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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DOBRE AND OTHERS v. ROMANIA - 34160/09 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 277 (17 March 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/277.html
Cite as: [2015] ECHR 277

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DOBRE ET AUTRES c. ROUMANIE

     

    (Requête no 34160/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    17 mars 2015

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Dobre et autres c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Luis López Guerra,
              Dragoljub Popović,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco,
              Iulia Antoanella Motoc, juges,
    et de Stephen Phillips, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 février 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 34160/09) dirigée contre la Roumanie et dont huit ressortissants de cet État, M. Petre Dobre, Mmes Stela Ioţcovci, Rădoica Iezdici et Victoria Balogh, MM. Ioan Tomesc et Virgil Prodan, Mme Daniela-Oxana Radu et M. Vasile-Adrian Drăgulescu (« les requérants »), ont saisi la Cour le 16 juin 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Tous les requérants, à l’exception de M. Virgil Prodan, ont été représentés par Me A.-D. Iordan, avocate à Timişoara. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Les requérants se plaignent en particulier de l’absence d’une enquête effective au sujet du décès de leur proche ou des atteintes qui auraient été commises à leur intégrité physique à Timişoara, le 17 décembre 1989, lors de la répression armée des manifestations contre le régime alors en place.

    4.  Le 20 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Les requérants sont nés respectivement en 1959, 1964, 1938, 1945, 1953, 1958, 1955 et 1945 et ils résident tous à Timişoara, à l’exception de Mme Iezdici, qui réside à Variaş.

    A.  Les événements du 17 décembre 1989

    6.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, relèvent du même contexte historique et concernent la même procédure interne que celle ayant fait l’objet des arrêts Şandru et autres c. Roumanie (no 22465/03, §§ 6-47, 8 décembre 2009) et Acatrinei et autres c. Roumanie (no 10425/09 et 71 autres requêtes, §§ 7-15, 26 mars 2013). Ils peuvent se résumer comme suit.

    7.  Les requérants sont des victimes ou des ayants droit de victimes de la répression armée des manifestations contre le régime totalitaire qui avaient débuté à Timişoara le 16 décembre 1989.

    8.  Le 17 décembre 1989, les époux de Mmes Ioţcovci et Balogh, Gheorghe Nuţu Ioţcovici et Pavel Balogh, la fille de Mme Iezdici, Slobodanca Ewinger, et la sœur de Mme Radu, Angela Elena Sava, furent tués lors de tirs d’armes à feu. Gheorghe Nuţu Ioţcovici fut tué à proximité de l’Opéra de Timişoara. L’arrêt du 15 octobre 2008 de la Haute Cour de cassation et de justice (« la HCCJ ») dénombre, au total, neuf personnes tuées et douze personnes blessées par balle à cet endroit. Pavel Balogh fut tué à Calea Sagului. Au total, il y eut quatre personnes tuées, le 17 décembre 1989, à cet endroit. Slobodanca Ewinger fut tuée à proximité du pont Decebal, où un nombre de quatre personnes furent tuées et vingt-deux autres blessées par balle, selon l’arrêt précité. Angela Elena Sava fut tuée sur les marches de la cathédrale de Timişoara. L’arrêt précité de la HCCJ dénombre, au total, douze morts et trente-quatre blessés à cet endroit. Les corps des victimes ne furent jamais rendus à leurs familles. D’après les requérants, les corps de leurs proches ont été, à leur insu, retirés par les militaires de la morgue peu après leur décès et transportés à Bucarest pour y être incinérés.

    9.  MM. Dobre, Tomesc, Prodan et Drăgulescu furent blessés lors de la même intervention armée contre les manifestants de Timişoara. M. Dobre fut blessé sur le boulevard du 23 Août (l’arrêt précité de la HCCJ dénombre, au total, sept autres personnes blessées à cet endroit). Il présentait une contusion cérébrale avec fracture de l’os occipital, selon l’attestation délivrée le 12 mars 2003 par l’institut médicolégal de Timişoara qui se référait à un rapport médicolégal de janvier 1990. Quant à MM. Tomesc, Prodan et Drăgulescu, ils furent tous les trois grièvement blessés par balle et nécessitèrent jusqu’à plusieurs mois de soins médicaux. M. Tomesc fut blessé par balle à Calea Girocului. L’arrêt précité de la HCCJ dénombre, au total, douze personnes tuées et vingt-cinq personnes blessées par balle à cet endroit. M. Prodan fut blessé par balle à Calea Lipovei où six personnes furent tuées et vingt-sept autres blessées par balle, selon l’arrêt précité. M. Drăgulescu fut blessé par balle à proximité de l’Opéra de Timişoara.

    B.  L’enquête pénale

    10.  En janvier 1990, après la chute du régime, le parquet militaire de Timişoara ouvrit d’office une enquête concernant la répression des manifestations en question. Il ressort des documents du dossier que tous les requérants de la présente affaire ont été identifiés au cours de l’enquête comme étant des victimes de la répression ou des ayants droit de victimes.

    1.  La condamnation pénale de deux généraux responsables

    11.  Par un réquisitoire du 30 décembre 1997, le parquet renvoya en jugement deux généraux, V.A.S. et M.C., accusés de meurtre et de tentative de meurtre, en tant que principaux responsables de l’organisation de la répression armée des manifestations antitotalitaires à Timişoara. Le réquisitoire indiquait qu’il était loisible aux victimes et aux ayants droit de se constituer parties civiles.

    12.  Deux cent trente-quatre personnes se constituèrent parties civiles devant la Cour suprême de justice, dont les six premiers requérants en l’espèce.

    13.  Par un arrêt du 15 juillet 1999 rendu par une formation de trois juges, la Cour suprême de justice déclara les accusés coupables de la mort de 72 personnes et des blessures infligées par différents moyens à 253 autres personnes, et les condamna à une peine de quinze ans de réclusion criminelle ainsi qu’au paiement, solidairement avec le ministère de la Défense, des dommages-intérêts alloués aux parties civiles. L’arrêt fut confirmé par un arrêt définitif du 25 février 2000 de la même cour statuant en formation de neuf juges.

    14.  Le 18 octobre 2000, le ministère de la Défense versa aux parties civiles les dommages-intérêts auxquels il avait été condamné solidairement avec les deux généraux susmentionnés.

    15.  Le 22 mars 2004, à la suite d’un recours en annulation formé par le procureur général de la Roumanie, la Cour suprême de justice cassa l’arrêt du 25 février 2000 et renvoya le dossier à une autre formation de juges de la même cour en vue d’un nouvel examen du fond de l’affaire.

    16.  Par un arrêt du 3 avril 2007, la HCCJ, anciennement Cour suprême de justice, condamna les deux généraux à une peine de quinze ans de réclusion criminelle de différents chefs dont le meurtre et la tentative de meurtre pour l’organisation et la coordination de la répression des manifestations à Timişoara. Elle les condamna également à verser aux parties civiles les mêmes sommes que celles octroyées aux victimes par le précédent jugement du 15 juillet 1999 et constata que ces sommes avaient déjà été versées par le ministère de la Défense.

    17.  Par un arrêt définitif rendu le 15 octobre 2008, dont le texte fut mis au net le 12 janvier 2009, la HCCJ confirma l’arrêt du 3 avril 2007. Cet arrêt concerne sept des huit requérants de la présente affaire, car il mentionne les victimes tuées par arme à feu, Gheorghe Nuţu Ioţcovici, Pavel Balogh, Slobodanca Ewinger et Angela Elena Sava, ainsi que trois des quatre requérants blessés, à savoir MM. Dobre, Tomesc et Prodan.

    18.  Selon cet arrêt du 15 octobre 2008, les inculpés avaient organisé et commandé la répression en respectant un mode opératoire propre aux actions de guerre, à savoir la collecte des informations, l’identification sur des cartes de l’emplacement des troupes et la vérification personnelle, sur le « champ de bataille », de l’enchaînement des opérations militaires. La HCCJ observa ensuite que les ennemis visés étaient des citoyens roumains qui manifestaient pacifiquement.

    2.  L’enquête pénale concernant le huitième requérant

    19.  M. Drăgulescu a indiqué dans son formulaire de requête posté le 16 juin 2009 que dix-huit ans s’étaient écoulés depuis qu’il avait porté plainte en ce qui concernait sa blessure subie le 17 décembre 1989 et constatée par un certificat médicolégal du 30 janvier 1990. L’enquête à cet égard a fait l’objet du dossier no 363/P/1991, ainsi qu’il ressort de la lettre adressée le 5 août 1996 au requérant par le parquet militaire de Timişoara.

    20.  Le requérant n’a été informé ni de la suite de cette procédure ni des raisons pour lesquelles son affaire n’a pas été jointe à la procédure principale décrite à la section précédente.

    C.  Actions civiles formées par les deux derniers requérants

    1.  L’action entamée par le père de la victime Angela Elena Sava et continuée par la septième requérante

    21.  La famille de cette victime n’ayant pas été associée à la procédure décrite aux paragraphes 11 à 18 (ci-dessus), elle s’est vu délivrer une attestation datée du 17 janvier 2001 par le parquet militaire de Timişoara en relation avec le dossier no 363/P/1991, concernant le meurtre par arme à feu de Angela Elena Sava. C’est sur la base de ce document que le père de la victime, également père de la septième requérante, assigna en justice les généraux V.A.S. et M.C. par une action civile le 25 janvier 2001. Par cette action, il demandait des dommages-intérêts pour le décès de sa fille, Angela Elena Sava, tuée lors de la répression armée de décembre 1989.

    22.  Par un jugement du 23 mai 2001, le tribunal départemental de Timiş débouta M. Sava de ses prétentions.

    23.  Par une décision du 2 octobre 2001, la cour d’appel de Timişoara fit droit à l’appel de M. Sava et octroya à celui-ci, pour préjudice moral du fait du décès de sa fille, des dommages-intérêts d’un montant de 200 millions de lei roumains (ROL).

    24.  Les parties défenderesses formèrent un pourvoi en recours (recurs).

    25.  Le 29 octobre 2002, l’affaire fut ajournée en raison du recours en annulation formé dans la procédure pénale principale décrite aux paragraphes 11 à 18 ci-dessus.

    26.  M. Sava décéda le 29 septembre 2004.

    27.  La septième requérante, en sa qualité d’unique héritière de M. Sava, demanda à reprendre la procédure. Par un arrêt du 27 avril 2010, la HCCJ constata la péremption de l’instance relativement au pourvoi des parties défenderesses.

    2.  L’action entamée par le huitième requérant

    28.  Entre-temps, le 25 janvier 2001, le huitième requérant avait assigné en justice les généraux V.A.S. et M.C. par une action civile. Il demandait des dommages-intérêts en raison de la blessure qui lui avait été infligée lors de la répression armée de décembre 1989.

    29.  Par jugement du 19 avril 2002, le tribunal départemental de Timiş avait débouté le requérant de ses prétentions, au motif que les personnes qui l’avaient blessé n’avaient pas été identifiées et qu’il n’avait pas démontré que les auteurs de la blessure étaient subordonnés aux parties défenderesses.

    30.  Le requérant ne forma pas appel contre ce jugement.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

    31.  Les dispositions du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce sont résumées dans les arrêts Acatrinei et autres (précité, §§ 16-17), Şandru et autres (précité, § 48) et Association « 21 Décembre 1989 » et autres c. Roumanie (nos 33810/07 et 18817/08, §§ 101-107, 24 mai 2011).

    32.  Le Comité contre la torture des Nations unies a émis l’Observation générale no 3 (2012) sur l’application par les États parties de l’article 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

    « 38. Les États parties à la Convention ont l’obligation de garantir que le droit à réparation soit effectif. Les facteurs susceptibles de faire obstacle à l’exercice du droit à réparation et d’empêcher la mise en œuvre effective de l’article 14 sont notamment: l’insuffisance de la législation nationale, la discrimination exercée dans l’accès aux mécanismes de plaintes et d’enquête et aux procédures de recours et de réparation; l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour obtenir l’arrestation des auteurs de violation présumés, les lois sur le secret d’État, les règles de la preuve et les règles de procédure qui entravent la détermination du droit à réparation; la prescription, l’amnistie et l’immunité; le fait de ne pas assurer une aide juridictionnelle suffisante et des mesures de protection aux victimes et aux témoins; (...). En outre, la non-exécution par un État partie de jugements rendus par une juridiction nationale, internationale ou régionale ordonnant des mesures de réparation pour une victime de torture constitue un obstacle majeur à l’exercice du droit à réparation. (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

    33.  Les quatre premiers requérants reprochent aux autorités compétentes de ne pas avoir mené une enquête effective au sujet du décès de leurs proches survenu lors de la répression des manifestations antitotalitaires de décembre 1989 à Timişoara.

    34.  Les quatre autres requérants reprochent aux autorités compétentes de ne pas avoir mené une enquête effective au sujet des mauvais traitements auxquels ils auraient été soumis et qui auraient mis leur vie en péril dans les mêmes circonstances que celles du décès des proches des quatre premiers requérants.

    35.  Les requérants invoquent expressément ou en substance les articles 2 et 13 de la Convention, qui sont ainsi libellés :

    Article 2

    « 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    36.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner les griefs soulevés par les requérants sous l’angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention (voir Olteanu c. Roumanie, no 71090/01, §§ 58-59, 14 avril 2009, et, mutatis mutandis, Saleck Bardi c. Espagne, no 66167/09, § 31, 24 mai 2011).

    A.  Sur l’applicabilité de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural

    37.  La Cour note d’emblée que des sévices corporels qui ont été infligés par des agents de l’État et qui n’ont pas entraîné la mort s’analysent, sous certaines conditions, en une violation de l’article 2 de la Convention (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 76, CEDH 2000-VII, Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, §§ 49-55, CEDH 2004-XI, et Şandru et autres, précité, § 51).

    38.  En l’espèce, la Cour note que les proches des quatre premiers requérants ont été tués par balle pendant les manifestations antitotalitaires de Timişoara et que les quatre autres requérants ont été grièvement blessés par balle lors de ces événements. Si la responsabilité pénale des personnes qui ont recouru à la force est étrangère à la procédure au titre de la Convention, il n’est pas contesté que, en décembre 1989, les agents de l’État ont fait usage d’armes à feu à Timişoara pour réprimer les manifestations anticommunistes, provoquant ainsi la mort de 72 personnes et en blessant grièvement 253 autres.

    39.  Par conséquent, compte tenu de l’usage massif de la force meurtrière à l’encontre de la population civile qui manifestait en 1989 à Timişoara, la Cour estime que l’article 2, sous son volet procédural, trouve à s’appliquer à l’égard de tous les requérants (Şandru et autres, précité, § 54).

    B.  Sur la recevabilité

    40.  Le Gouvernement soulève quatre exceptions préliminaires. En premier lieu, il indique que la compétence ratione temporis de la Cour pour examiner la requête sous l’angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention se limite à l’enquête postérieure à l’entrée en vigueur de la Convention pour ce qui est de la Roumanie.

    41.  En deuxième lieu, il considère que, en l’absence de pouvoir donné à l’avocat, M. Prodan n’a pas valablement saisi la Cour. En troisième lieu, il excipe du défaut de qualité de victime de Mme Radu et de M. Drăgulescu. Enfin, en quatrième lieu, il plaide le non-épuisement des voies de recours internes pour ce qui est de M. Drăgulescu.

    1.  Sur l’exception d’incompatibilité ratione temporis

    42.  Le Gouvernement estime que la Cour n’est compétente ratione temporis que pour examiner les faits ultérieurs à l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Roumanie.

    43.  Les requérants n’ont pas présenté d’observations sur ce point.

    44.  Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Janowiec et autres c. Russie ([GC], nos 55508/07 et 29520/09, §§ 128-151, CEDH 2013), la Cour a apporté des précisions complémentaires sur les limites de sa compétence temporelle - auparavant définies dans l’arrêt Šilih c. Slovénie ([GC], no 71463/01, §§ 162-163, 9 avril 2009) - en ce qui concerne l’obligation procédurale d’enquêter sur des décès ou des mauvais traitements antérieurs à la date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État défendeur. Elle y a conclu, à titre principal, que cette compétence temporelle était strictement limitée aux actes de nature procédurale qui avaient été accomplis ou qui auraient dû être accomplis après l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État défendeur, et qu’elle était subordonnée à l’existence d’un lien véritable entre le fait générateur de l’obligation procédurale découlant de l’article 2 et l’entrée en vigueur de la Convention.

    Elle a indiqué que ce lien ne pouvait être établi que si l’essentiel de l’enquête - c’est-à-dire l’accomplissement d’une part importante des mesures procédurales visant à établir les faits et à engager la responsabilité de leurs auteurs - avait eu lieu ou aurait dû avoir lieu postérieurement à l’entrée en vigueur de la Convention (Janowiec et autres, précité, § 147, et Mocanu et autres c. Roumanie ([GC], nos 10865/09, 45886/07 et 32431/08, §§ 205-210, CEDH 2014).

    45.  En l’espèce, la Cour observe, comme elle l’a fait dans l’affaire Şandru et autres (précité, § 58), que la procédure pénale entamée en 1990 s’est poursuivie après le 20 juin 1994, date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Roumanie. Le renvoi en jugement des accusés ainsi que la majorité des actes de procédure ont été effectués après cette date. Par ailleurs, le 22  mars 2004, en faisant droit au recours en annulation introduit par le procureur général, la HCCJ a annulé la condamnation et ordonné un nouvel examen du fond de l’affaire. Autrement dit, la majeure partie de la procédure ainsi que les mesures procédurales les plus importantes sont postérieures à la date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Roumanie.

    46.  En conséquence, la Cour conclut qu’elle est compétente ratione temporis pour connaître des griefs soulevés par les requérants sous l’angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention, pour autant que ces griefs se rapportent à l’enquête pénale menée sur la présente affaire postérieurement à l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Roumanie (voir aussi Association « 21 Décembre 1989 » et autres, précité, §§ 114-118, et Crăiniceanu et Frumuşanu c. Roumanie, no 12442/04, §§ 81-83, 24 avril 2012).

    2.  Sur les exceptions d’incompatibilité ratione personae concernant Mme Radu et MM. Drăgulescu et Prodan

    47.  Le Gouvernement excipe du défaut de qualité de victime de deux requérants, Mme Radu et M. Drăgulescu, au motif qu’ils n’étaient pas parties à la procédure pénale dont ils entendraient dénoncer la lenteur. Il soutient en outre que M. Prodan n’a pas valablement saisi la Cour, car aucun pouvoir en faveur de son représentant n’aurait été soumis.

    48.  Les requérants estiment, à titre général, que les arguments du Gouvernement ne sont pas pertinents.

    a)  Sur l’exception soulevée à l’égard de Mme Daniela-Oxana Radu

    49.  La Cour rappelle que, dans des affaires où la violation alléguée de la Convention était étroitement liée à des décès ou disparitions soulevant des questions au regard de l’article 2 de la Convention, elle a reconnu à un proche de la victime la qualité pour soumettre une requête, même s’il n’avait pas été associé à la procédure diligentée devant les autorités nationales (voir, entre autres, Carabulea c. Roumanie (déc.), no 45661/99, 21 septembre 2004, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], n47848/08, §§ 98-100, CEDH 2014).

    50.  En l’espèce, la Cour constate que, selon les arrêts du 3 avril 2007 et du 15 octobre 2008 rendus par la HCCJ, Angela Elena Sava, la sœur de la requérante, figurait parmi les victimes ayant succombé le 17 décembre 1989 à des tirs d’armes à feu sur les marches de la cathédrale de Timişoara.

    51.  À cet égard, elle note que la famille de la victime n’avait pas été associée à la procédure ayant abouti dans un premier temps à la condamnation de deux généraux par l’arrêt datée du 15 juillet 1999. Cependant, cette famille s’est vu délivrer une attestation du 17 janvier 2001 par le parquet militaire de Timişoara en relation avec le dossier no 363/P/1991, concernant le meurtre par arme à feu de Angela Elena Sava. C’est sur la base de ce document que le père de la requérante, également père de la victime Angela Elena Sava, décédé avant l’introduction de la présente requête, avait obtenu, par une décision de justice rendue dans une procédure civile séparée (paragraphes 21-27 ci-dessus), la réparation du préjudice moral causé par le meurtre de cette dernière.

    52.  La Cour en conclut que le meurtre de la sœur de la requérante a bien fait l’objet d’une enquête pénale, dont la lenteur et l’ineffectivité - due notamment à la non-association des parents de la victime - ont été dénoncées sous l’angle de l’article 2 de la Convention.

    53.  Dès lors, la requérante peut se prétendre victime d’une violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention. Partant, l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

    b)  Sur l’exception soulevée à l’égard de M. Drăgulescu

    54.  La Cour rappelle que, pour pouvoir introduire une requête en vertu de l’article 34, une personne doit pouvoir démontrer qu’elle a subi directement les effets de la mesure litigieuse (voir, entre autres, İlhan, précité, § 52).

    55.  En l’espèce, elle note que l’enquête qui concernait la blessure par balle subie le 17 décembre 1989 par ce requérant et constatée par un certificat médicolégal du 30 janvier 1990 a fait l’objet du dossier no 363/P/1991, ainsi qu’il ressort de la lettre adressée au requérant par le parquet militaire de Timişoara le 5 août 1996 (paragraphe 19 ci-dessus). Le requérant n’a été informé ni de la suite de cette procédure ni des raisons pour lesquelles son affaire n’avait pas été jointe à la procédure principale.

    56.  La Cour en conclut que, bien que l’affaire de ce requérant n’ait pas été jointe à la procédure principale, les faits dont il se plaint ont bien donné lieu à une enquête pénale, dont la lenteur et l’absence d’effectivité ont été dénoncées sous l’angle de l’article 2 de la Convention. Quand bien même la Cour retiendrait qu’il s’agit, en l’espèce, de deux enquêtes distinctes - l’une concernant les sept premiers requérants et l’autre concernant M. Drăgulescu -, ses constats s’agissant de leur effectivité n’en seraient pas différents pour les raisons ci-après (Mocanu et autres, précité, § 328).

    57.  Dès lors, le requérant peut se prétendre victime d’une violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention. Partant, l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

    c)  Sur l’exception soulevée à l’égard de M. Prodan

    58.  À l’appui de l’exception d’irrecevabilité pour incompatibilité ratione personae, le Gouvernement allègue que le requérant n’a pas fourni de pouvoir pour se faire représenter devant la Cour.

    59.  La Cour rappelle que, en vertu de l’article 45 du règlement de la Cour, « toute requête formulée en vertu des articles 33 ou 34 de la Convention doit être présentée par écrit et signée par le requérant ou son représentant » (Pană et autres c. Roumanie (déc.), no 3240/03, § 69, 15 novembre 2011).

    60.  La Cour constate que le requérant a signé de sa main le formulaire de requête du 16 juin 2009 qu’il lui a soumis et que la requête a dès lors été introduite en bonne et due forme.

    61.  Partant, elle rejette l’exception soulevée par le Gouvernement.

    3.  Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes concernant uniquement M. Drăgulescu

    62.  Le Gouvernement soutient que M. Drăgulescu n’a pas utilisé d’une manière adéquate les voies de recours qu’il aurait eues à sa disposition dans l’ordre juridique interne, au motif que, d’une part, il n’était pas partie à la procédure pénale qui s’est achevée par l’arrêt du 15 octobre 2008 et que, d’autre part, il n’a pas formé de pourvoi en recours contre la décision du 19 avril 2002 rendue dans la procédure civile en dédommagement.

    63.  Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.

    64.  La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose à un requérant l’obligation d’exercer les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour, mais non d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, §§ 51-52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, et Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-67, Recueil 1996-IV).

    65.  La Cour rappelle en outre qu’une obligation de mener une enquête effective au sujet des atteintes à la vie infligées par les agents de l’État découle de l’article 2 de la Convention. Cette obligation implique avant tout que les autorités agissent d’office dès que l’affaire est portée à leur attention. Il incombe également aux autorités d’associer les victimes à la procédure dans toute la mesure nécessaire à la protection des intérêts légitimes de celles-ci (Mocanu et autres, précité, §§ 316-324).

    66.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant a bien porté ses griefs, et ce dès 1991 (paragraphe 19 ci-dessus), devant les autorités compétentes, à qui la législation nationale faisait obligation d’enquêter, et qu’il n’était donc pas tenu d’explorer d’autres voies de recours. Eu égard aux circonstances de l’affaire, la Cour renvoie à son constat concernant l’exception similaire soulevée dans l’affaire Acatrinei et autres (précitée, § 36). Pour les mêmes raisons, la Cour n’est pas convaincue en l’espèce que la plainte pénale dont se prévaut le Gouvernement aurait sensiblement modifié le déroulement de l’enquête ouverte d’office.

    67.  Partant, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement concernant le volet pénal.

    68.  Ensuite, pour autant qu’il est reproché au requérant d’avoir omis de poursuivre son action civile, la Cour rappelle que, compte tenu de la nature des griefs soulevés et de l’ouverture d’une enquête pénale, le requérant n’était nullement tenu d’agir au civil (Şandru et autres, précité, § 64, et Acatrinei et autres, précité, § 27).

    69.  La Cour rejette dès lors l’exception du Gouvernement également pour ce qui est de l’épuisement de l’action civile.

    4.  Conclusion sur la recevabilité

    70.  Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

    C.  Sur le fond

    71.  Les requérants estiment que l’enquête sur les événements qui se sont déroulés à Timişoara en décembre 1989 n’a été ni prompte ni effective, dès lors que certaines des procédures y relatives n’auraient pas été finalisées.

    72.  Le Gouvernement conteste cette thèse, fondant ses arguments sur la complexité et les enjeux de la présente affaire.

    73.  La Cour rappelle qu’une enquête doit être de nature à permettre, premièrement, de déterminer les circonstances ayant entouré les faits et, deuxièmement, d’identifier et de sanctionner les responsables. Il s’agit d’une obligation non pas de résultat, mais de moyens. Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte (Makaratzis, précité, § 74, Kelly et autres c. Royaume-Uni, no 30054/96, §§ 96-97, 4 mai 2001, et Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, § 139, CEDH 2002-IV). S’il peut arriver que des obstacles ou difficultés empêchent une enquête de progresser dans une situation particulière, il reste que la prompte réaction des autorités est capitale pour maintenir la confiance du public et son adhésion à l’État de droit. L’obligation de l’État au regard de l’article 2 de la Convention ne peut être réputée satisfaite que si les mécanismes de protection prévus en droit interne fonctionnent effectivement, ce qui suppose un examen de l’affaire prompt et sans retard inutile. Toute carence de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les circonstances de l’espèce ou à identifier les responsables risque de faire conclure qu’elle ne présente pas le niveau d’effectivité requis (Šilih, précité, § 195).

    74.  La Cour rappelle en outre que l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention s’applique même si les conditions de sécurité sont difficiles, y compris dans un contexte de conflit armé. Même si les faits à l’origine de l’obligation d’enquêter surviennent dans un contexte de violences généralisées et que les enquêteurs rencontrent des obstacles et des contraintes imposant le recours à des mesures d’investigation moins efficaces ou retardant les recherches, il n’en reste pas moins que l’article 2 exige l’adoption de toutes les mesures raisonnables propres à assurer la conduite d’une enquête effective et indépendante (Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, § 164, CEDH 2011, et Mocanu et autres, précité, § 319).

    75.  En l’espèce, la Cour note d’emblée qu’une enquête pénale a été ouverte d’office au sujet de la répression meurtrière des manifestations antitotalitaires à Timişoara en décembre 1989. Pour ce qui est des sept premiers requérants, cette enquête a abouti, sept ans après son ouverture, au réquisitoire du 30 décembre 1997 et, dix ans plus tard encore, à la condamnation définitive des responsables par l’arrêt du 3 avril 2007, confirmé par la HCCJ le 15 octobre 2008.

    76.  Pour ce qui est du huitième requérant, l’enquête n’a pas abouti à ce jour.

    77.  La Cour rappelle que, dans l’arrêt Şandru et autres (précité, §§ 73-80), elle a déjà examiné la conduite, par les autorités nationales, de l’enquête ouverte d’office dans la présente affaire et qu’elle a conclu à la violation de l’article 2 de la Convention dans son volet procédural au motif que les autorités nationales n’avaient pas agi avec le niveau de diligence requis (voir aussi Acatrinei et autres, précité, §§ 19-37).

    78.  En l’espèce, la Cour constate qu’aucun élément ne lui permet de se démarquer des constats auxquels elle a abouti dans les deux arrêts précités.

    79.  Elle relève de surcroît qu’aucune information dans le dossier n’indique que les autorités se soient acquittées de l’obligation d’associer les victimes ou les ayants droit à la procédure aux fins de la protection de leurs intérêts légitimes, comme le requièrent tant l’article 2 de la Convention que le droit roumain (Acatrinei et autres, précité, § 35).

    80.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 2 de la Convention dans son volet procédural dans le chef de tous les requérants.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

    81.  Les requérants dénoncent la durée de la procédure pénale concernant la répression armée des manifestations de décembre 1989, répression qui a causé la mort de leurs proches ou dont ils ont eux-mêmes été victimes. Ils invoquent l’article 6 de la Convention, qui est ainsi libellé :

    Article 6 § 1

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    82.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

    83.  Eu égard au constat relatif à l’article 2 de la Convention, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément la recevabilité et le bien-fondé de cette disposition (voir, entre autres, Acatrinei et autres, précité, § 40).

    III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    84.  Invoquant l’article 14 combiné avec les articles 2, 6 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent enfin d’avoir subi une discrimination au motif que les autorités nationales auraient fait une application incorrecte de la loi à leur égard.

    85.  Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève quant à l’ensemble de ces griefs aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention.

    Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    86.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    87.  Les requérants réclament la réparation du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi. Ils renvoient aux montants qu’ils ont indiqués dans leurs formulaires de requête, allant de 3 millions d’euros (EUR) s’agissant de MM. Dobre et Prodan, à 5 millions d’EUR s’agissant de MM. Tomesc et Drăgulescu, et à 30 milliards d’EUR s’agissant de Mmes Ioţcovci, Balogh, Iezdici et Radu.

    88.  Le Gouvernement estime qu’en se bornant à renvoyer aux montants indiqués dans le formulaire de requête, les requérants n’ont pas régulièrement présenté leurs demandes de satisfaction équitable et que celles-ci devraient dès lors être rejetées.

    89.  À titre subsidiaire, déclarant se référer à la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement estime que les prétentions des requérants sont excessives.

    90.  La Cour observe que les requérants ont, dans le délai imparti à cette fin, présenté une demande de satisfaction équitable dans laquelle ils ont exigé, en réparation du préjudice encouru, l’intégralité des montants réclamés dans leur formulaire de requête. Eu égard à l’article 41 de la Convention et à l’article 60 de son règlement, la Cour estime que la demande de satisfaction équitable est valide.

    91.  Elle note que, en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que les autorités nationales n’ont pas traité l’enquête concernant les responsables de la répression des manifestations en question avec le niveau de diligence requis par l’article 2 de la Convention.

    92.  Sur la base des éléments dont elle dispose, la Cour estime que la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural a causé un préjudice moral aux intéressés en les plaçant dans une situation de détresse et de frustration. Statuant en équité, dans les circonstances de l’espèce, elle alloue à ce titre 8 000 EUR à chacun des requérants.

    B.  Frais et dépens

    93.  Les requérants n’ont formulé aucune demande à ce titre. La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur ce point.

    C.  Intérêts moratoires

    94.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

     

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 2 et 6 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 mars 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

      Stephen Phillips                                                                  Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président


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