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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PAULI v. ROMANIA - 26080/04 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 938 (08 October 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/938.html
Cite as: [2013] ECHR 938

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE PAULI c. ROUMANIE

     

    (Requête no 26080/04)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

                                                   8 octobre 2013                                              

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Pauli c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un Comité composé de :

              Alvina Gyulumyan, présidente,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 septembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 26080/04) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Persida Pauli (« la requérante »), a saisi la Cour le 1er juin 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  La requérante a été représentée par Me Ionel Olteanu, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Horaţiu-Răzvan Radu, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le 19 février 2009, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

  4. .  A la suite du décès de la requérante le 11 mai 2011, son époux, M. Michael Pauli, en faisant valoir sa qualité d’héritier, a informé la Cour qu’il désirait continuer la procédure au nom de la requérante.
  5. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  La requérante est née en 1942. Également ressortissante allemande, elle résidait, avant son décès (paragraphe 4 ci-dessus), à Kirchseeon, en Allemagne.

  7. .  Le 10 novembre 1994, après le décès des parents de la requérante et après l’ouverture de la succession, la commission pour l’application de la loi sur le fonds foncier no 18/1991 (« la commission départementale ») attribua en propriété à T.N., époux de la sœur de la requérante, un terrain de 2,27 ha ayant appartenu aux parents de la requérante et de sa sœur, T.M.I.

  8.  Le 16 juin 1995, la commission départementale attribua en propriété à T.M.I. un terrain de 7,73 ha, ayant également appartenu aux parents de cette dernière et de la requérante.

  9. .  En 1999, T.M.I. vendit une partie de ce terrain à des tiers, qui la revendirent par la suite à d’autres tiers.
  10.  

    A.  La procédure en partage successoral

     


  11. .  Le 2 novembre 1998, le tribunal de première instance de Timişoara saisi à une date non précisée en 1993, jugea que la requérante et T.M.I. étaient les seules héritières de leurs parents et établit la masse successorale. Les terrains octroyés en propriété en 1994 et 1995 à T.N. et à T.M.I ne furent pas réintégrés dans la succession telle que dressée par le tribunal. Le tribunal procéda dans le même jugement au partage des biens, par attribution des lots à la requérante et à sa sœur.

  12. .  La requérante interjeta appel à l’encontre du jugement du 2 novembre 1998, demandant de rajouter à la succession les terrains qui avaient été attribués en propriété à T.N. et à T.M.I. après le décès de ses parents.
  13. Suite au décès de T.M.I. en juin 1999, la procédure fut continuée par ses héritiers.


  14. .  Le 5 mai 2000, la cour d’appel de Timişoara rejeta l’appel de la requérante, au motif que les décisions d’octroi en propriété des terrains litigieux n’avaient pas été annulées.

  15. .  Le 20 décembre 2002, la cour d’appel de Timişoara fit droit à une demande de la requérante déposée en 1999 visant à l’annulation des décisions d’octroi en propriété de 10 novembre 1994 et de 16 juin 1995 et à la modification en conséquence de la masse successorale.

  16. .  Le 8 octobre 2004, la requérante introduisit devant le tribunal de première instance de Timişoara une nouvelle Requête en partage successoral.
  17. Le partage fut prononcé le 13 mars 2007 en contradictoire avec les héritiers de T.M.I.


  18. .  Le jugement de partage fut toutefois annulé par un arrêt du tribunal départemental de Timiş du 30 janvier 2008, qui renvoya l’affaire devant le tribunal compétent pour un nouveau jugement.

  19. .  Le 16 février 2010, lors du nouveau jugement de l’affaire, le tribunal départemental de Timiş prononça le partage des biens et l’attribution des lots. Compte tenu de ce que la requérante n’avait jamais eu la possession des terrains hérités, il lui octroya une soulte de 321 496 lei (RON), soit environ 79 000 euro (EUR). La requérante se vit également accorder 2 644 RON de frais et dépens, soit environ EUR 650.

  20. .  Cet arrêt fut confirmé par une décision définitive du 25 novembre 2010 de la cour d’appel de Timişoara.
  21.  

    B.  Autres procédures

     


  22. .  En liaison avec le contentieux concernant la succession et le partage successoral, la requérante entama d’autres procédures ayant pour objet l’annulation de contrats de ventes immobilières entre des tiers et le paiement de dommages matériels et moraux, qui furent finalisées par des arrêts en date des 24 mars 2006 et 10 mai 2007 respectivement. Elle déposa en outre plusieurs plaintes pénales, sans se constituer partie civile, à l’encontre d’un notaire public, des policiers et d’un tiers, les accusant de faux et/ou d’abus dans l’exercice de leurs fonctions. Le parquet prononça des non-lieux, confirmés par les tribunaux par des arrêts rendus en 2005.
  23. EN DROIT

    I.  OBSERVATION PRÉLIMINAIRE


  24. .  La Cour constate que la requérante est décédée le 11 mai 2011, alors que l’affaire était pendante devant elle et que son veuf l’a informée de son souhait de poursuivre la procédure à la place de feue la requérante. En l’occurrence, rien ne s’oppose à ce que la Cour reconnaisse au veuf de la requérante qualité pour poursuivre l’instance initialement introduite par cette dernière.
  25. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE


  26. .  La partie requérante allègue que la durée de la procédure en partage successoral, incluant la procédure en annulation de décisions d’octroi en propriété, a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  27. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  28. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

  29. .  La Cour considère que le délai dont il échet de contrôler le caractère raisonnable couvre l’ensemble de la procédure en partage successoral et s’étend jusqu’à la décision vidant la « contestation » (voir mutatis mutandis Guillemin c. France, 21 février 1997, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1997-I).

  30. .  Ainsi, elle estime que la période à considérer couvre deux procédures qu’il faut considérer comme un ensemble : la première a débuté en 1993, avec la saisine du tribunal d’une Requête en partage, et s’est terminée le 5 mai 2000 ; la deuxième a débuté le 8 octobre 2004, date à laquelle la requérante a déposé une nouvelle Requête en partage, et s’est terminée le 25 novembre 2010. La période à considérer a donc duré, à partir de la ratification de la Convention par la Roumanie le 20 juin 1994, douze ans, pour trois instances.
  31. A.  Sur la recevabilité


  32. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  33. B.  Sur le fond


  34. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

  35. .  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

  36. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
  37. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

    III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  38. .  La partie requérante se plaint également de l’issue des autres procédures dénoncées (article 6 § 1 de la Convention) et d’une atteinte au droit au respect de ses biens (article 1 du Protocole no 1 à la Convention), en raison de l’impossibilité dans laquelle elle s’est trouvée, du fait de la durée de la procédure de partage, de jouir des biens sur lesquels elle a avait un droit de propriété dès l’ouverture de la succession.

  39. .  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par ces articles de la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la Requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  40. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  41. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  42. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  43. .  La partie requérante réclame 700 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’elle aurait subi. Elle fait valoir que du fait de la durée des procédures en partage des terrains dont elle a hérité, elle s’est trouvée dans l’impossibilité, pendant de nombreuses années, de tirer le moindre profit de ces terrains.

  44. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  45. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime que la partie requérante a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 3 600 EUR à ce titre.
  46. B.  Frais et dépens


  47. .  La partie requérante demande également, en soumettant des documents justificatifs, 15 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

  48. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  49. .  Compte tenu des documents en sa possession dont il ressort notamment que Mme Persida Pauli a dû effectuer de nombreux voyages en Roumanie afin de prendre part aux procédures faisant l’objet de la présente affaire, ainsi que de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 6 800 EUR tous frais confondus et l’accorde à la partie requérante.
  50. C.  Intérêts moratoires


  51. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  52. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure en partage et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à la partie requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt :

    i)  3 600 EUR (trois mille six cents euros) pour dommage moral ;

    ii)  6 800 EUR (six mille huit cents euros) pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

      Marialena Tsirli                                                                 Alvina Gyulumyan
    Greffière adjointe                                                                     
    Présidente


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