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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VASILICA MOCANU v. ROMANIA - 43545/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 1079 (06 December 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/1079.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2016:1206JUD004354513, CE:ECHR:2016:1206JUD004354513, [2016] ECHR 1079

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE VASILICĂ MOCANU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 43545/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    6 décembre 2016

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Vasilică Mocanu c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Krzysztof Wojtyczek,
              Egidijus Kūris,
              Iulia Motoc,
              Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
              Marko Bošnjak, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 novembre 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43545/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Vasilică Mocanu (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er juillet 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me D. Meroiu, avocate à Buzău. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le requérant se plaint en particulier des conditions de sa privation de liberté dans les locaux de détention de la police de Buzău ainsi que de la vidéosurveillance dont il aurait fait l’objet dans sa cellule.

    4.  Le 14 février 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1972. Il est actuellement détenu à Zurich.

    6.  À une date non précisée, il fut condamné à une peine de cinq ans et six mois de prison pour faux. Du 7 au 14 mars 2013, il fut détenu dans les locaux de détention de la police départementale de Buzău (centrul de reţinere şi arestare preventivă al IPJ Buzău).

    A.  Les conditions de détention

    1.  La version du requérant

    7.  Le requérant expose qu’il a été placé dans la cellule no 2, que celle-ci mesurait 19 ou 20 m2 et qu’elle accueillait cinq autres détenus, dont trois fumeurs. Il ajoute qu’elle était située en demi-sous-sol et dépourvue de ventilation. Il indique que les barres et le filet installés sur la fenêtre étaient sales et couverts de toiles d’araignée, d’insectes morts et de poussières qui empêchaient l’air frais et la lumière d’entrer. Il affirme que les toilettes se trouvaient dans un coin de la cellule, qu’elles n’étaient séparées du reste de la pièce que par une cloison en plexiglas, qu’elles ne disposaient pas d’une fenêtre d’aération et que les odeurs se répandaient dans la cellule. Il explique que la chasse d’eau ne fonctionnait pas et que les détenus devaient évacuer le contenu des toilettes à l’aide d’une bassine d’eau. Enfin, il indique que la douche, située à côté des toilettes, était la seule arrivée d’eau potable de la cellule et que les détenus devaient donc l’utiliser lorsqu’ils voulaient boire.

    2.  La version du Gouvernement

    8.  Le Gouvernement expose que le requérant a été placé dans une cellule destinée aux personnes condamnées à des peines d’emprisonnement, que celle-ci mesurait 20 m2 et qu’elle était occupée par cinq autres détenus. Il ajoute que le requérant n’a pas demandé à être séparé des détenus fumeurs. Il indique que les conditions d’hygiène étaient adéquates, que les toilettes étaient dotées d’une ventilation électrique, qu’elles étaient séparées de la cellule par un mur, et que les toilettes et la douche étaient dotées d’un réservoir d’eau courante. Il précise que la cellule était pourvue d’une fenêtre qui s’ouvrait de l’intérieur et assurait une aération et un éclairage adéquats. Enfin, selon le Gouvernement, les toilettes disposaient également d’une fenêtre.

    B.  La vidéosurveillance dans la cellule

    9.  La cellule était équipée d’une caméra de vidéosurveillance. Le requérant indique qu’elle fonctionnait en permanence et qu’il pouvait ainsi être filmé pendant qu’il changeait ses vêtements ou lorsqu’il sortait de la douche, couvert seulement d’une serviette de bain.

    10.  Le Gouvernement affirme que la caméra captait les images en temps réel, mais que ces images n’étaient pas sauvegardées. Il ajoute que la caméra ne captait pas les sons.

    C.  La plainte devant le juge délégué à l’exécution des peines

    11.  Par une décision avant dire droit du 2 avril 2013, le juge délégué à l’exécution des peines rejeta la plainte dans laquelle le requérant dénonçait ses conditions de détention ainsi que la vidéosurveillance dont il aurait fait l’objet. Les passages pertinents en l’espèce de cette décision sont ainsi rédigés :

    « S’agissant de l’organisation et de l’équipement du bloc sanitaire, nous constatons qu’il n’est pas doté d’un lavabo, les personnes privées de liberté [devant] utilis[er] la douche (...) dont on a ôté le pommeau.

    S’agissant de la présence dans toutes les cellules des locaux de détention de la police départementale de Buzău d’une caméra vidéo et de l’atteinte alléguée à l’intimité du demandeur, nous constatons que le système de surveillance vidéo ne permet ni de sauvegarder les images ni de capter les sons, son but étant de surveiller l’activité des personnes privées de liberté afin de prévenir les suicides et les fautes disciplinaires ; étant donné que le demandeur partageait la cellule avec cinq autres personnes privées de liberté, nous ne pouvons pas retenir que ce système [de surveillance] vidéo a porté atteinte à son intimité. »

    12.  Par un arrêt du 3 juin 2013, le tribunal départemental de Focşani rejeta la contestation formée par le requérant et confirma la décision avant dire droit du juge délégué à l’exécution des peines.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    13.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 relative à l’exécution des peines (« la loi no 275/2006 ») ainsi que celles de son règlement d’application (« le règlement d’application ») sont résumées dans l’arrêt Constantin Nistor c. Roumanie (no 35091/12, §§ 18-19, 16 juin 2015).

    14.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’instruction du 24 juin 2010 du ministre de la Justice (ordinul Ministrului Justiţiei) portant approbation du règlement sur la sécurité des établissements subordonnés à l’Administration nationale des établissements pénitentiaires (« l’instruction du 24 juin 2010 ») sont ainsi libellées :

    Titre IV - La surveillance des personnes privées de liberté dans les lieux de détention
    Chapitre I - But et organisation
    Section 1 - Principes généraux
    Article 96

    « La surveillance des personnes privées de liberté dans les lieux de détention a pour but de connaître en permanence leurs préoccupations en vue d’une application [adaptée] des régimes d’exécution des peines de privation de liberté, de [s’assurer] du respect par eux de leurs obligations légales, de les connaître et [d’adapter les mesures] d’éducation [destinées] à leur réintégration sociale, et [enfin] de prévenir les incidents. »

    Article 97

    « 1.  L’activité de surveillance est effectuée, principalement, par l’observation et l’écoute [directes].

    2.  Par observation et écoute on entend la totalité des actions que le surveillant entreprend pendant son service dans le but de vérifier en permanence le respect des règles applicables au lieu de détention.

    3.  Les surveillants peuvent également procéder en secret, sans être vus ou entendus, à l’observation et à l’écoute afin de vérifier la présence des personnes privées de liberté et de connaître leurs préoccupations dans les lieux où elles se trouvent.

    4.  [Le surveillant] s’approche des portes ou des [ouvertures] sans [faire de] bruit pour observer les personnes privées de liberté et [percevoir] leurs préoccupations, et ce dans le but de prévenir les actions interdites et les incidents.

    5.  Si le surveillant détecte, par l’observation et l’écoute, des conversations ou des bruits suspects, il en informe aussitôt le chef de la section ou, en l’absence de ce dernier, le chef de quart.

    6.  La surveillance des couloirs, des sections de détention, des salles d’attente, des cours de promenade, des allées pour les piétons, des salles d’activités sportives, des salles à manger, des clubs, des ateliers, des salles [où les détenus peuvent recevoir] des colis ou des visites et des espaces extérieurs des pavillons de détention peut se faire par le biais de systèmes électroniques de surveillance vidéo. Les images sont visionnées et sauvegardées au centre de surveillance électronique. »

    Article 98

    « 1.  La surveillance des personnes privées de liberté à l’intérieur du lieu de détention se fait, le cas échéant, dans les cellules, les cellules d’isolement, le hall d’entrée, le bloc alimentaire, le mess, les salles à manger, la salle de douches/la blanchisserie, les ateliers, les espaces de production, l’infirmerie, les cabinets médicaux, les cours de promenade, les salles d’activités sportives, les clubs dédiés aux activités socio-éducatives, les zones de travail et les salles [où les détenus peuvent recevoir] des colis ou des visites, mais également lorsque [les personnes privées de liberté font] des achats, et lorsqu’elles font l’objet d’un transport ou d’un accompagnement.

    2.  Dans les salles à l’usage du juge délégué [à l’exécution des peines], dans les salles [où les détenus se voient octroyer le droit] de téléphoner ou dans celles où ont lieu des activités morales ou religieuses, la surveillance peut se faire visuellement ou par des systèmes électroniques de surveillance vidéo, dans des conditions respectant la confidentialité. Toutefois, à la demande du juge délégué à l’exécution des peines de privation de liberté ou du représentant du culte religieux [pour la durée de l’entretien avec la personne privée de liberté] et pour des raisons de sécurité, le directeur du lieu de détention peut autoriser une surveillance effectuée de la même manière que pour les lieux énoncés au premier paragraphe. »

    Article 99

    « 1.  La surveillance des personnes privées de liberté dans les cellules, les cellules d’isolement, l’infirmerie, les cabinets médicaux et les [salles de douches] se fait par des personnes du même sexe.

    2.  Dans des cas justifiés, [la surveillance des lieux énumérés] au premier paragraphe, à l’exception des salles de douches, peut être effectuée par du personnel de sexe opposé, en présence d’au moins un membre du personnel de même sexe. »

    15.  Les dispositions législatives particulières concernant la protection contre les effets du tabac dans le milieu pénitentiaire ainsi que la pratique pertinente en la matière des juridictions nationales sont résumées dans l’arrêt Florea c. Roumanie (no 37186/03, §§ 28-30, 14 septembre 2010).

    III.  LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

    16.  Dans un rapport publié le 24 novembre 2011 à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 5 au 16 septembre 2010, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dresse un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents locaux de détention de la police qu’il a visités. Un résumé de ce rapport se trouve dans l’arrêt Ghirogă c. Roumanie (no 53168/12, § 21, 16 juin 2015).

    17.  Dans un autre rapport, publié le 24 septembre 2015 à la suite d’une nouvelle visite en Roumanie effectuée du 5 au 17 juin 2014, le CPT formule le constat suivant au sujet des locaux de détention de police qu’il a visités :

    « À l’exception d’un dépôt de police (celui d’Oradea qui avait été entièrement rénové récemment et offrait de très bonnes conditions de séjour), les conditions matérielles observées dans les autres dépôts visités restaient très médiocres et similaires à celles observées en 2010 (surpeuplement, vétusté, insalubrité, lumière naturelle et ventilation très insuffisantes). »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    18.  Le requérant dénonce les conditions de sa détention, qu’il qualifie de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    19.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    20.  Le requérant réitère son grief et soutient que la version factuelle présentée par le Gouvernement ne reflète pas la réalité. Il allègue également qu’il y avait un septième lit dans la cellule, utilisé par les détenus pour entreposer leurs bagages. Il ajoute qu’il avait averti le personnel pénitentiaire qu’il ne fumait pas.

    21.  Le Gouvernement affirme que le requérant a bénéficié d’un espace personnel de 3,33 m2 et qu’il n’était donc pas placé dans une situation de surpeuplement carcéral grave comme celui que la Cour aurait constaté dans les affaires Budaca c. Roumanie (no 57260/10, §§ 41-42, 17 juillet 2012) et Bulea c. Roumanie (no 27804/10, § 48, 3 décembre 2013). Il assure en outre que le requérant n’a pas demandé à être séparé des détenus fumeurs.

    22.  La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 149, 10 janvier 2012, et Enășoaie c. Roumanie, no 36513/12, § 46, 4 novembre 2014).

    La Cour a récemment réitéré les principes pertinents, notamment ceux relatifs à la surpopulation carcérale et aux facteurs susceptibles de compenser le manque d’espace personnel, dans l’arrêt Muršić c. Croatie [GC] (no 7334/13, §§ 96-141, 20 octobre 2016). En particulier, lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation que fait la Cour du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En pareil cas, elle conclura à la violation de l’article 3 si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (idem, § 139).

    23.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour relève que le requérant dénonce plusieurs aspects de sa détention, notamment le surpeuplement carcéral, les mauvaises conditions d’hygiène, le manque de ventilation et d’éclairage et la cohabitation avec des détenus fumeurs (paragraphe 7 ci-dessus).

    24.  S’agissant des allégations du requérant relatives au surpeuplement carcéral dans les locaux de la police où il a été détenu, la Cour note que le Gouvernement ne les conteste pas expressément mais considère que la situation de surpeuplement n’était pas particulièrement grave (paragraphe 21 ci-dessus). Elle estime donc que les allégations du requérant à ce sujet sont plausibles. À cet égard, elle rappelle qu’elle a déjà constaté des problèmes de nature structurelle liés, entre autres, au surpeuplement dans les prisons roumaines (Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, § 195, 24 juillet 2012).

    25.  S’agissant ensuite des allégations du requérant relatives à la médiocrité des conditions d’hygiène, la Cour constate qu’elles sont partiellement confirmées par les constats du juge délégué à l’exécution des peines (paragraphe 11 ci-dessus). Elle estime de surcroît que ces allégations sont plausibles puisqu’elles reflètent des réalités qu’elle-même a constatées dans d’autres affaires relatives aux conditions régnant dans les locaux de détention de la police roumaine (Voicu c. Roumanie, no 22015/10, § 53, 10 juin 2014, Zamfirachi c. Roumanie, no 70719/10, § 66, 17 juin 2014, et Valerian Dragomir c. Roumanie, no 51012/11, § 47, 16 septembre 2014, pour les locaux de détention de la police à Bucarest ; Florin Andrei c. Roumanie, no 33228/05, § 45, 15 avril 2014, pour les locaux de détention de la police à Constanţa ; Mihăilescu c. Roumanie, no 46546/12, § 57, 1er juillet 2014, pour les locaux de détention de la police à Bacău ; et Ghirogă, précité, § 33, pour les locaux de détention de la police à Câmpina et Târgovişte). Les conclusions auxquelles le CPT est parvenu à la suite de ses visites de 2010 et 2014 dans plusieurs locaux de détention de la police roumaine vont dans le même sens et font notamment le constat d’une situation qui ne s’est pas améliorée malgré l’écoulement du temps (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). La Cour en déduit que, outre la surpopulation carcérale, le requérant a également dû faire face à d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment à de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (voir, Muršić, précité, § 139).

    26.  En outre, la Cour a aussi dit que, si la durée d’une période de détention peut être un facteur pertinent aux fins de l’appréciation de la gravité de la souffrance ou de l’humiliation subies par un détenu du fait de ses mauvaises conditions de détention, la brièveté relative d’une telle période ne soustrait pas automatiquement à elle seule le traitement litigieux au champ d’application de l’article 3 lorsque d’autres éléments suffisent pour le faire relever de cette disposition (voir, Muršić, précité, § 131).

    27.  La Cour estime dès lors que les conditions de détention en cause ont soumis le requérant à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006, et Florin Andrei, précité, § 46).

    28.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

    29.  Compte tenu de ce constat, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les allégations du requérant relatives à la présence de détenus fumeurs dans sa cellule (Cucolaş c. Roumanie, no 17044/03, § 99, 26 octobre 2010, et Florin Andrei, précité, § 49).

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    30.  Le requérant dénonce une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale en raison de la présence d’une caméra de surveillance dans sa cellule. Il invoque en substance l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    A.  Sur la recevabilité

    31.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    32.  Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.

    33.  Le Gouvernement soutient que l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée était prévue par la loi. Il se réfère à la loi no 275/2006, à son règlement d’application ainsi qu’à l’instruction du 24 juin 2010, notamment ses articles 97 et 98. Il plaide que cette base légale était suffisamment accessible et prévisible. Il expose en outre que l’ingérence poursuivait plusieurs buts légitimes, à savoir la protection de la sûreté publique et la protection des droits d’autrui.

    34.  Le Gouvernement souligne que le système de surveillance des cellules ne permettait ni la sauvegarde des images ni la captation des sons. À ses dires, la vidéosurveillance avait pour but de prévenir les différents troubles à l’ordre de l’établissement pénitentiaire et les tentatives de suicide. Se référant aux restrictions - inévitables selon lui - que la détention impose à la vie privée d’un individu, le Gouvernement considère que les autorités nationales ont agi dans le cadre de la marge d’appréciation que leur reconnaîtrait la jurisprudence de la Cour en la matière.

    35.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que les allégations du requérant, non contestées par le Gouvernement, visent la présence de caméras de vidéosurveillance dans les cellules des locaux de détention de la police départementale de Buzău.

    36.  La Cour rappelle que la « vie privée » est une notion large, qui ne se prête pas à une définition exhaustive. L’article 8 protège notamment le droit à l’identité et au développement personnel ainsi que le droit pour tout individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur. Il existe donc une zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée » (Perry c. Royaume-Uni, no 63737/00, § 36, CEDH 2003-IX (extraits), et Uzun c. Allemagne, no 35623/05, § 43, CEDH 2010 (extraits)). Ainsi, elle a constaté à maintes reprises que l’interception secrète de conversations ou d’images par le biais d’appareils d’enregistrement audio et vidéo entrait dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention (Van der Graaf c. Pays-Bas (déc.), no 8704/03, 1er juin 2004, et Wisse c. France, no 71611/01, § 27, 20 décembre 2005, et les affaires qui y sont citées), qui trouve donc également à s’appliquer en l’espèce.

    37.  La Cour observe ensuite qu’il n’est pas non plus contesté qu’il y a eu ingérence dans la vie privée du requérant. Elle rappelle que pareille ingérence méconnaît l’article 8 § 2 de la Convention sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou plusieurs buts légitimes et, de plus, est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre.

    38.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, les mots « prévue par la loi » impliquent qu’une ingérence aux droits garantis par l’article 8 de la Convention repose sur une base légale interne, mais visent aussi la qualité de la législation en cause : celle-ci doit être suffisamment accessible au justiciable, prévisible et compatible avec le principe de la prééminence du droit (voir, parmi beaucoup d’autres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000-V, Perry, précité, § 45, Liberty et autres c. Royaume-Uni, no 58243/00, § 59, 1er juillet 2008, et Heino c. Finlande, no 56720/09, § 36, 15 février 2011).

    39.  La Cour constate encore que la base légale invoquée par le Gouvernement est principalement constituée de l’instruction du 24 juin 2010 (paragraphe 33 ci-dessus) qui énonce en détail le régime applicable à la surveillance des personnes privées de liberté dans les lieux de détention (paragraphe 14 ci-dessus). Les articles 97 et 98 de l’instruction précisent que la surveillance est effectuée, essentiellement, par l’observation et l’écoute directes et, de manière exceptionnelle, par le biais de systèmes électroniques de surveillance vidéo. La Cour observe que, selon cette instruction, l’utilisation des systèmes de surveillance vidéo est limitée aux espaces communs des lieux de détention, dont les articles 97 et 98 donnent une liste exhaustive. Or les cellules n’y figurent pas. Par ailleurs, il ressort des articles 97 et 98 qui autorisent la surveillance des cellules par l’observation visuelle et l’écoute et qui précisent les limites dans lesquelles cette surveillance peut être effectuée de manière secrète, que leur finalité est de réglementer la surveillance des cellules en tenant compte du droit des détenus au respect de leur vie privée. L’article 99 va dans le même sens puisqu’il exige que la surveillance des cellules se fasse, en principe, par des personnes du même sexe que les détenus qui y sont placés.

    40.  La Cour en déduit que la surveillance du requérant par une caméra, qui se trouvait dans la cellule où il avait été placé dans les locaux de détention de la police départementale de Buzău, n’était pas prévue par la loi interne.

    41.  Ce constat suffit à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    42.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    43.  Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

    44.  Le Gouvernement considère que ce montant est excessif à la lumière de la jurisprudence constante de la Cour en la matière.

    45.  Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 900 EUR pour dommage moral.

    B.  Frais et dépens

    46.  Le requérant demande également 2 700 lei roumains pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes, sans donner d’autres précisions.

    47.  Le Gouvernement invite la Cour à ne rien allouer au requérant à ce titre.

    48.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, en l’absence de précisions quant à la nature de la procédure interne à laquelle se réfère le requérant ainsi que de tout document justificatif, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale.

    C.  Intérêts moratoires

    49.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions matérielles de détention du requérant dans les locaux de détention de la police départementale de Buzău ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la partie du grief tiré de l’article 3 de la Convention concernant la présence de détenus fumeurs dans les cellules des locaux de détention de la police départementale de Buzău ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 900 EUR (trois mille neuf cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 décembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

      Marialena Tsirli                                                                      András Sajó
           Greffière                                                                              Président


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