fait été portés sur le coude, ajoutant qu’aucun coup n’avait été porté sur le dos du requérant, l’hématome à cet endroit étant certainement dû au transport avec les menottes dans le dos ; il ressortait des certificats médicaux que le requérant avait présenté plusieurs hématomes sur le haut du bras gauche, un important œdème sur le coude gauche et des ecchymoses linéaires dorsales compatibles avec un choc avec un objet de forme correspondante. Cependant, « au vu du contexte particulier et du comportement [du requérant] », la cour d’appel considéra qu’il n’était pas établi que les prévenus avaient fait usage disproportionné de la force. Elle releva à cet égard que, « même si [l’intéressé] « a[vait] adopté une attitude de résistance passive, il n’a[vait] pas accepté de se laisser passer les menottes, a[vait] replié ses bras sous lui et a[vait] résisté de telle sorte qu’il a[vait] fallu user de la force pour le contraindre à se laisser passer les menottes au poignet gauche[, et que] la clé pratiquée n’était possible que si les gendarmes parvenaient à lui maîtriser le bras ».
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
22. L’article 222-13 du code pénal est ainsi rédigé :
« Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises : (...)
7o Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ; (...) ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
2. Appréciation de la Cour
29. A cela il faut ajouter qu’il n’entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données qu’ils recueillent. En règle générale, seules des données convaincantes sont susceptibles de la conduire à s’écarter des constatations de fait des juridictions internes (Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, §§ 29-30, série A no 269). Elle n’est cependant pas liée par leurs conclusions et elle se doit de faire preuve d’une vigilance particulière en cas d’allégations de violation de l’article 3 de la Convention (voir Ribitsch, précité, § 32, et El-Masri, précité, § 155 ; voir aussi, notamment, Matko, précité, § 100).
30. S’agissant en particulier de l’usage de la force au cours d’une arrestation, la Cour doit rechercher si la force utilisée était strictement nécessaire et proportionnée et si l’Etat doit être tenu pour responsable des blessures infligées. Pour répondre à cette question, elle doit prendre en compte les blessures occasionnées et les circonstances dans lesquelles elles l’ont été. De plus, il incombe normalement au Gouvernement d’apporter des preuves pertinentes démontrant que le recours à la force était à la fois proportionné et nécessaire (voir, notamment, Petyo Popov c. Bulgarie, no 75022/01, § 54, 22 janvier 2009).
31. La Cour relève que le Gouvernement admet que les lésions dont le requérant fait état ont été causées par les gendarmes qui ont procédé à son arrestation le 25 août 2005. Observant en outre que ces lésions sont établies par les certificats médicaux produits par l’intéressé (paragraphes 8-12 ci-dessus), la Cour juge avéré que les gendarmes ont usé de la force physique à son encontre.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
42. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
B. Frais et dépens
C. Intérêts moratoires
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia
Westerdiek Mark Villiger
Greffière Président