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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SANDU VOICU v. ROMANIA - 45720/11 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 247 (03 March 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/247.html Cite as: [2015] ECHR 247 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SANDU VOICU c. ROUMANIE
(Requête no 45720/11)
ARRÊT
STRASBOURG
3 mars 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sandu Voicu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall,
président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
Valeriu Griţco, juge suppléant,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 février 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45720/11) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Sandu Voicu (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me L. Pestriţu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue en particulier qu’il a été détenu sans recevoir les soins et l’aide à la personne adéquats et que, en raison des maladies dont il souffrait, notamment d’affections à la colonne vertébrale et d’épilepsie, les conditions de sa détention ont constitué un traitement inhumain.
4. Le 26 juin 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1962 et réside à Găneasa, dans l’Ilfov.
6. Il a été incarcéré du 17 mai 2006 au 10 janvier 2012 en exécution d’une peine de prison infligée par un arrêt rendu par la cour d’appel de Bucarest et confirmé par la Haute Cour de cassation et de justice le 19 avril 2007.
7. À la prison de Bucarest Jilava dans laquelle il a passé la majeure partie de sa détention, il a partagé les cellules qu’il a successivement occupées avec un nombre de personnes variant entre 13 et 26. Selon les informations fournies par le Gouvernement et ressortant de la lettre écrite par le directeur de la prison de Bucarest Jilava le 10 octobre 2012, l’espace dont chaque détenu aurait disposé était compris, pendant cette période, en fonction des cellules que le requérant a occupées, entre 1,70 et 2,30 m².
A. Évolution médicale et absence d’aide permanente à la personne
8. Le requérant fut déclaré cliniquement sain par les médecins lors de son incarcération le 17 mai 2006.
9. À partir de 2009, plusieurs pathologies furent diagnostiquées chez lui, à savoir une épilepsie, une hernie lombaire opérée en 2009 avec récidive en 2011, une polydiscopathie vertébrale cervicale, une gonarthrose et un diabète. Il a également été victime d’un accident vasculaire cérébral en septembre 2010.
10. Ainsi qu’il ressort de la lettre du 10 octobre 2012 du directeur de la prison de Bucarest Jilava, compte tenu de ces maladies, le requérant a été reconnu, à une date non précisée mais antérieure à fin 2010, comme étant atteint d’un handicap de deuxième degré.
11. Le requérant affirme qu’il a eu en prison de nombreuses crises d’épilepsie, au cours desquelles il ne pouvait maîtriser ses sphincters et au sortir desquelles il ne recevait l’aide de personne.
12. Le 24 décembre 2010, le requérant s’est vu octroyer une aide ponctuelle pour le déplacement de ses effets personnels.
13. Ainsi qu’il ressort du rapport de l’institut médicolégal du 4 février 2011, les médecins, reprenant la recommandation médicale du 18 janvier 2011 du médecin de l’hôpital d’urgence Bagdasar Arseni, avaient recommandé l’octroi au requérant d’une aide permanente à la personne du fait de son invalidité. Ainsi qu’il ressort de la lettre du 10 octobre 2012 du directeur la prison de Bucarest Jilava, aucune suite ne fut donnée à cette recommandation.
14. Le requérant soutient que, étant donné les souffrances que ses maladies lui auraient causées, les conditions matérielles de sa détention à la prison de Bucarest Jilava lui sont devenues de plus en plus difficilement supportables, en raison notamment du manque de soins médicaux adéquats et d’une aide permanente à la personne.
B. Les interruptions de l’exécution de la peine
15. Au cours de sa détention, le requérant a demandé l’interruption de l’exécution de sa peine pour des raisons de santé. Il l’a obtenue pour deux périodes, à savoir du 24 novembre 2008 au 1er juillet 2009 et du 19 mai au 26 août 2010, soit dix mois au total.
16. Après l’opération chirurgicale de la colonne vertébrale qu’il a subie en 2009 pendant l’une de ces interruptions, il s’est vu recommander des séances de rééducation. Ainsi qu’il ressort de la même lettre du 10 octobre 2012, aucune suite n’a été donnée à cette recommandation. Les médecins préconisèrent par la suite une nouvelle intervention chirurgicale sur la colonne vertébrale.
17. De l’avis des médecins qui ont examiné le requérant lors de la seconde période d’interruption de l’exécution de sa peine, l’opération recommandée n’a pas été réalisée parce que l’état du patient après la première opération n’aurait pas été suffisamment bon. L’intéressé fut donc réincarcéré le 26 août 2010 sans avoir été réopéré.
C. La rééducation médicale
18. Il ressort toujours de la même lettre que, pendant la durée de son incarcération, le requérant a été hospitalisé à deux reprises à l’hôpital pénitentiaire de Bucarest Rahova pour bénéficier des séances de rééducation recommandées par les médecins, à savoir du 11 janvier au 11 février et du 25 mai au 7 juin 2011, soit un mois et demi au total.
19. Examiné le 16 et le 17 mars 2011 par un médecin du service de neurochirurgie de l’hôpital clinique universitaire de Bucarest, le requérant s’est vu recommander des « séances de kinésithérapie pour sa pathologie dégénérative spinale ».
20. D’après la lettre du 10 octobre 2012 précitée, lors de la deuxième période d’hospitalisation à l’hôpital pénitentiaire de Bucarest Rahova, il a été établi qu’en raison de la gravité de la pathologie neuropsychiatrique du requérant, à savoir son épilepsie et son accident vasculaire cérébral, il était « contre-indiqué de poursuivre les séances de récupération à cause du risque de décompensation irréversible ».
21. Les 19 août, 14 septembre et 18 octobre 2011, le requérant refusa d’être transféré à l’hôpital pénitentiaire de Jilava.
D. Recours formés après la dernière interruption de l’exécution de la peine
22. Par un arrêt du 25 novembre 2010, la cour d’appel de Bucarest, suivant les conclusions du rapport médicolégal réalisé dans le cadre de cette procédure, selon lequel la seconde intervention chirurgicale que l’état du requérant nécessitait pouvait être pratiquée en régime d’hospitalisation sous escorte (efecturea intervenţiei chirurgicale prin internare sub pază) cassa le jugement du tribunal départemental de Bucarest du 22 juillet 2010 favorable au requérant et rejeta la demande de l’intéressé tendant à la reconduction de la seconde interruption de l’exécution de sa peine.
23. Cette intervention chirurgicale ne fut toutefois pas pratiquée, malgré plusieurs hospitalisations du requérant à partir de janvier 2011.
24. Les plaintes que celui-ci a formulées au motif qu’il n’aurait, en dépit de l’arrêt du 25 novembre 2010, pas promptement reçu les soins médicaux adéquats, notamment l’opération recommandée, ont été rejetées par des jugements du 17 mars et du 24 octobre 2011 du juge délégué chargé de la surveillance de l’exécution des peines à la prison de Bucarest Jilava.
25. La contestation que le requérant a formée contre le jugement du 17 mars 2011 fut rejetée par une décision du 4 mai 2011 du tribunal de première instance de Bucarest, au motif que l’intéressé n’avait pas saisi l’opportunité de se faire opérer à la colonne vertébrale pendant la dernière période d’interruption de l’exécution de sa peine et qu’on ne pouvait pas reprocher à l’administration de la prison de ne pas l’avoir présenté régulièrement à l’hôpital.
26. Par des décisions du 11 avril et du 6 décembre 2011, le juge délégué débouta le requérant de ses deux autres requêtes visant à l’obtention d’un allègement du régime d’exécution de sa peine.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
27. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 relative à l’exécution des peines ainsi que la pratique judiciaire nationale pertinente sont brièvement décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, §§ 56 et 60, 13 novembre 2012).
28. Le droit interne pertinent concernant l’interruption de l’exécution des peines est exposé dans la décision Matei c. Roumanie ((déc.), no 26244/10, § 27, 20 mai 2014).
29. Les autres dispositions du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a rendues à la suite de plusieurs visites qu’il a effectuées dans des prisons de Roumanie, dont la prison de Jilava, tout comme ses observations à caractère général sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).
30. Enfin, des extraits d’un rapport plus récent daté du 12 juin 2008, dressé par une organisation non gouvernementale locale à la suite d’une visite à la prison de Jilava, ont été repris dans l’arrêt Remus Tudor c. Roumanie (no 19779/11, § 18, 15 avril 2014).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
31. Le requérant allègue que les conditions de sa détention étaient contraires à l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
32. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes pour ce qui est du grief du requérant relatif à la qualité de l’eau et de la nourriture au sein de la prison. À cet égard, il indique que le requérant n’a jamais soulevé ce problème ni auprès de l’administration de la prison ni auprès du juge délégué chargé de la surveillance de l’exécution des peines ni auprès des autres autorités judiciaires compétentes.
33. Le requérant soutient que, en demandant l’interruption de l’exécution de sa peine au motif que son état de santé était incompatible avec l’emprisonnement, il s’est plaint aussi de toutes les insuffisances des conditions de sa détention, d’autant plus insupportables pour lui qu’il aurait souffert de différentes maladies.
34. La Cour note que, à la différence des affaires dans lesquelles les requérants dénoncent les seules conditions matérielles de détention, la présente requête porte principalement sur l’inadéquation des conditions matérielles de détention aux maladies du requérant. De ce fait, il convient d’examiner dans leur ensemble tous les aspects relevant de l’article 3 que le requérant a dénoncés (V.D. c. Roumanie, no 7078/02, § 86, 16 février 2010).
35. La Cour observe par ailleurs que le Gouvernement n’a pas indiqué de quelle manière les voies de recours qu’il a évoquées auraient pu remédier aux insuffisances que le requérant a dénoncées et qui concernent pour l’essentiel les conditions de son accueil en prison en tant que personne handicapée souffrant de plusieurs maladies invalidantes.
36. En revanche, elle observe que le requérant a bien épuisé les voies de recours susceptibles d’apporter un redressement aux problèmes soulevés par lui en formant des demandes d’interruption de l’exécution de sa peine et de prolongation de cette interruption. Estimant sa prise en charge médicale en prison insuffisante, il a de plus saisi le juge délégué chargé de la surveillance de l’exécution des peines au sujet des aspects essentiels de la requête qu’il a portée par la suite devant la Cour (voir, a contrario, la décision Matei, précitée, §§ 37-38).
37. Partant, il convient de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.
38. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
39. Le requérant indique que, lors de son incarcération en 2006, il a été évalué médicalement et considéré comme « cliniquement sain » et qu’il a été examiné une seule fois et seulement par un médecin ORL au cours d’une période de près de deux ans entre 2006 et 2008. Ce n’est que depuis 2008 qu’il est devenu un patient du service de neurochirurgie de l’hôpital Bagdasar Arseni. Il ajoute que, à partir de 2010, son état de santé s’est encore aggravé alors qu’il se serait trouvé incarcéré dans des cellules de 40 m², occupées par vingt personnes en moyenne. Or, malgré l’inadéquation selon lui des conditions de sa détention à son état de santé, les juridictions nationales auraient rejeté ses recours. Le requérant estime, de ce fait, avoir été soumis à un traitement inhumain contraire à l’article 3 de la Convention.
40. Le Gouvernement conteste les allégations du requérant, notamment en ce qui concerne la fréquence de ses crises d’épilepsie, et soutient que les autorités nationales lui ont accordé l’assistance médicale nécessaire, et ce dans le respect des exigences de l’article 3 de la Convention. Il indique que le requérant a bénéficié de nombreux examens et traitements médicaux tout comme du régime alimentaire prescrit par les médecins, qu’il a été régulièrement hospitalisé et qu’il s’est vu accorder à deux reprises - pour une durée de dix mois au total - une interruption de sa peine de prison pour des raisons de santé. Il reproche à l’intéressé de ne pas avoir saisi la dernière de ces opportunités pour se faire opérer.
41. Le Gouvernement soutient de plus que, même après avoir été réincarcéré pour exécuter le restant de sa peine, l’intéressé a été régulièrement suivi sur le plan médical. Il ajoute que, de plus, en tant que personne souffrant d’un handicap considéré comme étant de deuxième degré, l’intéressé s’est vu octroyer l’aide correspondant à cette catégorie de handicap, à savoir une aide pour le déplacement de ses effets personnels. Il précise qu’il n’y avait pas d’obligation d’offrir une aide permanente à la personne aux personnes touchées par un handicap de ce degré. Enfin, d’après le Gouvernement, le requérant n’a pas contesté les conclusions du rapport de la commission d’évaluation de son handicap.
2. Appréciation de la Cour
42. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime. Elle rappelle également que, si les mesures privatives de liberté s’accompagnent ordinairement de souffrances et d’humiliations, on ne saurait toutefois considérer qu’un placement en détention pose en soi un problème sur le terrain de l’article 3 de la Convention. De même, cette disposition ne peut être interprétée comme établissant une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le placer dans un hôpital civil afin de lui permettre d’obtenir un traitement médical d’un type particulier (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 93, CEDH 2000-XI).
43. Cela étant, l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que toute personne privée de liberté est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être de la personne privée de liberté sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła, précité, § 94, et Gagiu c. Roumanie, no 63258/00, §§ 55-64 et 75, 24 février 2009).
44. En l’espèce, la Cour note que, près de deux ans après son incarcération en exécution d’une peine de sept ans de prison, il a été diagnostiqué que le requérant souffrait d’un certain nombre de maladies dont une épilepsie, une hernie lombaire opérée en 2009 avec récidive en 2011, une polydiscopathie vertébrale cervicale, une gonarthrose et un diabète, et qu’il avait également été victime d’un accident vasculaire cérébral en septembre 2010.
45. S’il est vrai que ces maladies n’ont été diagnostiquées que deux ans après son placement en détention, il n’en reste pas moins qu’aucune expertise médicale qui aurait conclu à l’existence d’un lien de causalité entre l’altération de l’état de santé du requérant et des conditions de sa détention ou un traitement médical n’a été soumise à la Cour. Dès lors, eu égard aux éléments de fait figurant dans le dossier médical du requérant, la Cour ne peut ni conclure que le handicap de celui-ci a résulté de son placement en détention ni considérer que les autorités détiennent une responsabilité à cet égard (Flămînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, § 84, 12 avril 2011). Cela étant, elle examinera le respect par les autorités de leur obligation positive de garantir le suivi et le traitement médical prescrits par les médecins au requérant ainsi que des conditions de détention compatibles avec l’état de santé de l’intéressé.
46. La Cour note que le requérant, dont la colonne vertébrale nécessitait une intervention chirurgicale, a demandé et obtenu deux fois, pendant dix mois au total et, la dernière fois, de mai à août 2010, l’interruption de l’exécution de sa peine pour raisons de santé. Par la suite, ses demandes de reconduction de l’interruption et ses contestations relatives à une insuffisance des soins médicaux en prison ont été rejetées au motif qu’il n’avait pas saisi l’opportunité de l’interruption de l’exécution de sa peine qui lui avait déjà été accordée pour se faire opérer. Or la Cour note qu’il ressort du dossier médical du requérant que l’opération n’a pas pu être réalisée pour une raison qui ne lui était pas imputable, à savoir le fait qu’il n’était pas suffisamment remis de l’opération précédente. Elle estime dès lors qu’il s’agissait d’une impossibilité objective de pratiquer cette intervention chirurgicale pendant la dernière période d’interruption de sa peine.
47. La Cour constate, au demeurant, qu’il ressort des documents présentés par le Gouvernement que le requérant n’a été hospitalisé pour recevoir les soins recommandés par les médecins - notamment des soins de rééducation après son opération chirurgicale de la colonne vertébrale - que pendant l’année 2011, alors que sa première intervention chirurgicale à la colonne vertébrale remontait à 2009 et qu’elle aurait dû être suivie par des séances de rééducation.
48. Qui plus est, il ressort également du dossier qu’en raison de son invalidité les médecins lui ont prescrit une aide permanente à la personne, mais qu’il n’a reçu qu’une aide ponctuelle pour le déplacement de ses effets personnels. La Cour ne peut se satisfaire des explications avancées par le Gouvernement à cet égard (paragraphe 41 ci-dessus). Elle estime que les autorités responsables de la prison auraient dû réagir promptement afin de pallier les défaillances physiques du requérant en respectant les recommandations des médecins et en lui assurant une prise en charge appropriée eu égard à son état de santé.
49. En outre, la Cour observe que les souffrances du requérant liées à sa pathologie ne pouvaient qu’être exacerbées par les conditions de sa détention dans les cellules de la prison de Jilava qu’il partageait avec une vingtaine de personnes et dans lesquelles chaque détenu ne disposait que d’un espace compris entre 1,70 et 2,30 m² selon les informations du Gouvernement (paragraphe 7 ci-dessus).
50. La Cour estime que ces conditions, réputées inadéquates pour toute personne privée de sa liberté, ne pouvaient l’être que davantage encore pour une personne malade comme l’était le requérant (Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, § 53, 13 mars 2012).
51. De plus, la Cour estime que sa détention dans des cellules ordinaires et non pas dans une infirmerie ou dans une pièce plus adaptée à son état de santé a pu concrètement mettre le requérant en situation de dépendance et d’infériorité par rapport à ses codétenus en bonne santé, et qu’elle a porté atteinte à sa dignité et constitué une épreuve considérable, source d’angoisses et de souffrances allant au-delà de celles que comporte inévitablement toute privation de liberté (Kaprykowski c. Pologne, no 23052/05, §§ 71-76, 3 février 2009, et Vincent c. France, no 6253/03, §§ 100-103, 24 octobre 2006).
52. Eu égard à la situation particulière du requérant, la Cour considère que celui-ci n’a pas bénéficié des conditions matérielles de détention adaptées à son handicap. Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
53. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
54. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) pour préjudice matériel et préjudice moral.
55. Le Gouvernement indique que, s’agissant du préjudice matériel, le requérant n’a pas étayé sa demande de satisfaction équitable et que, s’agissant du préjudice moral, sa demande est excessive.
56. La Cour constate que le requérant n’a pas précisément chiffré ni étayé le préjudice matériel allégué. En revanche, elle considère qu’il a subi un préjudice moral certain pour avoir été soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention durant sa détention, préjudice que le seul constat de violation ne saurait effacer. Par conséquent, statuant en équité, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à l’intéressé 10 000 EUR de ce chef.
B. Frais et dépens
57. Sans présenter de justificatif ni chiffrer le montant de ses prétentions, le requérant demande également le remboursement des frais et dépens qu’il aurait engagés devant les juridictions internes et la Cour.
58. Le Gouvernement expose que les frais en question n’ont pas été étayés.
59. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En l’espèce, compte tenu de sa jurisprudence et eu égard à l’absence de justificatifs, la Cour rejette la demande.
C. Intérêts moratoires
60. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mars 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stephen Phillips Josep Casadevall
Greffier Président