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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KARAMBELAS v. GREECE - 50369/14 (Judgment (Merits) : Court (First Section)) French Text [2015] ECHR 904 (15 October 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/904.html
Cite as: [2015] ECHR 904

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE KARAMBELAS c. GRÈCE

     

    (Requête no 50369/14)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    15 octobre 2015

     

     

     

     

    cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Karambelas c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Elisabeth Steiner,
              Khanlar Hajiyev,
              Mirjana Lazarova Trajkovska,
              Julia Laffranque,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 septembre 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50369/14) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Theodoros Karambelas (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 juillet 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me V. Chirdaris, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’Etat.

    3.  Le requérant allègue en particulier qu’il a été détenu dans des conditions incompatibles avec l’article 3 de la Convention, compte tenu de son état de santé.

    4.  Le 23 juillet 2014, la présidente en exercice de la chambre a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement, invitant le Gouvernement à examiner si les conditions de détention du requérant étaient compatibles avec son état de santé et, dans la négative, d’envisager des mesures alternatives à la détention provisoire qui seraient compatibles avec cet état.

    5.  Le 28 août 2014, le grief concernant l’article 3 a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    6.  Le requérant est né en 1967 et réside à Athènes.

    7.  En novembre 2013, un cancer du poumon ayant été diagnostiqué chez le requérant, il subit une chimiothérapie jusqu’en mars 2014 à l’hôpital Sotiria. Dans une note établie par le médecin traitant, celui-ci indiquait que le requérant devait se soumettre à un scanner du thorax et de l’abdomen ainsi qu’à des examens biologiques dans un délai de trois mois.

    A.  La détention du requérant et ses demandes de mise en liberté

    8.  Soupçonné d’avoir commis en réunion plusieurs infractions, le requérant fut placé en détention provisoire dans la prison de Korydallos (au sein de l’hôpital psychiatrique de celle-ci), le 10 janvier 2014.

    9.  Le 16 janvier 2014, le juge d’instruction du tribunal correctionnel d’Ilia ordonna une expertise médicale du requérant par deux médecins spécialistes. Le premier rapport d’expertise datée du 7 mars 2014 constatait que le requérant avait une tumeur maligne aux poumons et avait besoin de chimiothérapie. Le deuxième rapport daté du 19 mars 2014 affirmait que l’état du requérant et les prises de sang étaient « très bonnes » et que le cancer était encore à un stade précoce. Le rapport reconnaissait que ce type de cancer était rare mais mortel et que le traitement à suivre consistait en des chimiothérapies et des radiothérapies.

    10.  Le 31 mars 2014, le requérant déposa une demande de levée de sa détention ou de mise en liberté sous condition que le juge d’instruction du tribunal correctionnel d’Ilia rejeta le 15 avril 2014. Se fondant sur les constats des deux rapports d’expertise, ce dernier considéra que la maladie du requérant pouvait être traitée dans le cadre de l’hôpital de la prison et qu’il n’était pas nécessaire de le transférer dans un hôpital extérieur ; il souligna qu’une telle option n’était proposée ni par les experts, ni par le requérant lui-même qui, dans sa demande, soutenait de manière vague qu’il devait être transféré à intervalles réguliers dans des hôpitaux pour y subir des chimiothérapies ou des radiothérapies.

    11.  Le 22 avril 2014, le requérant introduisit un recours contre cette décision devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Ilia. Le 4 juin 2014, cette dernière rejeta le recours par les mêmes motifs. Elle précisa que les conditions qui pourraient justifier la mise en liberté sous condition du requérant, et notamment son admission et son hospitalisation dans un hôpital extérieur à la prison, ne se trouvaient pas réunies. Au cas où un tel besoin apparaitrait, le requérant pourrait être admis dans un hôpital public selon les dispositions pertinentes du code pénitentiaire.

    12.  Le 2 juillet 2014, le requérant déposa à la chambre d’accusation un rapport médical qui certifiait qu’il était en phase terminale de la maladie avec une espérance de vie de six à neuf mois. Le rapport suggérait aussi que cette espérance de vie pourrait être encore plus réduite du fait des conditions de détention. Le rapport précisait que la cause habituelle de décès dans de tels cas étant l’infection du système respiratoire, il fallait assurer à la personne concernée des conditions d’hygiène parfaites et éviter la promiscuité, conditions qui n’étaient pas respectées dans une prison. En outre, la chimiothérapie à laquelle devait à nouveau se soumettre le requérant risquait de lui causer une déficience immunitaire.

    13.  Le 7 juillet 2014, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Ilia, à la majorité, prolongea de six mois la détention provisoire du requérant (jusqu’au 10 janvier 2015). Elle fonda sa décision sur deux rapports d’expertise des 7 et 19 mars 2014. Elle considéra que le requérant pouvait être soigné à l’hôpital de la prison ou, au cas où son état rendrait nécessaire son hospitalisation, dans un hôpital public. Elle releva que le requérant avait poursuivi son activité délictueuse lorsqu’il avait été mis en liberté sous condition dans le passé, dans le cadre d’autres accusations, et que sa mise en examen pour de nouvelles infractions était pendante et qu’il fallait assurer sa présence pendant la nouvelle enquête. Quant au rapport médical du 2 juillet 2014, elle considéra qu’il n’en ressortait pas que l’état de santé du requérant était actuellement tel qu’il rendait nécessaire son hospitalisation dans un hôpital public.

    14.  Deux rapports du 14 juillet 2014, établis à la demande du requérant, tout en réitérant partiellement les conclusions de celui du 2 juillet 2014, soulignaient la détérioration de son état depuis cette dernière date. Ils évoquaient le risque couru par le requérant de développer des infections lors des prochains cycles de chimiothérapie ce qui aggraverait son état de santé. Ils soulignaient que les conditions de détention, même dans l’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos, ne permettaient pas l’évolution normale du traitement du requérant. Ils considéraient que la prise de mesures de précaution, telles que de très bonnes conditions sanitaires et le séjour dans un endroit non surpeuplé, étaient nécessaires pour éviter que l’espérance de vie du requérant soit inférieure à 6 ou 14 mois à compter de la manifestation des symptômes de la maladie. Selon eux la solution idéale pour le requérant serait de pouvoir rentrer chez lui. Ils préconisaient que l’hospitalisation du requérant dans un hôpital devait se limiter au temps strictement nécessaire au traitement ; en effet toute prolongation de celle-ci risquait d’entraîner des infections nosocomiales.

    15.  Le 15 juillet 2014, le requérant déposa une nouvelle demande pour la levée de sa détention, mais le juge d’instruction du tribunal correctionnel d’Ilia la rejeta le 6 août 2014 par les mêmes motifs qu’auparavant.

    16.  Le 27 août 2014, le requérant, se prévalant de l’amendement de l’article 282 du code de procédure pénale entré en vigueur en juillet 2014 (paragraphe 35 ci-dessous), présenta une demande tendant à la levée de sa détention ou au remplacement de celle-ci par des mesures moins restrictives. Il y joignait un certificat d’invalidité qui attestait que sa pathologie, pour laquelle il avait subi une opération et avait été traité par chimiothérapie, lui avait causé un taux d’invalidité de 85%.

    17.  Par une décision no 76/2014 du 2 octobre 2014, le juge d’instruction d’Ilia décida la mise en liberté du requérant sous condition, à savoir le paiement d’une caution de 150 000 euros et l’assignation à résidence (exception faite des périodes de son hospitalisation aux fins de chimiothérapie dans un hôpital et sous escorte policière). Dans une première version de cette décision, émise à 21 h, le juge d’instruction exigeait le dépôt de la caution « sur le champ et en espèces ». Toutefois, il modifia par la suite cette exigence, en demandant que la caution soit versée au 30 octobre 2014.

    18.  Le 7 octobre 2014, le requérant interjeta appel contre cette décision devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Ilia : il invitait celle-ci à lever la condition du versement de la caution, car il n’avait plus aucune ressource financière, et à la remplacer par une autre condition à laquelle il serait objectivement en mesure de se conformer.

    19.  Par une décision no 110/2014, du 19 novembre 2014, la chambre d’accusation rejeta l’appel du requérant. Elle releva qu’il y avait des indices sérieux ressortant du dossier, des dépositions des témoins et des observations du requérant que ce dernier avait commis les infractions qui lui étaient reprochées et qui étaient qualifiées de crimes. L’imposition des conditions du dépôt d’une caution de 150 000 euros et de l’assignation à résidence était, compte tenu de la nature des infractions et de la peine qui pourrait être infligée, raisonnable et nécessaire pour assurer que le requérant soit présent lors de l’instruction et de l’audience devant le tribunal et qu’il exécute la peine qui serait prononcée.

    20.  Plus précisément, quant au montant de la caution, la décision précisait qu’il avait été tenu compte : de la situation financière du requérant, telle qu’elle résultait des documents saisis à son domicile, des versements d’argent que celui-ci avait fait aux autres membres de son organisation criminelle, qui ne se justifiaient pas par la relation contractuelle et salariale qui les unissait ; du degré du dommage causé à l’Etat. La décision précisait que le requérant n’apportait aucun élément de preuve pour démontrer son incapacité de payer cette somme ; en revanche, il ressortait du dossier qu’il n’était pas dans une telle incapacité et qu’il continuait à cacher ses revenus provenant des contrats qu’il avait conclus avec les municipalités de Pyrgos et de Kalamata.

    21.  Le 16 décembre 2014, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Ilia prolongea de six mois supplémentaires la détention provisoire du requérant.

    22.  Le 17 décembre 2014, comme le requérant n’avait pas versé la caution susmentionnée, le juge d’instruction ordonna le remplacement des conditions moins restrictives indiquées dans la décision du 19 novembre 2014 par son maintien en détention.

    23.  Le 16 janvier 2015, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté sous condition. Il se fondait sur son état de santé, sur son taux d’invalidité de 85% et la phase finale de sa maladie, sur les mauvaises conditions de sa détention, sur l’impossibilité de payer le montant réclamé comme caution, ainsi que sur la mesure que la Cour avait indiquée au Gouvernement sur le terrain de l’article 39 de son règlement. Plus précisément concernant la condition de la caution, il soutenait qu’elle était contraire à la morale et visait à vider de tout effet dans son cas l’application de l’article 282 § 4 du code de procédure pénale.

    24.  Le 17 mars 2015, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Patras ordonna le remplacement de la détention du requérant par les deux conditions suivantes : a) l’assignation à résidence, à l’exception des périodes pendant lesquelles il devait subir des examens médicaux ou se faire hospitaliser ; b) l’interdiction de sortie du territoire jusqu’à ce que le tribunal se prononce sur son cas.

    25.  Le requérant fut libéré le même jour.

    B.  Les transferts du requérant dans des hôpitaux publics

    26.  Depuis le début de son hospitalisation à l’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos et jusqu’au 10 septembre 2014, le requérant fut transféré à plusieurs reprises dans des hôpitaux publics pour y subir des examens et recevoir des traitements.

    27.  Le 11 mars 2014, il fut transféré à l’hôpital de la prison de Korydallos et de là à l’hôpital Sotiria pour une consultation programmée. Il retourna à l’hôpital psychiatrique de la prison le soir même.

    28.  Le 22 avril 2014, il fut transféré à l’hôpital Sotiria pour un scanner du thorax et de l’abdomen.

    29.  Le 28 avril 2014, il fut transféré à la clinique oncologique-pathologique de l’hôpital Sotiria pour un examen.

    Le 23 juillet 2014, il fit une prise de sang qui fut envoyée à l’hôpital Aghios Panteleïmon pour un examen biologique.

    30.  Les 11 et 20 août 2014, il fut transféré à l’hôpital Sotiria pour un scanner du thorax et de l’abdomen.

    C.  Les conditions de détention dans l’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos selon les informations fournies par le Gouvernement

    31.  Les cellules dans l’hôpital psychiatrique, qui sont décrites comme individuelles dans l’organigramme de la prison, ont une surface de 10,56 m², disposent d’une toilette, d’une douche et d’une fenêtre et accueillent 2 à 3 détenus. Elles sont chauffées et éclairées par un luminaire au plafond. L’aération est effectuée par l’ouverture de la porte et de la fenêtre.

    32.  Les chambrées ont une surface de 32,25 m² avec plusieurs fenêtres et accueillent 6 à 8 détenus.

    33.  Le requérant est détenu dans une cellule avec deux autres personnes et ne fut jamais placé dans une chambrée. Il ne fut jamais placé non plus dans un espace de détention spécial pour des motifs médicaux ou disciplinaires. Il lui était loisible de se promener dans la cour de la prison pendant les horaires d’ouverture de celle-ci, soit de 9 h à 11 h et de 15 h à 17 h (horaire d’hiver) et 16 h à 18 h (horaire d’été).

    34.  En ce qui concerne l’alimentation, le requérant ne demanda jamais de repas particuliers pour raisons médicales. Il n’exprima jamais aucune doléance et bénéficiait, comme tous les autres détenus, des droits prévus par les dispositions du code pénitentiaire.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    35.  L’article 7 § 3 de la loi 4274/2014, entré en vigueur en juillet 2014, modifia ainsi l’article 282 § 4 du code de procédure pénale :

    « Les dispositions du présent paragraphe relatives à la détention provisoire ne sont pas appliquées à un accusé présentant un taux d’invalidité de 80% et plus, constaté par l’organe compétent (...) indépendamment de l’infraction reprochée mais à l’exception des crimes visés aux articles 134 et 187A du code pénal et des articles 22 et 23 de la loi no 4139/2013. Dans ces cas, outre les autres mesures restrictives, il est possible d’imposer à l’accusé l’assignation à résidence ainsi que l’hospitalisation (...) à la demande de celui-ci. »

    36.  Le rapport explicatif de cette loi précisait que le but de l’article 7 § 3 était de protéger la dignité des prévenus atteints de maladies graves entraînant un taux d’invalidité supérieur à 80%, d’éviter la dégradation de leur état de santé et d’écarter tout danger pour leur vie.

    EN DROIT

    SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    37.  Le requérant se plaint du refus des autorités de lui assurer le traitement et les soins palliatifs nécessaires, compte tenu de la phase terminale de sa maladie. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    38.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    39.  Le Gouvernement se réfère à sa version concernant les conditions de détention du requérant et soutient qu’elles ne peuvent pas être qualifiées d’inhumaines ou dégradantes. Il affirme que le personnel de l’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos a offert et continue d’offrir toute assistance possible au requérant, compte tenu de la gravité de sa pathologie. En outre, il souligne que la Cour ne peut pas substituer sa propre appréciation à celles des tribunaux nationaux quant au maintien de la détention provisoire du requérant.

    40.  Le requérant soutient que les autorités grecques ont traité son cas avec beaucoup de réserve. Il reproche au juge d’instruction de lui avoir imposé comme condition restrictive le dépôt d’une caution qu’il était dans l’incapacité de verser en raison de son montant excessif. En outre, il rétorque que les soins qui lui avaient été prodigués, et indiqués par le Gouvernement (aux paragraphes 19-24 ci-dessus), ne correspondaient à ceux qu’il devait recevoir compte tenu de la gravité de sa maladie. De plus, en raison des défenses atténuées de son organisme, il était exposé à un risque permanent d’infection, car ses codétenus dans l’hôpital psychiatrique souffraient de maladies infectieuses. Il se plaint aussi des conditions dans lesquelles s’effectuaient ses transferts à l’hôpital (menotté, dans les cages métalliques des véhicules de police), de l’annulation de nombreux transferts dont il devait faire l’objet.

    41.  En ce qui concerne la détention de personnes malades et les soins médicaux dont elles ont besoin, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels qu’elle les a récemment rappelés dans ses arrêts Koutalidis c. Grèce (no 18785/13, §§ 68-69, 27 novembre 2014) et Papastavrou c. Grèce (no 2) (no63054/13, §§ 87-90, 16 avril 2015).

    42.  La Cour note d’emblée que jusqu’en juillet 2014, la législation interne grecque ne prévoyait pas la possibilité pour les prévenus atteints de graves problèmes de santé ayant entraîné un grand taux d’invalidité de bénéficier d’une clause expresse du code de procédure pénale permettant le remplacement de la détention provisoire par des mesures moins restrictives. En juillet 2014, un amendement de l’article 282 § 4 de ce code a prévu cette possibilité.

    43.  Incarcéré le 10 janvier 2014, le requérant, qui souffrait d’une maladie incurable et avait une espérance de vie de six à douze mois environ selon les médecins spécialistes, fit l’objet de deux expertises médicales à la demande du juge d’instruction. Les rapports d’expertise, rendus en mars 2014, constataient l’état du requérant et considéraient que la maladie, quoique mortelle, était encore à un stade précoce et ses symptômes pouvaient être traités notamment par chimiothérapie. C’est sur le fondement de ces rapports ainsi que sur la possibilité pour le requérant de se faire traiter à l’hôpital psychiatrique de Korydallos que le juge d’instruction d’abord, et la chambre d’accusation statuant en appel par la suite, ont rejeté la demande de mise en liberté du requérant et prolongé le 7 juillet 2014 de six mois sa détention provisoire. La possibilité pour le requérant de se faire traiter à l’intérieur de l’hôpital psychiatrique de Korydallos servit encore de base pour le rejet, le 6 août 2014, d’une nouvelle demande de levée de la détention.

    44.  Les 11 mars, 22 et 28 avril et 23 juillet 2014, le requérant a été transféré pour son suivi médical périodique, à l’hôpital Sotiria, l’hôpital où il avait subi le premier cycle de sa chimiothérapie jusqu’en mars 2014.

    45.  À cet égard, la Cour note que jusqu’en juillet 2014, les autorités pénitentiaires ont prodigué des soins au requérant et ont suivi les recommandations des médecins pour contrôler l’évolution de sa maladie. Quant aux expertises de juillet 2014 (paragraphe 14 ci-dessus), la Cour relève que les experts n’ont exigé ni que le requérant soit immédiatement soumis à une nouvelle chimiothérapie, ni qu’il soit transféré vers des hôpitaux publics extérieurs à la prison, arguant que le risque d’infections nosocomiales était aussi présent dans ces hôpitaux. Ils préconisaient, en la qualifiant de solution idéale, la levée de la détention et le retour du requérant à son domicile, solution qui n’était pas permise par le droit interne pertinent de l’époque. Deux nouveaux transferts à l’hôpital Sotiria ont eu lieu les 11 et 20 août 2014 pour des scanners du thorax et de l’abdomen.

    46.  Aussitôt après l’entrée en vigueur de la nouvelle version de l’article 282 § 4, le requérant - dont le taux d’invalidité était officiellement évalué à 85% -, sollicita (le 27 août 2014) sa mise en liberté. Sa demande fut accueillie le 2 octobre 2014 par le juge d’instruction sous condition du versement d’une caution de 150 000 euros et de l’assignation à résidence. Le requérant fit appel contre cette décision en se plaignant du montant de la caution, mais la chambre d’accusation rejeta l’appel le 19 novembre 2014, en se fondant notamment sur des considérations liées à la capacité du requérant de payer. Ce dernier n’avait d’ailleurs soulevé dans son appel aucun argument lié à son état de santé.

    47.  Le requérant voit dans le montant de la caution fixé une volonté du juge d’instruction de contourner l’article 282 § 4 afin de le maintenir en détention.

    48.  Toutefois, et dans la mesure où cet argument relève de l’article 3, la Cour observe que dans sa décision no 110/2014, la chambre d’accusation a justifié de manière détaillée et convaincante le choix du montant de la caution litigieuse. En effet, la décision précisait qu’il avait été tenu compte de la situation financière du requérant, telle qu’elle résultait des documents saisis à son domicile, des versements d’argent que celui-ci avait fait aux autres membres de son organisation criminelle, qui ne se justifiaient pas par la relation contractuelle et salariale qui les unissait, ainsi que du degré du dommage financier causé à l’Etat. La décision précisait, en outre, que le requérant n’apportait aucun élément de preuve pour démontrer son incapacité de payer cette somme ; en revanche, il ressortait du dossier qu’il n’était pas dans une telle incapacité et qu’il continuait à cacher ses revenus provenant des contrats qu’il avait conclus avec les municipalités de Pyrgos et de Kalamata. Or, la Cour note, de surcroît, que le requérant n’a apporté ni devant elle, ni devant la chambre d’accusation, aucun élément de nature à réfuter les affirmations de cette dernière. Il n’a non plus soutenu qu’il y avait détérioration de son état de santé.

    49.  La Cour relève subsidiairement que si l’article 282 § 4 a pour but d’éviter la dégradation de l’état de santé des prévenus gravement malades et d’écarter tout danger pour leur vie, elle accorde la discrétion au juge compétent de fixer les conditions moins restrictives que la détention qui lui paraissent appropriées à chaque cas particulier. Le versement d’une caution en fait partie. Il appartient à l’intéressé de contester son montant ou même la nécessité de l’imposer. Ce que le requérant a fait dans la présente affaire par sa demande du 16 janvier 2015, et qui a abouti à sa mise en liberté le 17 mars 2015.

    50.  Compte tenu des circonstances de l’espèce, la Cour estime que les autorités ont satisfait à leur obligation positive de fournir au requérant une assistance médicale adéquate. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 octobre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

       Søren Nielsen                                                                        András Sajó
            Greffier                                                                               Président

     


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