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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LOMBARDO v. ITALY - 25704/11 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 95 (29 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/95.html
Cite as: [2013] ECHR 95

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE LOMBARDO c. ITALIE

     

    (Requête no 25704/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    29 janvier 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Lombardo c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Danutė Jočienė, présidente,
              Guido Raimondi,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 décembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25704/11) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, Sergio Lombardo (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 avril 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me G. Vaccaro, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora, et par son ancienne coagente, Mme S. Coppari.

  3. .  Dans sa requête, le requérant se plaignait en particulier d’une violation de son droit au respect de la vie familiale, garanti par l’article 8 de la Convention.

  4. .  Le 25 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

  7. .  De la relation du requérant avec A.D. naquit un enfant, S., le 31 mars 2001. Le 29 janvier 2003, en raison des conflits incessants déchirant le couple, A.D. quitta le requérant et la ville de Rome et emmena sa fille vivre auprès de sa famille, à Termoli. Dès son départ, A.D. manifesta une forte opposition à toute relation entre le requérant et S.
  8. A.  Procédure tendant à l’établissement des modalités d’exercice du droit de visite du requérant à l’égard de sa fille


  9. .  Le 26 février 2003, A.D. demanda au tribunal pour enfants (ci après « le tribunal ») de Rome la garde de S.

  10. .  Par une décision du 9 juillet 2003, le tribunal de Rome confia la garde exclusive de l’enfant à A.D. et octroya au requérant un droit de visite à raison de deux après-midi par semaine, d’un week-end sur deux sans hébergement jusqu’aux trois ans de l’enfant, de trois jours à Pâques, de six jours à Noël et de dix jours pendant les vacances d’été.

  11. .  Le 20 août 2003, en raison de difficultés rencontrées dans l’exercice de son droit de visite, le requérant saisit le juge des tutelles de Termoli. Il se plaignait de n’avoir pu rencontrer sa fille qu’une seule fois, le 25 juillet 2003, pendant quelques minutes et en présence de la mère et de l’oncle de l’enfant, et demandait le respect de son droit de visite.

  12. .  Le 13 octobre 2003, le juge des tutelles confirma le décret du tribunal de Rome et précisa que les rencontres devaient avoir lieu dans les locaux des services sociaux de Termoli en présence d’un assistant social et de la mère de S.

  13. .  Le 27 novembre 2003, le requérant saisit à nouveau le juge des tutelles pour demander la mise en place des rencontres sous surveillance.
  14. Le 23 décembre 2003, le juge des tutelles confirma la décision du 13 octobre 2003.


  15. .  Le 26 janvier 2004, toujours en raison de difficultés rencontrées dans l’exercice de son droit de visite, le requérant saisit une troisième fois le juge des tutelles, lequel, par une décision du 13 mars 2004, confirma les décisions précédentes.

  16. .  Le requérant affirme que, entre 2003 et 2004, la mère, qui aurait été présente lors des rencontres, menaçait S. de l’abandonner si jamais elle disait préférer rester seule avec son père.

  17. .  Entre-temps, le requérant avait attaqué le décret du tribunal de Rome du 9 juillet 2003 devant la cour d’appel de Rome. Il demandait la garde de S. et, à défaut, un élargissement de son droit de visite. L’expert nommé par la cour d’appel releva qu’il y avait une forte résistance de A.D. aux rencontres entre le requérant et l’enfant et que c’était grâce à lui-même et à ses collaborateurs que certaines rencontres avaient pu se dérouler de manière positive sans la présence de la mère. Il indiqua qu’en revanche les services sociaux de Termoli n’avaient jamais travaillé en vue de faciliter ces rencontres et qu’ils avaient laissé la mère assister aux rencontres père-fille.

  18. .  Par un décret du 19 octobre 2004, la cour d’appel ordonna que les rencontres eussent lieu sous surveillance dans les locaux des services sociaux de Campobasso à raison de trois après-midi par mois.

  19. .  Le 30 mars 2005, le requérant introduisit un recours devant le tribunal de Campobasso. Il y exposait qu’il n’avait pu rencontrer sa fille que très rarement et que le décret de la cour d’appel n’était pas respecté, et il demandait la garde de l’enfant.

  20. .  Par un décret 19 juillet 2005, le tribunal de Campobasso limita l’autorité parentale de la mère, confia la garde de l’enfant aux services sociaux avec maintien du placement de l’enfant au domicile de sa mère, afin que ces services pussent veiller à ce que l’enfant construise une relation équilibrée avec son père. Le tribunal releva également qu’à la date du 3 juin 2005 seules sept rencontres sur les dix-neuf rencontres organisées avaient eu lieu, que A.D. n’avait pas permis au psychologue nommé par le tribunal de voir l’enfant, que son comportement visait à l’effacement de la figure du père et que les services sociaux, dans leur rapport du 6 juin 2005, avaient pris en compte seulement les déclarations de la mère et ignoré la version des faits du requérant.

  21. .  Il ressort des documents présentés par le Gouvernement que, entre août 2005 et décembre 2005, sur les seize rencontres organisées par les services sociaux, le requérant n’a rencontré sa fille que dix fois.

  22. .  Entre janvier et février 2006, les rencontres programmées n’eurent pas lieu au motif que A.D. ne s’était pas présentée.

  23. .  Par un décret du 8 mars 2006, le tribunal de Campobasso enjoignit à A.D. de ne pas faire obstacle à l’exercice par le requérant de son droit de visite. Il releva que A.D. empêchait le déroulement des rencontres et que, en particulier, aucune rencontre n’avait eu lieu en août. Il ordonna, en outre, que les rencontres qui n’avaient pas eu lieu entre 2005 et 2006 fussent organisées par les services sociaux de Termoli dans leurs locaux en présence d’un psychologue différent.

  24. .  Le 11 avril 2006, les services sociaux informèrent le tribunal que, entre le 10 janvier et le 21 mars, le psychologue n’avait pu rencontrer l’enfant que cinq fois, et ce en présence de la mère, et que S. ne voulait pas entendre parler de son père.

  25. .  Le 27 mai 2006, le tribunal de Campobasso constata que le décret du 8 mars 2006 n’avait pas été respecté et que la mère avait sciemment œuvré à couper toute relation entre le père et S. Il enjoignit aux services sociaux de Termoli d’organiser les rencontres qui avaient été ordonnées et qu’ils n’avaient pas mises en œuvre.

  26. .  En juin 2006, le requérant rencontra le psychologue des services sociaux, mais A.D. ne se présenta pas au rendez-vous et n’y conduisit pas S.

  27. .  Le 26 septembre 2006, le psychologue des services sociaux déposa un rapport sur la situation de l’enfant. Il y indiquait que, entre juin et septembre, sur les dix-sept rencontres prévues, seules douze avaient eu lieu. Il notait que S. n’acceptait pas son père et que celui-ci se montrait très critique et très rigide dans ses rapports avec les services sociaux. La mère de l’enfant aurait avoué ne jamais parler du requérant à S. au motif qu’elle ne voulait pas traumatiser l’enfant car celle-ci aurait été trop jeune pour comprendre la situation. Le psychologue ajoutait que, tout en manifestant une grande empathie et une grande attention envers S., la mère ne coopérait pas au développement de la relation père-fille.

  28. .  Le 6 novembre 2006, le psychologue chargé d’une expertise par le tribunal rendit un rapport dans lequel il suggérait que la mère de l’enfant suivît un programme de soutien psychologique et que les modalités de garde de l’enfant fussent modifiées si le droit de visite du requérant n’était pas respecté.

  29. .  Le 15 décembre 2006, le tribunal, se fondant sur ce rapport, ordonna à la mère de l’enfant de suivre le programme conseillé par le psychologue.
  30. Entre 2006 et 2007, le requérant ne rencontra l’enfant qu’à quelques reprises et seulement pendant quelques minutes chaque fois en raison de l’hostilité de A.D. à ces rencontres.


  31. .  Par un décret du 9 février 2007, le tribunal ordonna à A.D. de poursuivre son programme de soutien psychologique et de permettre la mise en œuvre des rencontres entre le requérant et S.

  32. .  Le 30 mai 2007, le requérant déposa un nouveau recours devant le tribunal de Campobasso. Il dénonçait le non-respect de son droit de visite dont il attribuait la cause au refus de la mère et à l’inaction des services sociaux. Il soulignait le changement d’attitude de S. qui, auparavant disposée à le rencontrer, serait devenue agressive à son égard. Il demandait, en outre, la garde de l’enfant.

  33. .  Le 17 juillet 2007, le tribunal confirma que les rencontres entre le requérant et S. devaient avoir lieu à Campobasso et que A.D. devait poursuivre son programme de soutien psychologique. En août 2007, le requérant rencontra S. quatre fois.

  34. .  Le 10 décembre 2007, le tribunal de Campobasso releva que A.D. bénéficiait d’un programme de soutien psychologique et l’invita à le poursuivre. Il ordonna une garde conjointe de l’enfant et chargea les services sociaux d’organiser chaque mois trois rencontres à Termoli et une rencontre à Rome en présence d’un assistant social. Il enjoignit à A.D. d’encourager l’enfant à rencontrer le requérant.

  35. .  Les services sociaux n’organisèrent qu’une seule des rencontres prévues à Rome.

  36. .  Le 1er juillet 2008, le requérant attaqua le décret du 10 décembre 2007 devant la cour d’appel.

  37. .  Il exposait que S. avait subi un dommage irréparable compte tenu de la résistance particulièrement obstinée qu’aurait manifestée la mère et demandait que l’enfant pût vivre à Rome. La cour d’appel chargea un expert de réexaminer la situation de l’enfant. L’expert conclut que l’enfant souffrait d’une dépression infantile et il souligna la nécessité pour elle de renouer les liens avec son père.

  38. .  Par un décret du 27 juin  2009, la cour d’appel de Campobasso confirma le décret du tribunal et ordonna aux services sociaux de mettre en œuvre le droit de visite tel que défini.

  39. .  Pendant l’été 2009, le requérant passa un après-midi avec S. à la plage, en présence de l’expert nommé par la cour d’appel pour convaincre A.D. Par la suite, il y eut quelques rencontres en présence de la mère.

  40. .  Le 20 août 2009, les services sociaux informèrent la cour d’appel qu’aucune rencontre n’avait été organisée à Rome et que le père avait passé des week-ends à Termoli pour pouvoir être près de sa fille. Ils expliquèrent que l’enfant avait peur que le père pût l’éloigner de sa mère et ils demandèrent au tribunal de veiller au bien-être de l’enfant qui aurait été traumatisée par une prétendue agression du requérant lors d’une des rencontres.

  41. .  Par un décret du 5 novembre 2009, le tribunal de Campobasso rappela une nouvelle fois la nécessité pour toutes les parties de donner exécution au décret précédent du 27 juin 2009. Il suggéra de mettre en place un soutien psychologique pour l’enfant afin de vaincre sa résistance aux rencontres avec son père.

  42. .  Le requérant prit contact avec les services sociaux pour se plaindre de l’absence d’assistant social lors des rencontres. Dans un rapport déposé le 14 janvier 2010, les services sociaux affirmèrent que, faute de personnel disponible le samedi et le dimanche, ils n’avaient pas pu assurer la mise en œuvre des rencontres.

  43. .  Le 24 février 2010, le procureur de la République près le tribunal pour enfants de Campobasso demanda la suspension des rencontres entre le requérant et l’enfant.

  44. .  Le 13 mai 2010, le tribunal de Campobasso rejeta la demande du procureur, arguant qu’une telle décision aurait eu pour effet d’annuler le travail accompli pendant plusieurs années et de renforcer la relation conflictuelle existant entre les parents. Il chargea les services sociaux de mettre en place un programme de soutien psychologique pour S. et d’assurer la mise en œuvre du droit de visite.

  45. .  Entre mai et novembre 2010, malgré les demandes adressées par le requérant aux services sociaux, aucune rencontre ne fut organisée.

  46. .  Le 9 août 2010, le requérant demanda au tribunal de faire respecter le décret précédent et d’intervenir afin qu’il pût rencontrer sa fille.

  47. .  Par une note du 24 août 2010, le tribunal de Campobasso confirma aux services sociaux de Termoli qu’aucune suspension des rencontres n’avait été décidée et que, par conséquent, celles-ci devaient avoir lieu selon les modalités déjà établies par la cour d’appel en juin 2009.

  48. .  Par un décret du 27 octobre 2010, le tribunal observa que les rapports entre le requérant et S. étaient interrompus de facto, et que cela nuisait à l’enfant, mais constata que le décret précédent de la cour d’appel du 25 juin 2009 concernant le droit de visite n’avait pas été modifié.

  49. .  Le 3 janvier 2011, les services sociaux de Termoli firent parvenir au tribunal de Campobasso un rapport actualisé sur la situation de l’enfant. Ils l’informèrent notamment que la mère était disposée à coopérer et que le père faisait preuve d’une attitude polémique néfaste pour l’enfant.

  50. .  Le 17 janvier 2011, les services sociaux informèrent le tribunal que l’enfant poursuivait son programme de soutien psychologique et qu’elle refusait de parler de son père. Le psychologue informa également le tribunal qu’il n’était pas possible d’organiser une rencontre avec le père nonobstant les convocations écrites qui lui auraient été adressées.

  51. .  Le 21 janvier 2011, les services sociaux invitèrent les deux parents de l’enfant à fixer le calendrier des rencontres. Le requérant, qui avait subi une opération, ne se présenta pas.

  52. .  Le 12 avril 2011, les services sociaux informèrent le tribunal qu’au mois de mars 2011 le requérant ne s’était pas présenté aux rencontres fixées.

  53. .  Par un rapport déposé le 3 octobre 2011, les services sociaux informèrent le tribunal que l’enfant acceptait de voir son père et que, pendant l’été, les rencontres prévues avaient bien eu lieu.

  54. .  Par un décret du 17 novembre 2011, le tribunal de Campobasso releva que dans la dernière période la mère n’avait pas fait obstacle aux rencontres et que le parcours phycologique suivi par l’enfant était positif. Constatant qu’aucune autre demande n’avait été présentée par les parents, il ordonna aux services sociaux de veiller à ce que l’enfant poursuive son programme de soutien psychologique et classa la procédure.
  55. A.  Procédures pénales engagées contre A.D.


  56. .  Le 28 mai 2007, A.D. fut condamnée à un mois d’emprisonnement avec sursis pour inexécution des décisions du tribunal concernant le droit de visite.

  57. .  Le 12 octobre 2010, elle fut condamnée pour calomnie et diffamation à un an et six mois d’emprisonnement avec sursis.

  58. .  Le 17 janvier 2011, elle fut condamnée à une amende pour inexécution des décisions du tribunal pour enfants.
  59. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION


  60. .  Le requérant se plaint d’une violation de son droit au respect de sa vie familiale au motif que, malgré l’existence de plusieurs décisions du tribunal pour enfants fixant les conditions d’exercice de son droit de visite, il n’aurait pas pu exercer pleinement ce droit depuis 2003. Il reproche aux services sociaux d’avoir usé d’une trop grande autonomie dans la mise en œuvre des décisions du tribunal pour enfants et à celui-ci de n’avoir pas exercé, comme il en aurait eu l’obligation, un contrôle constant sur le travail des services sociaux afin que le comportement de ceux-ci ne fît pas échec aux décisions du tribunal. Il dénonce, en outre, l’attitude de complète inertie dont auraient fait preuve les services sociaux, parfois pendant de longues périodes, alléguant qu’ils laissaient à la mère de l’enfant la tâche qui aurait été la leur de gérer les rencontres avec l’enfant. Enfin, le requérant souligne que l’écoulement du temps a eu des conséquences très graves pour sa relation avec S. Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
  61. « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale, (...).

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »


  62. .  Le Gouvernement combat la thèse du requérant.
  63. A.  Sur la recevabilité


  64. .  Le Gouvernement soutient que la présente requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que le requérant aurait dû saisir le juge des tutelles. Celui-ci serait spécialisé dans l’exécution des mesures pour la protection de la famille et pourrait, en cas d’obstacle à l’exercice du droit de visite, demander l’intervention de tout organe ou institution apparaissant comme nécessaire à l’exécution de la mesure.

  65. .  De plus, le Gouvernement conteste que la décision interne définitive dans cette affaire soit le décret du tribunal pour enfants de Campobasso du 27 octobre 2010, car le tribunal aurait prononcé un non-lieu (non luogo a procedere) au motif que le fait constitutif de la demande, notamment la suspension des visites à l’enfant, n’existait pas. Le tribunal aurait en effet noté qu’aucune suspension du droit de visite n’avait été ordonnée.

  66. .  Indiquer le décret du 27 octobre 2010 comme décision interne définitive permet, selon le Gouvernement, de contourner les obligations prévues par l’article 35 § 1 de la Convention.

  67. .  Le requérant réplique que, en 2003 et en 2004, il a saisi à trois reprises le juge des tutelles de Termoli (paragraphes 9-13 ci-dessus). Par trois décisions, le juge des tutelles aurait ordonné que les rencontres père-fille se déroulent dans les locaux des services sociaux de Termoli. Ces décisions n’auraient pas été mises en œuvre et les structures publiques auraient fait preuve d’une indifférence totale à cet égard.

  68. .   Quant au décret du 27 octobre 2010, le requérant indique que le tribunal s’est borné à ordonner aux parents de l’enfant d’exécuter le décret de la cour d’appel du 25 juin 2009. Il ajoute que cette décision est intervenue au bout de nombreux mois durant lesquels il n’aurait eu aucune nouvelle de sa fille. Selon le requérant, le décret du 27 octobre 2010 a représenté une occasion perdue pour les juridictions internes d’intervenir concrètement pour remédier à la violation de ses droits fondamentaux.

  69. .  S’agissant du premier volet de l’exception soulevée par le Gouvernement, la Cour note tout d’abord que le requérant s’est adressé au juge des tutelles à trois reprises et que cela a été mentionné par le Gouvernement lui-même dans ses observations complémentaires sur la recevabilité de la requête. Le juge des tutelles a ordonné que les rencontres eussent lieu dans les locaux des services sociaux de Termoli en présence d’un assistant social et de la mère de l’enfant. Il ne peut donc être reproché au requérant de ne pas avoir saisi le juge des tutelles. En tout état de cause, la Cour considère que la démarche préconisée par le Gouvernement ne pouvait aboutir qu’à une décision ordonnant aux services sociaux d’agir, ce qui a été le cas en l’espèce.

  70.   La Cour constate, en outre, que le Gouvernement n’a pas indiqué quelle mesure « nécessaire » le juge des tutelles aurait pu adopter pour faire respecter le droit de visite du requérant. Par conséquent, elle estime que ce premier volet de l’exception doit être rejeté.

  71.   S’agissant du deuxième volet de l’exception, la Cour rappelle que les décisions du tribunal pour enfants portant notamment sur le droit de visite ne revêtent pas un caractère définitif et qu’elles peuvent, dès lors, être modifiées à tout moment en fonction des événements liés à la situation litigieuse. En l’espèce, elle observe que le requérant avait à sa disposition cette voie de recours pour se plaindre de l’interruption des contacts avec sa fille. Par conséquent, aucun problème de respect du délai de six mois ne se pose en l’espèce. Par ailleurs, la Cour note que, jusqu’à fin 2010, le requérant n’a pas pu exercer pleinement son droit de visite.

  72. .  Partant, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

  73. .  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  74.  

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    a)  Le requérant


  75. .  Le requérant rappelle qu’il a introduit son premier recours devant le tribunal pour enfants de Rome en 2003 pour s’opposer à la demande de garde exclusive de l’enfant faite par la mère et pour obtenir un droit de visite. Il indique que la décision de ce tribunal, prononcée le 9 juillet 2003, a été suivie par les procédures devant le juge des tutelles de Termoli, dans le cadre desquelles il aurait demandé la mise en œuvre effective de la décision en question - en particulier la mise en œuvre des dispositions relatives aux rencontres avec sa fille -, puis par la procédure devant la cour d’appel de Rome. Au cours de celle-ci, l’expert nommé par la cour d’appel aurait rendu un premier rapport qui aurait mis en évidence les nombreuses difficultés du père dans les rencontres avec sa fille, et qui aurait recommandé de manière précise l’intervention de tiers compétents, considérée comme importante par l’expert pour le bon déroulement des rencontres père-fille. Selon le requérant, ces recommandations n’ont pas été mises en pratique par les services sociaux de Termoli.

  76. .  En ce qui concerne les autres procédures devant le tribunal pour enfants et devant la cour d’appel de Campobasso, le requérant soutient que le nombre des audiences démontre que les procédures ont duré longtemps et que la persistance de la violation de son droit au respect de sa vie familiale lui a causé un dommage encore plus grave et irréparable. Les juges auraient nommé des experts psychologues pour qu’ils examinent la situation familiale et proposent des solutions, mais les décisions des autorités judiciaires n’auraient pas tenu suffisamment compte des recommandations des experts. En particulier, les modalités de garde et la structure des services sociaux, considérées comme inadaptées par un des experts, n’auraient pas été modifiées. De plus, bien qu’une seule rencontre eût été organisée à Rome, le tribunal pour enfants de Campobasso aurait continué à charger la même structure de Rome d’organiser les rencontres sans que ces décisions n’eussent jamais été mises en œuvre.

  77. .  Le requérant expose ensuite que, entre 2004 et 2007, il n’a pu voir sa fille qu’à quelques brèves occasions. Dans la décision prononcée le 27 mai 2006, le tribunal pour enfants de Campobasso, après avoir constaté que les rencontres prévues n’avaient pas eu lieu, aurait demandé une intervention immédiate des services sociaux pour les organiser. Les rencontres qui auraient finalement eu lieu auraient été toujours plus écourtées jusqu’à leur complète disparition, et ce, aux dires du requérant, dans une complète indifférence des services sociaux.

  78. .  A cet égard, le requérant rappelle qu’à cette époque les services sociaux avaient la garde de l’enfant mineure. Après le décret de 2007, aucune rencontre n’aurait plus été organisée à Rome.

  79. .  En ce qui concerne la dernière procédure devant le tribunal pour enfants de Campobasso, le requérant rappelle que le tribunal avait laissé aux deux parents le soin d’organiser les rencontres père-fille et aux services sociaux de Termoli et de Rome de surveiller leur déroulement. Le seul élément nouveau aurait été la mise en place d’un programme de soutien psychologique pour l’enfant. Quant au rôle joué par les services sociaux pendant cette période, le requérant indique que ceux-ci ont affirmé qu’ils ne s’étaient vu attribuer, par le tribunal ou la cour d’appel, aucune tâche spécifique quant à l’organisation des rencontres et que l’absence de rencontres entre le père et l’enfant avait pour seule cause les problèmes créés par les parents de la fillette.

  80. .  En ce qui concerne les développements récents de sa relation avec S., le requérant parle d’une timide reprise des rencontres. Cependant, celles-ci seraient toujours marquées par de nombreuses difficultés dues au comportement de A.D., qui enfreindrait les décisions des juges en changeant le lieu des rendez-vous et en écourtant les rencontres.

  81. .  Le requérant tient à faire savoir à la Cour qu’il n’a jamais vécu de relation stable avec sa fille. Cette situation aurait surtout été imputable au manque de diligence, d’attention et d’impartialité des autorités nationales compétentes. Ces dernières n’auraient pas adopté toutes les mesures nécessaires pour faire respecter un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu. Le seul intérêt effectivement sauvegardé, pendant des années, par les autorités publiques, en particulier par les services sociaux, aurait été celui de la mère de S.
  82. b)  Le Gouvernement


  83. .  Le Gouvernement conteste les affirmations du requérant. Récapitulant les mesures adoptées en l’espèce par le tribunal pour enfants et par la cour d’appel, il estime que les juridictions internes ont œuvré par tous les moyens utiles en faveur d’un rapprochement de l’enfant avec son père. Il indique que, s’agissant de la diligence des autorités compétentes quant à la mise en place du droit de visite, celles-ci ont fait preuve d’une activité d’instruction fournie. A cet égard, il précise que les parents de l’enfant ont été entendus à plusieurs reprises et que les audiences, nombreuses à ses yeux, ont donné lieu à l’adoption de neuf décrets.

  84. .  Le Gouvernement expose ensuite qu’une procédure articulée et complexe comme celle de l’espèce visait à reconstruire, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, des liens familiaux qui n’auraient pas été détruits par l’Etat, mais qui auraient été influencés négativement par les difficultés relationnelles des parents de l’enfant entre eux. A cet égard, il mentionne que les juges ont demandé l’aide des services sociaux et d’experts psychologues afin d’étudier la situation, d’entendre les parents et l’enfant et de trouver la solution la plus apte à fournir à l’enfant le meilleur contexte relationnel dans lequel vivre et grandir. Après avoir pris connaissance des rapports des experts, les juges auraient adopté plusieurs décisions en veillant à prendre les mesures les moins traumatisantes pour l’enfant.

  85. .  Selon le Gouvernement, la Cour ne peut se substituer aux autorités internes pour apprécier ce qui convient le mieux pour un enfant sans empiéter de manière excessive sur la marge d’appréciation de l’Etat. Dans la présente affaire, l’enjeu résiderait non seulement dans la recherche d’un juste équilibre entre les intérêts mentionnés, mais aussi dans les limites du contrôle de la Cour sur les arrêts du juge national. La Cour aurait certes le pouvoir de contrôler que les décisions soumises à son examen soient motivées d’une manière qui ne soit ni manifestement déraisonnable ni arbitraire. En revanche, elle ne pourrait formuler sa propre hypothèse et procéder à une reconstruction des faits ou proposer ses propres critères en substituant sa propre conviction à celle du juge national.

  86. .  A cet égard, le Gouvernement défend la légitimité et l’utilité des mesures prises. Les autorités compétentes auraient exercé une vigilance constante dans l’intérêt de l’enfant et dans celui de ses parents. Toutes les mesures adoptées en l’espèce auraient été justifiées par la nécessité pour les autorités nationales d’adopter une attitude équidistante envers les deux parents, et ce dans l’intérêt exclusif de l’enfant.

  87. .  S’agissant de l’assistance offerte par les autorités internes pour assurer la régularité des rencontres entre le requérant et S., le Gouvernement souligne les mesures mises en œuvre pour faire face aux obstacles dressés par la mère aux rencontres entre le père et l’enfant : la modification des modalités de garde, la mise à disposition de lieux et de personnels, 1’intervention continue des services sociaux à travers des actions de médiation, les entretiens avec les parents et le programme de soutien psychologique qui aurait été mis en place pour tous les membres de la famille. Selon le Gouvernement, des mesures plus draconiennes auraient risqué de traumatiser 1’enfant en 1’éloignant de sa mère.
  88. 78.  Quant aux décisions pénales concernant A.D. auxquelles se réfère le requérant, le Gouvernement souligne qu’il ne s’agit pas de jugements définitifs. Il ne serait dès lors pas possible d’évoquer devant la Cour la « responsabilité » de A.D. Cela étant, ces condamnations démontreraient qu’il n’y a pas eu d’inertie des autorités nationales et que le recours à des sanctions en cas de comportement manifestement illégal du parent avec lequel vit l’enfant en l’espèce n’a pas été écarté.


  89. .  Le Gouvernement conteste enfin les affirmations du requérant selon lesquelles les services sociaux n’ont jamais travaillé en vue de faciliter les rencontres entre le requérant et S. A ses yeux, les services sociaux ont au contraire, en dépit de la relation conflictuelle des parents, travaillé en faisant preuve d’une rigoureuse impartialité à l’égard de ceux-ci, dans l’intérêt de l’enfant.
  90. 2.  Appréciation de la Cour

    80.  Comme la Cour l’a rappelé à maintes reprises, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux, dont la mise en place d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer les droits légitimes des intéressés ainsi que le respect des décisions judiciaires, ou des mesures spécifiques appropriées (voir, mutatis mutandis, Zawadka c. Pologne, nº 48542/99, § 53, 23 juin 2005). Cet arsenal doit permettre à l’Etat d’adopter des mesures propres à réunir le parent et son enfant, y compris en cas de conflit opposant les deux parents (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 108, CEDH 2000-I, Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 68, 24 avril 2003, Zavřel c. République tchèque, no 14044/05, § 47, 18 janvier 2007, et Mihailova c. Bulgarie, no 35978/02, § 80, 12 janvier 2006). Elle rappelle aussi que les obligations positives ne se limitent pas à veiller à ce que l’enfant puisse rejoindre son parent ou avoir un contact avec lui, mais qu’elles englobent également l’ensemble des mesures préparatoires permettant de parvenir à ce résultat (voir, mutatis mutandis, Kosmopoulou c. Grèce, no 60457/00, § 45, 5 février 2004, Amanalachioai c. Roumanie, no 4023/04, § 95, 26 mai 2009, Ignaccolo-Zenide, précité, §§ 105 et 112, et Sylvester, précité, § 70).


  91. .  Pour être adéquates, les mesures visant à réunir le parent et son enfant doivent être mises en place rapidement, car l’écoulement du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre l’enfant et celui des parents qui ne vit pas avec lui (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide, précité, § 102, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003-VII, Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004-V (extraits), Bianchi c. Suisse, no 7548/04, § 85, 22 juin 2006, et Mincheva c. Bulgarie, no 21558/03, § 84, 2 septembre 2010).
  92. 82.  Se penchant sur la présente affaire, la Cour note d’abord que, au moment de leur séparation, le requérant et son ex-compagne n’étaient pas parvenus à un accord sur les modalités du droit de visite paternel. Elle observe que la mère de l’enfant, A.D., s’est très tôt opposée au droit de visite du requérant et qu’elle a, en 2003, saisi le tribunal pour enfants d’une demande visant à l’obtention de la garde exclusive de l’enfant. Le tribunal a fait droit à sa demande tout en accordant au requérant un droit de visite à raison de deux après-midi par semaine, d’un week-end sur deux sans hébergement jusqu’aux trois ans de l’enfant, de trois jours à Pâques, de six jours à Noël et de dix jours pendant les vacances d’été.

    Entre 2003 et 2004, le requérant a saisi à trois reprises le juge des tutelles en signalant l’existence de difficultés dans l’exercice de son droit de visite. Le juge des tutelles s’est borné à confirmer le décret du tribunal. Face à l’impossibilité d’exercer son droit de visite, le requérant a attaqué le décret devant la cour d’appel, laquelle a ordonné que les rencontres, à raison de trois après-midi par mois, se déroulent dans les locaux des services sociaux de Campobasso.

    En juillet 2005, le tribunal a, sur demande du requérant, limité l’autorité parentale de la mère, confié la garde de l’enfant aux services sociaux et autorisé le requérant à rencontrer l’enfant. Il a critiqué le comportement des services sociaux qui, dans leur rapport du 6 juin 2005, avaient tenu compte des déclarations de la mère en ignorant celles du père. Toutefois, nonobstant cette décision, le requérant n’a pu exercer pleinement son droit de visite (paragraphes 18 et 19 ci-dessus).

    83.  En mars et en mai 2006, le tribunal s’est prononcé à nouveau pour constater l’inexécution de ses décrets précédents à cause, en partie, des obstacles dressés par la mère au déroulement des rencontres (paragraphe 20 ci-dessus). Ce n’est qu’en décembre 2006 que le tribunal, après avoir constaté à plusieurs reprises que les décrets précédents n’avaient pas été respectés, a ordonné à A.D. de suivre un programme de soutien psychologique.


  93. .  La Cour rappelle que le fait que les efforts des autorités ont été vains ne mène pas automatiquement à la conclusion que l’Etat a manqué aux obligations positives qui découlent pour lui de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Mihailova, précité, § 82). En effet, l’obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures afin de réunir l’enfant et le parent avec lequel il ne vit pas n’est pas absolue, et la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s’efforcer de faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et, notamment, des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui confère l’article 8 de la Convention (Voleský c. République tchèque, no 63267/00, § 118, 29 juin 2004). Comme la jurisprudence de la Cour le reconnaît de manière constante, la plus grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit de recourir à la coercition en ce domaine délicat (Reigado Ramos c. Portugal, no 73229/01, § 53, 22 novembre 2005), et l’article 8 de la Convention ne saurait autoriser le parent à faire prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant (Elsholz c. Allemagne [GC], nº 25735/94, §§ 49-50, CEDH 2000-VIII). Le point décisif consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter les visites, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles (Nuutinen c. Finlande, nº 32842/96, § 128, CEDH 2000-VIII).
  94. 85.  En l’espèce, la Cour relève que, confronté à l’impossibilité d’exercer son droit de visite, le requérant a une nouvelle fois saisi le tribunal le 30 mai 2007, signalant que sa fille était devenue agressive et qu’elle n’était plus disposée à le rencontrer. La Cour estime que les manquements qu’elle a relevés semblent d’autant plus graves que, compte tenu de l’âge de l’enfant et du contexte familial perturbé, l’écoulement du temps a eu des effets négatifs quant à la possibilité pour le requérant de renouer une relation avec sa fille.

    86.  En 2007, le tribunal, saisi par le requérant, a ordonné une garde conjointe de l’enfant et a chargé les services sociaux d’organiser les rencontres à Termoli et à Rome (§ 30 ci-dessus). En 2009, la cour d’appel s’est limitée à ordonner aux services sociaux d’assurer la mise en œuvre du droit de visite du requérant.


  95. .  Par un décret du 5 novembre 2009, le tribunal a rappelé à nouveau la nécessité pour toutes les parties de donner exécution au décret précédent. Il a suggéré de faire suivre à l’enfant un programme de soutien psychologique, afin de vaincre la résistance opposé par celle-ci aux rencontres avec son père. Entre 2009 et 2010, le requérant a saisi à plusieurs reprises le tribunal pour faire respecter son droit de visite. En octobre 2010, le tribunal a déclaré que les rencontres étaient interrompues de facto.

  96. .  Ce n’est qu’en 2011 que la mère a commencé à ne plus s’opposer aux rencontres. Par conséquent, en novembre 2011, le tribunal a décidé la clôture de la procédure et ordonné aux services sociaux de veiller à la poursuite par l’enfant du programme de soutien psychologique entamé.
  97. 89.  Il convient de rappeler que, dans une affaire de ce type, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre (Maire, précité, § 74, et Piazzi c. Italie, no 36168/09 § 58, 2 novembre 2010). En l’espèce, la Cour note que, selon le Gouvernement, le comportement des services sociaux et du tribunal s’explique par la volonté de ne pas traumatiser davantage l’enfant, et que, toujours selon le Gouvernement, les juridictions internes se sont toujours prononcées sur la demande du requérant et ont pris toutes les mesures nécessaires pour favoriser les contacts entre l’intéressé et sa fille. Or la Cour observe que, alors même que le requérant avait demandé au tribunal la mise en œuvre de ses décisions à plusieurs reprises à partir de 2003, quand l’enfant n’était âgée que de deux ans, le tribunal s’est limité à constater l’inexécution de ses décrets précédents.

    90.  Ainsi, au lieu de prendre des mesures propres à permettre l’exécution du droit de visite du requérant, le tribunal s’est borné à prendre note de la situation de l’enfant et à ordonner à plusieurs reprises aux services sociaux de maintenir le programme de soutien psychologique mis en place d’abord pour la mère puis pour l’enfant. La Cour rappelle à cet égard qu’il ne lui revient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, en particulier parce qu’elles sont en contact direct avec le contexte de l’affaire et les parties impliquées (Reigado Ramos, précité, § 53). Pour autant, elle ne peut en l’espèce passer outre au fait que, à plusieurs reprises, le tribunal a relevé que la non-exécution du droit de visite du requérant était imputable à la mère. De plus, elle observe que le tribunal a attendu 2006 pour ordonner à A.D de suivre un programme de soutien psychologique et 2009 pour ordonner d’en faire bénéficier également l’enfant.

    91.  Cela étant, la Cour reconnaît que les autorités faisaient en l’espèce face à une situation très difficile qui était due notamment aux tensions existant entre les parents de l’enfant. Elle estime cependant qu’un manque de coopération entre les parents séparés ne peut dispenser les autorités compétentes de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial (voir, mutatis mutandis, Reigado Ramos, précité, § 55). Or, en l’espèce, les autorités nationales sont restées en deçà de ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles dès lors que le tribunal a délégué la gestion des rencontres aux services sociaux. Elles ont ainsi failli à leur devoir de prendre des mesures pratiques en vue d’inciter les intéressés à une meilleure coopération, tout en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant (Zawadka, précité, § 67).

    92.  La Cour note, en outre, que le déroulement de la procédure devant le tribunal fait plutôt apparaître une série de mesures automatiques et stéréotypées, telles que des demandes successives de renseignements et une délégation du suivi aux services sociaux leur ordonnant de faire respecter le droit de visite du requérant (Piazzi, précité, § 61). Les autorités ont ainsi laissé se consolider une situation de fait installée au mépris des décisions judiciaires, alors même que l’écoulement du temps avait à lui seul des conséquences sur la relation du père avec son enfant. Il ne semble pas non plus que les autorités aient enjoint aux deux parents de suivre une thérapie familiale (Pedovič c. République tchèque, no 27145/03, § 34, 18 juillet 2006) ou qu’elles aient ordonné un déroulement des rencontres au sein d’une structure spécialisée (voir, par exemple, Mezl c. République tchèque, no 27726/03, § 17, 9 janvier 2007, et Zavřel, précité, § 24). La Cour constate que, compte tenu du très jeune âge de l’enfant au moment de la séparation de ses parents, une telle rupture du contact avec son père suivie d’un droit de visite limité du fait du non-déroulement des rencontres programmées a rendu impossible pour le requérant la construction d’une relation stable avec S.


  98. .  Dans ces circonstances, la Cour estime que, face à pareille situation, les autorités auraient dû prendre des mesures plus directes et plus spécifiques visant au rétablissement du contact entre le requérant et sa fille. En particulier, la médiation des services sociaux aurait dû être utilisée pour encourager les parties à coopérer et ceux-ci auraient dû, conformément aux décrets du tribunal, organiser toutes les rencontres entre le requérant et sa fille, y compris celles qui auraient dû se dérouler à Rome. Or les juridictions internes n’ont pris aucune mesure appropriée pour créer pour l’avenir les conditions nécessaires à l’exercice effectif du droit de visite du requérant (Macready c. République tchèque, nos 4824/06 et 15512/08, § 66, 22 avril 2010, et Piazzi, précité, § 61).

  99. .  Eu égard à ce qui précède et nonobstant la marge d’appréciation de l’Etat défendeur en la matière, la Cour considère que les autorités nationales ont manqué à déployer des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de visite du requérant, et qu’elles ont ainsi méconnu le droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention.

  100. .  Partant, il y a eu violation de cette disposition.
  101. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    96.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  102. .  Le requérant réclame la réparation d’un préjudice moral qui serait résulté de l’impossibilité d’avoir une relation stable avec sa fille et de l’angoisse générée par cette situation. Il demande 230 000 euros (EUR) à ce titre.

  103. .  Le Gouvernement s’oppose à cette demande et dénonce la nature « financière » de la requête.

  104. .  En tenant compte des circonstances de l’espèce et du constat selon lequel le requérant s’était heurté à l’impossibilité de construire une relation stable avec sa fille, la Cour considère que l’intéressé a subi un préjudice moral qui ne saurait être réparé par le seul constat de violation de l’article 8 de la Convention. Elle estime toutefois que la somme réclamée à ce titre est excessive. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue à l’intéressé 15 000 EUR de ce chef.
  105. B.  Frais et dépens


  106. .  Le requérant demande également 7 034 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 8 788 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Il demande également 12 000 EUR pour les frais qu’auraient entraînés ses déplacements et séjours à Campobasso pour assister aux audiences devant le tribunal et la cour d’appel.

  107. .  Le Gouvernement prie la Cour de ne pas accueillir cette demande.

  108. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et à la lumière de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 10 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
  109. C.  Intérêts moratoires


  110. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  111. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i.  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii.  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                   Danutė Jočienė
            Greffier                                                                              Présidente


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