BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MIHAILA v. ROMANIA - 27129/14 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section Committee)) French Text [2016] ECHR 1059 (29 November 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/1059.html Cite as: [2016] ECHR 1059, CE:ECHR:2016:1129JUD002712914, ECLI:CE:ECHR:2016:1129JUD002712914 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MIHĂILĂ c. ROUMANIE
(Requête no 27129/14)
ARRÊT
STRASBOURG
29 novembre 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mihăilă c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Vincent A. De Gaetano,
président,
Egidijus Kūris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 novembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27129/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Mihai Mihăilă (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 mai 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me I. Popa, avocat à Bacău. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 15 avril 2015, les griefs concernant les conditions de détention du requérant, leur inadaptation alléguée à l’état de santé de ce dernier et l’absence alléguée de traitement médical pour l’hépatite C ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1971 et réside à Bacău.
5. Le 24 septembre 2011, il fut arrêté, alors qu’il se trouvait au Royaume-Uni, en vue de son extradition vers la Roumanie, où il avait été condamné à une peine d’emprisonnement pour des faits d’escroquerie. Le 17 novembre 2011, il commença à purger sa peine en Roumanie. Il fut détenu dans plusieurs établissements pénitentiaires roumains, dont la prison d’Iaşi où il demeura du 6 août 2013 au 13 mai 2015.
A. Les conditions de détention à la prison d’Iaşi
1. La version du requérant
6. Le requérant indique avoir été détenu dans une cellule de 35 m2 avec vingt-cinq autres personnes. Il expose que les lits étaient superposés sur trois niveaux et que les matelas étaient en mauvais état et infestés de punaises de lit. Il ajoute que le mobilier de la cellule était réduit à une table pour quatre personnes et deux chaises.
7. Le requérant indique aussi que l’éclairage de la cellule était artificiel et insuffisant, que les toilettes, qui auraient été des toilettes sans siège, étaient en mauvais état et que l’eau chaude n’était pas fournie. Il ajoute que l’accès aux douches ne se faisait que deux fois par semaine. En outre, la nourriture aurait été de mauvaise qualité et proposée en quantités insuffisantes, et elle n’aurait pas été préparée et distribuée dans des conditions d’hygiène adéquates.
2. La version du Gouvernement
8. Le Gouvernement se fonde sur les informations communiquées par l’Administration nationale des prisons (« l’ANP ») pour présenter sa version des conditions de détention.
Il indique que le requérant a été logé dans plusieurs cellules, où il aurait bénéficié d’un espace de vie allant de 0,46 m2 à 1,99 m2. Il confirme l’existence de parasites dans les cellules, mais indique que leur présence avait beaucoup diminué à la suite de la réalisation d’opérations de désinsectisation. Il ajoute que l’accès aux douches était possible selon un calendrier et que l’aération et l’éclairage étaient adéquats.
9. Le Gouvernement indique également que les meubles étaient suffisants et de qualité adéquate. Il admet que les lits étaient superposés sur trois niveaux dans l’un des bâtiments ayant accueilli le requérant. S’agissant de l’état des matelas, il précise qu’il s’expliquait par une utilisation inappropriée faite par les détenus. Il ajoute que les draps fournis aux détenus étaient en bon état et que le requérant utilisait ses draps personnels.
10. Enfin, le Gouvernement indique que la qualité de la nourriture était conforme à la règlementation en la matière et qu’elle faisait l’objet de contrôles réguliers.
B. L’état de santé du requérant
1. La version du requérant
11. Le requérant indique qu’il souffre de plusieurs maladies, dont une pathologie cardiaque, une hernie et une hépatite virale de type C.
12. À cet égard, il précise qu’il occupe un lit situé au troisième niveau, qu’il y dort et que, en raison d’une absence de mobilier adéquat dans la cellule, il y prend aussi ses repas. Il soutient que l’effort quotidien nécessaire pour y monter et en descendre est dommageable pour sa santé en raison de la hernie dont il souffrirait et d’une opération pour déchirure du mésentère qu’il aurait subie avant son incarcération. Il indique que son état nécessite une nouvelle intervention chirurgicale et que l’administration de la prison d’Iaşi ne lui a pas proposé une telle opération au motif qu’elle ne relevait pas de la catégorie des urgences médicales.
13. S’agissant de l’hépatite C, il indique qu’un traitement par interféron lui a été administré lors de son séjour au Royaume-Uni et qu’il a été mis fin à ce traitement au moment de son incarcération en Roumanie. Seuls des comprimés de silimarine, un médicament hépatoprotecteur, lui auraient été proposés.
14. Il indique également avoir constamment demandé aux autorités pénitentiaires un régime alimentaire adapté à l’hépatite dont il souffre. Il ajoute qu’il a bénéficié de la « norme alimentaire no 18 » pour détenus malades (Vartic c. Roumanie (no 2), no 14150/08, § 11, 17 décembre 2013) et que ce régime alimentaire n’était pas adapté puisqu’il lui aurait été proposé de la viande de porc, des œufs ou du fromage salé.
15. Il verse au dossier une demande faite par lui le 7 avril 2014 et adressée au cabinet médical de la prison d’Iaşi, dans laquelle il mentionnait la nature de sa maladie ainsi que les aliments qu’il estimait devoir éviter. Sa demande porte la mention manuscrite « Je propose d’approuver selon la recommandation du médecin en chef » (Propun la aprobare conform recomandării medicului şef), apposée le 14 avril 2014, ainsi qu’un tampon avec la mention « Approuvé. Directeur » (Se aprobă. Director) en date du 15 avril 2014.
16. Le requérant soutient avoir continué à recevoir une diète non adaptée à sa maladie et avoir été informé par les autorités pénitentiaires que la règlementation applicable ne prévoyait pas de diète spéciale pour les malades souffrant d’une hépatite.
2. La version du Gouvernement
17. Le Gouvernement indique que le requérant est enregistré dans la base de données du système pénitentiaire comme souffrant des maladies chroniques suivantes : hépatite C, gastroduodénite, cholécystite, pancréatite, bronchite, obésité, pression artérielle, hyperglycémie, arythmie et anxiété. Il précise que l’intéressé n’a jamais été enregistré comme souffrant d’une hernie ni au moment de l’incarcération ni après, au cours de sa détention, et qu’il ne s’est jamais plaint de douleurs lombaires. Il estime, sur la base des informations fournies par l’ANP, que l’obésité du requérant pourrait être à l’origine des douleurs lombaires qui auraient été ressenties par ce dernier.
18. Le Gouvernement confirme que le requérant a bénéficié de la « norme alimentaire no 18 » pour détenus malades, qui aurait été adaptée à son état de santé. Il précise également que cette norme alimentaire était flexible et pouvait être ajustée en fonction des spécificités des maladies.
19. S’agissant de l’hépatite C présentée par le requérant, le Gouvernement indique que ce dernier avait contracté le virus avant son placement en détention et que le dépistage de ce virus n’était pas obligatoire au moment de l’incarcération. Il précise que le requérant a bénéficié d’un bilan sanguin le 4 décembre 2011 et qu’il s’est vu recommander un traitement hépatoprotecteur et la « norme alimentaire no 18 ».
C. Les constats de l’avocat du peuple roumain
20. Le 12 mai 2014, une équipe de l’avocat du peuple se rendit à la prison d’Iaşi à la demande du requérant. Ses conclusions, communiquées au requérant le 19 août 2014, étaient ainsi rédigées dans leurs parties pertinentes en l’espèce :
« En ce qui concerne le respect du droit à l’assistance médicale et à la protection de la santé, vos allégations sont manifestement fondées étant donné que vous n’avez pas bénéficié d’assistance médicale spécialisée ni d’examens médicaux spécifiques pour attester la présence/l’absence du virus de l’hépatite C.
En ce sens, le représentant de l’établissement pénitentiaire a indiqué qu’il proposera une expertise et l’examen [du demandeur quant au] virus de l’hépatite C dès le lendemain matin.
En ce qui concerne l’alimentation que [le demandeur] reçoit, dans la mesure où les examens médicaux mettent en évidence la présence du virus de l’hépatite C, elle ne cadre pas avec la norme no18 de la circulaire du ministre de la Justice no 3541/2013, ce qui impose l’adaptation du régime alimentaire pour cause de maladie. »
D. Les développements ultérieurs
21. Le 13 mai 2014, le requérant fut soumis à des examens médicaux, notamment à de prises de sang qui confirmèrent la présence du virus de l’hépatite C.
22. Le 30 juillet 2014, la Caisse d’assurance de santé de la défense, de l’ordre public, de la sûreté nationale et de l’autorité judiciaire (« Casa Asigurărilor de Sănătate a Apărării, Ordinii Publice, Siguranţei Nationale şi Autorităţii Judecătoreşti - CASAOPSNAJ ») donna son accord pour un traitement du requérant par peginterféron et ribavirine pour une durée de quatre mois. L’indication de ce traitement fut renouvelée le 28 novembre 2014 pour une durée de trois mois.
23. Le Gouvernement avance que, après avoir été inclus dans le programme national de traitement de l’hépatite par interféron, le requérant a refusé ce traitement à plusieurs reprises ; il estime que l’intéressé s’est ainsi privé de trois mois de traitement. Il indique se fonder sur des informations fournies par l’ANP selon lesquelles le requérant s’est refusé à suivre ledit traitement pendant les périodes suivantes : du 28 novembre au 23 décembre 2014, du 13 janvier au 10 février 2015 et du 27 février au 8 avril 2015. L’intéressé aurait continué à recevoir le traitement hépatoprotecteur par silimarine.
24. En outre, il ressort des documents fournis par le Gouvernement que, le 15 octobre 2014, le requérant a demandé au médecin en chef et au directeur de la prison d’Iaşi à se voir proposer un régime alimentaire adapté à l’hépatite. La demande adressée au médecin en chef comportait la mention manuscrite « J’approuve le régime alimentaire conformément aux normes en vigueur » (Aprob regim alim[entar] conf[orm] normelor în vig[oare]).
25. Il en ressort également que, le 10 novembre 2014, le requérant a formulé une demande d’interruption du traitement par interféron au motif que le régime alimentaire proposé n’était pas adapté à l’hépatite C.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
26. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues (« la loi no 275/2006 ») sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
27. La loi no 275/2006 a été abrogée, le 1er février 2014, par l’entrée en vigueur de la loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté (« la loi no 254/2013 »). La nouvelle loi reprend les dispositions de l’ancienne loi en ce qui concerne la responsabilité du juge chargé de la surveillance de la privation de liberté (judecătorul de supraveghere a privării de libertate) en matière de respect des droits des personnes condamnées (article 57). Elle comporte, en outre, les dispositions suivantes :
Article 50
« 1. L’administration de chaque établissement pénitentiaire assure des conditions adéquates pour la préparation, la distribution et le service des repas conformément aux normes d’hygiène en matière d’alimentation, selon (...) l’état de santé [du détenu] (...)
(...)
3. Les normes alimentaires minimales obligatoires (normele minime obligatorii de hrană) sont établies, après la consultation de spécialistes en nutrition, par une circulaire du ministre de la Justice. »
28. Selon l’ordonnance d’urgence no 48/2014 portant amendement de la loi no 35/1997 sur l’avocat du peuple, ce dernier est désigné comme étant le mécanisme national de prévention de la torture dans les lieux de détention, à la suite de la ratification par la Roumanie du Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture (article 291). Il lui incombe ainsi de visiter les lieux de détention, et ses recommandations aux autorités pénitentiaires ont force obligatoire lorsqu’elles portent sur des questions urgentes relatives à la vie ou à la santé des détenus (article 2914).
29. Les rapports internationaux pertinents en l’espèce, dont ceux du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT »), sont décrits dans l’affaire Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 125-129, 24 juillet 2012).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
30. Le requérant dénonce ses conditions de détention à la prison d’Iaşi et une inadaptation de celles-ci à ses pathologies. Il se plaint que le traitement de son hépatite virale de type C par interféron ait été interrompu pendant deux ans et demi et que le régime alimentaire proposé pendant toute sa détention n’ait pas été adapté à cette maladie. Il invoque en substance l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur l’objet de la requête
31. La Cour relève d’emblée que, dans ses observations, le requérant a soulevé un nouveau grief relatif à des demandes de libération conditionnelle formulées par lui en 2014 et 2015. Elle observe que ce grief a été formulé après la communication de l’affaire au gouvernement défendeur. Elle rappelle avoir déjà jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur de nouveaux griefs soulevés après la communication de l’affaire (Enășoaie c. Roumanie, no 36513/12, § 60, 4 novembre 2014).
32. Par conséquent, la Cour limitera son examen au grief du requérant tel qu’il a été communiqué. À cet égard, elle note que ce grief comporte deux branches - la première, relative à une inadaptation des conditions de détention à l’état de santé du requérant et à l’absence alléguée de traitement médical adéquat et de régime alimentaire approprié pour l’hépatite C, et la seconde, relative aux conditions matérielles de détention -, qu’il convient d’examiner séparément.
B. Sur la recevabilité
1. Sur la branche du grief relative à une inadaptation des conditions de détention à l’état de santé du requérant et à l’absence alléguée de traitement médical adéquat et de régime alimentaire approprié pour l’hépatite C
33. Excipant du non-épuisement des voies de recours internes, le Gouvernement soutient que le requérant ne s’est plaint devant les juridictions nationales, sur la base des dispositions des lois nos 275/2006 et 254/2013 (paragraphes 26 et 27 ci-dessus), ni de l’inadaptation alléguée de ses conditions de détention à son état de santé ni d’une absence de traitement médical adéquat et de régime alimentaire approprié pour l’hépatite C.
34. Sur le fond, le Gouvernement indique que le requérant a bénéficié de la « norme alimentaire no 18 », qui aurait été flexible et ajustable en fonction de l’état de santé de la personne incarcérée, ainsi que d’un traitement hépatoprotecteur. L’intéressé aurait ensuite bénéficié des examens médicaux nécessaires, et, une fois la présence du virus de l’hépatite C confirmée, il aurait été inclus dans le programme national de traitement de cette maladie (paragraphes 21 et 22 ci-dessus). Toutefois, il aurait refusé l’administration du traitement par interféron à plusieurs reprises et aurait ainsi suivi ce traitement de manière irrégulière (paragraphes 23 et 25 ci-dessus). Le Gouvernement conclut que le requérant a bénéficié d’un suivi médical prompt et adéquat et qu’il n’a pas subi de détérioration de son état de santé pendant sa détention.
35. Le requérant indique avoir déposé des plaintes auprès du personnel de la prison d’Iaşi. Il estime que les voies de recours indiquées par le Gouvernement n’étaient pas aptes à apporter une solution à ses problèmes d’ordre médical.
36. Sur le fond, il soutient qu’il n’a bénéficié ni d’un suivi médical adéquat ni du régime alimentaire qui aurait été requis par son état de santé. Il argue que son refus de continuer le traitement médical proposé était justifié par une inadéquation de son régime alimentaire (paragraphe 25 ci-dessus).
37. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre eux (McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010).
38. La Cour rappelle aussi avoir déjà constaté qu’une plainte formée en vertu de la loi no 275/2006 devant le juge délégué à l’exécution des peines était une voie de recours effective pour des questions ponctuelles découlant de la situation personnelle d’un individu, telles que la vidéosurveillance dans les cellules (Ghiroga c. Roumanie, no 53168/12, § 42, 16 juin 2015), la fourniture de repas conformes aux prescriptions religieuses (Sanatkar c. Roumanie, no 74721/12, § 32, 16 juillet 2015) ou les modalités d’exercice des droits de visite (Manea c. Roumanie, no 77638/12, § 79, 13 octobre 2015).
39. Plus particulièrement, la Cour a déjà jugé qu’un recours fondé sur les dispositions de la loi no 275/2006 constituait un recours effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention s’agissant d’allégations relatives à un défaut d’assistance médicale appropriée envers les détenus (Şopârlă c. Roumanie (déc.), no 76884/12, § 46, 2 février 2016 ; voir, également, Petrea c. Roumanie, no 4792/03, § 35, 29 avril 2008).
40. En l’espèce, la Cour observe que les situations dénoncées devant elle par le requérant, plus précisément l’inadaptation alléguée de ses conditions de détention ou de son régime alimentaire à son état de santé, de même que l’absence alléguée de traitement médical approprié pour l’hépatite C, ont un caractère ponctuel puisqu’elles découlent de la situation médicale du requérant. Or il ne ressort pas des éléments du dossier que l’intéressé ait saisi le juge délégué à l’exécution des peines, sur la base des dispositions de la loi no 275/2006, pour se plaindre de ces situations.
41. La Cour estime que ses conclusions relatives à l’effectivité des voies de recours fondées sur la loi no 275/2006 doivent s’appliquer en ce qui concerne celles prévues par la loi no 254/2013, qui reprend les dispositions de l’ancienne loi et qui comporte aussi, entre autres, des dispositions expresses visant à garantir le droit des personnes détenues à bénéficier d’un régime alimentaire adapté à leur état de santé (paragraphe 27 ci-dessus). Or, en l’espèce, elle observe que le requérant ne s’est pas prévalu des dispositions de la loi no 254/2013 après l’entrée en vigueur de ce texte, le 1er février 2014.
42. La Cour est donc d’avis que le requérant n’a pas donné aux autorités nationales l’occasion de remédier à ses griefs. Le fait que l’intéressé a saisi l’avocat du peuple pour se plaindre de défaillances dans le suivi médical de son hépatite C ne saurait amener la Cour à se départir de cette conclusion puisque cette institution, dont la mission principale est la prévention de la torture dans les lieux de détention, n’a pas d’attributions juridictionnelles (paragraphe 28 ci-dessus).
43. Il y a donc lieu de faire droit à l’exception soulevée par le Gouvernement et de rejeter cette branche du grief pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Sur la branche du grief relative aux conditions matérielles de détention
44. Constatant que la branche du grief relative aux conditions matérielles de détention à la prison d’Iaşi n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
C. Sur le fond
45. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur la branche du grief tirée de ses conditions matérielles de détention.
46. Le Gouvernement a renvoyé à la situation de fait décrite par lui à partir des informations communiquées par l’ANP (paragraphes 8-10 ci-dessus).
47. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (voir, entre autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 141, 10 janvier 2012, et Enășoaie, précité, § 46).
Elle prend en compte les effets cumulatifs des celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Bahnă c. Roumanie, no 75985/12, § 44, 13 novembre 2014, et Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II). Lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, la Cour considère que le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005). En particulier, un espace personnel inférieur à 3 m2 dans une cellule collective fait naître une présomption, forte mais non irréfutable, de violation de cette disposition (Mursič c. Croatie [GC], no 7334/16, §§ 122-138, 20 octobre 2016).
48. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour relève que le requérant dénonce plusieurs aspects de sa détention, notamment un état de surpopulation carcérale et des conditions d’hygiène qui auraient été mauvaises (paragraphes 6 et 7 ci-dessus). Elle note que le Gouvernement n’a pas expressément contredit ces allégations (paragraphes 8-10 ci-dessus).
49. Elle rappelle qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison principalement du manque d’espace individuel suffisant, d’une absence d’hygiène, ou de ventilation ou d’éclairage inadéquats dans la prison d’Iaşi, et ce pour des périodes qui correspondaient, au moins en partie, avec la période de détention du requérant (Axinte c. Roumanie, no 24044/12, § 49, 22 avril 2014, avec les références citées, et Todireasa c. Roumanie (no 2), no 18616/13, §§ 57-63, 21 avril 2015).
50. La Cour considère que les mêmes conclusions doivent s’appliquer en l’espèce, et elle estime que les conditions de détention en cause ont soumis le requérant à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. À cet égard, elle note que le Gouvernement lui-même admet qu’à la prison d’Iaşi, le requérant a disposé d’un espace personnel compris entre 0,46 m2 et 1,99 m2 (paragraphe 8 ci-dessus), et donc manifestement insuffisant.
51. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
53. Le requérant réclame 500 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison des traitements inhumains et dégradants auxquels il aurait été soumis pendant sa détention.
54. Le Gouvernement indique que la somme réclamée est excessive et injustifiée par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.
55. Statuant en équité, comme l’exige l’article 41 de la Convention, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 500 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
56. Le requérant demande également 46 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, en particulier pour des frais postaux. Il envoie plusieurs récépissés délivrés par la poste roumaine pour des lettres recommandées, lesquels ne comportent aucune mention du tarif payé. Le seul récépissé qui comporte une indication du tarif acquitté n’est pas lisible.
57. Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas étayé sa demande.
58. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour note que les documents envoyés par le requérant n’indiquent pas explicitement les sommes qu’il a payées au titre des frais postaux. Toutefois, elle estime que ces documents prouvent bien que le requérant a engagé des frais pour la présente procédure devant elle et note que le somme réclamée n’est pas excessive. En conséquence, elle estime raisonnable d’accorder au requérant le montant de 46 EUR au titre des frais exposés devant la Cour.
C. Intérêts moratoires
59. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré des conditions matérielles de détention du requérant à la prison d’Iaşi et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour préjudice moral,
ii. 46 EUR (quarante-six euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 novembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti Vincent
A. De Gaetano
Greffier adjoint Président