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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FERREIRA SANTOS PARDAL v. PORTUGAL - 30123/10 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 746 (30 July 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/746.html
Cite as: [2015] ECHR 746

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE FERREIRA SANTOS PARDAL c. PORTUGAL

     

    (Requête no 30123/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    30 juillet 2015

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Ferreira Santos Pardal c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Isabelle Berro, présidente,
              Elisabeth Steiner,
              Khanlar Hajiyev,
              Mirjana Lazarova Trajkovska,
              Julia Laffranque,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Dmitry Dedov, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juillet 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30123/10) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. José Luís Ferreira Santos Pardal (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me Resende Neiva, avocat à Braga. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. Carvalho, procureure générale adjointe.

    3.  Le requérant allègue que l’arrêt de la Cour suprême portant rejet de l’action en responsabilité civile qu’il avait introduite contre l’État était contraire à une jurisprudence constante en la matière, ce qui aurait porté atteinte à son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention..

    4.  Le 4 septembre 2012, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et le grief susmentionné communiqué au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1955 et réside à Braga.

    A.  L’action en responsabilité civile devant le tribunal de Santo Tirso (affaire interne no 541/2000)

    6.  Le 25 octobre 1997, le requérant fut victime d’un accident de la route alors qu’il circulait comme passager à bord de son véhicule.

    7.  Gravement blessé, le requérant fut hospitalisé jusqu’au 16 décembre 1997 puis suivi en rééducation jusqu’en avril 1998.

    8.  La société F., compagnie d’assurance du requérant, remboursa les frais d’hospitalisation et médicaux de ce dernier jusqu’à la fin de l’année 1998.

    9.  Dans une lettre datée du 15 mars 1999, la compagnie d’assurance informa le requérant qu’il était considéré comme rétabli avec un taux d’incapacité permanente partielle pour le travail de 28,8 %.

    10.  À une date non précisée, le requérant saisit le tribunal de Santo Tirso d’une action en responsabilité civile dirigée contre la société F., réclamant à celle-ci 91 927 850 escudos portugais (soit environ 459 000 euros - EUR) pour les dommages corporels résultant de l’accident. Ayant souscrit une assurance responsabilité civile obligatoire, le requérant estimait que, en l’espèce, il devait être considéré comme un « tiers », couvert par son contrat, étant donné qu’il ne conduisait pas le véhicule au moment de l’accident. À l’appui de son argumentation, le requérant invoquait la directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990, relative à l’assurance de la responsabilité civile automobile, transposée au niveau interne par le décret-loi 130/94 du 19 mai 1994 ayant amendé le décret-loi 522/85 du 31 décembre 1985. Il soutenait que, à la suite de la transposition de cette directive, le contrat d’assurance responsabilité civile couvrait les dommages corporels subis par le preneur d’assurance qui était victime d’un accident de la circulation alors qu’il se trouvait être passager dans son propre véhicule.

    11.  Par un jugement du 2 décembre 2002, le tribunal débouta le requérant de sa prétention. Il considéra que le contrat d’assurance souscrit en l’espèce ne couvrait pas les dommages corporels que le requérant avait subis à la suite de l’accident même si l’intéressé ne conduisait pas son véhicule au moment des faits.

    12.  Le requérant fit appel du jugement devant la cour d’appel de Porto, lui demandant de saisir la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après « la CJCE »), désormais Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la CJUE »), d’une question préjudicielle dans le but de déterminer si la directive 90/232/CEE du Conseil avait étendu la couverture de l’assurance responsabilité civile aux dommages corporels subis par le preneur d’assurance dans le cas où celui-ci était passager de son propre véhicule au moment de l’accident.

    13.  Le 22 avril 2004, la cour d’appel de Porto prononça un arrêt de rejet, confirmant le jugement du tribunal de Santo Tirso.

    14.  Par ailleurs, elle jugea qu’il n’y avait pas lieu de saisir la CJCE d’une question préjudicielle pour les motifs suivants :

    « (...) Il n’est pas non plus justifié d’effectuer un renvoi préjudiciel à la Cour de justice des Communautés européennes de la question posée par le requérant dans la mesure où notre législation a intégré la directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990, citée par le demandeur en appel, à travers le décret-loi 130/94 du 19 mai 1994, étant donné que les doutes allégués ne se posent pas à ce tribunal. (...) »

    15.  Le requérant forma un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, réclamant à nouveau le renvoi préjudiciel devant la CJCE concernant l’interprétation à donner à la directive 90/232/CEE du Conseil.

    16.  Par un arrêt du 14 décembre 2004, la Cour suprême débouta le requérant de sa demande. S’appuyant notamment sur un arrêt rendu par elle le 18 mars 1997, elle se prononça comme suit :

    « (...) Les [trois] directives [« automobiles »] n’ont jamais eu pour objectif d’étendre la couverture de l’assurance au preneur d’assurance même. Ce dernier est exclu de la garantie en application de l’article 1 § 1 du décret-loi 522/85, vu le concept même d’assurance obligatoire [conçu] comme assurance en faveur des tiers.

    Aussi, l’article 7 §§ 1 et 2 du décret-loi 522/85 ne peut être interprété dans le sens que le preneur d’assurance est un tiers aux fins d’une indemnisation par l’assurance pour les préjudices qu’il a subis lorsque le véhicule assuré était conduit par une autre personne.  (...) »

    S’agissant de la demande de renvoi préjudiciel, la Cour suprême jugea :

    « (...) [le renvoi préjudiciel] n’aurait lieu que s’il s’agissait d’appliquer [en l’espèce] directement le droit communautaire et si le tribunal avait des doutes sur l’interprétation de la directive, ce qui n’est pas le cas, car nous n’appliquons pas directement le droit communautaire, mais le droit national (article 7 §§ 1 et 2 du décret-loi 522/85, dans sa rédaction issue du décret-loi 130/94) et nous n’avons aucun doute quant à l’interprétation à adopter à cet égard. (...) »

    B.  La procédure en responsabilité civile contre l’État devant le tribunal de Braga (affaire interne no 9180/07.3BBRG.G1S1)

    17.  En décembre 2007, le requérant introduisit devant le tribunal de Braga une action en responsabilité civile extracontractuelle contre l’État, dénonçant une erreur judiciaire résultant selon lui de la procédure qu’il avait engagée contre la société d’assurance F. devant le tribunal de Santo Tirso. Il réclamait le paiement de la somme de 394 550 EUR augmentée des intérêts à compter de la date d’introduction de son action devant le tribunal de Santo Tirso, pour l’indemnisation du préjudice matériel et moral qu’il disait avoir subi. Il demandait aussi le remboursement des frais et dépens engagés pour les procédures devant le tribunal de Santo Tirso et le tribunal de Braga. Le requérant dénonçait une mauvaise interprétation de la directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990. Il invoquait, à l’appui de ses assertions, l’arrêt de la CJCE Katja Candolin e.a. contre Vahinkovakuutusosakeyhtiö Pohjola e.a. (C-537/03) du 30 juin 2005 qui, selon lui, avait reconnu que le fait que le passager victime d’un accident était le propriétaire du véhicule était sans incidence en ce qui concernait l’assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile. Il se référait aussi à deux arrêts de la Cour suprême qui, à ses dires, avaient fait droit à l’approche défendue devant le tribunal de Santo Tirso. Par ailleurs, le requérant estimait que la Cour suprême aurait dû saisir la CJCE d’un renvoi préjudiciel concernant la question litigieuse.

    18.  Par un jugement du 24 juillet 2008, le tribunal de Braga débouta le requérant de sa demande. Le tribunal reconnut que l’article 22 de la Constitution permettait de poursuivre l’État en responsabilité pour les préjudices subis en raison du fonctionnement défectueux de ses services judiciaires à condition que l’erreur judiciaire soit évidente, grave et clairement arbitraire. Il observa que le requérant faisait reposer sa prétention sur une violation du droit communautaire, en l’occurrence la directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990, et le refus du renvoi préjudiciel devant la CJCE prévu à l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne (ci-après « le TCE »). Le tribunal indiqua qu’il n’existait pas de jurisprudence nationale ou communautaire portant sur la question soumise en l’espèce au moment où l’arrêt de la Cour suprême litigieux avait été prononcé. Il jugea par ailleurs que l’obligation de saisir la CJCE d’une question préjudicielle n’était pas absolue et qu’elle comportait des exceptions, notamment lorsqu’il n’existait pas de doute sur la manière de résoudre une question, comme cela avait été le cas en l’espèce. Le tribunal en conclut qu’il n’existait pas d’erreur grave ou évidente dans l’arrêt de la Cour suprême prononcé à l’issue de la procédure civile et que les conditions pour engager la responsabilité de l’État n’étaient donc pas remplies.

    19.  Le requérant interjeta appel de cette décision devant la cour d’appel de Guimarães. Il estimait que le régime de la responsabilité extracontractuelle de l’État prévu par le décret-loi 67/2007 du 31 décembre 2007 ne s’appliquait pas dans la présente espèce au motif qu’il avait introduit son action avant l’entrée en vigueur dudit décret-loi. Il alléguait par ailleurs que la responsabilité des États membres de la Communauté européenne pour cause de mauvaise interprétation du droit communautaire avait été reconnue par la jurisprudence de la CJCE.

    20.  Par un arrêt du 23 avril 2009, la cour d’appel de Guimarães fit partiellement droit au recours du requérant.

    Dans son arrêt, la cour d’appel considéra que l’assurance responsabilité civile automobile obligatoire excluait uniquement les dommages matériels et moraux causés au conducteur du véhicule sinistré, compte tenu de la directive 90/232/CEE du Conseil, transposée au niveau interne par le décret-loi 130/94 du 19 mai 1994. Elle estima ainsi que les dommages subis par le preneur d’assurance devaient être pris en charge par l’assurance si ce dernier n’était pas le conducteur du véhicule. La cour d’appel se référa à l’arrêt de la CJCE Katja Candolin e.a. contre Vahinkovakuutusosakeyhtiö Pohjola e.a. (précité) et également à un arrêt de la Cour suprême du 16 janvier 2007 qui avait reconnu que par « tiers » il fallait entendre toute personne pouvant imputer la responsabilité d’un accident à autrui, notamment au conducteur du véhicule. La cour d’appel estima ensuite que la Cour suprême avait failli à l’obligation de renvoi préjudiciel devant la CJCE prévue à l’article 234 du TCE, commettant ainsi une erreur grave et manifeste, en violation du droit communautaire, dans son arrêt du 14 décembre 2004. En tenant compte de la jurisprudence de la CJCE, la cour d’appel considéra que la responsabilité de l’État était établie dès lors qu’il était démontré que les juridictions internes n’avaient pas respecté le droit communautaire.

    Concernant la responsabilité civile de l’État, elle observa que le décret-loi 67/2007 du 31 décembre 2007 ne s’appliquait pas en l’espèce car il n’était pas encore entré en vigueur au moment où l’action avait été introduite. Ensuite, elle estima qu’il n’était pas nécessaire de discuter sur le point de savoir si l’article 22 de la Constitution couvrait la responsabilité civile de l’État pour dysfonctionnement de ses services judiciaires. Elle souligna alors que, pour que la responsabilité de l’État pour non-respect du droit communautaire soit considérée, il ne s’imposait pas qu’une loi interne la prévoie et qu’il n’était donc pas nécessaire de faire appel au décret-loi 48051 du 21 novembre 1967 même si, pour la doctrine et la jurisprudence, celui-ci couvrait aussi les actes de l’État commis dans l’exercice des fonctions juridictionnelles. Au vu de la conclusion à laquelle elle était parvenue concernant la violation du droit communautaire, la cour d’appel jugea comme établie la responsabilité civile extracontractuelle de l’État dans l’exercice des fonctions juridictionnelles.

    Tenant compte des préjudices subis par le requérant du fait de l’accident, elle condamna l’État à verser à l’intéressé une indemnisation de 479 091 EUR.

    21.  En représentation de l’État, le ministère public forma un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, contestant notamment l’existence d’une erreur judiciaire grave.

    22.  À une date non précisée, le requérant présenta son mémoire en réponse, réitérant, entre autres, sa thèse selon laquelle la responsabilité de l’État pour erreur judiciaire découlait d’un non-respect du droit communautaire par les juridictions internes.

    23.  Par un arrêt du 3 décembre 2009, la Cour suprême fit droit au pourvoi dans les termes suivants :

    « (...)

    Nous l’affirmons d’ores et déjà, notre position est d’adhérer à la décision défendue par la première instance ce qui ne signifie pas - loin de là - une concordance avec son argumentation.

    Allons donc directement à la question.

    Compte tenu de la temporalité des faits, il n’y a aucun doute que ce qui est prévu dans la loi 67/2007 du 31 décembre [2007], avec les modifications apportées par la loi 31/2008 du 17 juillet [2008], ne trouve pas application en l’espèce.

    Ceci ne signifie néanmoins pas un total mépris de ce qui est clairement régi par ce texte.

    La question qui nous est posée est simplement la suivante : est-ce que, au moment des faits, l’État pouvait être tenu pour responsable, comme il a fini par l’être, en raison de la décision qui fait l’objet du présent examen ?

    Pour répondre à cette question, la loi précitée entre en jeu.

    En se référant à la responsabilité de l’État pour des actes pratiqués dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, son article 13 § 1 dispose :

    « Sans préjudice du régime spécial applicable dans les cas d’un jugement pénal condamnatoire injuste et [portant] privation de liberté, l’État est civilement responsable pour les dommages découlant de décisions judiciaires manifestement inconstitutionnelles, illégales ou non justifiées en raison d’une erreur judiciaire dans l’appréciation concrète des éléments de fait ».

    La lecture de cette disposition nous amène à conclure que, à la date d’entrée en vigueur de la loi à laquelle est rattachée ladite disposition, l’État n’était pas responsable des dommages causés par les situations qui y étaient prévues.

    (...)

    C’est le législateur [même] qui affirme son intention d’élargir le champ de la responsabilité de l’État aux dommages causés dans l’exercice de la fonction juridictionnelle (...).

    Aussi, c’est le législateur [même] qui accepte avec clarté que, jusqu’alors, l’État ne pouvait pas être tenu pour responsable des dommages résultant de la fonction juridictionnelle.

    Cette position est audacieuse dans la mesure où, à l’exception des cas de responsabilisation de l’État relatifs à des jugements pénaux pour condamnation injuste ou à des privations illégales de liberté, il n’existait auparavant rien, au niveau législatif, pour appuyer une demande en réparation pour les dommages causés (...) par une erreur judiciaire de la juridiction civile.

    (...)

    Nous n’ignorons pas que la jurisprudence majoritaire n’a pas « navigué dans ces eaux », allant chercher appui dans le décret-loi 48051 du 21 novembre [1967] pour justifier l’attribution d’indemnisations pour les dommages causés par l’activité juridictionnelle en [raison] d’une erreur judiciaire.

    Nous estimons que, en tenant compte des éclaircissements législatifs apportés, il n’est pas possible d’aboutir à une autre conclusion.

    (...)

    Nous ne pouvons pas finir sans laisser un avertissement pour des situations similaires.

    Cette action n’est pas une action quelconque.

    Elle constitue plus qu’un recours en révision, tel que prévu aux articles 771 et suivants du code de procédure civile, étant donné que les tribunaux d’instance mêmes agissent en critiquant une décision de la Cour suprême.

    Le législateur, dans ce type de recours, n’est pas allé aussi loin.

    (...)

    Accepter l’action, comme dans le cas d’espèce, a eu le résultat suivant : il a été permis aux instances d’apprécier le fond d’une décision définitive prononcée par (...) la Cour suprême !

    (...) »

    En conséquence, la Cour suprême cassa et annula dans toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Guimarães, faisant subsister la décision prononcée par le tribunal de Braga.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET COMMUNAUTAIRES PERTINENTS

    A.  Le droit interne

    1.  La Constitution

    24.  L’article 22 de la Constitution dispose :

    « L’État et les autres entités publiques sont civilement responsables, conjointement avec les membres de leurs organes et leurs fonctionnaires ou agents, de toutes les actions ou omissions commises par ceux-ci dans l’exercice ou à cause de l’exercice de leurs fonctions et dont il résulte des violations des droits, libertés et garanties ou un préjudice pour autrui. »

    2.  Le décret-loi 522/85 du 31 décembre 1985

    25.  Au moment des faits, les dispositions pertinentes en l’espèce du décret-loi 522/85 du 31 décembre 1985, dans sa rédaction issue du décret-loi 130/94 du 19 mai 1994, se lisaient ainsi :

    Article 1
    Obligation d’assurer

    « 1.  Toute personne pouvant être civilement responsable pour la réparation de dommages matériels et moraux découlant de lésions corporelles ou matérielles causées à des tiers par un véhicule terrestre à moteur, ses remorques ou semi-remorques, doit, pour que ces véhicules puissent circuler, se trouver, en application du présent texte, couverte par une assurance qui garantisse cette même responsabilité.

    (...) »

    Article 7
    Exclusions

    « 1.  Sont exclues de la garantie d’assurance les dommages découlant de lésions corporelles subies par le conducteur du véhicule assuré.

    2.  Sont également exclus de la garantie d’assurance tous les dommages résultant de lésions matérielles causées aux personnes suivantes :

    a)  Le conducteur du véhicule et le preneur d’assurance ;

    b)  Tous ceux dont la responsabilité est (...) garantie notamment à raison de la copropriété du véhicule assuré ;

    c)  Les sociétés ou représentants légaux des personnes morales responsables du sinistre alors en exercice dans leurs fonctions ;

    d)  Les époux, ascendants, descendants et enfants adoptés des personnes indiquées aux alinéas a) et b) (...) ;

    e)  Les personnes qui (...) bénéficient d’une prestation compensatoire résultant de liens avec l’une des personnes indiquées aux alinéas précédents ;

    f)  Les passagers, lorsqu’ils sont transportés en violation des règles relatives au transport de passagers figurant dans le code de la route.

    (...) »

    3.  Le décret-loi 48051 du 21 novembre 1967

    26.  Le régime de la responsabilité civile extracontractuelle de l’État prévu par le décret-loi 48051 du 21 novembre 1967 est exposé dans l’affaire Paulino Tomás c. Portugal ((déc.), no 58698/00, CEDH 2003-VIII).

    4.  La loi 67/2007 du 31 décembre 2007

    27.  Entrée en vigueur le 30 janvier 2008, la loi 67/2007 du 31 décembre 2007 régit pour la première fois au Portugal la responsabilité civile de l’État pour les dommages causés dans l’exercice des fonctions juridictionnelles.

    En ce qui concerne la responsabilité de l’État pour erreur judiciaire, l’article 13 de la loi se lit ainsi :

    « 1.  Sans préjudice du régime spécial applicable dans les cas d’un jugement pénal condamnatoire injuste et [portant] privation de liberté, l’État est civilement responsable pour les dommages découlant de décisions judiciaires manifestement inconstitutionnelles, illégales ou non justifiées en raison d’une erreur judiciaire dans l’appréciation concrète des éléments de fait.

    2.  La demande d’indemnisation doit être fondée sur l’annulation préalable de la décision ayant causé le dommage par la juridiction compétente. »

    5.  Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure civile

    28.  L’article 732-A du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret-loi 329-A/95 du 12 décembre 1995 se lit ainsi :

    « 1.  Le président de la Cour suprême décide, tant que l’arrêt n’a pas été rendu, que le recours est examiné par l’assemblée plénière (pleno) des chambres civiles, lorsqu’un tel examen s’avère nécessaire ou utile afin d’assurer l’unité de la jurisprudence.

    2.  L’examen [par l’assemblée plénière des chambres civiles], prévu au paragraphe précédent, peut être requis par l’une des parties ou le ministère public ; il doit être suggéré par le rapporteur, par l’un des juges assesseurs ou par les présidents des chambres civiles, notamment lorsque ceux-ci constatent que, sous l’empire de la même législation et [au sujet de] la même question fondamentale de droit, il serait possible d’aboutir à une solution juridique en contradiction avec une jurisprudence antérieure. »

    29.  Introduit par le décret-loi 303/2007 du 24 août 2007, l’article 763 du code de procédure civile dispose :

    « 1.  Les parties peuvent faire appel devant l’assemblée plénière des sections civiles de la Cour suprême d’un arrêt rendu par la Cour suprême en contradiction avec un autre arrêt, sous l’empire de la même législation et [au sujet de] la même question de droit.

    (...) »

    Par ailleurs, l’article 11 du décret-loi 303/2007 prévoit ce qui suit :

    « 1. (...) les dispositions du présent décret-loi ne s’appliquent pas aux procédures qui étaient pendantes à la date de son entrée en vigueur.

    (...) »

    B.  La pratique interne avant l’entrée en vigueur de la loi 67/2007 du 31 décembre 2007

    30.  Pour ce qui est des situations survenues avant l’entrée en vigueur de la loi 67/2007 du 31 décembre 2007, en dehors des affaires concernant des jugements condamnatoires prononcés par les juridictions pénales ou des situations de privation injuste de liberté, la jurisprudence de la Cour suprême portant sur les actions en responsabilité civile introduites contre l’État pour erreur judiciaire se présente comme suit :

    a)  Dans des arrêts en date des 8 juillet 1997 (procédure no 97A774), 3 décembre 1997 (procédure no 98A644), 19 février 2004 (procédure n03B4170), 31 mars 2004 (procédure no 04A051), 29 juin 2005 (procédure no 05A1064), 20 octobre 2005 (procédure no 05B2490) et 18 juillet 2006 (procédure no 06A1979), la Cour suprême a considéré que :

    -  l’article 22 de la Constitution prévoyait la responsabilité de l’État pour erreur judiciaire ; cette disposition était directement applicable même si aucune loi ne la mettait en œuvre ;

    -  il existait une obligation d’indemniser en cas de déni flagrant de justice ou d’erreur grave (erro grosseiro) rendant arbitraire la décision ayant été adoptée.

    b)  Puis, dans un arrêt du 19 juin 2008 (pourvoi no 1091/08), la Cour suprême a estimé que :

    -  aucune loi ne régissait au moment des faits la responsabilité de l’État pour les dommages causés dans le cadre de la fonction juridictionnelle, s’agissant de la procédure civile ;

    -  l’article 22 de la Constitution n’était pas directement applicable ;

    -  la responsabilité civile de l’État pour erreur judiciaire dans le cadre d’une procédure civile ne pouvait donc être engagée.

    c)  Ensuite, dans un arrêt du 8 septembre 2009 (procédure no 368/09.3YFLSB) portant sur un arrêt rendu par elle le 28 juin 2001, la Cour suprême a relevé que :

    -  il appartenait aux tribunaux d’assurer l’application directe de l’article 22 de la Constitution, celui-ci incluant la responsabilité de l’État pour les dommages causés dans l’exercice de la fonction juridictionnelle ;

    -  pour ne pas entraver le fonctionnement de la justice et perturber l’indépendance des juges, une certaine prudence s’imposait. Il fallait donc écarter tout type de responsabilité quant à l’interprétation des normes de droit ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Dans cette perspective, le mécanisme des recours et la hiérarchie des instances contribuaient au perfectionnement du processus décisionnel, réduisant ainsi l’éventualité qu’un jugement injuste fût rendu ;

    -  dans le cas concret alors soumis à la Cour suprême, la loi 67/2007 du 31 décembre 2007 n’était pas applicable. Les principes qui s’en dégageaient pouvaient néanmoins permettre de mieux définir le concept « d’erreur judiciaire » en application directe de l’article 22 de la Constitution ;

    -  l’erreur judiciaire était une erreur grave, impardonnable, intolérable ayant conduit à une décision définitive, non susceptible de recours, violant les droits et libertés d’autrui.

    d)  Ultérieurement, dans un arrêt du 28 février 2012 (procédure no 825/06.3TVLSB.L1.S1) relatif à un jugement prononcé par un tribunal de première instance en 2004, la Cour suprême a jugé que :

    -  l’article 22 de la Constitution reconnaissait la responsabilité de l’État du fait de l’activité judiciaire, en dehors des cas d’emprisonnement illégal ou de condamnations pénales injustes prévus aux articles 27 § 5 et 29 § 6 de la Constitution ;

    -  indépendamment de l’existence d’une loi qui le mettait en œuvre, l’article 22 de la Constitution était d’application directe ;

    -  la difficulté résidait dans la conciliation du principe de l’indépendance des tribunaux, nécessaire à l’exercice impartial de leurs fonctions, avec le principe de la responsabilité de l’État pour des actes illicites des juges ;

    -  l’erreur judiciaire ne pouvait engager la responsabilité civile de l’État que si elle était tellement grave, évidente et indiscutable qu’elle rendait la décision arbitraire et ses conclusions absurdes.

    e)  Enfin, dans un arrêt du 23 octobre 2014 (procédure n1668/12.0TVLSB.L1.S1) concernant un jugement d’un tribunal de première instance adopté en 2007, la Cour suprême a exposé que :

    -  elle souscrivait à la position suivie par la jurisprudence majoritaire, qui acceptait l’application directe de l’article 22 de la Constitution à la fonction juridictionnelle de l’État ;

    -  même si la loi 67/2007 du 31 décembre 2007 n’était pas applicable ratione temporis dans le cas concret qui lui était alors soumis, rien n’empêchait d’avoir recours aux principes qui se dégageaient de ladite loi. Ainsi, l’annulation préalable de la décision attaquée par une voie de recours était une condition indispensable dans le cadre d’une action en responsabilité civile introduite contre l’État, non seulement en application de l’article 13 § 2 de la loi 67/2007 mais aussi en application directe de l’article 22 de la Constitution.

    -  ce principe s’appliquait même si la décision litigieuse n’était pas susceptible d’un recours ou si elle avait été confirmée par un tribunal supérieur.

    -  pour donner lieu à un redressement, l’erreur devait être grave, c’est-à-dire aberrante.

    C.  Le droit et la jurisprudence communautaires

    1.  La directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990

    31.  La directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (il s’agit de la troisième directive portant sur l’assurance automobile) impose, entre autres, l’obligation de faire bénéficier de la garantie obligatoire d’assurance les passagers du véhicule.

    32.  Dans son arrêt Katja Candolin e.a. contre Vahinkovakuutusosakeyhtiö Pohjola e.a. (C-537/03) du 30 juin 2005, la CJCE (devenue la CJUE après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne) concluait ainsi :

    « Dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, les articles 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, et 1er de la troisième directive 90/232/CEE du Conseil, du 14 mai 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, s’opposent à une réglementation nationale qui permet de refuser ou de limiter de façon disproportionnée, sur le fondement de la contribution d’un passager à la réalisation du dommage qu’il a subi, l’indemnisation supportée par l’assurance automobile obligatoire. Le fait que le passager concerné soit le propriétaire du véhicule dont le conducteur a provoqué l’accident est sans incidence. »

    2.  La procédure de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice des Communautés européennes

    33.  L’article 234 du TCE (correspondant à l’ancien article 177 du Traité instituant la Communauté économique européenne et au nouvel article 267 du Traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l’Union européenne, entré en vigueur le 1er décembre 2009) prévoyait la saisine à titre préjudiciel de la CJCE, en ces termes :

    « La Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

    a)  sur l’interprétation du présent traité,

    b)  sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté (...) ;

    (...)

    Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

    Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice. »

    34.  La jurisprudence communautaire concernant la procédure de renvoi préjudiciel devant la CJCE figure dans l’affaire Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique (nos 3989/07 et 38353/07, §§ 33-34, 20 septembre 2011).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON D’UNE MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE DE LA SÉCURITÉ JURIDIQUE

    35.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que l’interprétation de la loi concernant la responsabilité civile extracontractuelle de l’État pour erreur judiciaire donnée par la Cour suprême dans son arrêt du 3 décembre 2009 est en contradiction avec une jurisprudence interne constante et qu’elle a enfreint le principe de la sécurité juridique et l’équité de la procédure. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, il dénonce aussi une ineffectivité de l’action en responsabilité civile extracontractuelle de l’État.

    36.  La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention est une lex specialis par rapport à l’article 13, dont les garanties se trouvent absorbées par celles de l’article 6 (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI). Par conséquent, elle examinera les griefs du requérant uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, lequel dispose :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    37.  Le Gouvernement récuse la thèse du requérant.

    A.  Sur la recevabilité

    38.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèse des parties

    39.  Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable étant donné que la Cour suprême, statuant en dernier ressort, se serait prononcée sur sa cause dans un sens contraire à une jurisprudence interne ; à cet égard, il se réfère notamment à deux arrêts de la Cour suprême du 31 mars 2004 (procédure no 04A051) et du 8 septembre 2009 (procédure n368/09.3YFLSB).

    40.  Le Gouvernement reconnaît que l’arrêt de la Cour suprême du 3 décembre 2009 est en contradiction avec une jurisprudence interne qui, au moment des faits, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi 67/2007 du 31 décembre 2007, reconnaissait la possibilité de poursuivre l’État en raison d’une erreur judiciaire grave, en appliquant soit le décret-loi 48051 du 21 novembre 1967, soit directement l’article 22 de la Constitution.

    41  Il indique que le requérant disposait toutefois de deux moyens pour remédier à la divergence de jurisprudence qu’il dénonce. Tout d’abord, l’intéressé aurait pu demander, au cours de la procédure, l’intervention de l’assemblée plénière des chambres civiles de la Cour suprême en vue d’une uniformisation de la jurisprudence (julgamento ampliado de revista) conformément à l’article 732-A du code de procédure civile, même si ce recours était dépendant d’une décision prise à cet égard par le président de la Cour suprême. De même, après l’adoption de l’arrêt, le requérant aurait pu introduire un recours extraordinaire en harmonisation de jurisprudence (recurso extraordinário de uniformização de jurisprudência) en application de l’article 763 du code de procédure civile. Le Gouvernement admet toutefois qu’il n’est pas certain que ce recours eût été déclaré recevable, précisant que cette dernière disposition a été introduite par le décret-loi 303/2007 et que celui-ci ne s’applique pas aux procédures introduites avant la date de son entrée en vigueur, soit le 1er janvier 2008.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes généraux

    42.  Dans son arrêt Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie ([GC], no 13279/05, 20 octobre 2011), la Cour a rappelé les grands principes applicables aux affaires portant sur des divergences de jurisprudence (ibidem, §§ 49-58 et 61). Ces principes peuvent se résumer comme suit.

    a)  La Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes : c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Saez Maeso c. Espagne, no 77837/01, § 22, 9 novembre 2004). Son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Kouchoglou c. Bulgarie, no 48191/99, § 50, 10 mai 2007) et, excepté lorsque l’appréciation par les autorités est révélatrice d’un arbitraire évident, elle n’est pas compétente pour mettre en cause l’interprétation faite de la législation interne par ces juridictions (voir, par exemple, Ādamsons c. Lettonie, no 3669/03, § 118, 24 juin 2008).

    b)  En principe, il n’appartient pas à la Cour de comparer les diverses décisions rendues - même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes - par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 103, série A no 22, Gregório de Andrade c. Portugal, no 41537/02, § 36, 14 novembre 2006, et Ādamsons, précité, § 118).

    c)  Les divergences de jurisprudence constituent, par nature, la conséquence inhérente à tout système judiciaire qui repose sur un ensemble de juridictions du fond ayant autorité sur leur ressort territorial. De telles divergences peuvent également apparaître au sein d’une même juridiction. Cela en soi ne saurait être considéré comme contraire à la Convention (Santos Pinto c. Portugal, no 39005/04, § 41, 20 mai 2008, et Tudor Tudor c. Roumanie, no 21911/03, § 29, 24 mars 2009).

    d)  Les critères qui guident la Cour dans son appréciation des conditions dans lesquelles des décisions contradictoires de différentes juridictions internes statuant en dernier ressort emportent violation du droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, consistent à déterminer s’il existe dans la jurisprudence des juridictions internes « des divergences profondes et persistantes », si le droit interne prévoit des mécanismes visant à la suppression de ces incohérences, si ces mécanismes ont été appliqués et quels ont été, le cas échéant, les effets de leur application (voir, entre autres, Iordan Iordanov et autres c. Bulgarie, no 23530/02, §§ 49-50, 2 juillet 2009, et voir aussi, Beian c. Roumanie (no 1), no 30658/05, §§ 34-40, CEDH 2007-XIII (extraits), Ştefan et Ştef c. Roumanie, nos 24428/03 et 26977/03, §§ 33-36, 27 janvier 2009, Schwarzkopf et Taussik c. République tchèque (déc.), no 42162/02, 2 décembre 2008, Tudor Tudor, précité, § 31, et Ştefănică et autres c. Roumanie, no 38155/02, 2 novembre 2010, § 36).

    e)  L’appréciation de la Cour repose constamment sur le principe de la sécurité juridique, qui est implicite dans l’ensemble des articles de la Convention et qui constitue l’un des éléments fondamentaux de l’état de droit (voir, parmi d’autres, Beian (no 1), précité, § 39, Iordan Iordanov et autres, précité, § 47, et Ştefănică et autres, précité, § 31).

    f)  Le principe de la sécurité juridique tend notamment à garantir une certaine stabilité des situations juridiques et à favoriser la confiance du public dans la justice. Toute persistance de décisions de justice divergentes risque d’engendrer un état d’incertitude juridique de nature à réduire la confiance du public dans le système judiciaire, alors même que cette confiance est l’une des composantes fondamentales de l’état de droit (Paduraru c. Roumanie, no 63252/00, § 98, CEDH 2005-XII (extraits), Vinčić et autres c. Serbie, nos 44698/06 et autres, § 56, 1er décembre 2009, Ştefan et Ştef, précité, §33, et Ştefănică et autres, précité, § 38).

    g)  Cependant, les exigences de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante (Unédic c. France, no 20153/04, § 74, 18 décembre 2008). En effet, une évolution de la jurisprudence n’est pas en soi contraire à la bonne administration de la justice, car l’abandon d’une approche dynamique et évolutive risquerait d’entraver toute réforme ou amélioration (Atanasovski c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », no 36815/03, § 38, 14 janvier 2010).

    h)  Enfin, la différence de traitement opérée entre deux litiges ne saurait s’entendre comme une divergence de jurisprudence si elle est justifiée par une différence dans les situations de fait en cause (voir, en ce sens, Uçar c. Turquie (déc.), no 12960/05, 29 septembre 2009).

    b)  Application à la présente espèce

    43.  La Cour observe que le Gouvernement ne conteste pas qu’une jurisprudence interne reconnaissait, avant l’entrée en vigueur de la loi 67/2007 du 31 décembre 2007, la possibilité de poursuivre l’État en responsabilité civile pour les dommages causés à raison d’une erreur judiciaire. Ceci ressort d’ailleurs de l’aperçu de la jurisprudence pertinente en l’espèce de la Cour suprême figurant au paragraphe 30 ci-dessus.

    44.  Dans la présente affaire, la Cour constate que, par un arrêt du 3 décembre 2009, la Cour suprême a jugé qu’au moment des faits il n’était pas possible de poursuivre l’État en responsabilité civile pour une erreur judiciaire. Cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel, la haute juridiction a estimé que le jugement de première instance devait subsister, quoique pour des motifs différents (paragraphe 23 ci-dessus).

    45.  À l’instar de l’affaire Beian (précitée), c’est donc la plus haute juridiction qui est à l’origine de la divergence jurisprudentielle dénoncée par le requérant.

    46.  La Cour rappelle que les divergences de jurisprudence constituent, par nature, la conséquence inhérente à tout système judiciaire qui repose sur un ensemble de juridictions du fond ayant autorité sur leur ressort territorial.

    47.  Cependant, la Cour souligne que le rôle d’une juridiction suprême est précisément de régler ces contradictions (Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], no 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 59, CEDH 1999-VII). Par conséquent, si une pratique divergente se développe au sein d’une des plus hautes autorités judiciaires du pays, cette dernière devient elle-même source d’insécurité juridique, portant ainsi atteinte au principe de la sécurité juridique et réduisant la confiance du public dans le système judiciaire (Beian, précité, § 39).

    48.  Dans la présente espèce, la Cour observe que la Cour suprême a adopté une solution diamétralement opposée à une jurisprudence interne constante, comme elle l’avait d’ailleurs déjà fait dans un arrêt du 19 juin 2008 (paragraphe 30 point b) ci-dessus). Elle estime qu’on ne saurait néanmoins considérer ces deux arrêts comme des revirements jurisprudentiels fondés sur une nouvelle interprétation de la loi, étant donné que la Cour suprême est revenue ultérieurement à sa jurisprudence constante (voir, a contrario, Işık c. Turquie (déc.), no 35224/05, 16 juin 2009), comme le démontrent les arrêts du 28 février 2012 et du 23 octobre 2014 (paragraphe 30 points d) et e) ci-dessus).

    49.  Aux yeux de la Cour, ces deux interprétations divergentes quant à la recevabilité d’une action en responsabilité civile de l’État pour dysfonctionnement de la justice ont inévitablement, s’agissant de la Cour suprême, créé une situation d’incertitude jurisprudentielle de nature à porter atteinte au principe de la sécurité juridique.

    50.  La Cour prend note de l’allégation du Gouvernement selon laquelle le requérant disposait de deux moyens pour remédier à cette situation. Cependant, s’agissant du premier recours (julgamento ampliado de revista), la Cour constate que sa mise en œuvre dépend d’une décision du président de la Cour suprême et qu’il n’a pas fonctionné dans la présente espèce. En effet, malgré l’existence d’une divergence de jurisprudence au sein de la Cour suprême, le président de cette haute juridiction n’a pas saisi d’office l’assemblée plénière des chambres civiles de la Cour suprême aux fins d’assurer l’uniformité de la jurisprudence, alors qu’il aurait pu le faire conformément à l’alinéa 1 de l’article 732-A du code de procédure civile (paragraphe 28 ci-dessus). Quant au recours extraordinaire en harmonisation de jurisprudence (recurso extraordinário de uniformização de jurisprudência), la Cour note - à l’instar du Gouvernement qui l’admet - qu’il n’était pas applicable au moment des faits. En effet, le décret-loi 303/2007 du 24 août 2007 régissant ce recours ne couvre pas les procédures qui, comme en l’espèce, étaient pendantes avant son entrée en vigueur (paragraphe 29 ci-dessus). Le requérant ne disposait donc pas d’un mécanisme pour pallier les différends jurisprudentiels qui existaient au sein de la Cour suprême.

    51.  La Cour en conclut que l’incertitude jurisprudentielle qui a entraîné le rejet de l’action formée par l’intéressé, à laquelle s’ajoute, dans la présente espèce, l’absence d’un mécanisme apte à assurer la cohérence des pratiques au sein même de la plus haute juridiction interne, a eu pour effet de priver le requérant de la possibilité de faire examiner son action en responsabilité dirigée contre l’État, alors que d’autres personnes dans une situation similaire se sont vu reconnaître ce droit. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION POUR DÉFAUT D’IMPARTIALITÉ DE LA COUR SUPRÊME

    52.  Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint également d’un défaut d’impartialité de la Cour suprême au motif que celle-ci était en l’espèce appelée à se prononcer sur une erreur judiciaire dont elle était à l’origine.

    53.  La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et qu’il doit donc aussi être déclaré recevable.

    54.  Elle rappelle que le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial n’est qu’un aspect du droit plus large à un procès équitable, garanti par l’article 6 de la Convention.

    55.  Eu égard à son constat de violation relatif à l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 53 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu aussi, en l’espèce, violation de cette même disposition pour manque d’impartialité de la Cour suprême (voir, mutatis mutandis, Beian, précité, § 45).

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    56.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommages

    57.  Pour le préjudice matériel qu’il estime avoir subi, le requérant réclame 479 091 euros (EUR), cette somme correspondant à l’indemnisation qui lui avait été octroyée par la cour d’appel de Guimarães dans son arrêt du 23 avril 2009 qui, par la suite, a été annulé par l’arrêt de la Cour suprême du 3 décembre 2009. Il réclame aussi une somme pour le préjudice moral qu’il dit avoir subi mais ne chiffre pas sa prétention.

    58.  Le Gouvernement conteste la somme réclamée pour le dommage matériel, estimant qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la violation et le dommage matériel allégué.

    59.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette la demande y afférente. Le requérant n’ayant pas précisé le montant qu’il réclame pour le dommage moral allégué, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu non plus de lui octroyer de somme à ce titre.

    B.  Frais et dépens

    60.  Le requérant demande 78 809,21 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, lesquels sont ventilés comme suit : 18 689,25 EUR pour les frais de justice relatifs à la procédure devant le tribunal de Santo Tirso, 29 369,96 EUR pour les frais de justice concernant la procédure devant le tribunal de Braga, 750 EUR pour les frais divers (papeterie, déplacements, communications téléphoniques) et 30 000 EUR d’honoraires estimés pour 300 heures de travail à un taux horaire de 100 EUR.

    61.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

    62.  La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, parmi beaucoup d’autres, Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 63, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI). En l’espèce, étant donné que la violation constatée concerne un arrêt de la Cour suprême prononcé à l’issue de la procédure nationale, les frais y afférents n’ont pas été engagés pour prévenir ou faire corriger la violation constatée.

    63.  Quant aux frais et dépens devant elle, la Cour rappelle qu’un requérant ne peut obtenir leur remboursement que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En l’espèce, la Cour constate que les frais et les honoraires engagés pour la procédure devant la Cour ne sont étayés par aucun justificatif.

    64.  Partant, la Cour rejette la demande du requérant au titre des frais et dépens devant les juridictions internes et devant la Cour.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la méconnaissance du principe de la sécurité juridique ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention pour défaut d’impartialité de la Cour suprême.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 juillet 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

       Søren Nielsen                                                                      Isabelle Berro
            Greffier                                                                              Présidente


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