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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GRAMAXO ROZEIRA v. PORTUGAL - 21976/09 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 71 (21 January 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/71.html
Cite as: [2014] ECHR 71

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE GRAMAXO ROZEIRA c. PORTUGAL

     

    (Requête no 21976/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    21 janvier 2014

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Gramaxo Rozeira c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Işıl Karakaş,
              Peer Lorenzen,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 21976/09) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Gustavo Jorge Gramaxo Rozeira (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me J. P. Brochado, avocat à Porto. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Graça de Carvalho, procureur général adjoint.

    3.  Le requérant se plaint, en invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable en raison de la non-communication d’une lettre adressée par le Premier ministre au Tribunal constitutionnel et de l’impossibilité d’y répondre.

    4.  Le 9 juillet 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1978 et réside à Porto.

    6.  Le 1er mars 2002, le requérant fut recruté pour une durée déterminée en tant que chargé de cours par l’Institut polytechnique de Cávado et Vale do Ave (ci-après « l’Institut »). En l’occurrence, sa nomination eut lieu en vertu de l’article 12 du Statut du personnel enseignant de l’enseignement supérieur polytechnique (ci-après « le Statut »), régi par le décret-loi no 185/81, du 1er juillet 1981. En vertu de celui-ci, le contrat aurait une durée initiale d’une année et serait renouvelable pour des périodes de deux ans. En outre, selon l’article 12 § 2 :

    « Les reconductions (...) devront être expresses et fondées sur une délibération favorable du conseil scientifique. »

    7.  Le 29 septembre 2003, le conseil scientifique de l’Institut approuva le renouvellement du contrat. Il fit également droit à une demande du requérant en vue d’un congé sabbatique pendant une période d’un an. Ce congé fut ensuite reconduit, par une décision du 28 juillet 2004.

    8.  Le 11 janvier 2005, le requérant demanda le renouvellement de son contrat.

    9.  Par une lettre du 15 mars 2005, l’Institut informa le requérant que son contrat avait expiré étant donné que le conseil scientifique de l’Institut n’avait pas donné d’avis favorable en vue de sa reconduction comme l’exigeait l’article 12 alinéa 2 du Statut.

    10.  Le 31 mars 2005, le requérant saisit le tribunal administratif et fiscal de Braga d’une demande visant à faire reconnaître que son contrat aurait dû être tacitement reconduit. Il alléguait, entre autres, que l’article 12 alinéa 2 du décret-loi no 185/81, du 1er juillet 1981 était contraire à la Constitution. Pour le requérant, la disposition incriminée souffrait non seulement d’inconstitutionnalité organique et matérielle mais aussi formelle, les organisations syndicales représentatives des travailleurs n’ayant pas été invitées à donner leur avis au moment de l’adoption de la disposition en cause, comme l’exigeait l’article 56 alinéa 2 lettre a) de la Constitution.

    11.  Par un jugement du 24 mai 2006, le tribunal administratif débouta le requérant de ses prétentions. Se référant à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel en la matière, le tribunal administratif rejeta les trois moyens soulevés par le requérant concernant la prétendue inconstitutionnalité de l’article 12 du Statut. Le tribunal considéra notamment que l’absence de mention expresse au sujet de la participation des organisations représentatives des travailleurs aux travaux de la loi régissant le Statut ne signifiait pas qu’elle n’avait pas eu lieu.

    12.  Le 5 juin 2006, dans une Requête adressée au tribunal administratif et fiscal de Braga, le requérant déclara renoncer à tout recours ordinaire, formant directement un appel devant le Tribunal constitutionnel. Dans son mémoire de recours, le requérant reprenait les moyens qu’il avait déjà soulevés concernant l’inconstitutionnalité de l’article 12 du Statut. Il alléguait en particulier que l’absence de référence à l’audition des organisations représentatives des travailleurs dans le préambule du décret-loi no 185/81 du 1er juillet 1981 faisait présumer que celles-ci n’avaient pas participé à l’élaboration du Statut, en violation de la Constitution.

    13.  Par une ordonnance du 31 mars 2008, le juge rapporteur chargé de l’affaire au Tribunal constitutionnel adressa une demande d’information au Premier ministre visant à savoir si les organisations syndicales avaient participé à l’élaboration dudit décret-loi 185/81 du 1er juillet 1981 et en particulier concernant l’article 12.

    14.  Par une lettre du 26 mai 2008, le chef du cabinet du Premier ministre transmit au Tribunal constitutionnel une lettre du chef de cabinet du ministère de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement supérieur (Ministério da Ciência, Tecnologia e Ensino Superior). Celle-ci précisait qu’il n’avait pas été possible de retrouver le dossier concernant la préparation et l’adoption dudit Statut. Annexé à cette même lettre, un avis du secrétaire général du ministère de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement supérieur faisait également valoir que le droit des travailleurs de l’administration publique de participer aux débats concernant la législation sur leurs conditions de travail n’avait été reconnu qu’en 1984, n’étant ainsi pas applicable au Statut, adopté en 1981.

    15.  Par une ordonnance du 13 août 2008, le juge rapporteur transmit la correspondance susmentionnée et ses annexes aux autres juges de la chambre.

    16.  La lettre du 26 mai 2008, ses annexes, et l’ordonnance du juge rapporteur du 13 août 2008 ne furent pas portés à la connaissance, ni du requérant, ni de la partie défenderesse.

    17.  Par un arrêt du 11 février 2009, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours du requérant, jugeant que l’article 12 alinéa 2 du Statut n’était pas contraire à la Constitution. S’agissant en particulier du moyen portant sur l’inconstitutionnalité formelle, la haute juridiction considéra que la Constitution de 1976 prévoyait bien la participation des organisations syndicales des travailleurs de la fonction publique aux débats législatifs concernant leurs conditions de recrutement et d’emploi. Elle estima, cependant, qu’un tel droit n’avait été réglementé qu’à partir de 1984, rendant à ce moment obligatoire de mentionner la consultation des organisations représentatives des travailleurs dans la législation en cause. Elle s’exprima ainsi :

    « (...) le décret-loi no 185/81 ne fait aucune référence, notamment dans son préambule, à l’audition des organisations syndicales représentatives des travailleurs potentiellement concernés. En outre, des démarches officieusement entreprises, il ressort qu’il n’a pas été possible de retrouver le dossier relatif à l’élaboration du Statut du personnel enseignant de l’enseignement supérieur polytechnique.

    Il serait toutefois précipité de tirer de ce fait une quelconque conclusion. Étant donné qu’à cette époque, la participation des associations syndicales dans ce domaine n’était pas réglementée, l’organisation et la coordination d’un tel service n’étant par conséquent pas requise, tel qu’il est apparu à partir de l’article 14 du décret-loi no 45/84, on peut comprendre que les registres correspondants ne soient pas retrouvés, passées deux décennies.

    (...)

    Il apparaît qu’à la date de la publication du décret-loi no 185/81, aucune disposition légale ne prévoyait, même de façon indirecte, qu’une telle mention [l’audition des associations syndicales] soit indiquée dans la législation de la fonction publique.

    (...) »

    Pour le Tribunal constitutionnel, le fait que la consultation des organes représentatifs des travailleurs ne soit pas indiquée dans la loi régissant le Statut ne peut faire présumer qu’elle n’a pas eu lieu. C’est ainsi qu’il en conclut à la constitutionnalité du Statut et de son article 12 alinéa 2 en particulier.

    18.  Dans son arrêt, le Tribunal constitutionnel condamna aussi le requérant au paiement de 2 400 euros pour les frais de justice s’agissant de la procédure constitutionnelle. Par une ordonnance du 30 septembre 2009, le Tribunal constitutionnel considéra toutefois que le paiement ne serait, pour le moment, pas exigé étant donné que l’assistance judiciaire dans la modalité de dispense de paiement des frais judiciaires avait entretemps été octroyée au requérant.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    19.  Le droit de participation des organisations représentatives des travailleurs dans l’élaboration de la législation du travail est prévu à l’article 56 alinéa 2 de la Constitution (ancien article 58 alinéa 2 lettre a)), lequel stipule :

    « (...)

    2 Les syndicats disposent des droits suivants:

    a) participer à l’élaboration de la législation portant sur le droit du travail;

    (...) »

    20.  Le décret-loi no 45-A/84 du 25 octobre 1984 a réglementé le droit de négociation des travailleurs de l’administration publique, l’article 9 prévoyant :

    « Les travailleurs de l’administration publique ont le droit de participer, à travers leurs associations syndicales à :

    a) L’élaboration de la législation relative au régime général ou spécial de la fonction publique.

    (...) ».

    21.  Les dispositions pertinentes de la loi organique sur le Tribunal Constitutionnel (loi no 28/82 du 15 novembre dans sa rédaction issue de la loi 13-A/98 du 26 février 1998) se lisent ainsi :

    Article 70

    Décisions dont il est possible de faire appel

    « Il est possible de faire appel devant les sections du Tribunal Constitutionnel des décisions des tribunaux :

    (...)

    b) Qui appliquent une norme dont l’inconstitutionnalité avait été soulevée dans le cadre de la procédure.

    (...)

    2. Les recours prévus aux alinéas b) à f) de l’alinéa précédent sont possibles seulement lorsque les décisions n’admettent plus de recours ordinaires, soit parce qu’ils ne sont pas prévus par la loi, soit parce qu’ils ont tous été épuisés (...).

    (...)

    4. Les recours sont considérés épuisés, aux termes de l’alinéa 2, lorsqu’on y a renoncé (...). »

    Article 78-B

    Pouvoirs du rapporteur

    « 1. Il appartient aussi aux rapporteurs (...) d’ordonner ou rejeter le versement de documents et d’avis juridiques au dossier (...).

    (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU CARACTÈRE EQUITABLE DE LA PROCÉDURE

    22.  Le requérant estime que le défaut de communication de la lettre du cabinet du Premier ministre adressée au Tribunal constitutionnel dans le cadre de la procédure litigieuse et l’impossibilité d’y répondre ont porté atteinte à son droit tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    23.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    24.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties

    25.  Le requérant estime que son droit à un procès équitable a été méconnu en raison de la non-communication de la lettre du Premier ministre, laquelle était accompagnée d’une information provenant du ministère de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement Supérieur et d’un avis juridique du secrétaire-général de ce ministère.

    26.  Pour le requérant, le fait que cette lettre ait été versée au dossier de la procédure et portée à la connaissance des autres juges intégrant la formation judiciaire en charge de l’affaire démontre son importance dans le cadre de la procédure devant le Tribunal constitutionnel.

    27.  Il affirme notamment que l’information selon laquelle il n’avait pas été possible de retrouver le dossier concernant l’adoption du décret-loi n185/81 aurait pu lui permettre de confirmer que les syndicats n’avaient pas participé auxdites négociations. La charge de la preuve aurait ainsi été renversée et l’administration aurait été contrainte de prouver que la participation des syndicats au projet avait effectivement eu lieu.

    28.  Selon le Gouvernement, les éléments envoyés par le cabinet du Premier ministre n’ont introduit aucune question nouvelle ou pertinente qui aurait pu justifier qu’ils aient été portés à la connaissance des parties. D’une part, la lettre provenant du ministère de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement Supérieur s’est limitée à indiquer que le dossier relatif à l’élaboration de la loi en cause n’avait pas été retrouvé, ne permettant pas ainsi de clarifier s’il y avait eu participation ou non des syndicats à l’élaboration de la loi litigieuse. D’autre part, l’avis juridique du secrétaire-général de ce ministère réitérait les arguments qui avaient déjà été soulevés par la défenderesse au sujet de la non-application de la loi sur le droit de négociation collective des travailleurs de l’administration publique. Le Gouvernement fait également valoir que la thèse qui était défendue par le secrétariat-général n’a pas été suivie par le Tribunal constitutionnel, lequel a considéré, à l’inverse, que les associations représentatives des travailleurs de l’administration publique disposaient bien, au moment des faits, du droit de participer à l’élaboration des lois portant sur leurs conditions de travail.

    29.  Pour le Gouvernement, le requérant n’a pas été lésé par la non-communication de la lettre provenant du cabinet du Premier ministre vu que les observations du ministère de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement Supérieur ne se prononçaient pas quant aux effets de l’omission d’une quelconque participation des organisations représentatives des travailleurs dans le préambule du décret-loi no 185/81.

    30.  Le Gouvernement estime que le principe du contradictoire n’exige que les parties soient informées que des pièces qui sont pertinentes. Or, dans le cas d’espèce, ni l’information donnée par le Premier ministre, ni l’avis du ministère de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement Supérieur n’ont eu une incidence sur la solution juridique du litige. Il n’y a donc pas eu violation du principe du contradictoire et, dès lors, atteinte au droit du requérant à un procès équitable.

    2.  Appréciation de la Cour

    31.  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la notion de procès équitable implique en principe le droit pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir Lobo Machado c. Portugal, 20 février 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996-I ; Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, § 33, Recueil 1996-I ; Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, §§ 23-24, Recueil 1997-I et, récemment, Novo et Silva c. Portugal, no 53615/08, § 54, 25 septembre 2012). Ce principe vaut pour les observations et pièces présentées par les parties, mais aussi pour celles présentées par un magistrat indépendant tel que le commissaire du Gouvernement (actuellement rapporteur public) (Kress c. France [GC], no 39594/98, CEDH 2001-VI), par une administration (Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, 3 mars 2000) ou par la juridiction auteur du jugement entrepris (Nideröst-Huber c. Suisse, précité).

    32.  En l’espèce, la Cour constate que ce n’est pas la partie adverse qui a produit la pièce litigieuse mais le cabinet du Premier ministre, sur demande du juge rapporteur en charge de l’affaire devant le Tribunal constitutionnel. Même si cette lettre a été versée au dossier et communiquée aux autres juges de chambre le 13 août 2008 (voir ci-dessus paragraphe 15), le requérant n’a pris connaissance des démarches entreprises qu’au moment où l’arrêt a été prononcé. Il n’a donc pas pu se prononcer quant au contenu de cette lettre.

    33.  La Cour note que la question litigieuse portait sur la participation ou non des associations représentatives des travailleurs à l’élaboration du décret-loi no 185/81 du 1er juillet 1981 et sur ses effets sur le plan constitutionnel.

    34.  Elle observe que le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours du requérant en estimant, à l’instar du tribunal administratif et fiscal de Braga (voir ci-dessus paragraphe 11), que l’absence d’une mention expresse dans le préambule de la loi litigieuse au sujet de la participation des organisations syndicales ne signifiait pas qu’elle n’avait pas eu lieu.

    35.  La Cour note que l’arrêt de la haute juridiction fait expressément référence aux informations obtenues du cabinet du Premier ministre. Tel qu’indiqué ci-dessus au paragraphe 17, la haute juridiction a effectivement relevé que le dossier relatif à l’élaboration de la loi litigieuse n’avait pas été retrouvé, démontrant ainsi que cette information aurait pu potentiellement avoir une incidence sur l’issue du litige. Par ailleurs, même si les informations qui accompagnaient la lettre du Premier ministre n’apportaient pas d’éléments nouveaux, la Cour estime qu’il appartenait au requérant de discuter de leur pertinence dans le cadre de la procédure. En effet, comme elle l’a dit à maintes reprises dans des situations comparables, c’est aux seules parties au litige qu’il appartient d’apprécier si un document appelle des commentaires, peu important l’effet réel des observations sur la décision du tribunal (Ziegler c. Suisse, no 33499/96, § 38, 21 février 2012). Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : elle se fonde, entre autres, sur l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce au dossier (Ferreira Alves c. Portugal (no 3), no 25053/05, § 41, 21 juin 2007 ; Nideröst-Huber, précité, §§ 27 et 29 ; H.A.L. c. Finlande, no 38267/97, §§ 44-47, 7 juillet 2004). En l’occurrence, il s’agissait d’un document venant d’un ministère apportant une information quant aux faits et une prise de position par rapport à la question litigieuse, ce qui distingue  la présente affaire de la situation exceptionnelle de la Liga Portuguesa de Futebol Profissional c. Portugal ((déc.), no 49639/09, § 38, 3 avril 2012) où il était question d’un avis juridique du ministère public sans aucune incidence sur l’issue du litige.

    36.  Si l’on peut concevoir des situations exceptionnelles dans lesquelles certaines pièces du dossier, en raison par exemple de leur caractère confidentiel ou lié à la sécurité de l’État, ne seraient pas connues des parties, d’où l’expression « en principe » figurant dans l’arrêt Lobo Machado, tel n’était certainement pas le cas de la lettre en question.

    37.  En l’espèce, le respect du droit au procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, exigeait que le requérant fût informé de l’envoi de la lettre du cabinet du Premier ministre et qu’il eût la possibilité de la commenter. Tel n’ayant pas été le cas, il y a eu violation de cette disposition.

    II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    38.  Le requérant affirme que le montant des frais judiciaires qu’il a été condamné à payer porte atteinte à son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Sous l’angle de cette même disposition, il dénonce aussi la durée excessive de la procédure.

    39.  La Cour observe que le requérant a eu pleinement accès à un tribunal, le litige ayant d’ailleurs été tranché. Elle relève que les frais de justice ont été fixés au terme de la procédure. A cet égard, elle constate que l’assistance judiciaire a été octroyée par la suite au requérant (voir ci-dessus paragraphe 18), le décompte des frais judiciaires ayant alors été considéré sans effet par le Tribunal constitutionnel. Le requérant n’est donc pas tenu de les payer.

    40.  S’agissant de la durée de la procédure, la Cour note que la période à prendre en considération a commencé le 31 mars 2005, date d’introduction de l’action devant le tribunal administratif et fiscal de Braga, et s’est terminée le 11 février 2009, avec l’arrêt du Tribunal constitutionnel. La procédure a ainsi duré 3 années, 11 mois et 9 jours sur deux instances, l’une d’elle étant le Tribunal constitutionnel. La Cour note que la procédure devant la haute juridiction a duré 2 années, 8 mois et 9 jours.

    41.  La Cour rappelle que si les cours constitutionnelles sont soumises au principe de célérité, en l’espèce, l’objet de la demande formulée par le requérant n’imposait pas au Tribunal constitutionnel d’agir avec une diligence exceptionnelle, comme c’est le cas pour certains types de litiges (Süßmann c. Allemagne, 16 septembre 1996, § 61, Recueil 1996-IV). Dès lors, la Cour considère que la durée de la procédure n’a pas dépassé le « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

    42.  Au vu des observations qui précèdent, la Cour estime que les griefs tirés du défaut d’accès à un tribunal et de la durée de la procédure sont manifestement mal fondés et doivent, par conséquent, être rejetés conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    43.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    44.  Le requérant réclame 2 400 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi du fait des frais judiciaires qu’il a été condamné à payer en qualité de partie perdante de la procédure. Il affirme que, même si l’assistance judiciaire lui a entretemps été accordée, le paiement de cette somme lui sera exigé si sa situation financière s’améliore. Le requérant demande également 10 000 EUR pour le préjudice moral.

    45.  Le Gouvernement conteste ces prétentions. En particulier, il estime que le requérant n’a subi aucun préjudice matériel vu qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire dans le cadre de la procédure interne.

    46.  La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que le requérant n’a pas bénéficié des garanties d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Pour ce qui est du dommage matériel réclamé, la Cour estime qu’on ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure devant le Tribunal constitutionnel aurait abouti si l’infraction à la Convention n’avait pas eu lieu. En outre, en l’espèce, la Cour relève que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire. La Cour estime donc qu’il n’y a donc pas lieu d’accorder au requérant une indemnité au titre du préjudice matériel. Elle estime par ailleurs que le constat d’une violation de l’article 6 § 1 fournit une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral éventuellement subi par le requérant.

    B.  Frais et dépens

    47.  Le requérant demande également 6 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

    48.  Le Gouvernement estime que cette somme est exagérée et n’est pas étayée.

    49.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime équitable la somme de 2 500 EUR, tous frais confondus, et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    50.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR,

    1.  Déclare, à l’unanimité, la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention relatif au caractère équitable de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au caractère équitable de la procédure ;

     

    3.  Dit, par six voix contre une, que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

     

    4.  Dit, par six voix contre une,

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 janvier 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Popović.

    G.R.A.
    S.H.N.

     

     


    OPINION DISSIDENTE DU JUGE POPOVIĆ

    Je ne peux me rallier à la position adoptée en l’espèce par la majorité, pour les raisons exposées ci-après.

     

    La majorité a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention sur la base du défaut de communication au requérant de la lettre que le Premier ministre avait adressée au Tribunal constitutionnel pour les besoins de la procédure suivie devant celui-ci. La question que la haute juridiction avait posée au Premier ministre portait sur l’élaboration de la loi interne dont l’application était en cause. Plus précisément, elle visait à savoir si les syndicats avaient participé à l’élaboration de la législation sur le droit du travail, comme l’exigeait l’article 56 alinéa 2 de la Constitution portugaise.

     

    Au paragraphe 35 du présent arrêt, il est indiqué que le cabinet du Premier ministre avait répondu que « le dossier relatif à l’élaboration de la loi litigieuse n’avait pas été retrouvé ». Après avoir reçu cette réponse, qui en effet corroborait la thèse du requérant, la haute juridiction nationale lui avait donné raison sur ce point. Le Tribunal constitutionnel portugais avait fondé son arrêt sur le fait que les associations syndicales n’avaient pas participé à l’élaboration de la loi litigieuse !

     

    Comme indiqué au paragraphe 17 du présent arrêt, la haute juridiction nationale avait estimé justifiée la manière dont la loi en question avait été élaborée, au motif que la participation syndicale n’était pas réglementée au moment où cette loi avait été élaborée.


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