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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SULEYMANOGLU v. TURKEY - 38283/04 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 93 (29 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/93.html
Cite as: [2013] ECHR 93

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

    AFFAIRE SÜLEYMANOĞLU c. TURQUIE

     

    (Requête no 38283/04)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    29 janvier 2013

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Süleymanoğlu c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Paulo Pinto de Albuquerque, juges
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 janvier 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38283/04) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ayhan Süleymanoğlu (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 août 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me M.Z. Şaylık, avocat à Van. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 10 septembre 2007, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permettait l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

  4. .  Le Gouvernement a déposé ses observations en dehors du délai imparti. En conséquence, le 11 mars 2008, le président de la chambre a décidé, en application de l’article 38 § 1 du règlement, que ces observations ne seraient pas versées au dossier en vue d’un examen par la Cour.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1973 et réside à Van.

  7. .  Le 15 décembre 2000, un juge du tribunal d’instance pénal de Başkale (Van), statuant sur demande du procureur de la République, rendit, en l’absence de l’intéressé, une ordonnance de placement en détention provisoire du requérant. Celui-ci était soupçonné d’avoir participé à une altercation armée.

  8. .  Par un acte d’accusation du 2 janvier 2001, le procureur de la République de Van inculpa le requérant sur le fondement de l’article 464 § 1 du code pénal.

  9. .  Le 23 janvier 2003, la cour d’assises de Van décida, en l’absence du requérant, le maintien de l’ordonnance de placement en détention provisoire de celui-ci eu égard à la nature et à la qualification de l’infraction reprochée ainsi qu’à l’état des preuves.

  10. .  Le 4 mars 2004, le requérant fut arrêté à Bursa, une ville située à environ 1 600 km de Van, et traduit devant un juge du tribunal d’instance pénal de cette ville. Le juge vérifia à cette occasion que le requérant était bien la personne visée par l’ordonnance du 15 décembre 2000. Une fois cette vérification effectuée, il ordonna son placement en détention provisoire au centre pénitentiaire de Bursa.

  11. .  A l’audience du 30 mars 2004, la cour d’assises de Van prit acte de l’arrestation du requérant à Bursa et ordonna son transfert à Van.

  12. .  Le 26 avril, les 5 et 24 mai et le 9 juillet 2004, le requérant demanda à la cour d’assises son transfert à Van aux fins de prouver son innocence. Il sollicita également sa remise en liberté.

  13. .  Aux audiences du 29 avril, du 27 mai et du 24 juin 2004, la cour d’assises réitéra ses demandes de transfert du requérant à Van et décida le maintien de la détention provisoire de l’intéressé, eu égard à la nature et à la qualification de l’infraction reprochée, à l’état des preuves et à la durée de la détention provisoire déjà effectuée.

  14. .  A l’issue de l’audience du 19 juillet 2004, à laquelle le requérant ne participa pas, la cour d’assises décida la remise en liberté de l’intéressé.

  15. .  Le 6 octobre 2005, la cour d’assises, suivant en cela le réquisitoire du procureur de la République, acquitta le requérant pour insuffisance de preuves.
  16. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  17. .  Selon l’article 108 de l’ancien code de procédure pénale, une personne arrêtée à la suite d’une ordonnance de placement en détention provisoire rendue en son absence devait être traduite dans un délai maximum de vingt-quatre heures devant le juge compétent chargé de trancher la question de la nécessité du maintien en détention. Le temps nécessaire à la présentation de l’accusé au juge n’était pas décompté de ce délai de vingt-quatre heures.

  18. .  Selon l’article 109 de l’ancien code de procédure pénale, dans le cas où la personne arrêtée ne pouvait être traduite devant le juge compétent au sens de l’article 108, elle devait être traduite dans le même délai devant le juge du tribunal d’instance pénal le plus proche. L’accusé était remis en liberté s’il apparaissait que l’ordonnance de placement en détention provisoire avait été levée ou s’il avait été établi que la personne arrêtée n’était pas la personne recherchée.
  19. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION


  20. .  Invoquant les articles 5 et 6 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été arrêté et incarcéré au centre pénitentiaire de Bursa en vertu d’une ordonnance de placement en détention provisoire rendue en son absence, et de n’avoir ainsi pas été en mesure de présenter sa défense devant le tribunal compétent.

  21. .  Il se plaint ensuite de ne jamais avoir été conduit à Van pour être entendu au sujet des accusations portées contre lui. Il serait ainsi resté en détention provisoire pendant plus de trois mois, privé, selon lui, de son droit de faire examiner par le tribunal compétent le respect de la légalité de sa privation de liberté.

  22. .  La Cour estime opportun d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention.
  23. A.  Sur la recevabilité


  24. .  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  25. B.  Sur le fond


  26. .  S’agissant de l’article 5 § 3 de la Convention, la Cour rappelle que cette disposition ne se contente pas de garantir l’accès de la personne arrêtée à une autorité judiciaire ; elle vise à imposer au magistrat devant lequel la personne arrêtée comparaît l’obligation d’examiner les circonstances militant pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en l’absence de pareilles raisons, d’ordonner l’élargissement. En d’autres termes, l’article 5 § 3 exige que le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 47, CEDH 1999-III) et qu’il ait le pouvoir d’ordonner l’élargissement en l’absence de raisons justifiant la détention en cause (Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 31, série A no 34, et Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 146, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII).

  27. .  En l’espèce, la Cour note que, en ce qui concerne l’étendue des pouvoirs du juge d’instance pénal de Bursa qui a ordonné le placement du requérant au centre pénitentiaire de Bursa en attendant son transfert à Van, l’examen du dossier et de la législation en vigueur à l’époque des faits permet de comprendre que ce juge disposait du pouvoir d’ordonner la remise en liberté du requérant dans deux seuls cas, prévus à l’article 109 de l’ancien code de procédure pénale, à savoir : si l’ordonnance de placement en détention provisoire avait été levée et si la personne arrêtée n’était pas la personne recherchée. En d’autres termes, le juge d’instance pénal de Bursa n’avait pas légalement compétence pour examiner le bien-fondé de la détention du requérant.

  28. .  La Cour observe ensuite que le juge en question s’est borné à vérifier l’identité du requérant pour s’assurer qu’il s’agissait bien de la personne visée par l’ordonnance de détention provisoire qui avait été rendue en l’absence de l’intéressé, qu’il n’a pas recueilli les déclarations de celui-ci et qu’il n’a pas examiné le bien-fondé de sa détention.

  29. .  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la comparution du requérant devant ce juge n’était pas de nature à remplir les exigences de l’article 5 § 3 de la Convention.

  30. .  Dès lors, elle conclut que le requérant n’a pas été traduit devant un juge, au sens de l’article 5 § 3 de la Convention.

  31. .  Partant, il y a eu violation de cette disposition de la Convention.

  32. .  S’agissant de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour rappelle que celui-ci confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’introduire un recours au sujet du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité » - au sens de l’article 5 § 1 - de sa privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles exigées par l’article 6 pour les procès civils et pénaux - les deux dispositions poursuivant des buts différents (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 39, CEDH 2005-XII) -, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et qu’elle offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (D.N. c. Suisse [GC], no 27154/95, § 41, CEDH 2001-III). En particulier, un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir le procureur et la personne détenue (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit au courant du dépôt d’observations et qu’elle jouisse d’une possibilité véritable de les commenter (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001-I). Pour déterminer si une procédure relevant de l’article 5 § 4 offre les garanties nécessaires, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237-A).

  33. .  La Cour réitère en outre que la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Nikolova, précité, § 58, Reinprecht, précité, § 31, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006-III, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000-XI, Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 44, CEDH 2001-I, et Bağrıyanık c. Turquie, no 43256/04, § 50, 5 juin 2007).

  34.   En l’espèce, la Cour note que le requérant n’a jamais pu comparaître devant la cour d’assises de Van, le seul tribunal compétent pour examiner le recours en libération de l’intéressé et, le cas échéant, ordonner son élargissement.

  35.   Ce constat suffit à la Cour pour conclure qu’il y a eu également violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
  36. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  37.   Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) pour préjudice matériel et 15 000 EUR pour préjudice moral.

  38.   La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. En conséquence, elle rejette cette demande. En revanche, elle estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 6 500 EUR à ce titre.

  39.   Le requérant n’ayant présenté aucune demande de remboursement de frais et dépens, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

  40. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  41. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, somme à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

     

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président


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